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entretiens
Prix de Lausanne 2018 - Interview : Kathryn Bradney

01 février 2018 : Kathryn Bradney, directrice du Prix de Lausanne

Kathryn Bradney, ancienne soliste du Béjart Ballet, assurait la direction par interim du Prix de Lausanne, après la démission surprise de Shelly Power, dont le mandat n'aura été que d'un an. Quelques minutes avant la réalisation de cette interview, le 1er février 2018, Kathryn Bradney a été nommée Directrice artistique et administrative (CEO) de plein exercice, et c'est à elle qu'il incombe désormais d'organiser l'édition 2019 du prestigieux concours de danse suisse.



prix de lausanne 2018


Kathryn Bradney, Directrice du Prix de Lausanne


Vous venez de nous apprendre que vous étiez désormais nommée Directrice de plein exercice et non plus intérimaire du Prix de Lausanne... Une bonne nouvelle pour vous?

Oui, je suis évidemment très contente. Je prends donc officiellement la succession de Shelly Power en tant que Directrice artistique et CEO [Chief Executive Officer, directrice administrative, ndlr] du Prix de Lausanne. Donc, à la fois l'artistique et le financier. Je m'entends très bien avec Shelly Power, et elle me soutient beaucoup en cette période de passation de pouvoirs. Elle a annoncé en novembre 2017 qu'elle souhaitait mettre un terme à ses fonctions, pour des raisons familiales. Mais le Prix de Lausanne 2018 reste «son» Prix. Quant à moi, je suis déjà en train de préparer l'édition 2019. Il est indispensable de commencer à mettre les choses en place au moins un an à l'avance.


Cette nomination, d'abord pour assurer l'intérim, vous est «tombée dessus» comment?

Cela s'est fait évidemment dans l'urgence. Il était normalement prévu que Shelly Power reste en fonction pour cinq ans. Malheureusement, diverses difficultés personnelles l'ont obligée à quitter son poste prématurément et à rentrer en Amérique. Son beau-père est tombé gravement malade, et son mari, qui espérait pouvoir venir en Suisse, a dû complètement chambouler ses projets. Le Conseil de fondation a donc décidé de me nommer ad interim pour assurer la continuité de la direction. Le président du Conseil de fondation m'a appelée alors que je répétais Petrouchka avec ma propre compagnie, IgoKat. Avec mon époux, nous avons discuté de cela jusque très tard dans la nuit, et j'ai finalement accepté.


Et maintenant qu'il ne s'agit plus d'intérim, pour combien de temps avez-vous été nommée?

Pour l'instant, il est certain que j'assumerai la responsabilité du Prix 2019. On verra si ça me plait, et si mon travail satisfait le Conseil de fondation. J'ai déjà présenté aux membres mes projets. J'ai de nombreuses idées, et l'une de mes tâches principales sera de promouvoir le Prix de Lausanne sur le plan mondial. Là, je me situe d'ailleurs dans la continuité de Shelly Power. L'objectif est de faire en sorte que le Prix de Lausanne ne soit pas visible seulement durant la semaine du concours, mais tout au long de l'année. Nous poursuivrons notre politique de pré-sélections en Amérique latine. Pour 2019, elles auront lieu au Brésil, fin septembre-début octobre 2018. Ensuite, j'irai à Saint-Pétersbourg, où Nikolaï Tsiskaridzé m'a invitée à assister au concours organisé par l'Académie Vaganova. Fin octobre, nous procéderons aux pré-sélections sur vidéos, Je vais essayer aussi de repérer de bons candidats européens, car actuellement, le Prix de Lausanne est dominé par les sud-américains et les asiatiques.


Vous envisagez alors de réactiver le partenariat avec la Palucca-Schule pour organiser des pré-sélections en Allemagne?

Je suis en discussion avec Jason Beechey, mais si on refait quelque chose, ce ne sera pas à Dresde. Cela n'avait pas très bien marché, peu de gens s'étaient déplacés. Il faudra que nous trouvions un lieu vraiment attractif. Nous y travaillons en ce moment.


Il y a des plans du côté de Saint-Pétersbourg alors?

Il est trop tôt pour le dire. En tout cas, je passerai une semaine entière en Russie pour le concours Vaganova. Je ne serai pas au jury. Je serai là en observatrice, pour repérer des candidats potentiels pour Lausanne. Un partenariat n'est pas exclu et j'ai justement rendez-vous avec Nikolaï Tsiskaridzé ce dimanche [04/02/2018, ndrl] pour en discuter.


