Thierry Malandain rend hommage à Beethoven
15 décembre 2019 : Thierry Malandain chorégraphie La Pastorale
En
prélude aux célébrations du 250ème
anniversaire de la naissance de Ludwig van Beethoven, Thierry
Malandain, en réponse à une commande de l'opéra de
Bonn - la ville natale du célèbre compositeur -
créé un nouveau ballet autour de la Symphonie pastorale.
C'est la troisième fois que le directeur du Ballet Biarritz
trace des pas sur des musiques de Beethoven, et à cette
occasion, il a accepté de livrer aux lecteurs de Dansomanie les sources de son inspiration.
Thierry Malandain
La Pastorale,
c'est une idée personnelle ou une commande qu'on vous a passée dans
le cadre des célébrations du 250ème anniversaire de la naissance
de Beethoven?
C'est une commande de
l'Opéra de Bonn [ville natale de Beethoven, ndlr], en coproduction
avec le Théâtre National de Chaillot. A Bonn, on m'avait tout
d'abord laissé libre de choisir l’œuvre de Beethoven que je
devais chorégraphier. Au départ, j'avais retenu la Septième
symphonie, mais les Allemands n'y étaient pas très favorables, car
ils considèrent qu'Uwe Scholtz est un peu la référence en ce qui
concerne cette symphonie, et ils m'ont demandé de prendre autre
chose. J'ai eu un autre souci, c'est que chez Beethoven, je n'ai pas
trouvé de musique d'une durée suffisante pour un ballet d'une
soirée complète. Il y a bien Les Créatures de Prométhée,
mais je les ai déjà utilisées par le passé. Finalement je me suis
décidé pour la Symphonie pastorale, que j'ai complétée par
la cantate Mer calme et heureux voyage opus 112 et Les
Ruines d'Athènes.
Vous avez pris la
totalité des Ruines d'Athènes?
Non, cinq extraits. La
sélection a été un peu compliquée, car il n'y a pas
d'enregistrement vraiment satisfaisant de cet ouvrage. Mais avec les
célébrations de l'année Beethoven, il y en aura sans doute
maintenant!

La Pastorale, chor. Thierry Malandain
Et pour la Symphonie
Pastorale, vous avez trouvé plus facilement?
Oui, j'ai pris
l'enregistrement de Nikolaus Harnoncourt. Je n'ai pas de
connaissances musicales très étendues, mais je trouve que chez
Harnoncourt, il y a toujours une forme de puissance, de gravité, et
cela me plaît.
Comment s'est opéré le
choix de la Pastorale une fois qu'on vous avait refusé la
Septième, qui venait naturellement à l'esprit, Wagner
l'ayant qualifiée d' «apothéose de la danse»?
Mon projet initial,
c'était de réaliser un ballet en deux parties, avec, pour
commencer, une transcription pour piano de la Septième symphonie,
puis la version pour orchestre. Mais comme dit, j'ai dû renoncer, et
passer à autre chose. J'avais en tête le monde antique, et
finalement j'ai trouvé que la Pastorale pouvait convenir pour
évoquer cela. Ça me trottait dans la tête depuis un moment déjà.

Mickaël Conte et Irma Hoffren
On rejoint un peu
l'univers de vos Créatures de Prométhée, non?
Oui et non. Il y avait
cette idée de l'Antiquité que je voulais exploiter. Les Ruines
d'Athènes sont une commande de la ville de Vienne à Beethoven
pour célébrer la libération de la capitale autrichienne de
l'invasion des Turcs1.
L’œuvre est une sorte de lamentation sur la perte des valeurs de
la Grèce antique. Cela faisait sens en regard de la Symphonie
Pastorale. La pastorale, au contraire, était un genre littéraire
un peu élégiaque, mettant en scène des bergers, des nymphes, dans
un monde où tout va bien. A toutes les époques postérieures,
l’Antiquité a été considérée comme une sorte de modèle,
d’idéal de beauté. A chaque période troublée, on se réfère à
elle comme à un exemple. Et je me suis dit que dans le monde actuel,
c’était peut-être le bon moment de se tourner à nouveau vers
cette Antiquité.
