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entretiens
Prix de Lausanne 2018 - Interview : Nina Ananiashvili

03 février 2018 : Nina Ananiashvili, vice présidente du jury


prix de lausanne 2018


Ted Brandsen (président) et Nina Ananiashvili (vice-présidente) du jury du Prix de Lausanne 2018


Tout le monde connaît votre carrière au Bolchoï, Nina Ananiashvili, et nous n’y reviendrons donc pas.  Mais dites-nous donc ce qui vous lie au Prix de Lausanne.

C’est pour moi un concours différent des autres, l’un des premiers – ou même le tout premier - qui ait proposé ce système de bourses pour les candidats. C’est un concours prestigieux, mais qui ne ressemble à aucun autre. En tant que jurés, nous voyons les candidats en cours, travailler avec des chorégraphes, puis sur scène… Nous les évaluons donc dans toute une série de situations très différentes les unes des autres. Et pendant toute la durée de la compétition, les candidats  - et nous-mêmes – apprenons énormément de choses. Je me suis toujours dévoué à la cause des jeunes danseurs, et de ce fait, je pense qu’il était important pour moi de collaborer au Prix de Lausanne. Ma place était véritablement ici. C’est très enrichissant pour les nouvelles générations. J’ai moi-même participé, dans ma jeunesse, à quatre concours internationaux différents, et c’était toujours une belle expérience que de pouvoir faire la connaissance de camarades venus des quatre coins du monde. Et c’est pour perpétuer cela que je suis ici, à Lausanne.  Ceux qui auront obtenu un prix seront bien sûr contents, ceux qui n’en n’auront pas seront tristes, mais tous auront pu tirer profit de cette semaine intense.


Aviez-vous participé au Prix de Lausanne vous-même en tant que candidate?

Non, j’ai concouru deux fois à Moscou, une fois à Varna – où j’ai remporté la médaille d’or -  et une fois à Jackson, aux USA [USA International Ballet Competition, le plus important concours de danse classique d’Amérique du Nord, ndlr]. En revanche, j’ai déjà été membre du jury il y a trois ans. C’était la première fois. Et aujourd’hui je suis de retour, en tant que vice-présidente de ce même jury.


Quel regard portez-vous sur les jeunes danseurs d’aujourd’hui? Sont-ils très différents de ceux de votre propre génération?

Oui, bien sûr, tout est différent aujourd’hui, la vie est différente, le temps passe plus vite maintenant qu’auparavant, chacun veut tout faire le plus rapidement possible… Ce n’était pas comme cela à mon époque. Sur le plan physique, les candidats d’aujourd’hui sont très bons. Mais nous parlons également des qualités artistiques. J’aimerais que les jeunes danseurs ne se préoccupent pas seulement de faire des sauts, des pirouettes, mais qu’ils soient aussi des artistes. Notre art, c’est aussi la sensibilité, la beauté, la musicalité. Tout cela est indissociable de la danse.


Vous êtes également directrice de compagnie – le Ballet National de Géorgie. Est-ce que votre compagnie entretient des relations avec le Prix de Lausanne?

Non, ce n’est pas une compagnie partenaire du Prix de Lausanne. Comment vous expliquer ? La Géorgie est une ancienne république soviétique, et l’Opéra-Ballet de Tbilissi était déjà très populaire à cette époque, en Russie. Nous avons accueilli toutes les plus grandes stars du ballet, de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Le public géorgien est très éduqué.  Depuis 2004 environ, nous nous sommes émancipés du poids de la tradition soviétique. Nous avons une école et une compagnie de ballet financées par l’Etat, mais qui s’ouvre au monde, avec un répertoire très large : les classiques russes bien sûr, mais aussi les chorégraphes d’aujourd’hui, comme Kylián, Ratmansky, Possokhov… Nous accueillons aussi des professeurs célèbres, nous faisons des tournées à l’étranger  et nous sommes ainsi en train de nous construire une réputation internationale. Donc, un partenariat avec le Prix de Lausanne pourrait être envisagé dans le futur, pourquoi pas.


Et avec le Bolchoï?

Rires – Je suis une ancienne danseuse du Bolchoï, et donc le Bolchoï reste ma «maison». Mais je suis aussi une danseuse géorgienne, et maintenant, je dois me consacrer à mon pays natal, donc non, je n’ai plus de relations institutionnelles avec le Bolchoï.


Comment expliquez-vous que la Géorgie produise autant de danseurs de rang international?

C’est vrai que nous en avons un certain nombre. C’est surtout remarquable du fait que nous ne sommes qu’un petit pays de tout juste quatre millions d’habitants. Je pense que nous sommes un peuple qui est «génétiquement» très artistique. Ici, tout le monde aime chanter, danser, jouer de la musique. C’est vraiment inhérent à notre nation. Nous avons par ailleurs un très bon réseau d’écoles de danse, que j’essaye encore de développer. Ce sont des écoles publiques. Avant, on y entrait à partir de dix ans, maintenant l’âge d’admission a été abaissé à six ans. A dix ans, les jeunes danseurs intègrent déjà des écoles professionnelles. Le style qui y est enseigné est le style russe. C’est celui que je professe moi-même, car c’est dans ce le style russe que j’ai grandi.


Est-ce que vous enseignez aussi les danses de caractère dans ces écoles?

Oui, nous y enseignons non seulement les danses de caractère, mais aussi les danses traditionnelles géorgiennes. Cela fait aussi partie de nos gènes. D’ailleurs, ces danses traditionnelles géorgiennes sont très appréciées du public. Les garçons, en particuliers, préfèrent cela au ballet classique stricto sensu.


Pourquoi n’y a-t-il pas de cours et/ou d’épreuves de danses de caractère au Prix de Lausanne? Cela fait aussi partie de la formation d’un danseur classique, non?

C’est une excellente question, et c’est la première fois qu’on me la pose ! C’est un vrai problème, car – tout particulièrement dans le répertoire classique russe, il y a presque toujours des danses de caractère, et beaucoup aujourd’hui ne savent plus les exécuter correctement. Les danses de caractère sont surtout très difficiles pour les plus jeunes danseurs. Moi, de ce point de vue-là, je m’inscris indiscutablement dans l’école  russe, mais il faudrait aussi enseigner les danses d’autres pays qui ont une riche tradition en matière de danses nationales, comme la Bulgarie, l’Espagne, la Hongrie, la Moldavie, l’Italie – enfin toutes ces danses que l’on retrouve dans les grands ballets classiques comme Raymonda. C’est un problème, car aujourd’hui les danseurs ne connaissent plus les pas exacts, ne savent plus comment il faut tenir les mains et les bras… Ce serait vraiment nécessaire d’enseigner à nouveau correctement les danses de caractère.


Pourriez-vous suggérer à l’administration du Prix de Lausanne d’introduire les danses de caractère dans les épreuves du concours?

Oui, je vais le faire, car c’est une excellente suggestion. Sans intégrer directement les danses de caractère dans les épreuves sur scène, on pourrait, à minima, instaurer des cours, avec des professeurs spécialisés. Je suis bien consciente que la semaine du Prix est déjà très chargée pour les candidats, mais vraiment, c’est une bonne idée et il faudrait le faire.


Pensez-vous qu’il y aura, à l’avenir, des candidats géorgiens au Prix de Lausanne? Est-ce qu’il y a des éléments prometteurs dans vos écoles?

Oui, même si c’est encore difficile, pour des raisons financières. Le voyage, l’hébergement sont chers pour des familles géorgiennes. Mais ce n’est pas à exclure dans les prochaines années.


Est-ce que vous avez des danseurs étrangers dans votre compagnie, à Tbilissi?

Oui. Longtemps, nous avons eu presque exclusivement des Géorgiens, mais maintenant, il y a des Italiens, des Japonais, des Américains, des Anglais… Ils viennent surtout parce qu’ils sont attirés par notre répertoire, qui leur plaît beaucoup.




Nina Ananiashvili - Propos recueillis et traduits de l'anglais par Romain Feist



 Ted Bradsen - Nina Ananiashvili
Nina Ananiashvili

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Entretien réalisé le 03 février 2018 - Nina Ananiashvili © 2018, Dansomanie


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