Dansomanie : entretiens : Sophie Parczen
Budapest-Paris : itinéraire d'une ballerine
Pour Dansomanie, Sophie Parczen nous raconte ses années d'apprentissage à Budapest, et ses débuts en France
Sophie Parczen, entrée au corps de ballet en 1998, a été formée dans son pays natal, la Hongrie, où les méthodes d'enseignement étaient encore proche de celles pratiquées en Russie. Pour Dansomanie, Sophie a accepté d'évoquer ses années de jeunesse à Budapest, et les circonstances qui l'ont amenée à s'installer en France.
Sophie Parczen : Itinéraire d'une ballerine
Présentations
D’origine
hongroise, je suis née à Budapest, où je suis entrée à l’école
de danse de l’Opéra à l’âge de dix ans. J’avais déjà pris des
leçons particulières, puis, durant deux ans, participé aux séances
de formation dispensées à l’école de danse de l’Opéra, en vue du
concours d’entrée dans cette institution. La scolarité y dure
normalement neuf ans, et la dernière année sert de préparation à
l’examen pour entrer à l’Opéra. Au bout de la huitième année,
j’ai demandé et obtenu un congé pour me rendre à l’étranger. Je
suis partie pour la France, où je me suis présentée au 7ème
Concours de Paris. J’ai été demi-finaliste, et comme, dans le même
temps, le Jeune Ballet de France organisait une audition, je me suis présentée.
Un soir, j’ai reçu un coup de téléphone chez moi, on m’annonçait
que j’étais prise, et je suis donc restée à Paris. Ce
fut très dur de quitter mon pays, ma famille, mes amis. Il y avait
aussi la langue. J’ai appris l’Anglais à l’école, mais pas le
Français. De plus je suis d’un naturel assez timide et réservé.
Mais en arrivant en France, il y avait énormément de travail qui
m’attendait, ce qui faisait que j’étais très occupée et que cela
ne me laissait pas trop de temps pour penser à autre chose! Mais revenons aux débuts de mon histoire…
Erzsébet
Dvorszky et la tradition russe
A l’école de danse de l’Opéra, à Budapest, j’ai eu de nombreux professeurs, dont Erzsébet Dvorszky, qui avait elle-même été formée en Russie. Elle avait passé plusieurs années au Bolchoï, et j’ai toujours gardé le contact avec elle. Pour enseigner, elle utilisait la méthode Vaganova. A l’époque, à Budapest, il y avait beaucoup de professeurs russes, et beaucoup de Russes ont également été engagés comme répétiteurs à l’Opéra. Les contacts étaient évidemment très étroits avec la Russie, et l’afflux des enseignants Russes nous a aussi permis de former de très bons solistes. Erzsébet
Dvorszky m’a apporté énormément. Je l’ai découverte quand je
suis entrée en 3ème année. Elle m’a permis de corriger
de nombreux défauts. A ce moment-là, il n’y avait plus de Russes en
tant que titulaires à l’école de danse de l’Opéra, mais ils étaient
encore souvent invités pour faire travailler les grandes classes. Je me
souviens que Boris
Bregvadzé (soliste du Kirov, ndlr) était venu une année entière
pour s’occuper d’une classe de garçons. La vie à l’école de danse Chaque
année, à l’école, il y avait un concours. Le jury comprenait des
solistes de l’Opéra, ce qui contribuait aussi à formaliser et
distancier les rapports que nous pouvions avoir avec eux. Mais ce n’était
pas non plus entièrement négatif, car après le concours, il y avait
un débat avec eux, ce qui nous aidait à progresser et à améliorer
nos méthodes de travail. Gabriella
Stimatz
Les professeurs sont tous différents les uns des autres. Ceux que j’ai eu jusqu’en 5ème année étaient d’un style plutôt rigide. A ce moment-là, je me suis retrouvée dans la classe de Gabriella Stimatz ; elle m’a fait beaucoup travailler la musculature des jambes et des mollets. Elle était très exigeante la-dessus. Auparavant, j’avais des jambes très fines, peu musclées et légèrement arquées. Grâce à elle j’ai transformé ma musculature. En revanche, le haut du corps demeurait un peu raide, et pour y remédier, je continuais d’aller voir en secret Erzsébet Dvorszky, qui a corrigé mes défauts. C’est elle qui m’a enseigné l’art des ports de bras très légers ; elle était extrêmement attentive à la rondeur des mouvements, à la position du coude. C’est un point que l’on considère avec beaucoup d’importance en Hongrie ou en Russie. De manière générale, les mouvements de bras sont beaucoup plus amples chez les Hongrois ou les Russes. En tout cas, grâce à Mme Dvorszky et ses méthodes venues de Russie, j’ai réussi à éviter toute crispation, a être très déliée. Katalin
Sebestyén
Katalin Sebestyén a été mon professeur à compter de la 7ème année. Elle était également répétitrice à l’Opéra, et s’est montrée extrêmement dure avec moi. Mais elle a eu le mérite de me forger le caractère, et de me donner la force de poursuivre ma carrière de danseuse. Dans le même temps, cela m’a donné une très grande endurance, tant morale que physique, et de fait, j’ai jusqu’à présent échappé à toute blessure grave. Katalin Sebestyén nous poussait à nos limites, on faisait beaucoup de barre à terre, d’abdominaux. Nous n’en pouvions plus, mais il fallait continuer, coûte que coûte. Questions de style En
Hongrie, comme chez les Russes, l’on est très attentif à la
souplesse, et des les petites classes, on travaille minutieusement
l’adage, et on nous fait faire beaucoup d’exercices d’étirement.
Le revers de la médaille, c’est que, comme je viens de le signaler,
les petits sauts sont négligés, et lorsque je suis arrivée en France,
il y avait des pas que je ne connaissais pas du tout. Mais heureusement,
il y a aussi eu à Paris des professeurs qui m’ont beaucoup aidée, à
commencer par Florence Clerc. Alors que j’étais surnuméraire,
elle m’a préparée au concours d’entrée au Corps de ballet de l’Opéra,
et surtout, elle a continué de me faire travailler dans la même
optique qu’en Hongrie, de manière à me préserver un haut du corps
et des bras souples et légers. Elle me disait toujours que le haut du
corps doit demeurer d’un maintien parfait, léger et sans crispation,
même lorsque les jambes sont très mobiles. Elle m’a également
appris à respirer correctement. Eric Camillo, qui venait de succéder à Gilbert Mayer, m’a aussi beaucoup aidé dans la préparation du concours. Il se montrait très exigeant et attentif quant à la précision et la légèreté des mouvements. C’est quelqu’un qui savait exactement ce qu’il voulait obtenir de nous, et il m’a fait accomplir des progrès considérables. Eric Camillo a le don de «lire» le corps, il voit tout de suite où se situent les problèmes et ce qu’il faut faire pour les résoudre. Ses méthodes de travail ressemblent un peu à celles d’Erzsébet Dvorszky.
La
Hongrie et la France
Comme dit, ce qui caractérise l’enseignement de la danse en Hongrie, c’est essentiellement le travail de l’adage et l’attention portée à l’allongement des bras. On utilise généralement la méthode Vaganova ; on y commence les exercices en première position, plutôt qu’en seconde. La première est moins stable, ce qui exige plus d’efforts de la part de l’élève. Mais au fond, les différences avec la France ne sont pas si grandes. Et qu’est-ce que l’école française? Sans doute aussi un peu un mélange des écoles italiennes et russes, non? L’importance accordée à la petite batterie, aux mouvements rapides, vous le devez à l’influence italienne… Mais, si les moyens sont divers, la finalité doit être unique. Lorsque trois compagnies dansent Giselle, il faut qu’au bout du compte, le résultat soit sensiblement identique, même si le chemin pour y parvenir est différent. Ce qui compte, c’est le respect du style. Le Lac des cygnes ou Giselle doivent être dansés selon la tradition, c’est tout. Par ailleurs, en Hongrie, nous suivons à l’école des cours d’histoire de la musique et de la danse. Lorsque j’étais enfant, en plus, j’ai pris des leçons de solfège et de piano, mais mon professeur était fort sévère, ce qui m’a poussé à abandonner définitivement le piano au profit de la danse. L’Opéra
de Paris
Après
mon expérience au Jeune Ballet de France, j’ai passé deux auditions.
Avoir été au J.B.F, c’était une référence, et cela m’a bien
facilité les contacts. La
direction du Jeune Ballet de France m’avait conseillé de me présenter
chez Heinz Spörli, à Zurich. Et j’ai été prise, alors
qu’il y avait plus d’une centaine de candidats! J’étais un peu
complexée vis-à-vis de l’Opéra de Paris, et je ne voulais pas me
risquer à passer le concours tout de suite. Mais après avoir réussi
Zurich, je me suis dit, pourquoi pas Paris. Le Ballet de l’Opéra de
Paris m’attirait car on y jouait surtout le répertoire romantique,
qui est celui que je préfère. Il y avait aussi une audition, j’y
suis allée, ça a marché! Je suis donc restée à Paris. J’ai passé
le concours du BNOP en juillet 1998. J’avais dansé le Grand pas
classique, d’Auber. A l’époque, je logeais chez des gens dont la
fille dansait aussi au Jeune Ballet de France. Elle m’avait montré
une vidéo de cet ouvrage, avec Sylvie Guillem, qui m’a
beaucoup aidé. Lors des épreuves, j’ai été très surprise par la
pente du plateau, au Palais Garnier. A Budapest, il est parfaitement
horizontal! J’ai
été embauchée comme surnuméraire, et un an après, je suis devenue
titulaire. J’ai essayé d’être attentive aux pratiques française,
de m’adapter, de me corriger, tout en conservant les ports de bras
tels qu’on me les avait enseignés en Hongrie. Alors maintenant, suis-je une danseuse hongroise ou française? Les deux! Je viens d’acquérir la nationalité française, mais je garderais toujours des liens avec mon pays d’origine. J’aime Budapest. Cet amour est très important pour moi, même si j’adore Paris aussi. J’ai conservé de nombreux enregistrements vidéo datant de ma jeunesse en Hongrie, et je m’en sers même encore pour parfaire ma préparation au Diplôme d’Etat de professeur de danse! De toutes façons, là bas, beaucoup de gens suivent encore mon parcours avec beaucoup d’attention. Sophie
Parczen
Entretien
réalisé le 27 février 2004 © Sophie Parczen – Dansomanie.
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