La structure du ballet
est très simple et découle de ces choix : trois parties. La
première, sur la musique des Ruines d’Athènes est une
illustration de la réalité, de notre réalité. La Pastorale
est un ballet abstrait, sans argument précis – en fait, si, dans
mon esprit il y en a un, mais je n’en n’ai pas fait part dans le
programme –, mais qui raconte tout de même quelque chose :
c’est le parcours d’un jeune homme, un peu romantique, incarné
par Hugo Layer, qui danse le rôle principal. Il mène de la réalité
à la mort, en passant par le rêve.
La Pastorale, chor. Thierry Malandain
Y a-t-il un parallèle
entre votre propre démarche et celle de Beethoven, qui, pour sa
Symphonie Pastorale, avait beaucoup hésité à publier un
«programme» et qui l’avait finalement retiré de peur
qu’il ne prête à confusion?
En fait, dans la
Pastorale [contrairement à Beethoven], je n’évoque pas
tellement la nature, Hormis la présence un peu incongrue de trois
escargots géants, il est pour moi plutôt question de nature
humaine. Le décor lui-même est abstrait, géométrique. Pour Les
Ruines d’Athènes, il s’agit de carrés formés par des
barres de danse, avec une structure métallique qui remonte ensuite
dans les cintres. Il s’agit de montrer la réalité, l’enfermement
de l’homme. L’idée est partie du carré
Sator, ce carré magique formé de cinq mots au sens énigmatique,
qu’on peut lire dans le sens vertical et le sens horizontal [Sator
arepo tenet opera rotas] et dont le premier exemple a été trouvé
dans les ruines de Pompéi. Il y a mille interprétation possibles,
mais selon certains, il s’agirait d’un signe de ralliement des
premiers chrétiens. En tout cas, cela concerne l’homme et son
évolution, et c’est cela qui a été le point de départ lorsque
j’ai conçu la chorégraphie de la Pastorale, même si je ne
l’ai pas mentionné dans le programme.
Le ballet commence donc
sur ces symboles carrés, sur la musique des Ruines d’Athènes.
Les carrés se transforment ensuite en cercles, avec la
Symphonie pastorale, pour finir en spirale. C’est là
qu’interviennent les trois escargots, qui sont un symbole de
renaissance. L’achèvement de la spirale, c’est l’évocation du
Paradis. Je pense que ce «programme» non explicité qui
sous-tend le ballet va m’attirer des critiques, mais bon, chacun y
trouvera ce qu’il veut y trouver, et c'est tant mieux.

La Pastorale, chor. Thierry Malandain
Vous avez donc conçu le
décor, d’une certaine façon?
En fait, dans presque
tous mes ballets, c’est moi qui imagine le dispositif scénique, et
ensuite, le décorateur le réalise. Jorge Gallardo, avec qui je
travaille depuis des années, est retourné vivre dans son pays, au
Chili. C’est très loin et on n’a pas la possibilité de nous
voir souvent. Donc je lui donne mon idée de départ, on échange
par mail ou par téléphone, et lui se charge de la réalisation
effective.
Et pour les costumes?
Il y a des costumes un
peu étranges, de grands manteaux gris pour les Ruines d’Athènes,
qui donnent aux personnages un peu une allure de rats, des habits
«pseudo-antiques» pour la Symphonie pastorale,
et dans la représentation finale du Paradis, ce sont de simples
maillots de couleur chair.
Frederik Deberdt et Arnaud Mahouy
Comment
le public a-t-il réagi lors de la «première» (la
«vraie» création étant prévue à Bonn), à Chaillot,
le 13 décembre?
Très bien. En fait, on
procède toujours un peu de la même façon, une « première »
française suivie d'une «première» internationale.
Là, nous danserons la Pastorale
les 22 et le 23 décembre à Bonn, dans la foulée. On avait déjà
fait cela pour Noé,
ça permet de roder le spectacle et de régler les derniers détails
techniques. En réalité, il nous aurait fallu disposer du Théâtre
de Chaillot rien que pour nous pendant trois ou quatre jours pour
tout mettre au point, mais ce n'est évidemment pas possible. Donc ce
sont ces «avant-premières» qui permettent aux danseurs
d'avoir un peu le ballet «dans les jambes» lors de la
véritable création à Bonn. Pour eux, c'est plus rassurant.

