Dansomanie : entretiens : Samuel Colombet - Alexis Forabosco
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Samuel Colombet et Alexis Forabosco, danseurs à l'Opéra de Vienne

 

Pour Dansomanie, Samuel Colombet et Alexis Forabosco racontent leur expérience en Autriche

 

 

Samuel Colombet, d'Avignon, et Alexis Forabosco, de Paris, ont tous deux choisi de poursuivre leur carrière de danseur à l'étranger ; un parcours similaire les a d'abord conduits en Allemagne, puis en Autriche, et ils exercent aujourd'hui tous les deux leur art au Ballet de l'Opéra de Vienne. Ils ont accepté, pour Dansomanie, d'évoquer leur trajectoire qui les a menés jusque sur les rives du Danube.

 

Samuel Colombet et Alexis Forabosco, danseurs à l'Opéra de Vienne

 

 

Samuel Colombet :

J’ai été formé au Conservatoire National de Danse d’Avignon, où je suis resté jusqu’au baccalauréat. J’ai ensuite passé des auditions et, en janvier 1996, j’ai été engagé à Lucerne. Coup de chance, ce fut ma première audition et… mon premier contrat. En fait, dès l’issue de la présentation, on m’a demandé de rester, et j’ai dû m’installer en Suisse sur- le-champ. La compagnie avait un répertoire assez classique, les filles travaillaient sur pointes, et j’y ai notamment dansé pas mal de Cranko. Mais il faut savoir que dans les pays d’expression germanique, il n’existe pas de distinction radicale entre compagnies «classiques» et «contemporaines». On y danse de tout, partout, aussi bien du Petipa que du Mats Ek. J’avoue ne pas comprendre pourquoi, en France, on sépare aussi nettement les troupes «classiques» (c'est-à-dire où les filles dansent sur pointes) et les troupes «contemporaines», où l’on évolue pieds nus.

J’ai passé un an à Lucerne, puis, le directeur à changé, nos contrats n’ont pas été renouvelés et les quatorze danseurs de la compagnie ont été licenciés.

En septembre 1997, j’ai réussi à entrer au Regional Theater de Hof, en Bavière, où je suis demeuré deux ans. Ensuite, ce fut l’Opéra de Halle, en Saxe-Anhalt, puis, quatre ans plus tard, Graz, en Autriche. Je n’y suis resté qu’une seule année, car le poste ne correspondait pas vraiment à mes attentes. Et finalement, en 2004, on m’a engagé à l’Opéra de Vienne.

Dans la capitale autrichienne, la saison de ballet s’étend de septembre à juin. Les danseurs sont recrutés sur des contrats d’un an, tacitement reconductibles. Si, au 31 janvier de la saison en cours, lesdits contrats n’ont pas été dénoncés, ils sont automatiquement renouvelés pour l’année suivante. Mais, contrairement à l’usage en vigueur à l’Opéra de Paris, par exemple, nous ne bénéficions pas de CDI (contrats à durée indéterminée, ndlr.), et nous demeurons toujours dans une certaine précarité. Et l’incertitude s’accroît lors des changements de direction : le nouveau directeur a souvent aussi d’autres exigences, le répertoire évolue, tout comme le profil des danseurs recherchés, et on risque évidemment toujours d’être licenciés. L’Opéra de Vienne aura un nouvel Intendant général (administrateur, ndlr.) – le Français Dominique Meyer, actuel directeur du Théâtre des Champs-Elysées – en 2010, et cela impliquera peut-être aussi quelques bouleversements au niveau du ballet.

 

 

Alexis Forabosco :

Ma formation s’est déroulée à Paris. J’ai débuté la danse à 14 ans. J’ai étudié tout d’abord au Conservatoire National de Région (CNR, rue de Madrid à Paris, ndlr.), puis au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP). Dans cet établissement, le cursus est normalement de cinq ans, mais en 1998, au bout de ma troisième année, je suis parti au Ballet National de Bordeaux, Charles Jude m’ayant obtenu un contrat. Tout en étant à Bordeaux, je suivais aussi des cours au ballet de la Scala de Milan, ville où résidait mon amie, et où je me rendais par conséquent fréquemment. Le directeur du ballet de la Scala, Frédéric Olivieri, m’avait non seulement permis d’assister aux cours de la compagnie, mais aussi de participer à quelques tournées, en tant que surnuméraire. 

