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entretiens
Dinna Bjørn, danseuse, maîtresse de ballet, chorégraphe

03 décembre 2017 : réflexions autour de l'«Ecole Bournonville»


Dans quelques jours, le Ballet Nice-Méditerranée reprendra La Sylphide, d'August Bournonville, dans la version restituée par Dinna Bjørn. L'ancienne soliste du Ballet Royal du Danemark, qui fut également directrice du Ballet de Norvège, puis maîtresse de ballet à Helsinki, en Finlande, livre ici ses réflexions sur la célèbre «École Bournonville», ce recueil d'exercices organisés en six «journées», qui constitue la base de l'apprentissage du style d'August Bournonville. L'article de  Dinna Bjørn a été aimablement rédigé en réponse à un "concours" lancé par la Société Auguste Vestris en janvier 2017, publié sur Dansomanie et dans The Dancing Times. Nous espérons que ce document, émanant d'une spécialiste incontestée du maître franco-danois, contribuera à une meilleure connaissance et à une meilleure compréhension de l'oeuvre de Bournonville auprès du public francophone.








Se plonger dans les classes de Bournonville, c’est un peu fouiller dans une malle aux trésors remplie de joyaux chorégraphiques tous plus précieux les uns que les autres. Indéniablement, ces classes sont un instrument inestimable pour qui veut se préparer à danser Bournonville sur scène. Mais pas uniquement. Danser l’une ou l’autre de ces classes d’un bout à l’autre donne entrain et énergie ; exécutées dans le respect minutieux du style et de la technique, elles permettent un échauffement et un entraînement de toutes les parties du corps. Après cela, vous serez prêt pour danser absolument tout.

C’est de cela que nous sommes redevables à Hans Beck et à ses contemporains. Ce sont eux qui ont, à la fin du dix-neuvième siècle, entrepris la compilation de cette série de six classes, connues sous le titre d’ «École Bournonville», à l’intention des danseurs des générations futures. Ces six classes se fondent sur la réunion de divers exercices que Bournonville avait l’habitude de faire exécuter durant ses cours, ainsi que de certaines variations extraites de ses ballets. C’est grâce à ce matériau, utilisé quotidiennement durant un demi-siècle par les élèves de l’école et les danseurs [du Ballet Royal du Danemark] qu’aujourd’hui encore, l’enseignement théorique et pratique de Bournonville a pu être préservé. Un enseignement qui s’est transmis directement d’une génération à la suivante.

Un problème se pose cependant pour qui veut utiliser ces classes comme source pour l’étude du système pédagogique de Bournonville en lui-même. En effet, elles n’ont pas été rassemblées dans leur ordre actuel par le chorégraphe, mais par Hans Beck et certains de ses derniers élèves. Même les choix de pas d’école et d’exercices sont fondés sur leurs souvenirs plus ou moins sélectifs. Pour cette raison, la structure des cours reflète sans doute davantage les préoccupations éducatives de Hans Beck que de Bournonville.

Il me semble en fait que Hans Beck a surtout souhaité s’attacher à préserver les éléments chorégraphiques de l’enseignement de son maître. Il n’a pas voulu « perdre du temps » à accumuler des exercices exclusivement destinés à travailler un aspect technique particulier. Il est possible qu’il ait eu l’intention de laisser à chaque professeur le soin d’ajouter lui-même les exercices de son choix, en fonction de ses besoins du moment. Il est évident que c’était là le souhait de Bournonville lui-même, et on peut s’en convaincre à la lecture de ses deux principaux ouvrages pédagogiques, les Études chorégraphiques et Ytaarsgave for Danse-Yndere, eller Anskuelse af Dansen som skjøn Kunst og behagelig Tidsfordriv («Étrennes pour les amateurs de danse ou La Danse considérée comme un art d’agrément et un passe-temps plaisant ») ; il est certain que Bournonville complétait ses cours par des exercices simples, et des recommandations qu’il prodigue aux professeurs, on peut déduire qu’il adaptait lui-même son enseignement aux besoins spécifiques de chaque danseur.

