Prermière adaptation de La Princesse de Clèves pour la danse - Julien Guérin
14 février 2022 : Julien Guérin adapte La Princesse de Clèves pour le ballet de Metz
Julien Guérin.
formé au Conservatoire National Supérieur de Musique et
de Danse de Paris, intègre les Ballets de Monte-Carlo en 2007,
après avoir travaillé notamment au Ballet de
l'Opéra National de Bordeaux, à l'English National Ballet
et au Scottish Ballet. Dès 2008, il fait ses premières
armes en tant que chorégraphe. C'est aujourd'hui devenu son
activité pricipale, et Julien Guérin s'apprète
à créér, à
l'Opéra-théâtre de Metz la première
adaptation pour la danse du célèbre roman de Madame de La
Fayette, La Princesse de Clèves.
Julien Guérin
D’où vous est venue l’idée d’adapter La Princesse de Clèves pour le ballet?
C’est le premier
roman psychologique de l’histoire de la littérature
française ; c’est surtout un roman d’amour, du
grand amour qu’on ne vit qu’une fois et qui vous submerge
et vous bouleverse d’émotions. Mais
ce roman évoque, également, tout ce qui se déroule
dans une société de cour, c’est-à-dire dans
une communauté humaine de gens qui ne se sont pas choisis. Il
rapporte de nombreuses situations, historiques ou d'intention entre les
personnages. J’ai d'ailleurs dû faire des coupes quant
à leur nombre très élevé pour resserrer le
récit et le rendre plus accessible sur scène. Il y aura
en tout seize danseurs, quatorze de la troupe du ballet de
l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole et
deux supplémentaires recrutés pour l’occasion.
Je trouve aussi que La Princesse de Clèves est un
roman très féministe. Il défend la place de la
femme dans la société malgré le choix final que
fait la princesse de Clèves. Elle tient aux valeurs de
fidélité et de respect finalement plus qu’aux
usuelles règles normatives de son éducation (sagesse,
religion, obéissance et discrétion) qui était le
quotidien à cette époque des jeunes filles nobles de
grandes «maisons».
Et, c’est pour
cela que c’était très intéressant de mettre
en valeur son renoncement au véritable amour. C’est
un grand roman qui n’avait jamais été adapté
en danse. Je me suis d'ailleurs demandé pourquoi une œuvre
aussi majeure de la littérature française
n’avait jamais été chorégraphiée.
La Princesse de Clèves, chor. Julien Guérin
La fameuse phrase prononcée par Nicolas Sarkozy sur La Princesse de Clèves, supposée ennuyer les candidats aux concours administratifs, a-t-elle aussi joué un rôle dans votre choix?
Oui!
Je me suis dit qu'on ne pouvait pas passer à côté
de quelque chose d'aussi énorme. Si certaines personnes ont
trouvé La Princesse de Clèves ennuyeuse,
c’est qu’elles ne l’avaient pas lue au-delà
des trente premières pages de description. C’est un
vrai roman psychologique, voire sociologique puisqu’il
dépeint au sein des milieux du pouvoir, les stratégies,
l’hypocrisie, les faux semblants, les contraintes de la
bienséance protocolaire, tout en soulignant les attirances, les
jeux de séduction entre les personnes…Et on
découvre ce livre à quinze ans à
l’école : c’est à peu près
l’âge de l’arrivée de la future princesse
à la cour.
La Princesse de Clèves, maquette de décor, acte II scène 7
Y a-t-il une dimension «militante» dans votre adaptation chorégraphique?
Il
ne s’agit pas de militantisme au sens politique, mais si
c’est par rapport à la place de la femme, oui. La
princesse de Clèves, au fur et à mesure, se
révèle plus forte et plus indépendante à
vouloir devenir maîtresse de son destin, sans se soumettre aux
diktats de la vie curiale. Donc il y a une dimension
éminemment féministe dans ce ballet. N’oublions pas
que La princesse de Clèves est un roman éponyme écrit par une femme.
Dans la liste des
personnages du ballet, il y a Madame de La Fayette, l’auteur du
roman. S'agit-il d'une sorte de mise en abyme, où l’on
voit Mme de La Fayette écrire son roman sur scène?
En fait,
j’ai décidé d’utiliser le personnage de Mme
de La Fayette comme une narratrice. L’actrice, Claire Cahen,
intervient à des points clés de la narration du ballet,
pour l’expliciter, pour créer des «liens
narratifs», pour que les spectateurs qui n’ont pas
forcément tous les codes de la danse puissent s’y
retrouver.

La Princesse de Clèves, chor. Julien Guérin
C’est une
idée que vous avez eue dès le départ ou
c’est en prenant conscience du nombre important de personnages
que vous vous êtes dit que le récit serait peut-être
difficile à comprendre?