Avec l’accord de Charles Jude, j’ai donc fini par quitter Bordeaux définitivement en cours de saison, et je suis resté six mois à la Scala. Malheureusement, à l’issue de la saison, on ne m’a proposé qu’un nouveau contrat de surnuméraire de neuf mois, que j’ai refusé. J’ai donc tenté ma chance ailleurs, en passant des auditions, et Ivan Liska m’a engagé à Munich ; j’ai pris mes fonctions lors de la saison 2001-2002, et je suis demeuré au Bayerisches Staatsballett jusqu’en 2006. Ce fut une expérience très positive : le répertoire était varié, nous disposions de moyens financiers conséquents, et Munich est une ville très agréable à vivre.

 

 

Samuel Colombet

 

 

Samuel Colombet :

A l’Opéra de Vienne, il existe trois niveaux de hiérarchie : les solistes, les demi-solistes et le corps de ballet. Avec 104 danseurs, la compagnie est l’un des plus gros ensembles chorégraphiques d’Europe occidentale. Elle résulte de la fusion, en 2006, de la troupe de la Volksoper (l’«Opéra-comique» de Vienne, en quelque sorte, ndlr.) et de celle de la Staatsoper (le «grand» Opéra, ndlr.). Mais, en raison de problèmes de locaux, le travail demeure réparti entre deux groupes distincts de danseurs : l’un répète à la Volksoper et interprète surtout les ballets inclus dans les opéras et les opérettes, tandis que l’autre se consacre plutôt au grand répertoire strictement chorégraphique. 

L’intégration des deux troupes en une seule entité ne s’est donc pas entièrement réalisée dans les faits, même si les danseurs anciennement affectés à la Volksoper viennent renforcer les ex-Staatsoper lorsque nous montons de grosses productions, telles le Lac des cygnes. Mais les choses évoluent, et, au cours de la saison 2008-2009, pour la première fois, le même ballet sera à l’affiche des deux théâtres. Les danseurs de chaque groupe seront mélangés, et pourront, si besoin est, se remplacer mutuellement. C’est une bonne chose, car les grands ouvrages classiques étaient jusqu’à présent exclus du répertoire de la Volksoper. Cela induira aussi des changements d’ordre «culturel» chez les artistes, car la Volksoper était plus ou moins considérée comme «inférieure» à sa grande sœur. Par ailleurs, à la Volksoper, tous les danseurs avaient un rang égal, alors qu’à la Staatsoper la hiérarchie était traditionnellement plus marquée, même si les danseurs de corps de ballet pouvaient aussi occasionnellement être distribués sur des soli.

 

 

Alexis Forabosco

 

 

Alexis Forabosco :

Justement, moi qui suis dans le corps de ballet, j’ai par exemple pu danser l’un des Trois Jeunes Hommes dans Manon, de MacMillan. La variation est très compliquée, et j’ai pris beaucoup de plaisir à en dominer les difficultés. De manière générale, on pourrait dire que tous les soli sont intéressants, car pour un danseur, il est toujours motivant de se retrouver sur le devant de la scène. De plus, lorsqu’on est distribué sur un solo, on bénéficie lors des répétitions de corrections personnalisées qui nous permettent de progresser, et le travail en est d’autant plus valorisant.

Le répertoire du ballet de l’Opéra de Vienne comporte beaucoup d’ouvrages russes, mais MacMillan – son Mayerling sera bientôt à l’affiche – ou Cranko – dont nous avons donné Onéguine et Roméo et Juliette y sont aussi présents. La saison 2008-2009 marquera la première entrée au répertoire d’un ballet de Roland Petit, La Chauve-souris ; néanmoins, ce sont toujours les chorégraphes d’Europe de l’Est qui se taillent la part du lion.

Lors des premières d’une production importante, il est fréquent que des solistes étrangers renommés soient invités. Pour la Bayadère, on avait fait venir Léonid Sarafanov. Par chance, Sarafanov a pu rester un peu plus longtemps, et nous avons pu, en sus des classes, faire du travail intéressant avec lui.

 

 

Samuel Colombet (à gauche) dans Max und Moritz (chor. Ferenc Barbay & Michael Kropf)

 

 

Samuel Colombet :

Pour moi, l’une des expériences les plus marquantes fut Mokka, une chorégraphie de Myriam Naisy (chorégraphe française née à Grenoble, ndlr.) sur des musiques de Paolo Conte. Myriam Naisy s’est montrée assez exigeante dans le choix des interprètes, et j’ai de ce fait été très flatté et heureux que d’emblée, elle ait voulu travailler avec moi.

Autre beau souvenir, Tabula rasa, un ballet écrit spécialement pour nous par András Lukács, un danseur hongrois de la compagnie. András Lukács s’est montré d’une grande patience, et les répétitions ont été très agréables.

Enfin, tout récemment, on m’a confié, dans Max und Moritz, de Ferenc Barbay et Michael Kropf, le rôle de la Veuve Bolte, où je dois me travestir et monter sur pointes. Là aussi, le travail a été très intéressant. Pour ce même ouvrage, il m’a par ailleurs fallu prendre des cours de claquettes! [Max et Moritz sont deux personnages comiques de bande dessinée, nés en Allemagne en 1865 sous le pinceau de Wilhelm Busch. Ils sont l’équivalent germanique de Zig et Puce, ndlr.]

Au cours du mois de mai 2008, nous aurons aussi une soirée «Jeunes Chorégraphes», au cours de laquelle je vais faire mes débuts de créateur. Je vais y monter une pièce pour quatre danseuses, intitulée Lieder für vier Frauen. C’est pour moi un sacré défi car je n’ai aucune expérience dans ce domaine, mais en tout cas, le travail préparatoire s’est avéré très intéressant. Tout d’abord, on m’a demandé de présenter un projet détaillé, avec esquisses de costumes, dessins techniques, etc. A partir de cela, on a discuté de ce qui était réalisable ou non. J’ai pu choisir mes interprètes, et, au fil des répétitions, il m’a fallu adapter les pas de danse à leurs aptitudes propres.

 

 

Alexis Forabosco (de face) dans In Your Eyes my Face Remains (chor. András Lukács)

 

 

Alexis Forabosco :

Personnellement, je ne me sens pas une âme de chorégraphe, je suis un interprète avant tout. C’est certainement très intéressant de monter une chorégraphie, mais  je ne me sens pas capable de me lancer dans une telle aventure.

Comment je me suis adapté à l’Autriche ? En fait, le plus difficile fut mon arrivée en Allemagne. Une fois la langue maîtrisée, les choses sont devenue beaucoup plus aisées. J’ai appris l’allemand sur le tas, tout comme l’anglais d’ailleurs! Ce serait stupide de ne pas vouloir parler la langue du pays qui vous accueille. Il faut faire cet effort. Les Français ont des préjugés contre l’allemand, mais c’est une langue «carrée» que j’apprécie beaucoup ; maintenant, même avec des amis francophones, il m’arrive, sans m’en rendre compte, d’insérer des mots d’allemand dans la conversation.

 

 

Samuel Colombet :

A l’école, j’avais fais anglais-espagnol… Alors, j’ai acheté une méthode d’allemand, mais cela n’a pas été très efficace. Comme Alexis, c’est sur le tas que j’ai véritablement appris la langue. En plus, je me suis retrouvé dans le groupe des «ex-Volksoper», essentiellement germanophone, donc je n’avais pas le choix. A la Volksoper, les cours ont généralement lieu en allemand, tandis qu’à la Staatsoper, c’est l’anglais qui est privilégié. Mais pour les répétitions, de toutes manières, l’allemand prédomine, quel que soit le lieu. Donc, je m’y suis fait, au point que maintenant, il m’arrive d’aider les collègues lorsqu’une traduction est nécessaire!

 

 

 

Samuel Colombet & Alexis Forabosco :

Aujourd’hui, il faut viser toute l’Europe, et les jeunes artistes français doivent être conscients qu’il n’y a pas que l’Opéra de Paris, même si c’est une compagnie magnifique. En Allemagne, on trouve de très nombreuses compagnies, qui offrent des débouchés aux danseurs, leur permettent de travailler avec des chorégraphes intéressants, dans des répertoires originaux et variés.

 

 

Samuel Colombet & Alexis Forabosco

Entretien réalisé le 29 mai 2008

 

© Samuel Colombet & Alexis Forabosco – Dansomanie