J’en conclus que si vous voulez enseigner le style de Bournonville aujourd’hui, et préparer vos élèves à exécuter sur scène ses chorégraphies, vous devez utiliser les six « classes » comme une source d’inspiration, où vous pouvez puiser des exercices ou des fragments d’exercices que vous réarrangerez de manière à ce qu’ils correspondent à vos besoins et au niveau des danseurs de votre cours.

Mais pour y parvenir, il faut vraiment que vous ayez les classes « dans la peau », que vous les ayez dansées vous-mêmes, que vous les ayez maîtrisées et comprises de l’intérieur - en sus bien évidemment de connaître les chorégraphies des ballets de Bournonville qui ont été préservées. C'est à cette condition seulement que les six classes pourront devenir un outil adéquat pour transmettre le style et la technique Bournonville aux futures générations. Même si ces six classes n'ont pas été créées sous cette forme par Bournonville lui-même, je dirais qu'elles constituent une base solide à partir de laquelle on peut apprendre à devenir un bon professeur de technique Bournonville.

A présent, les six classes existent en DVD, ce qui est à la fois merveilleux et dangereux. Merveilleux, parce qu'elles sont, de cette manière, conservées pour l'éternité et rendues accessibles à tous. Mais dangereux aussi, car cela peut amener à croire qu'il suffit de regarder le DVD et d'en mémoriser les exercices pour pouvoir enseigner Bournonville, sans les avoir jamais appris soi-même d'un professeur - avec toute la dévotion, la connaissance profonde, la compréhension des détails stylistiques, musicaux et techniques qui vont avec -, et peut-être même sans les avoir jamais dansées soi-même.

A ce stade, je voudrais citer le célèbre danseur danois, Erik Bruhn, qui disait dans son livre Bournonville et la technique du ballet, écrit il y a plus de cinquante ans :

Bien des années après sa mort, dans un effort admirable pour sauver son travail de l'oubli et lui donner en quelque sorte une forme tangible et durable, les successeurs de Bournonville ont codifié son enseignement à travers un système arbitraire, comportant une classe définie pour chaque jour de la semaine. La mise en place de cette formule a eu de bons et de mauvais résultats. Elle a permis de préserver, intacts, certains aspects de la technique du ballet, qui méritaient vraiment d'être sauvés et avaient disparu dans le reste du monde. Elle a aussi permis de garder les danseurs dans les exigences spécialement requises pour le répertoire Bournonville, et cela a ainsi permis de sauver ses chefs d’œuvres. Cependant, elle a aussi eu comme effet nocif de permettre à quiconque ayant mémorisé l'ordre des classes d'enseigner le «système Bournonville». Un exercice n'est bon que s'il est dans les mains de celui qui sait comment et quand en faire usage. Bournonville lui-même soulignait le fait que ses exercices devaient être mis en pratique «en fonction des besoins individuels de l'élève». 

Donc déjà à ce moment-là, Erik Bruhn était clairement conscient du danger existant, quand on essaye de capturer quelque chose, qui a à voir avec l'art vivant et un travail incessant, de le mettre dans une forme fixe.

En ce qui concerne les classes de Bournonville, il est également important d'être conscient du fait qu'elles sont faites pour des danseurs professionnels et non pour des élèves, même si pendant de nombreuses années, au Ballet royal du Danemark, les élèves ont aussi fait ces classes. Je sais de mon père, Niels Bjorn Larsen, qui est entrée à l'école du Ballet Royal du Danemark en 1919, que, durant ses dix années à l'Ecole, lui et tous les autres élèves pratiquaient tous les jours la classe du matin et ce, de l'âge de six ans à l'âge de seize ans – et ils faisant toutes les classes de Bournonville ! Après la barre, les plus jeunes élèves faisaient seulement les quatre ou cinq premiers exercices, les élèves un peu plus âgés continuaient en faisant quelques exercices de plus, et seuls les plus âgés terminaient la classe. A travers cette répétition constante, physiquement, des mêmes exercices, ils avaient tous appris à exécuter tous les exercices à la fin de leur scolarité! On ne procède plus ainsi aujourd'hui et je crois fortement que ce n'est pas la pédagogie qu'aurait lui-même recommandée Bournonville! Mais encore une fois, c'est grâce à cette «méthode d'enseignement» que ces classes ont survécu et sont devenues une «seconde nature» pour plusieurs générations de danseurs au Danemark.