C’est
exactement ça. Je me suis dit, on ne va pas comprendre, il y en
a trop. Je me suis remémoré l’astuce trouvée
par Jean-Christophe Maillot pour sa chorégraphie du Songe
d’une nuit d’été : il avait mis les noms
sur les costumes, pour rendre les choses plus visibles, plus
intelligibles. Moi j’ai eu cette idée de faire
intervenir, dès le début, madame de La Fayette, qui
énonce la liste des personnages [mademoiselle de
Chartres – future princesse de Clèves -,
madame de Chartres – sa mère -, le Prince
de Clèves, le duc de Nemours, Catherine de
Médicis, le roi Henri II, son époux, le
bouffon, le vidame de Chartres, cousin de la princesse, Marie
Stuart, belle-fille du roi, Diane de Poitiers, la
maîtresse du roi, trois courtisans et trois
courtisanes]. Ensuite, ses interventions récurrentes
rythment la pièce et ménagent des respirations dans
la chorégraphie. C’est la première fois que je
travaille en collaboration avec une actrice. Cela m’a
permis de montrer Mme de La Fayette, qui, par crainte d’un
scandale ou de représailles, avait, d’abord, publié
son roman anonymement.
Vous connaissiez déjà Claire Cahen? Vous avez bâti votre pièce autour de sa personnalité?
C’est
Paul-Emile Fourny [le directeur artistique de l’Opéra de
Metz, ndlr] qui m’a mis en relation avec elle
[Claire Cahen est native de Metz, ndlr]. Sa voix, son visage,
son style correspondaient bien au personnage de Mme de La Fayette. Et,
depuis mes multiples collaborations avec le Pavillon Bosio,
j’apprécie de travailler de façon
interdisciplinaire et de mêler différents arts du vivant.
Nous avons beaucoup échangé avec Claire. Et avec mon
librettiste, j’ai commencé à rédiger les
textes narratifs. Mme de La Fayette est discrète, hors du
temps, elle apparaît, disparaît, vient ponctuer la
pièce.
J’ai,
en outre, ajouté un personnage de bouffon, pour lier un peu
l’ensemble. L’idée m’en est venue en regardant
le film de Jean Delannoy [La Princesse de Clèves, tourné en 1961, ndlr] car le bouffon, tel un agent catalyseur du fatum,
accélère la reconnaissance de cet irrépressible
sentiment amoureux entre la princesse de Clèves et le duc de
Nemours.

La Princesse de Clèves, chor. Julien Guérin
Y aura-t-il de la pantomime pour aider à la caractérisation des personnages?
Non, il n’y aura pas de pantomime stricto sensu.
La pantomime, si l'on n’est pas danseur, ou du moins
spécialiste de la danse, on n’y comprend rien.
C’est aussi ce que fait Jean-Christophe Maillot, il
recherche une gestuelle plus actuelle. Moi je suis dans la même
démarche. Les codes traditionnels de la pantomime ne sont plus
utilisables aujourd’hui, même si par ailleurs la
chorégraphie demeure classique.
Les danseuses seront sur pointes?
Oui,
l’essentiel de la chorégraphie sera sur pointes,
même si la princesse de Clèves sera à quelques
occasions pieds nus au second acte. A cette nuance près que ce
seront des pointes «molles», destinées à
finir harmonieusement la ligne du pied. Ce ne seront pas les
mêmes pointes que pour le Grand pas
classique d’Auber par exemple. Il faut que les danseuses
puissent passer sans difficulté de parallèle à
en-dehors, avec un vrai travail d’articulation du pied. Il faut
des pointes qui ne soient pas des «sabots».
La Princesse de Clèves, chor. Julien Guérin
Vos personnages seront-ils en costumes historiques ou en simples justaucorps?
Henri
II et Catherine de Médicis, le roi et la reine, seront en
costumes historiques. Pour le reste, on s’est permis quelques
fantaisies et anachronismes. La Princesse de Clèves, par
exemple, sera en tutu. J’avais été en contact avec
Hubert Barrère, de la Maison Lesage
[Hubert Barrère est le directeur artistique du
célèbre atelier de broderie fondé en 1858,
aujourd’hui propriété de Chanel, et qui
travaille pour le compte des plus grandes maisons de couture,
ndlr] mais cette collaboration n'a pu être
concrétisée. Je n’avais donc pas de costumier
lorsque j’ai présenté les maquettes à
Paul-Emile et, tout naturellement, il m’a suggéré
Julie Lance [costumière de l’Opéra de Metz] qui
s’est chargée de cette mission. Elle fait un travail
remarquable pour revisiter les costumes de la cour, surtout pour ce qui
concerne leur maniabilité sur scène. Je voulais
quand même quelque chose d’un peu
«dépoussiéré», donc pas uniquement des
costumes Renaissance. Le col à fraise, c’est un peu
étriqué, ça ne bouge pas beaucoup et ça
limite les mouvements de la danse. Je ne voulais pas, pour la
chorégraphie, d’une simple reconstitution de danses
anciennes. On a essayé de détourner certains objets,
comme le col à fraise justement, qui est devenu un «tutu
fraise».
