Dansomanie : entretiens : Aurélien Houette
Du ballet classique à la danse contemporaine, itinéraires croisés
Pour Dansomanie, Aurélien expose son cheminement artistique.
Aurélien Houette est un jeune quadrille du Ballet de l'Opéra de Paris, mais déjà fort d'une réelle expérience de danseur. Très remarqué dans le répertoire actuel, il a accepté pour Dansomanie de nous exposer le cheminement qui l'a conduit du ballet classique - auquel il voue un indéfectible amour - à la danse contemporaine, dont il est un serviteur passionné et passionnant.
Aurélien Houette : Du ballet classique à la danse contemporaine, itinéraires croisés. Racines. Je
suis né en 1980 à Floirac, près de Bordeaux. J’ai commencé la
danse à 6 ans, dans un cours privé, à Bordeaux. L’année suivante,
en 1987, j’entre au Conservatoire de Bordeaux. Ma mère, voyant que je
m’intéressais vraiment à la danse, m’ inscrit en 1989 à l’école
de Cenon,
en banlieue, qui était assez réputée. Je suis resté à Cenon
jusqu’en 1993. En avril 1993 – au bout de quatre ans - , j’ai tenté
le concours de l’Ecole de danse de l’Opéra, mais j’ai été recalé,
en raison d’un poids jugé excessif. Je me suis alors présenté à
Marseille, où l’école de danse venait d’ouvrir. J’ai été
admis, avec il est vrai de la chance, car mon niveau n’était pas très
bon. J’étais fort timide, et je n’arrivais pas véritablement à
m’exprimer avec mon corps. Ce
fut néanmoins une très belle période. Daphné Gestin et Christelle
Granier, qui sont toutes deux entrées par la suite au ballet de
l’Opéra de Paris, furent mes camarades à Marseille à cette époque.
Là, cela devenait réellement de l’apprentissage professionnel,
intensif. On devait se produire dans divers spectacles, des démonstrations,
et c’est cela qui m’a vraiment motivé pour continuer la danse. Même
à Cenon déjà , c’étaient les spectacles de fin d’année qui
me stimulaient le plus. A
l’époque, le directeur des études à l’école du Ballet National
de Marseille était Jacques Namont [ancien Premier danseur du
ballet de l’Opéra de Paris, ndlr], que j’ai retrouvé ensuite en 1ère
division à l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, avec bien sûr,
Raymond Franchetti [ancien premier danseur puis directeur de la danse à
l'Opéra de Paris, ndlr]. J’ai
commencé les cours de danse contemporaine avec Larrio
Ekson, qui fut vraiment extraordinaire. Doué d’une forte
personnalité, il s’exprimait de manière très imagée, évoquant
toujours le ressenti dans la qualité des mouvements. J’adore le répertoire
classique, et les danseurs classiques ont une préparation physique qui
leur permet d’aborder ensuite plus aisément divers styles de danse.
Et aujourd’hui, je perçois la richesse de son enseignement jusque
dans les cours classiques. Au
bout de trois années passées à l’école de danse de l’Opéra de
Marseille, j’ai senti que je n’étais plus à même de progresser
dans ce cadre pédagogique. Il me fallait à présent autre chose, et je
me suis dit que si je voulais continuer la danse au meilleur niveau, la
seule solution, c’était de rentrer à Nanterre. J’ai
alors envoyé des photos à Claude Bessy. A Cenon, mon ancienne
école, donc, Gilbert Mayer participait depuis une douzaine
d’années à des stages organisés par mon professeur. Il s’est
souvenu de moi et m’a recommandé à Mlle Bessy. C’est grâce
à lui que j’ai été pris à l’Ecole de danse de l’Opéra de
Paris, en tant qu’élève payant, en 1996. Je suis resté deux ans en
2ème division, avec Gilbert Mayer comme professeur
justement, puis un an en 1ère division, avec Jacques
Namont, qui venait de succéder à Serge Golovine, parti à
la retraite. A l’issue de l’examen en fin de 2ème
division, j’ai été admis en tant qu’élève de plein droit, cette
fois. A dix-huit ans, j’ai passé le concours d’entrée et j’ai été reçu du premier coup. La variation imposée était assez conséquente, puisqu’il s’agissait de celle de James, au 1er acte de la Sylphide! Gradus
ad Parnassum
Il
m’a toujours fallu un peu de temps pour m’adapter, m’intégrer
dans un nouvel univers. Quand je suis entré au Corps de ballet, je ne
savais pas trop où je débarquais! J’ai commencé par me faire une
entorse en dansant la Belle au
bois dormant… Au bout d’à peine trois mois à l’Opéra, ce
fut un choc un peu rude, et je me demandais à quoi allait ressembler la
suite de ma carrière. Mais
j’étais dans mon élément, avec la scène pour métier à plein
temps. On travaillait uniquement pour cela, et danser tout les soirs,
avec ce que cela implique de joies, de tristesse aussi, et de complicité,
ça apporte énormément. En
février 2000, j’ai passé mon premier concours de promotion. C’était
tout juste trois semaine après mon entorse. J’étais mort de peur,
paralysé par le trac. A oublier, donc, car je manquais totalement de préparation.
Mon deuxième concours ne fut guère plus heureux, puisque je dus
renoncer à y participer, suite à une blessure aux adducteurs. En
2001, je commençais enfin à être plus à l’aise. J’ai choisi la
variation du 3ème acte du Lac
des cygnes. C’était le premier concours où je me sentais bien,
et mon travail semblait plus abouti, plus affirmé. A ce moment, je me
suis dit «Tu as fais une bonne variation classique, alors maintenant,
tu peux essayer de te démarquer avec un programme plus original». Je
ne tenais pas à danser Tchaïkovsky
– Pas-de-deux (Balanchine), alors que trois ou quatre
concurrents étaient passés juste avant moi! En 2002, j’ai donc
choisi Rhapsody, de Frederick
Ashton, qui est une variation ultra-tonique, très rythmée,
explosive! Je passe pour un danseur peu démonstratif, et cette
variation devait me pousser au bout de mes ressources, m’obliger littéralement
à sortir de moi-même. Certes, le résultat n’a pas été
exceptionnel, mais je me suis amusé comme un fou. J’adore la musique
qui accompagne cette pièce (Rhapsodie sur un thème de Paganini, de Serge Rachmaninov), que je
trouve absolument enthousiasmante. Pour
le dernier concours (décembre 2003), je ne trouvais pas vraiment ce que
je voulais, et on m’a parlé de ce ballet de Paul Taylor, que
je ne connaissais pas du tout [Speaking
in tongues, ndlr]. Quand j’ai visionné cette variation à la vidéo,
je me suis dit, pourquoi ne pas tenter une œuvre contemporaine ;
je ne m’y étais jamais risqué jusqu’alors. En
fait, je me rends très souvent à la vidéo [service de l’audiovisuel
de l’Opéra National de Paris, ndlr] avant les concours, afin d’y
trouver des idées intéressantes, et j’ai pu y voir cette variation
de Speaking in tongues. Cela m’a demandé un très gros travail, mais
j’ai ainsi pu explorer ma propre personnalité et me connaître un peu
mieux. Pour danser une telle variation, on est obligé de se confronter
à soi-même, à ses faiblesses, à ses limites. Le déclic est véritablement
venu le jour de la répétition générale. Les mouvements de «twists»,
de torsions du corps, réclamaient beaucoup de concentration. Et il me
manquait l’énergie et les émotions du personnage. Lors de la générale,
donc, j’étais très en colère, j’avais l’impression de passer
complètement à côté de l’œuvre ; je suis sorti de scène dans un
état épouvantable, et pourtant, ceux qui m’avaient vu ce jour-là
m’ont dit que c’était extraordinaire, que c’est comme cela que je
devais danser. C’est là que j’ai appris à me servir de mes
sentiments, de mes émotions, à les capter et à les restituer, les
projeter sur le public. Cela fut vraiment une très bonne expérience,
et il faut absolument que je continue à travailler en ce sens. Vie
d’artiste
A
l’Opéra de Paris, nous avons la chance d’aborder un répertoire très
vaste, grâce à de nombreux chorégraphes invités. Nous pouvons
travailler une grande variété de styles, et c’est cette variété
des expériences qui m’intéresse pardessus tout. Un
rêve : danser un jour Roméo, dans Roméo et Juliette. Ce n’est évidemment qu’un rêve. Le
personnage est fascinant. C’est un ballet très long, très exigeant
sur le plan physique, et d’une grande complexité technique et
psychologique, mais je ne pense pas avoir les qualités pour restituer
vraiment ce personnage. La
réalité, c’est d’avoir pu travailler avec tant de grands chorégraphes.
J’adore les ballets de Pina Bausch. Dommage que je n’ai pas
été retenu pour Orphée et
Eurydice, cette saison. Je garde de bons souvenirs de Thisbé, dans Le
songe d’une nuit d’été, de Neumeyer. C’était mon
premier petit rôle. J’y dansais sur pointes, et ce fut un moment de
grâce. Les autres danseurs semblaient tous sous le charme, et la salle
aussi était très réceptive. Je n’avais évidemment jamais dansé
sur pointes, ce qui fut finalement bénéfique pour ce rôle parodique,
où le jeu d’acteur prime sur la danse pure. Les
ballets de Nouréev m’ont aussi laissé de très bons
souvenirs, notamment Cendrillon
et Casse-noisette. J’avais
le sentiment de raconter une histoire, comme on lit un roman, et de
revivre chaque soir cette histoire à la fois identique et différente. Par
la suite, j’ai été distribué dans bon nombre de créations, avec Saburo
Teshigawara et Davide Bombana, entre autres. Je suis très
heureux d’avoir participé à de tels événements, et même si le
succès n’était pas toujours au rendez-vous, ce furent de belles expériences,
qui apportent énormément au danseur et à l’interprète. Je
n’ai pas à proprement parler de modèle. Quand j’étais enfant, mon
idole était Nouréev, et cela d’autant plus que mon
professeur, à Cenon, était une fan inconditionnelle du grand Rudolf.
Depuis que je suis à l’Opéra de Paris, je ne peux pas dire que
j’ai de modèle défini : ce sont tous les danseurs du corps de
ballet qui me fascinent par leurs singularités. Je m’efforce de
saisir tout ce qui est susceptible de me plaire en eux. En 2001, je suis parti en tournée avec José Martinez, avec qui j’ai sympathisé. Il m’a aidé à me préparer pour le concours. Il a largement contribué à me permettre de trouver une danse plus souple, plus «facile». Je suis allé au Colorado avec son groupe. En janvier 2004, il nous a emmené en suisse, à Lausanne, où j’ai dansé des extraits de Raymonda (Bernard et Béranger), et de Mi favorita.
Défrichages
C’est
une chance que de pouvoir, dans une grande structure comme celle du
Ballet de l’Opéra de Paris, de pouvoir collaborer à ce genre de «petits»
projets, réalisés dans un esprit très sympathique. Je m’étais
produit, à Roissy, dans une chorégraphie de Béatrice Martel, Figureslibres.com. Quant à savoir si la chorégraphie me tente
aussi, la question reste en suspens. De prime abord, non. Etre un chorégraphe
de talent, c’est chose extrêmement difficile. Il faut avoir énormément
d’imagination, un côté visionnaire, un œil affûté et une très
grande culture. Je ne pense pas avoir assez «vécu» en tant que
danseur pour me mettre à créer, même si on me dit souvent qu’il
faut se lancer jeune dans l’aventure. J’ai
un peu la même attitude vis-à-vis du professorat. J’ai passé le
Diplôme d’Etat l’année dernière, et à l’issue de cette
formation, je me suis dit : «Tu as appris beaucoup de choses cette
année, mais il t’en reste dix fois plus à apprendre sur scène, pour
prétendre à posséder quelque qualité de professeur». Et je ne parle
même pas d’être pédagogue. Un pédagogue, c’est un bourreau de
travail, avec une monstrueuse capacité de réflexion. De toutes façons,
il faut encore que je prenne plus d’assurance. Pour l’heure, ce qui
me motive, me pousse en avant, c’est de danser et d’être sur scène.
Plus tard, je me laisserai peut-être tenter par une expérience au théâtre,
pourquoi pas, s’il s’avère que j’ai des prédispositions pour
cela. Pour
l’heure, j’essaye aussi de conforter mon expérience en assistant
– en tant que spectateur – au plus grand nombre de spectacles
possibles, d’en voir toutes les distributions et de comparer des
interprétations différentes. Depuis trois ans, je me suis orienté
vers le répertoire contemporain. Et la danse contemporaine m’a énormément
apporté dans mon approche des œuvres classiques. J’y ai trouvé une
manière de me mouvoir, de prendre de la puissance – mais pas de la
force – au sol ; j’y ai aussi trouvé un lié, une consistance
dans la gestuelle. Et le travail effectué sous la direction de différents
chorégraphes, ainsi que les cours que nous suivons dans le même temps,
y ont amplement contribué. Avec le recul, je me rends compte qu’en entrant au Corps de ballet, j’ai véritablement «réappris» à danser. A l’école, on nous enseigne les codes de la danse, mais on ne nous apprend pas à «vivre» les mouvements, tandis que sur scène, on doit donner un véritable «sentiment» à ces mouvements. C’est évidemment aussi une question de maturité, et certains danseurs ont la faculté de comprendre cela très jeune. Pour ma part, j'aurais toujours en tête l'image idéale d'un Jirì Kyliàn, dont chaque création me fascine par ce formidable sentiment d’évidence qu’elle dégage.
Aurélien
Houette Entretien réalisé le 08 septembre 2004 © Aurélien Houette - Dansomanie
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