Hugo Layer
Lorsque
vous avez conçu la chorégraphie de la Pastorale,
aviez-vous déjà des interprètes en tête? Le ballet a-t-il
été réglé sur des danseurs particuliers ? Pourrait-il être
dansé par n'importe quel soliste de votre compagnie?
Chaque
fois que je crée un nouveau ballet, je le fais pour des interprètes
bien précis. Comme il peut toujours y avoir des remplaçants, des
changements imprévus, d'autres vont évidemment aussi danser
l'ouvrage, mais la distribution de la première est habituellement
celle pour laquelle j'ai pensé la chorégraphie. Dans la Pastorale,
l'interprète principal est Hugo Layer. Il est dans la compagnie
depuis cinq ans. Il a déjà eu de petits rôles, comme celui du
Poète dans Rêveries romantiques (adapté
de La Sylphide). Comme
ces derniers temps, il a progressé très rapidement, j'ai choisi de
lui confier le premier rôle dans La Pastorale.
Là, il est en scène pratiquement en permanence.
Est-ce
qu'après les représentations à Bonn, il est prévu que La
Pastorale reste au répertoire
du Ballet Biarritz?
Oui,
bien sûr, je pense même qu'il va y rester pour des années!
La Pastorale, chor. Thierry Malandain
Est-ce
que, dans le cadre de l' «année Beethoven», vous
envisagez aussi de reprendre Les Créatures de Prométhée?
Non,
malheureusement. C'est dommage, cela aurait été bien, mais nous
n'avons pas le temps. Nous tournons avec six programmes différents
déjà, il est impossible de faire davantage.
Est-ce
que la personne de Beethoven, l'homme, l'artiste, au tempérament
assez noir, tourmenté, aux engagements politiques forts vous a aussi
inspirée?
Disons,
toutes proportions gardées, que je suis un peu de la même nature
que Beethoven [rires]. En fait, pour la Pastorale,
comme je m'éloignais un peu de cet esprit de nature qu'il y avait
infusé, je n'ai pas été obnubilé par Beethoven en tant qu'homme.
Mais je me suis imprégné de sa musique, des émotions qu'elle peut
transmettre. Je ne suis pas un intellectuel. Même si je peux
argumenter, a posteriori,
dans le huis-clos du studio, j'essaye surtout de vibrer, d'entrer en
résonance avec la musique. Forcément, je m'identifie d'une certaine
façon au compositeur. C'est une sorte de magma, duquel émerge le
ballet. Ma Pastorale
est aussi tourmentée que le caractère de Beethoven, avec les mêmes
lueurs qui transparaissent. Si le personnage «civil» de
Beethoven ne figure pas dans le ballet, son âme, elle, y est, j'en
suis sûr.
Quel
est l'avenir du Malandain Ballet Biarritz? Pour combien de
temps en garderez-vous la direction ? Avez-vous des projets pour
la suite?
Maintenant
c'est officiel, je suis reconduit pour cinq ans à la direction de la
compagnie. En fait, quatre ans, plus une année de transition, en
collaboration avec la personne qui me succédera. Mon précédent
contrat prenait fin en ce mois de décembre 2019, et là, cela me
mènera jusqu'à la saison 2024-2025.
Pour
l'heure, je n'ai pas encore de nouveau projet de création. Mais le
Ministère de la culture a lancé un programme d' «artistes
associés», et dans ce cadre, nous avons engagé Martin
Harriague. Lors du concours de chorégraphes que nous organisons à
Bordeaux, il avait obtenu le second prix, ainsi que le prix du public
et le prix de la presse. A la suite de cela, il a réalisé un
premier ballet pour Biarritz, Sirènes.
Et maintenant, nous lui avons fait un contrat de trois ans. Une
création est prévue, qui se fera dans le cadre d'un spectacle où
je donnerai également un nouveau ballet. Mais la date n'est pas
encore fixée.
1 Nous
n'avons pas trouvé de source attestant cette origine de l'ouvrage
de Beethoven
.
Thierry Malandain - Propos recueillis par Romain Feist
La Pastorale, chor. Thierry Malandain
Le
contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et
www.forum-dansomanie.net est la propriété
exclusive de
Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute
reproduction
intégrale ou partielle non autrorisée par
Dansomanie
ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit
de
citation
notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage
privé), par
quelque procédé que ce soit, constituerait une
contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.