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28
décembre
2009 : "Stars of the
Kirov"
A
Baden-Baden, la tournée du Mariinsky s'achève,
comme le veut la tradition, par un grand gala alternant les habituels
divertissements attachés au genre et de courts ballets
indépendants qui
en font d'ordinaire tout le sel. Tradition respectée en ce
que le
programme effectif ne correspond jamais complètement
à l'affiche
annoncée... Nul doute que le charme du Mariinsky
réside aussi dans cet
effet de surprise sans cesse renouvelé... L'essentiel est
toutefois
préservé avec, cette année, la
présentation pour la première fois au
public occidental de deux oeuvres ayant fait leur retour la saison
dernière dans le répertoire de la troupe : In the
Night de
Jerome Robbins et Thème
et Variations
de George Balanchine. Un programme placé sous le signe d'une
Amérique
néo-classique, qui porte sans conteste la marque du
très balanchinien
directeur "par intérim" de la troupe, Youri Fateev.
I-
Divertissements
Le
spectacle débute par les divertissements d'usage, dont la
succession aléatoire ne semble guère,
à vrai dire, avoir été
réfléchie
longuement – au risque pourtant de briser l'effet
souhaité. En
ouverture, le Grand Pas
classique,
qui se prête particulièrement bien aux
circonstances, et dans lequel
Evguénia Obraztsova évolue, aux
côtés de Maxim Zyuzin, en remplacement
d'Alina Somova, déjà partie se
rafraîchir sous le ciel de
Saint-Pétersbourg. On ne se plaindra certes pas du
changement, qui
assure, avec une agréable
sérénité, le retour à un
certain classicisme
des formes et du style. Pourtant, si la danse solide et
ciselée
d'Obraztsova ne souffre d'aucune scorie, brillant notamment par son
aplomb, elle ne possède pas non plus – du moins
pas au même degré -
l'autorité souveraine et l'élégance
spirituelle de Viktoria Tereshkina,
vue en ces lieux il y a deux ans aux côtés d'Anton
Korsakov, et dont ce
pas est, en quelque sorte, le morceau de bravoure personnel... Son
élégant partenaire est lui-même
irréprochable, mais entre "bon" et
"grand", "soliste" et "étoile", il y a aussi, souvent, tout
le poids de
l'ennui...
Elena Evseeva et Filipp
Steppin dans La
Vivandière (Markitanka)
Le Pas de
six de La
Vivandière (Markitanka en Russie) fait figure de
choc esthétique après l'académisme
aristocratique du Grand Pas
d'Auber – entouré de surcroît de cette
virtuosité brillante, sinon
clinquante, que livrent d'ordinaire les galas. Tiré d'un
ballet
d'Arthur Saint-Léon, ce pas, reconstruit pour le Kirov par
Pierre
Lacotte en 1979, est conçu pour un couple de danseurs et
quatre
solistes féminines, et nous est surtout connu aujourd'hui en
Occident
grâce aux enregistrements vidéographiques avec les
couples Alla
Sizova/Boris Blankov ou Elena Pankova/Sergueï Vikharev,
témoignages de
la gloire d'une compagnie et de la grandeur d'un style. Le style
romantique et terre-à-terre qu'il développe, avec
son travail
particulier du buste, ses ports de bras, sa batterie de petits pas
taquetés et sautés, et ses étranges
demi-pliés, paraît encore, en dépit
de la continuité historique évidente, aux
antipodes du style des grands
ballets de Petipa, adopté universellement – et
à tort - comme la
quintessence du ballet classique. Malheureusement, ce
répertoire est
sans doute trop peu dansé aujourd'hui – ou dans
des circonstances
exceptionnelles -, pour que le résultat paraisse vraiment
naturel et
accompli. Confié de surcroît à des
interprètes – avouons-le - de second
rang au sein de la troupe - Elena Evseeva (seconde soliste venue du
Mikhaïlovsky et recrutée sur le tard par le
Mariinsky) et Filipp
Steppin (second soliste depuis peu), entourés d'un quatuor
de très
jeunes danseuses du corps de ballet (Evguénia Dolmatova,
Anna
Lavrinenko, Yulianna Chereskevitch, Oksana Skorik) - le morceau,
exécuté proprement, avec une plaisante
ingénuité et d'impeccables
cabrioles du côté d'Elena Evseeva, conserve une
dimension par trop
scolaire et appliquée pour vraiment enthousiasmer, a
fortiori lorsqu'on
a à l'esprit les modèles illustres
cités plus haut. Pour le coup, dans
ce registre exigeant davantage de vivacité que
d'autorité proprement
dite, Evguénia Obraztsova (qui a du reste
déjà dansé l'Ondine
de Lacotte), accompagnée éventuellement de Maxim
Zyuzin, plus véloce et
léger dans la saltation et la batterie que Filipp Steppin,
aurait sans
doute su apporter les qualités qui pouvaient manquer ici
à
l'interprétation...
Ekaterina Kondaurova et
Evguény Ivanchenko dans Schéhérazade
Le duo de
Shéhérazade, juste après la
rustique Vivandière,
est une autre incongruité stylistique, non prévue
initialement, dans le
cadre de ce programme de divertissements... L'extrait peine au
demeurant à vivre coupé de son contexte
dramatique flamboyant, tandis
que les lumières - camaïeu de pastels rose et bleu
-, paraissent bien
inappropriées pour éclairer les
étreintes passionnées de Zobéide et de
l'Esclave doré. En dépit d'un cadre peu porteur,
Ekaterina Kondaurova
ne suscite pas l'ombre d'une réserve dans ce rôle
taillé pour ses
lignes félines et sa sensualité très
dynamique, tempérée par un
intrigant sens du mystère, dont on ne sait s'il est
tourné vers la
lumière ou les ténèbres. En revanche,
Evguény Ivanchenko ne semble
avoir que sa puissance fascinée à offrir
à cette essence ambiguë de la
féminité. Sa présence s'impose avec
une force brutale, mais les
contours de la passion, au travers des poses orientales
stéréotypées
qui émaillent la chorégraphie, manquent de
nuances et d'un certain
abandon lascif et sensuel – à la Rouzimatov...
Nadezhda
Gonchar et Léonid Sarafanov dans Tarantella
Le Pas de deux de Tarantella,
s'il nous montre un Léonid Sarafanov en virtuose bondissant
et
légèrement cabotin - celui que tout le monde
attend -, pâtit du
déséquilibre entre deux partenaires
évoluant à des rythmes sensiblement
différents pour un morceau de bravoure exigeant une
énergie et une
vélocité partagées. Tandis que
Sarafanov se montre sous son jour le
plus festif, flirtant ouvertement, le tambourin à la main,
avec le
public... et s'arrangeant quelque peu avec la chorégraphie,
Nadezhda
Gonchar aborde cette pièce impossible de Balanchine
à la russe et
surtout sans lui apporter le moindre accent, musical ou "dramatique",
la transformant en un pénible exercice de
virtuosité pure, dépourvu de
second degré, où, sans surprise, Sarafanov joue
et gagne... Pour le
coup, deux jeunes et brillants coryphées de la troupe,
Elizaveta
Cheprasova et Kirill Safin, vus sur la scène du Mariinsky il
y a
quelques mois, s'étaient montrés bien plus
enthousiasmants, avec leur
dynamisme un peu juvénile, lors de leurs premiers pas dans
ce même duo
– respecté à la lettre.
Uliana
Lopatkina et Danila Korsuntsev dans Le Grand pas de deux
Le sommet de cette
première partie, inégale ou
déséquilibrée il faut bien le dire,
est venu sans
nul doute du Grand Pas
de deux
chorégraphié par Christian Spuck et
interprété par Uliana Lopatkina et
Danila Korsuntsev, le couple emblématique du
répertoire noble et
lyrique au Mariinsky depuis de nombreuses saisons. Il s'agit
là d'un
pastiche d'un pas de deux classique, dans lequel l'image de la
ballerine parfaite est gentiment moquée et mise à
mal par le
chorégraphe, au son d'une réjouissante musique de
Rossini. Chaussée de
lunettes et armée d'un petit sac, Uliana - l'Unique, la
Divine, la
Ballerine au raffinement incomparable - devient avec humour et pour
quelques minutes une créature maladroite et passablement
ridicule,
tandis que Danila le cavalier idéal assiste avec une
même ironie à ses
évolutions grandiosement incontrôlées.
Danila Korsuntsev n'a sans doute
pas la présence dramatique d'Igor Kolb (avec lequel
Lopatkina a dansé
ce même pas de deux), mais son interprétation,
inattendue, fonctionne,
faisant d'autant plus sens qu'il est justement – d'ordinaire
-
Korsuntsev l'impénétrable. Odette-Odile ou
Nikiya, on le sait,
Lopatkina l'est avec noblesse et comme une évidence...
Camper une
ballerine d'opérette, tendance Trockadéro, tel
était donc le véritable
défi pour elle. Reconnaissons qu'il fallait du
génie pour accepter de
se moquer ainsi de soi-même – et y
réussir. Toute autre qu'elle, sans
doute, y serait pathétique, même si le
succès de la parodie tient aussi
à sa renommée particulière. La
dernière ballerine est ici descendue de
son piédestal, elle en ressort encore grandie.
Denis et
Anastasia Matvienko dans Don
Quichotte
La première partie
aurait sans doute pu s'achever là, sur cette
note de gaieté et d'accomplissement artistique. Le
dispensable Pas de
deux de Don
Quichotte,
servi ici comme un Grand Pas, avec corps de ballet et variation soliste
en forme de décor inutile, ne fait qu'apporter la
démonstration des
perversions du système des galas internationaux, comme
principal
emblème de la danse classique d'aujourd'hui. Le couple
Matvienko, en
héros d'un tel circuit, nous inonde ainsi sans nuances de
son
efficacité, de sa technicité, de sa
virtuosité, mais de style - de
Kiev, de Saint-Pétersbourg, de Moscou ou d'ailleurs
– point... Une
mécanique professionnelle parfaitement huilée,
jusque dans le côté
légèrement négligé prise
par la démonstration – ne pas trop faire dans
le détail raffiné tout de même... -, et
cependant, en-dehors de la
présence de Yana Selina en éternel second
rôle, comme qui dirait, un
abîme de frustration artistique...
II-
In the Night
(J. Robbins)
On n'est
pas rosse, et on n'en voudra pas trop longtemps à
Anastasia et Denis distribués dans le rôle quelque
peu factice des
étoiles du XXIème siècle, car c'est
paradoxalement ce même couple qui
aura été le plus convaincant – en tant
que couple - dans l'In the
Night
de Jerome Robbins. Le ballet a ainsi été
remonté la saison dernière à
Saint-Pétersbourg avec un certain succès - si
l'on en juge par les
reprises nombreuses et les distributions variées dont il a
déjà fait
l'objet – après une première
entrée au répertoire en 1992. Il semble au
demeurant avoir été
chorégraphié tout exprès pour sublimer
l'élégance
aristocratique et la subtilité dramatique des danseurs du
Mariinsky,
même si, parfois, l'on attendrait plus de naturel dans ces
déambulations nocturnes. Les Matvienko y
interprètent le premier pas de
deux, censé représenter la jeunesse et une
certaine forme d'innocence,
de naïveté dans le rapport amoureux. Il faut dire
qu'il se dégage de
cette paire, fusionnelle et habitée, une fluidité
et une évidence qu'on
voit rarement aujourd'hui sur scène, où les
couples se font, se défont,
sans heurts, mais sans qu'il se produise pour autant
l'étincelle que le
public attend. Pris quelques minutes auparavant dans l'automatisme et
la trivialité, ils revisitent avec un éclat
tempéré et réellement
émouvant le Nocturne en mauve
de Chopin revu et chorégraphié par Robbins.
Evguény Ivanchenko et
Ekaterina Kondaurova dans In
the Night
Dans le deuxième pas de
deux, celui en brun, Ekaterina Kondaurova déploie son
autorité
mystérieuse et lointaine aux côtés du
sombre Evguény Ivanchenko, mais
comme pour le troisième pas de deux, associant Uliana
Lopatkina et
Danila Korsuntsev, les deux couples souffrent d'associer les
silhouettes d'une ballerine et d'un cavalier, plutôt que
celles de deux
époux ou de deux amants. L'esthétique n'est pas
classique, mais bien
néo-classique (le mot prend ici tout son sens), et
malgré la poésie et
la magnificence des différents interprètes
– presque échappés d'un
tableau de maître -, on reste sur l'impression que l'homme
conserve –
comme une forme d'orgueil – ce désir de retrait et
cette discrétion
admirable qui font de la femme la seule héroïne
véritable et possible
du ballet. Le propos de Robbins est sensiblement différent
puisqu'il
parle de couples et non de partenaires, mais cette entrée au
répertoire
et ces prises de rôles simultanées n'en demeurent
sans doute pas moins
passionnantes à suivre.
III-
Thème
et Variations (G. Balanchine)
Contrepoint
absolu à l'impressionnisme d'In the
Night, Thème
et Variations
apporte une conclusion, sous forme d'apothéose
pyrotechnique, à un gala
à dominante clair-obscur – image d'une compagnie
lunaire, encore
miraculeuse et pourtant déclinante... A la
manière d'un joyau
fin-de-siècle... Lorsque deux grandes étoiles -
Lopatkina et Tereshkina
- se retrouvent presque seules, en reines incontestées,
à devoir tenir
une soirée de trois heures entre leurs mains... Le ballet de
Balanchine, qui se doit d'être un feu d'artifice de
virtuosité, souffre
d'ailleurs ici – petit détail de forme - d'un
éclairage presque tamisé,
peu approprié à l'explosion visuelle qu'il est
censé mettre en scène,
sans parler de la lourdeur des costumes du corps de ballet, plus "tarte
à la crème" bourgeoise qu'évocateurs
d'un quelconque imaginaire
impérial. Pour le reste, on peut difficilement imaginer un
meilleur
couple de solistes que celui formé de Viktoria Tereshkina et
Vladimir
Shklyarov pour interpréter ce ballet, conçu comme
un hommage à
l'académisme russe et au grand style
pétersbourgeois. Leur partenariat,
flamboyant, est relativement récent et semble au demeurant
recueillir
un succès qu'on espère voir approfondi au fil du
temps... Dans le rôle
de la ballerine, Viktoria Tereshkina épuise une nouvelle
fois tous les
superlatifs.