La scénographie, quant à elle, est réalisée
par Antoine Fontaine, qui avait
déjà créé celle du Casse-Noisette de Kader Belarbi. Il a aussi collaboré à la production de Richard Cœur de Lion (Grétry)
à l’Opéra Royal de Versailles ainsi qu'au
film de Patrice Chéreau, La Reine Margot,
avec Isabelle Adjani, qui évoquait déjà le
XVIème siècle. C’est quelqu’un qui
s’intéresse au classique, à l’Histoire. Nous
aurons un vrai décor, réalisé en volume.
La Princesse de Clèves, maquette de décor, acte I scène 4
Pour
les éclairages, vous avez fait appel à
Dominique Drillot, qui travaille régulièrement pour
les Ballets de Monte-Carlo, dont vous êtes issu…
Oui,
tout à fait, Dominique est très talentueux. Il a
déjà réalisé la scénographie et les
lumières pour plusieurs de mes chorégraphies, Scaramouche, Démons et Merveilles ou encore Le Temps du Tendre – Heuristique du sentiment amoureux.
Et quel a été votre choix pour la musique?
Je suis
un féru de Vivaldi et j’ai pu effectuer des recherches
assez poussées sur ce compositeur. A l’été
2021, j’avais déjà utilisé la musique de
Vivaldi pour Le Temps du tendre – une heuristique du sentiment amoureux,
une création destinée aux Ballets de Monte-Carlo,
inspirée par l’œuvre de Mademoiselle de
Scudéry. Il y a plusieurs années déjà
– le projet initial remonte à trois ans -, j’avais
fait la connaissance de Susan Orlando, qui est la directrice artistique
de l’ «Edition Vivaldi» que publie
l’éditeur phonographique Naïve. J’aurais
souhaité un véritable orchestre de musique, ce qui
était prévu initialement, mais les conséquences de
la covid ont impacté les budgets de nombreux
théâtres.
Je
ne voulais pas d’orchestre symphonique, je voulais des musiciens
jouant sur instruments anciens. J’aime ces sonorités. Avec
Susan Orlando, nous avons donc puisé dans le catalogue
Naïve pour choisir les morceaux, avec des interprètes tels
que Rinaldo Alessandrini ou Julien Chauvin. Un enregistrement
ne possède pas tout à fait la magie de la musique
«live» ; toutefois, c’est vrai aussi que pour
les danseurs, c’est plus pratique, notamment au niveau du
travail en répétition. J’espère quand
même pouvoir un jour reprendre la pièce avec un
véritable orchestre cette fois!
La Princesse de Clèves, toile de fond, acte I
Vous
avez déjà une expérience de chorégraphe,
est-ce là votre première incursion dans le domaine du
ballet narratif?
Non, j’avais déjà créé Scaramouche, un ballet en deux actes pour l’Opéra du Grand Avignon, ainsi que Démons et Merveilles, une adaptation des Visiteurs du soir,
de Marcel Carné, pour le Ballet de
Nice-Méditerranée dirigé par Eric Vu-An,
à l’occasion du centenaire des studios de cinéma de
La Victorine, où le film de Marcel Carné fut
tourné, justement.
Est-ce que vous revendiquez l’influence de certains chorégraphes, notamment celle de Jean-Christophe Maillot?
Absolument,
j’ai travaillé douze ans comme danseur aux Ballets de
Monte-Carlo, et Jean-Christophe Maillot est justement quelqu’un
de très fort dans le domaine de la narration ; j’ai été vraiment imprégné de ce qu’il a fait à Monaco.
Vous continuez à danser aux Ballets de Monte-Carlo?
Rarement.
Là, je viens justement de danser lors de la reprise
de Casse-Noisette Cie au Grimaldi Forum, mais
l’essentiel de mon activité est à présent la
chorégraphie. Et, je continue à travailler pour
l’Académie Princesse Grace.
Et pour La Princesse de Clèves, pourquoi l’Opéra de Metz? Vous avez des attaches personnelles en Lorraine?
Non,
mais mon librettiste vient de Nancy. Tout au début,
j’avais imaginé ce spectacle pour un autre
théâtre mais cela ne s'est pas concrétisé.
Par ailleurs j’avais déjà rencontré
Paul-Emile Fourny pour un projet autour de la
célébration des 800 ans de la cathédrale de Metz
et je lui avais soumis plusieurs idées. La Princesse de Clèves
l’a tout de suite intéressé. Le propos et la
scénographie l’ont séduit. Les interprètes
seront donc les danseurs du ballet de
l’Opéra-Théâtre de Metz-Metz
Métropole. Il y aura en tout seize danseurs, plus une
actrice narratrice, Claire Cahen.
Les répétitions sont en cours, je présume?
Oui, elles ont
débuté le 17 janvier. Ça a été un
peu compliqué : nous avons eu plein de
«cas» covid, des blessés, mais on gère!.
Est-il prévu que ce spectacle soit ensuite présenté en tournée ?
La Princesse de Clèves a
été conçue pour l’Opéra de Metz. Mais
il est question que cette production puisse être amenée
à tourner, à l’avenir. J’espère,
également, que d’autres compagnies pourront la reprendre.
Julien Guérin - Propos recueillis par Romain Feist
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