Vous aviez déjà une expérience de direction avant d'accepter le poste au Prix de Lausanne?

Oui, je dirige mon école de danse depuis onze ans. J'ai débuté avec une soixantaine d'élèves, et maintenant, j'en ai plus de huit-cents, encadrés par onze professeurs. J'ai également une compagnie de danse, essentiellement composés d'anciens membres du Béjart Ballet. Et en plus de cela, j'ai une entreprise de production vidéo.


Reprenons l'histoire au début. Vous êtes née américaine, vous avez acquis la nationalité suisse depuis... Dites-nous un peu comment vous vous êtes retrouvée à Lausanne?

J'ai fait mes études de danse aux USA, principalement avec David Howard, au Harkness Ballet, à New York. Puis je suis allée au Pittsburgh Ballet, que dirigeait Patricia Wilde. J'avais dix-huit ans, on y dansait surtout du Balanchine. J'ai aussi travaillé un peu avec le New York City Opera. Un jour, Maurice Béjart est venu à New York. Une grande audition a été organisée, Nous étions deux-cent quatre vingt candidats. Dix américains – dont moi! - ont été retenus. En 1986, je suis donc allé au Ballet du XXème siècle, à Bruxelles. En 1987, grâce à l'aide de Philippe Braunschweig, j'ai pu déménager à Lausanne et suivre Maurice Béjart. J'ai dansé durant vingt ans dans sa compagnie. Nous avons été très proches.


Avez-vous gardé quelques liens avec le Béjart Ballet, logé juste à côté du Théâtre de Beaulieu?

Oui absolument, j'ai conservé des relations avec certains danseurs et je vais voir leurs spectacles.


De quand date votre collaboration avec le prix de Lausanne? Vous aviez lancé le «vidéo-blog», non?

Oui, en 2006, avec Igor Piovano, mon mari, mais l'année précédente on m'avait déjà sollicitée pour participer aux pré-sélections sur vidéos. C'était encore l'époque des cassettes VHS! Comme nous venions de créer une société de production audiovisuelle, on nous à demandé également de filmer les demi-finales et les finales, car les organisateurs du Prix envisageaient la publication d'un DVD. Nous avons fait cela plusieurs années.

Et en 2006, donc, Mavis Staines [actuelle directrice de l'école du Ballet National du Canada, ancienne soliste au Ballet National du Canada, puis au Het National Ballet, ndlr], qui était à l'époque directrice du Prix de Lausanne, nous avait, à Igor et à moi, demandé de réaliser un vidéo-blog – c'était avant les live-streamings! Nous filmions du matin au soir, et nous montions les séquences la nuit, avec les meilleures séquences, enrichies de quelques interviews de candidats! Au mieux, nous dormions deux heures par jour.


Est-ce que maintenant que vous avez été nommée directrice, votre travail au Prix de Lausanne change beaucoup?

Pas tant que cela. Bien sûr, il y a les sponsors, et cela m'a déjà occupé une bonne partie de ma première matinée en tant que directrice. Il faut que je leur montre le théâtre, mais là, ça va, depuis le temps, je connais la maison par cœur. Mais les gens sont très curieux à propos de notre nouveau projet chorégraphique avec les écoles partenaires, et il faut que je leur explique tout en détail. Mais c'est un plaisir.


Justement, ce projet chorégraphique... Le Prix de Lausanne s'est déjà énormément développé ces dernières années, comment gérez vous cette activité supplémentaire?

En fait, nous avons été très surpris de l'ampleur que cela a pris. Quand Shelly Power a lancé le projet chorégraphique, nous espérions attirer tout au plus trois ou quatre jeunes danseurs. Et en fait, nous en avons eu cinquante! C'était bien plus que ce que nous étions prêts à accueillir. Nous avons malgré tout décidé d'assumer, et il a fallu trouver au plus vite l'argent nécessaire pour héberger et nourrir tout ce monde durant une semaine. Nous allons en tirer le bilan. Nous recommencerons certainement l'année prochaine, mais en réduisant le nombre d'écoles partenaires. Nous envisageons un tirage au sort, qui permettrait de retenir environ la moitié des candidats. Et l'autre moitié sera invitée en 2020. A moins que nous ne trouvions le financement indispensable pour recevoir tout les postulants. En tout cas, nous souhaitons que ce projet soit, sous une forme ou une autre, pérennisé et qu'il devienne aussi une «tradition» du Prix de Lausanne.


Est-ce que le Prix de Lausanne bénéficie encore de subventions publiques?