Bournonville



A présent, regardons ces six classes, leur structure, et leur ordre de succession. Chaque classe comprend entre vingt-deux (pour la classe du mercredi) et vingt-cinq (pour la classe du lundi) exercices ; au total cela fait cent-quarante-deux exercices, certains assez courts, d'autres très longs. Chaque classe a une certaine structure, conforme aux deux « mots-clés » de l'enseignement de Bournonville : l'aplomb et la vigueur. Dans son petit ouvrage, intitulé Un Cadeau de Nouvel An pour les amateurs de ballet, celui-ci explique qu'il y a deux qualités techniques principales que tout danseur doit s'efforcer de maîtriser complètement durant la classe quotidienne. L'aplomb, c'est préserver, dans tous les mouvements, une perception claire du centre [de gravité du corps], en particulier dans les mouvements d'adage. C'est demeurer conscient du lien entre le corps et le sol, c'est maintenir le centre [de gravité] constamment dans l'axe vertical de la jambe de terre (on pourrait aussi nommer cela l'équilibre : Bournonville appelle la pirouette, qui consiste à tourner autour de son propre centre en un équilibre parfait, «le triomphe de l'aplomb»). La vigueur, elle, se réfère à la rapidité et à la précision du travail des pieds dans les mouvements croisés et battus, lorsqu'on quitte le sol et que l'on se déplace en l'air. La combinaison de ces deux qualités permet de pouvoir transférer rapidement le poids du corps d'une jambe à l'autre et de changer rapidement de direction au milieu d'une séquence. Bournonville insistait sur le fait que tous les exercices faits en classe devaient être des exercices permettant d'améliorer l'une ou l'autre de ces qualités ou la combinaison des deux.

Lorsqu'on examine les six classes, on voit que chaque classe débute par trois ou quatre exercices, qui sont des exercices spécifiques pour travailler l' « aplomb ». L'exercice n° 1 est ainsi toujours un adage. Suit l'exercice n° 2, qui est un exercice de port de bras, en quatrième ou en cinquième position. Lui succède, dans la plupart des classes, un autre exercice lent pour travailler l'aplomb : l'exercice n° 3, qui est un andante avec pirouettes. Les classes du mercredi et du vendredi font exception : l'exercice n° 3 est constitué d'un enchaînement de pirouettes sur différents tempi et l'exercice n° 4 propose un type d'adage différent, plus chorégraphique.

Le «corps» principal des classes est constitué de différents exercices impliquant des mouvements allegro. Il y en a de huit – le mercredi – à treize – le samedi. Les exercices démarrent de manière plus statique (tendu, fondu, posé chassé et différentes sortes de pirouettes), avec des mouvements principalement axés sur l'aplomb, et progressivement, évoluent dans différentes direction en l'air, de manière à travailler la «vigueur» (ballonné, sissonne fermée, sissonne ouverte, échappé, glissades, jetés, petits sauts avec batterie).

Cet ensemble d'exercices laisse progressivement la place aux grands sauts, aux grandes valses, mélangés à des pas spécifiques pour les femmes (allegro rapides avec batterie, exercices spécifiques de pointes) et pour les hommes (brisé volé, grandes pirouettes, grandes cabrioles, tours en l'air). Il s'achève par de véritables variations, pour les hommes et pour les femmes, tirées des ballets de Bournonville. Certaines sont de ballets connus, comme celles du Senor dans La Ventana (lundi), de Gurn dans La Sylphide (mardi) ou la Fête des fleurs à Genzano (samedi), d'autres viennent de ballets oubliés, qui ne sont plus représentés sur scène. Cette dernière partie de la classe est composée de huit (mardi et samedi), neuf (jeudi et vendredi), dix (mercredi) ou douze (lundi) exercices.

Lorsqu'on regarde les classes de lundi et du mardi en parallèle l'une de l'autre, on pourrait être tenté de croire qu'elles ont permuté et qu'à l'origine, elles apparaissaient dans l'ordre inverse. En effet, la classe du mardi est à bien des égards beaucoup plus simple. Elle est, de toutes les classes, la plus «basique» (par ex : n° 4 - «Tendu», n° 5 - «posé chassé», n° 6 et 7 - «Changement [de pied]et grand plié», n° 11 - «Sissonne fermée», n° 15 «Brisé», n° 19 - «Pas croisé»), tandis que la classe du lundi est déjà plus élaborée sur le plan chorégraphique (par exemple : n° 4 - «Tendu et posé chassé», n° 5 «Pirouette avec grand plié», n° 6 - «Rond de jambe sauté avec pirouettes», n° 7 - «Ballonné», n° 12 - «Pas de polka», n° 18 - «7-step»).

Bournonville


Mais peut-être Hans Beck a-t-il procédé ainsi tout à fait intentionnellement, parce qu'il se souvenait que Bournonville voulait avant tout que la danse soit l'expression de quelque chose. Pour Bournonville, la danse devait exprimer la joie et l'envie de se mouvoir en musique avec naturel et avec grâce, et il est bon de se le rappeler, même en classe. Par conséquent, vous commencez la semaine par des exercices qui sont plus «dansants», mais vous font prendre conscience en même temps de tous les défis techniques ; vous affrontez ces enchaînements, ce qui vous permet de revenir le lendemain aux fondamentaux et de travailler séparément les éléments qui les composent grâce aux exercices plus élémentaires de la classe du mardi.

Ensuite, vous êtes davantage préparé à les combiner le lendemain, à la classe du mercredi, qui est l'une des plus « dansantes » et chorégraphiques de toutes et où chaque exercice est une petite danse en soi (exemples : n° 3 - «Pirouettes», n° 6 - «Ronds de jambe en l'air sauté avec pirouettes», n° 7 - «Posé chassé», n° 11 - «Dark step», n° 12 - le «Quatre royal step» [« entrechats 4»], n° 14 - «Grande valse», n° 16 - «Grand pas arrière»).

La classe du jeudi vous ramène à nouveau aux fondamentaux (exemples : n° 4 - «Posé chassé», n° 5 - «Tendu simple», n° 10  - «Demi-pas chinois», n° 11 - «Ballotté»), dans une forme néanmoins plus dansante (exemples : n° 6 - «Les fausses préparations», n° 7 - «Posé chassé avec pirouettes», n° 8 - «Rond de jambe sauté et sissonne», n° 12 - «Sissonne et cabriole», n° 16 et 17- «Balloon steps» [«Ballonés»]).

La classe du vendredi est un peu atypique et ne participe pas de la justification de l'ordre des exercices et de la détermination des règles. Elle est constituée principalement de la chorégraphie exacte de l'«École de danse», qui forme une section du ballet de Bournonville, Le Conservatoire. On pourrait être tenté de dire qu'ici, Hans Beck a choisi la solution de facilité en se contentant d'emprunter les pas au ballet dans sa version scénique pour composer l'une des classes hebdomadaires. Cependant, nous pouvons aussi lui en être reconnaissant, parce que c'est la manière dont la chorégraphie a survécu – en étant dansé en classe chaque vendredi! - et c'est ainsi que nous pouvons encore donner l'«École de danse» tirée du Conservatoire dans sa version originale, alors que la chorégraphie du reste du ballet a été perdue.

Cela fait néanmoins de la classe de vendredi une classe différente dans sa structure des cinq autres classes, et en ce sens, elle est aussi plus difficile à catégoriser. Seuls cinq exercices sur les vingt-trois qui la composent ne sont pas tirés du Conservatoire (n° 2 - «Port de bras», n° 4 - «Adage», n° 5 - «Equilibres», n° 6 - «Pirouette», n° 8 - «Posé chassé»). En outre, tous les exercices tirés du Conservatoire constituent des tentatives délibérées de la part de Bournonville de montrer des exemples du vieux style français et de l'école parisienne, dans lesquels lui-même avait été formé durant ses années de jeunesse à Paris. Ils sont donc davantage un hommage à la source, à partir de laquelle il a développé plus trad son propre style caractéristique. Cela contribue à faire de la classe du vendredi une classe plus académique, d'une certaine manière, avec des pas très difficiles insérés dans des exercices assez courts, car lorsque Bournonville a chorégraphié cette section du ballet Conservatoire, il devait faire entrer une classe entière dans un passage de quinze minutes.

La classe de samedi est une intéressante combinaison de pas très simples (exemples : n° 1 - «Adage», n° 6 - «Pirouette», n° 10 - «Ballonné et rond de jambe sauté», n° 11 - «Saut de basque et attitude») et d'enchaînements très chorégraphiques, d'un niveau avancé (exemples : n° 15 - «Petit allegro», n° 18 - «Grand pas espagnol», n° 22 - «Galop», n° 23 - «Big joking step», n° 24 - «Doorstep»). C'est une classe pour «reposer l'esprit» d'une certaine manière et permettre au corps de se souvenir de tout ce qu'il a appris et travaillé durant la semaine, tous les exercices étant des «variations» sur ces thèmes.

La majorité des exercices sont composés de pas «unisexes», ce qui signifie qu'ils peuvent être réalisés aussi bien par les femmes que par les hommes, mais il y a toutefois onze exercices qui comportent une version spécifique pour les femmes une version spécifique pour les hommes. Le lundi, il s'agit des n° 18  - «7-step» et le n° 20 - «Charlotte Skousgaard», le mardi, c'est le n° 15 : «Brisé» (la différence est que les hommes ont une partie en plus), le mercredi, c'est le n° 14 («Traversé») et le n° 16 («Grand pas arrière»), et le vendredi, c'est le n° 12 (coupé ballonné et pas jeté avec des conclusions différentes) et le n° 17 (la cabriole avec différents ports de bras), le samedi, le n° 12 («La reine») et le n° 14 (la marche solo, où les femmes ont une partie en plus, que les hommes ne font pas). Le plus souvent, il s'agit simplement d'une partie de l'exercice qui diffère. Parfois, il ne s'agit que d'un seul pas, par exemple, les hommes font un tour en l'air, quand les femmes font un soutenu ou une pirouette.

Comme signalé précédemment, de nombreux exercices sont composés de séquences empruntées aux ouvrages chorégraphiques de Bournonville. Par conséquent, il est très caractéristique que chaque exercice soit composé de nombreux types de pas différents. Une simple série d'assemblés ou de jetés n'existe pas dans ces classes (même pas dans les exercices que j'ai appelés plus «basiques») et le pirouettes sont presque toujours préparées ou suivies des pas sautés, comme un échappé, un jeté, un ballonné, un assemblé, un changement. Cependant, beaucoup d'exercices comportent des séries de pas du même type, exécutés dans différentes directions et avec différents épaulements, par exemple le n° 15 de la classe du lundi (sissonne fermée en effacé et croisé), le n° 13 de la classe du mercredi (sissonne attitude avec réception en effacé et en croisé) et le n° 12 de la classe du jeudi (cabrioles en effacé et croisé).

Certains exercices, d'une structure similaire, sont répétés dans plusieurs classes, par exemple le n° 3 des classes des mardi, jeudi et samedi, qui est un andante avec pirouettes. Cet exercice, toujours en quatre parties, suit un certain motif : il commence en effacé devant, puis effacé arrière, ensuite croisé devant, et il se termine en croisé arrière ; chaque partie se termine sur une pirouette «signature», toujours dans l'ordre suivant : attitude en dedans finie à la seconde en face, attitude en-dedans finie en attitude effacée, attitude en-dedans finie en première arabesque, et pirouette en-dedans sur le coup de pied finie en relevé à la seconde (quelquefois, Bournonville l'appelle la pirouette renversée). Étant donné que ce type d'exercice existe dans trois des six classes, cela doit indiquer que c'était là un type d'exercice qu'appréciait Bournonville dans ses propres classes.

Le n° 3 de la classe du lundi est un peu similaire dans sa structure, mais il a seulement trois parties au lieu de quatre et et se termine sur une pirouette finie en première arabesque. