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La Belle et la Bête, nouveau défi choréo-littéraire de Julien Guérin à Metz
07 mars 2024 : Julien Guérin chorégraphie La Belle et la Bête pour le ballet de Metz
Après La Princesse de Clèves en 2022, Julien Guérin récidive avec une adaptation chorégraphique de La Belle et la Bête
pour répondre à une nouvelle commande de l'Opéra
de Metz. A la veille de la Première, Il a accepté de nous
parler de son travail et de ses projets à venir.
Maquette de décor pour La Belle et la Bête réalisée par Antoine et Roland Fontaine
La Belle et la Bête est-elle une commande de l’Opéra de Metz, un projet que vous leur avez suggéré?
C’est une
commande de l’Opéra de Metz, sur proposition de
Paul-Émile Fourny [directeur] et Laurence Bolsigner-May
[maître de ballet]. Le projet était déjà
dans les cartons depuis un moment, et, après le succès de
La Princesse de Clèves en 2022, on m’en a confié la réalisation.
C’est,
en l’espace de deux ans, votre seconde adaptation
chorégraphique d’une œuvre littéraire pour
l’Opéra de Metz. S'agit-il d’un type de travail que
vous affectionnez particulièrement?
Oui,
j’apprécie beaucoup le travail sur la narration, et
c’est d’ailleurs pour cela que j’ai tout de suite
accepté la commande. J’aime raconter une histoire au
travers de la chorégraphie, dérouler une narration sur
scène, grâce à la danse. C’est vraiment cela
qui m’a séduit. Cela reste néanmoins un
défii : La Belle et la Bête,
ce n’est pas rien, cela suscite beaucoup d’attentes. Nous
avons tous nos références en tête, que ce soit le
film de Cocteau ou, pour les enfants, le dessin animé de Walt
Disney. Mais c’est un sujet qui n’a pas été
traité tant que cela sous forme de ballet, en tous cas hors des
pays anglo-saxons.
Il
y a tout de même eu les réalisations de Kader Belarbi pour
les Grands Ballets Canadiens, puis pour le Capitole de Toulouse, et de
Thierry Malandain… Maurice Béjart aussi, il y a beaucoup
plus longtemps...
En fait, je ne les ai pas vues, et je n’ai surtout pas à
chercher à les voir. Elles ne m’ont donc influencé
d’aucune façon.
Et le film de Cocteau?
Oui, mais pas
que. En fait, j’ai fait des recherches, et je me suis beaucoup
basé sur la version de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve, qui
précède de quinze années celle plus connue de
Jeanne-Marie Leprince de Beaumont [publiée en 1756 ndlr]. Il y a
aussi Zémire et Azor,
l’opéra de Grétry, qui reprend ce thème
[opéra-ballet créé en 1771 sur un livret de
Jean-François Marmontel, avec une chorégraphie de Gaetano
Vestris, ndlr]. En fait, il y a tellement de variantes, que je me suis
décidé à créer la mienne propre, en quelque
sorte, tout en m’adaptant à des contraintes
spécifiques : effectif limité à 14 danseurs,
dimensions de la scène, des possibilités techniques qui
ne sont pas celles du cinéma, par exemple. Pour la conception
d’ensemble, encore une fois, j’ai surtout fait appel au
récit de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve. La Belle, en son
château, rêve d’un prince qui, ici, n’est pas
directement relié à la Bête, au départ. Le
film de Cocteau, lui, m’a suggéré les effets, les
objets, le décor : les yeux qui bougent, les gargouilles,
l’étrangeté, le fantastique du château. Il y
a des allusions au film, mais pas que. J’ai par exemple choisi de
faire interpréter les rôles du Prince et de la Bête
par deux danseurs différents. Je voulais que la Belle puisse
rêver d’un homme tel qu’elle l’imagine. La
Bête, j’en ai fait un dragon, un reptile. Je ne voulais pas
d’un ours ou d’un lion, qui ne m’inspiraient
guère. Mais du fait de la complexité du costume
conçu par Agnès Letestu, ainsi que du maquillage, un
changement rapide en cours de spectacle n’était pas
envisageable et il fallait impérativement deux danseurs –
approximativement de même taille – pour incarner les
différents aspects. La Bête a certainement
été le personnage le plus difficile à concevoir.

Costume de la Bête dessiné par Agnès Letestu
Vous avez inventé un personnage, celui de la Rose...
Exactement,
j’ai fait de la Rose un personnage qui me permet de relier les
scènes entre elles et d’expliciter la narration. Il
était important pour moi que le spectacle reste accessible
à tous. J’ai délibérément
écarté les interprétations
«psychologiques» du conte, je n’ai pas voulu le
transposer dans l’époque actuelle, y plaquer des questions
sociétales. Je ne situe pas l’action dans une
période temporelle précise, mais «quelque
part» dans le passé. La Rose est
l’élément déclencheur de l’action. Si
le père de la Belle n’avait pas cueilli la fleur, rien ne
serait arrivé. A l’origine, je voulais une rose blanche,
symbole de pureté, mais finalement, avec Agnès Letestu,
nous avons décidé qu’elle serait pourpre ;
cela correspond peut être mieux à ce qu’est une rose
dans l’imaginaire du public. Le premier acte, c’est
le sacrifice, la Belle se sacrifie pour son père. Le second,
c’est la rédemption.

Costume de la Belle dessiné par Agnès Letestu
Vous aviez déjà utilisé ce procédé dans La Princesse de Clèves, non?
En effet, mais ici, le personnage est une danseuse, et non pas une récitante. La Rose ne parle pas.
Avez-vous
pu choisir vous-même vos collaborateurs – on pense
notamment à Agnès Letestu pour les costumes – ou le
projet vous a-t-il été présenté
déjà entièrement «ficelé» par
l’Opéra de Metz?
Non. Ce sont
mes choix. J’ai voulu travailler à nouveau avec Antoine
Fontaine, qui avait déjà réalisé la
scénographie de La Princesse de Clèves.
Son fils Roland s’est joint au projet. De même, je voulais
confier la conception des costumes à Julie Lance, qui avait
aussi contribué à cette production. Pour diverses
raisons, elle n’a pas pu s’en charger et c’est
Agnès Letestu qui a repris le flambeau. Je me suis souvenu de ce
qu’elle avait fait pour Les Enfants du paradis,
de José Martinez, et j’ai spontanément pensé
à elle. Elle a été tout de suite partante. Pour la
musique, j’ai demandé à Anthony Rouchier de
créer des musiques originales pour compléter les
œuvres de Schubert et Mendelssohn qui forment la trame sonore de La Belle et la Bête.
Schubert et Mendelssohn ont vraiment stimulé mon imagination
pour concevoir la narration scénique du conte. Antony Rouchier a
réalisé des «ponts sonores» entre
les pièces de Mendelssohn et Schubert, pour en faire une sorte
de «musique de film» continue. Pour les danseurs, les
contraintes étaient liées à l’effectif de la
troupe de l’Opéra de Metz. Il fallait que je me
débrouille avec les 14 artistes disponibles. Ça faisait
partie du contrat!
La conception de la chorégraphie a-t-elle évolué au fil des répétitions?
Oui, bien
sûr. Quand nous avons commencé le travail, le 15 janvier
dernier, j’avais une trame, avec le découpage des
scènes et la musique correspondante. Mais je ne peux pas
concevoir des pas sans la présence des danseurs, dans le
studio. J’ai bien sûr des idées, mais pour les
«mettre en espace», il faut voir ce que cela donne dans la
réalité. Et ce n’est pas non plus dans mes
habitudes d’imposer des choses aux danseurs, je suis ouvert
à leurs propositions. Une création comme La Belle et la Bête,
c’est un travail évolutif. C’est un peu du
«sur mesure», j’adapte la chorégraphie au
tempérament, aux spécificités de chaque
interprète.
S’agit-il d’une chorégraphie de facture classique, sur pointes?
Oui. Les filles
sont sur pointes, à l’exception d’un bref passage
à la fin du premier acte, où elles sont pieds nus. Les
garçons eux, ont des bottes ou des demi-pointes.
Les
représentations prévues à l’Opéra de
Metz affichent complet depuis plusieurs mois. Envisagez-vous
d’ores et déjà une reprise afin de répondre
à l’engouement du public?
Je souhaiterais
avec très grand plaisir qu’on puisse reprogrammer la
pièce. Si cela peut se faire, ce sera hors les murs, et des
adaptations seront nécessaires, car à la fin de la
saison, le théâtre de Metz va fermer pour travaux, et il
faudra trouver une autre salle.
Et après?
Mon projet suivant est une chorégraphie sur la musique du Boléro de Maurice Ravel. C’est une commande du Arles Youth Ballet Company
[https://www.arlesyouthballetcompany.com/]. Ça sera un gros
défi, et cette fois, j’ai d’autres versions dans la
tête, notamment celles de Maurice Béjart et de Johan
Inger. La musique du Boléro, tout le monde la connaît, les
attentes du public sont nécessairement fortes et il me va
falloir de l’imagination pour m’approprier
l’œuvre de manière originale, sans redondances avec
ce qui a été fait précédemment. La
création est prévue au mois de mai en Arles, et
l’ouvrage doit ensuite être présenté au
festival de danse de Miami durant l’été.
Julien Guérin - Propos recueillis par Romain Feist
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Entretien
réalisé le 07 mars 2024 - Julien Guérin © 2024,
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