Oui, je ne peux pas vous donner le montant total de notre budget, mais environ un quart des fonds provient de subventions de l'état. Les trois-quarts restants sont donnés par les sponsors et les donateurs individuels. C'est chaque année un gros travail pour réunir l'argent : nous avons des contacts via le Cercle des Amis du Prix de Lausanne, que nous sollicitons tout le temps, Beaucoup de gens pensent que le Prix de Lausanne est riche, mais je peux vous dire que ce n'est pas le cas!


En tant qu'ancienne danseuse, ce n'est pas un peu frustrant pour vous de devoir s'occuper de finances et d'administration?

Non. Là, c'est vrai, c'est un peu intense, c'est une période de transition et nous avons des réunions tout le temps avec Shelly Power. Il faut qu'on me mette au courant de tout, nous avons des débriefings sur les questions budgétaires... Sur les question artistiques, je suis évidemment plus à l'aise, les connais déjà, depuis le temps que je suis au Prix de Lausanne. Là, c'est particulièrement intense, mais dans quelques jours, cela ira mieux! J'espère pouvoir me remettre à la barre, le soir, après le travail de bureau, car cela fait un mois que je n'ai pas pris mon cours de danse, et je le sens! Mais en même temps, je ne ressens aucune frustration. C'est simplement une nouvelle étape dans ma vie.


Sur le plan artistique, vous avez des idées nouvelles pour le Prix de Lausanne? Qu'est ce qui va changer? Qu'est ce qui portera la marque de Kathryn Bradney?

Oui. Comme je vous l'ai déjà dit, l'un de mes buts principaux est de rendre le Prix plus visible, plus présent tout au long de l'année. J'ai quelques autres projets, qui doivent encore être validés par le Comité, donc je ne peux pas en parler là. Mais vous allez voir ce que vous allez voir! Ce que je peux déjà dire, c'est qu'il y aura des changements en ce qui concerne les groupes d'âge. L'année prochaine, le groupe des «juniors» réunira les candidats de quatorze ans et six mois à seize ans et six mois, et celui des «seniors» , les candidats de seize ans et six mois à dix-huit ans et six mois, contre dix-neuf en 2018. Mais nous garderons la limite d'âge inférieure à quatorze ans et six mois que nous avons expérimentée cette année. Nous nous sommes aperçus qu'elle convenait très bien car le niveau d'un élève de quatorze ans et demi est le même que celui d'un élève de quinze ans ; et s'il gagne un prix, cela lui permet d'intégrer une école partenaire à la rentrée de septembre, au moment de ses quinze ans. C'est le bon âge. A l'autre extrémité, dix-neuf ans et-demi, c'est l'âge d'intégrer une compagnie. C'est pour cela que nous avons ramené la limite à dix-huit ans et six mois.


Vous maintiendrez l'actuelle organisation des épreuves?

Oui, le système sélections / finale avec deux groupes d'âge séparés (juniors / séniors) qui a été mis en place il y a une dizaine d'années sera maintenu.


Avez-vous malgré toutes vos obligations le temps de parler un peu aux candidats, de regarder un peu leur travail?

D'ordinaire, je leur parle beaucoup plus, mais de par mes fonctions de Directrice associée – et maintenant de Directrice, je me tiens un peu en retrait maintenant. Je ne veux pas donner l'impression de préférer tel candidat ou tel autre, et il faut que j'affiche une certaine neutralité. J'ai évidement quelques favoris que j'ai repérés, mais je ne montre pas mes choix et j'encourage tous les candidats de la même façon.


C'est vous qui choisissez les membres du jury, ou c'est une décision collégiale?

C'est en effet la Directrice qui choisit le jury. Ensuite, le Comité doit donner son accord. Le jury 2019 sera donc le mien, et j'ai déjà une première liste de noms. Le choix des personnalités qui le compose a une grande influence. Par exemple, lorsque John Neumeier a été président du jury, nous avons enregistré un nombre bien plus important de candidatures que d'ordinaire. Mais réunir un jury nécessite de prendre en compte de nombreux paramètres : il faut garantir un équilibre entre les zones géographiques d'origine, les personnalités venues du contemporain et celles venues du classique, les anciens lauréats du Prix de Lausanne et ceux issus d'autres horizons, les hommes et les femmes... nous avons une grille de critères très précis qu'il faut respecter.




Kathryn Bradney - Propos recueillis par Romain Feist



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Entretien réalisé le 01 février 2018 - Kathryn Bradney © 2018, Dansomanie


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