Dansomanie : entretiens : Mathilde Froustey & Josua Hoffalt

 

 

Mathilde et Josua : Pas de deux à l'Opéra

 

Pour Dansomanie, Mathilde Froustey et Josua Hoffalt croisent et décroisent leurs parcours à l'Opéra 

 

 

Mathilde Froustey et Josua Hoffalt, comptent parmi les plus jeunes éléments du Corps de ballet, à l'Opéra National de Paris. Et pourtant, leur courte carrière professionnelle est déjà riche d'expériences exaltantes. Pour Dansomanie, ils se livrent à une évocation en duo de leurs premiers pas sur la scène de la prestigieuse institution de la Rue Scribe. 

 

 

Mathilde et Josua : Pas de deux à l'Opéra

 

Nos débuts

Mathilde Froustey :

J’ai commencé la danse à Dax, à l’âge de neuf ans, avec un professeur qui me suit toujours, Axelle Barrau [Axelle Barrau est actuellement enseignante à l’école municipale de danse de Dax, ndlr], . Je la revois notamment pour préparer les concours. Depuis, elle a formé plusieurs «petits-rats» qui ont intégré l’école de Nanterre. A 13 ans, j’ai été prise à l’école du Ballet National de Marseille. C’était la première saison où Marie-Claude Pietragalla assurait la direction de la compagnie. Je suis moi-même restée un an à Marseille, puis je suis entrée en 3ème division à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, en qualité d’élève payante. Nous étions alors en 1999, et j’avais 14 ans. J’ai conservé le statut d’élève payante en seconde division, pour être ensuite définitivement intégrée en 1ère division. J’ai ainsi été l’une des dernières élèves de Christiane Vlassy, qui à pris sa retraite peu après. Elle m’a beaucoup aidée, et c’est quelqu’un que j’apprécie énormément. J’ai rejoint le Corps de ballet en 2002. Au concours d’admission, j’ai dansé la «Variation de Minkus », comme nous l’appelons ici [variation du pas de deux  incluse dans le divertissement ajouté par Ludwig Minkus à Paquita, de Deldevez, ndlr]

 

Josua Hoffalt :

J’ai débuté la danse à huit ans à Marignane, où je suis resté deux années. Puis, je suis allé à Marseille, au cours privé de Colette Armand, qui, à ce moment, était également directrice de l’école de danse du Ballet National de Marseille. En 1998, j’ai intégré l’ école de danse de l’Opéra de Paris, à l’âge de 14 ans, comme Mathilde Froustey. Je suis demeuré stagiaire un an, puis, j’ai suivi une scolarité de 3 années, jusqu’en première division. C’est en dansant la variation de la Belle au bois dormant.

 

Des rôles marquants et des modèles à suivre

Mathilde Froustey :

Les rôles qui m’ont le plus marquée? Question délicate, vu ma très courte carrière au corps de ballet! Il y a d’abord eu le Gala Jeunes danseurs, en 2003, où j’ai dansé Mi favorita, une chorégraphie de José Martinez. C’est plein d’humour et de gags, et l’on s’est énormément amusés. C’est exactement ce qui convient pour des danseurs encore novices et plutôt stressés! Au cours du même spectacle, j’ai aussi fait un remplacement dans le pas de trois du Lac des cygnes.  

Anastasia, dans Ivan le Terrible, évidemment. Youri Grigorovitch, l’ancien directeur du ballet du Bolchoï,  m’avait remarqué en mars 2002, à l’occasion d’un cours de danse. Il était venu en compagnie de son épouse, Natalia Bessmertnova ; il ne nous avait pas été présenté, et j’ignorais à ce moment qui il était réellement. C’est lui qui m’a demandé pour le rôle. Je n’ai su la vérité qu’en novembre 2003, quand les distributions nous ont été communiquées. J’ai eu la chance de disposer de conditions de répétition idéales, avec beaucoup de temps pour m’exercer. Pendant un mois et-demie, nous avions tous les jours des séances de répétition avec Clothilde Vayer [Maître de ballet à l’Opéra de Paris, ndlr.], Natalia Bessmertnova et Youri Grigorovitch. Ce qui était bien pour moi, c’est que le rôle n’en demande pas trop en technique pure, ce qui me laissait la possibilité de me concentrer sur l’interprétation, le jeu scénique.

Suivait, début 2004, le gala en hommage à Claude Bessy. J’y ai dansé, avec Josua, le pas de deux de la Fille mal gardée ; En accord avec Claude Bessy, Brigitte Lefèvre, la Directrice de la danse, nous a proposé de le faire, pour remplacer Laetitia Pujol et Jérémie Bélingard, blessés. Encore un pari sur la jeunesse! Nous avons travaillé ce rôle avec Fabrice Bourgeois. Josua et moi avions par ailleurs déjà dansé ce rôle alors que nous étions encore à l’école, mais chacun avec un partenaire différent!

Enfin, il y a eu Cupidon, dans Don Quichotte, à l’Opéra-Bastille, en mai 2004. Ce fut aussi une très jolie expérience, mais qui est passée si vite : je n’avais qu’un spectacle. Mais quel spectacle! Ce fut en effet le soir de la nomination-surprise de Mathieu Ganio en tant qu’étoile. Cupidon fait, comme Anastasia, partie de ces rôles où le mime tient une place plus importante que la technique ; j’ai beaucoup aimé le danser, à cause de cela. Dans mon travail de préparation j’ai  toujours été beaucoup aidée par Noëlla Pontois, que j’apprécie tant à titre personnel que professionnel. Elle est un peu ma «petite-mère» officieuse! Elle m’a énormément soutenue aussi bien du point de vue du physique que du moral. Il en va de même pour Ghislaine Thésmar , qui est véritablement une «grande dame» de la danse.

 

Josua Hoffalt :

Mes rôles? Eh bien, c’est beaucoup plus limité encore que pour Mathilde! Mon premier «rôle» à l’Opéra de Paris fut le pas de deux chorégraphié par Jean-Guillaume Bart sur une musique de Saint-Saëns, Javotte, lors du spectacle «Jeune danseurs» du 21 mai 2003, dont Mathilde a parlé plus haut. Ma partenaire était Laura Hecquet. C’était la première fois que je faisais autre chose que du corps de ballet. Ensuite est venue la Fille mal gardée, à l’occasion du Gala Claude Bessy. En fait, avec Mathilde, lors de galas privés et de cachets faits à l’extérieur, nous avions déjà dansé pas mal de choses ensemble, notamment les pas de deux de Don Quichotte, du Corsaire, de La fête des fleurs à Genzano. Le hasard a voulu que nous nous soyons toujours retrouvés ensemble. Il est vrai que nous avons un peu la même manière de travailler et la même idée de ce que doit être la danse.

Ma vision de la danse, justement, évolue au fur et à mesure de ma progression technique. Je m’applique maintenant à faire passer plus d’émotion, même si j’éprouve encore des difficultés à me «projeter» vers le public. Mais avec le travail et le temps, ça vient! Je ne cherche plus à avoir une technique absolument parfaite. Ce n’est pas là l’essentiel. C’était ma préoccupation principale lorsque j’étais plus jeune, mais maintenant, cela me semble secondaire. Ce qui est plus intéressant, c’est la satisfaction que procure l’étude d’un nouveau pas, d’un nouveau mouvement.

Mes modèles? Manuel Legris et Nicolas Le Riche, même s’ils ont des styles très différents, et surtout, Mikhaïl Barychnikov. Je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion de prendre un cours avec lui.  Parmi les chorégraphes, mes préférences vont à Jiri Kylián et Mats Ek. Dans le répertoire classique, c’est Nouréev, avec le Lac des cygnes et Don Quichotte. Mon rêve, danser un jour Siegfried ou Rothbart. Dans la version Nouréev, ces rôles sont particulièrement intéressants en ce qui concerne le jeu d’acteur. Dans le Lac des cygnes, j’apprécie cette sobriété, qui contraste avec l’exubérance, l’euphorie qui se dégagent de Don Quichotte. Par ailleurs, dans Don Quichotte, c’est aussi stimulant de faire du corps de ballet. Il faut vraiment y soutenir les solistes, et si le corps de ballet est mou, toute l’ambiance est détruite. De plus, dans la série des Don Quichotte de mai 2004, les changements incessants de distributions ont été très motivants, nous obligeant à être très attentifs et concentrés tous les soirs.

 

Mathilde Froustey :

Les rôles que j’aimerais danser? Moi, ce serait d’abord Juliette, très dur techniquement, mais aussi passionnant de par la place majeure qu’il laisse à la théâtralité, au mime. C’est l’un des rares ballets ou j’ai réellement pleuré à la fin. Pour les mêmes raisons artistiques, je voudrais interpréter Manon, et peut-être aussi Kitri. Manon et Juliette surtout, sont des rôles à part, qui tiennent encore plus du théâtre que de la danse. Dans Kitri, ce qui m’attire, c’est le défi technique du rôle, et le brio qui va avec. Bien sûr, les contemporains m’attirent aussi, avec, comme Josua, une préférence pour Jiri Kylián (Petite mort, Doux mensonges), Mats Ek, auxquels j’ajouterai William Forsythe. Mes modèles seraient quant à eux tous les grands danseurs de l’Opéra, que je côtoie chaque jour au travail, et dont j’admire la manière avec laquelle ils gèrent la fatigue et le stress. Des noms? Noëlla Pontois, évidemment, qui fut une artiste vraiment en avance sur son époque, Ghislaine Thésmar, et, parmi les étoiles d’aujourd’hui, Agnès Letestu et Aurélie Dupont, que j’apprécie toutes deux énormément même si leurs styles respectifs sont très différents.

Mes rêves? Danser avec Nicolas Le Riche, José Martinez, Mikhaïl Barychnikov. Enfin, ce sont vraiment des rêves, car cela m’étonnerait fort qu’ils se concrétisent un jour… J’aimerais également travailler avec Manuel Legris : un très bon pédagogue, tout comme José Martinez, qui sait dédramatiser la danse, avec beaucoup d’humour. Manuel Legris est très précis dans ses mouvements, et tout est fait avec une grande finesse.