Vladimir Shklyarov et Viktoria
Tereshkina dans Thème
et Variations
Si Thème
et Variations
met particulièrement en valeur ses qualités les
plus évidentes, l'on
redira pourtant son élégance unique et sa
technique brillante,
jouissive même - pour elle autant que pour nous -,
couronnée par un
style, aristocratique et mesuré, qui sait ne pas sombrer
pour autant
dans la démonstration de force. Ces mêmes
qualités de style lui
permettent du reste de contourner le côté pompeux,
voire pompier, de
l'ensemble en lui conférant cette touche d'esprit et cette
distance
amusée qui font aussi partie intégrante de sa
personnalité. A ses
côtés, Vladimir Shklyarov se
révèle un partenaire très attentif, en
même temps qu'un soliste digne de rivaliser avec sa ballerine
dans
l'éclat et le brio qu'exige la chorégraphie,
spirale incessante de
difficultés techniques. L'intérêt est
qu'au sein de ce couple
contrasté, dont on perçoit pourtant la connivence
– et le même amour de
la virtuosité -, le tempérament dominant de l'un
– un naturel
enthousiaste chez Shklyarov, une autorité radieuse chez
Tereshkina –
trouve constamment à se nourrir et à
s'équilibrer dans celui de
l'autre. Si réserve il y a ici, elle est ailleurs, dans la
prestation
du corps de ballet et notamment des couples de demi-solistes :
celui-ci, en dépit d'une élégance
froide et hautaine se prêtant
naturellement à ce type d'ouvrage, se montre bien trop
brouillon pour
être honnête en cette fin de tournée
allemande. Reflet symbolique d'une
soirée en demi-teinte, il rêve sans doute
déjà d'autres cieux, laissant
le couple d'étoiles briller seul - dans la nuit.
B. Jarrasse ©
2009,
Dansomanie
Gala
"Stars of the Kirov"
Grand
pas classique
Musique
: Daniel François Esprit Auber
Chorégraphie
: Victor Gsovsky
Evguénia
Obraztsova, Maxim Zyuzin
La
Vivandière (Markitanka) - Pas
de six
Musique
: Gesare Pugni
Chorégraphie
: Arthur Saint-Léon
Evguénia
Dolmatova, Anna Lavrinenko, Yulianna Cherechkevitch,
Oxana Skorik, Elena Evseeva, Filipp
Steppin
Schéhérazade - Adage
Musique
: Nicolaï Rimsky-Korsakov
Chorégraphie
: Michel Fokine
Ekaterina
Kondaurova, Evguéni Ivanchenko
Tarantella
Musique
: Louis Moreau Gottschalk, orch. Hershy Kay
Chorégraphie
: George Balanchine
Nadezhda
Gonchar, Leonid Sarafanov
Le
Grand pas de deux
Musique
: Gioacchino Rossini
Chorégraphie
: Christian Spuck
Uliana
Lopatkina, Danila Korsuntsev
Don
Quichotte - Pas de
deux
Musique
: Ludwig Minkus
Chorégraphie
: Marius Petipa
Anastasia
Matvienko, Denis Matvienko
Variation : Yana Selina
In
The Night
Musique
: Frédéric Chopin
Chorégraphie
: Jerome Robbins
1er
Pas de deux – Anastasia Matvienko, Denis Matvienko
2ème Pas de deux – Ekaterina Kondaurova, Evgueni Ivanchenko
3ème Pas de deux – Uliana Lopatkina, Danila Korsuntsev
Thème
et variations
Musique
: Piotr Ilitch Tchaïkovsky
Chorégraphie
: George Balanchine
Yana Selina, Anna Lavrinenko, Valerya Martinyuk, Maria Maria
Shirinkina, Konstantin Zverev, Fyodor Murachov, Alexeï
Nedviga,
Alexeï Timofeev
Orchestre du Mariinsky
Piano solo : Ludmila Svechnikova
Direction musicale : Valery
Ovsianikov
Lundi 28 décembre
2009, 18h00, Festspielhaus,
Baden-Baden
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