 

Josua Hoffalt :

Mon rêve à moi? Avoir Aurélie Dupont pour partenaire à la scène!

Mathilde Froustey :

Pour construire un rôle, il n’y a pas vraiment de règle. Chaque personnage est différent, et l’on aborde évidemment pas un ballet contemporain de la même façon qu’un ouvrage romantique ou néoclassique. En ce qui concerne Ivan le Terrible, j’ai beaucoup appris en assistant aux répétitions des autres titulaires des rôles principaux, Eleonora Abbagnato et Nicolas Le Riche d’une part, José Martinez et Delphine Moussin d’autre part. Ces danseurs expérimentés trouvent leur personnage tout seuls, gèrent efficacement leur dépense d’énergie, la fatigue, de manière totalement instinctive. Nous [i.e. Mathilde Froustey, Mathieu Ganio, Stéphane Bullion, ndlr.] – Natalia Bessmertnova nous appelait la distribution des «enfants», nous avions besoin d’être beaucoup plus guidés, encadrés, conseillés pour bâtir notre rôle. Mais ce qui est très important, c’est de regarder. On apprend énormément en observant les plus anciens.

 

Josua Hoffalt :

Ce principe vaut aussi dans le corps de ballet. Il faut savoir rester discret tout en montrant sa personnalité. Dans Don Quichotte, par exemple, lorsqu’on danse les matadors, il ne faut pas se singulariser, mais néanmoins, on essaye de montrer sa personnalité. En ce qui me concerne, faire du corps de ballet me permet aussi de me lâcher un peu, de tester des choses, et cela m’aide à résoudre mes problèmes d’extériorisation. Les matadors offraient un terrain idéal pour cela. Pour les filles, il est plus facile de rester dans le rang, surtout dans les «actes blancs», où il n’y a aucune possibilité de se distinguer!

 

Le concours de Varna

Mathilde Froustey :

Je ne vais pas à Varna dans le but de remporter quelque prix que ce soit ; la concurrence y est très rude, de plus, Josua et moi dansons dans la catégorie des Seniors, où il y a des professionnels beaucoup plus expérimentés que nous. Mais un tel concours est une expérience qu’il faut vivre dans une carrière de danseur. Cela donne un but, et nous permet de travailler des pas de deux difficiles, notamment dans le répertoire contemporain, que nous abordons peu au corps de ballet. Les ouvrages à notre programme sont :

 

Classique, néoclassique :           Auber, Grand pas classique

                                                Adam, Giselle, pas de deux du 2ème acte

                                                Martinez, Delibes-suite

 

Contemporain :                         Forsythe, Pas / Part

                                                Montalvo, Le rire de la lyre

 

Avant d’intégrer l’Ecole de danse de l’Opéra, j’avais déjà fait en quelque sorte le tour de France des concours, mais à Varna, c’est la première fois que je me présente en pas de deux, et non plus en soliste. Le concours de Varna devrait me permettre d’apprendre à maîtriser un stress intense sur une courte période, et cela me sera très utile en vue du concours de promotion à l’Opéra.

 

Josua Hoffalt :

Varna constitue pour moi une grosse période de travail, et qui dit travail dit progrès. D’une certaine façon, les semaines de préparation qui précèdent le concours sont plus importantes que les épreuves elles-mêmes. Comme Mathilde, je ne participe pas en vue de remporter un prix. Nous sommes parmi les plus jeunes de la catégorie des Seniors. A un mois près, Mathilde pouvait même encore concourir avec les Juniors. Comme elle, je me suis présenté à de nombreuses compétitions avant d’entrer à l’Ecole de danse. Maintenant, ce genre de chose ne m’apporte plus la même excitation. Ce qui me passionne vraiment, c’est le travail d’interprétation.

 

Mathilde Froustey :

En fait, c’est moi voulais me présenter au concours de Varna, en solo. Quand je suis allée voir Brigitte Lefèvre pour demander l’autorisation, elle m’a conseillé de choisir plutôt la catégorie «pas de deux » ; c’est elle aussi qui m’a suggéré le nom de Josua comme partenaire. Comme nous avions déjà souvent dansé ensemble, j’ai trouvé que c’était une excellente idée. Je le lui ai proposé, et il a accepté de suite.

Pour la préparation des épreuves, nous sommes très bien «coachés» par Stéphane Elizabé, qui nous accompagnera en Bulgarie. C’est quelqu’un de très compétent, et qui a beaucoup de choses à nous apporter. Et je suis très heureuse que Noëlla, Ghislaine et d’autres danseurs seront-là aussi pour nous entourer et nous conseiller, tant du point de vue technique que du point de vue artistique.

 

Mathilde Froustey, Josua Hoffalt

 

Entretien réalisé le 24 mai 2004

 

© Mathilde Froustey, Josua Hoffalt - Dansomanie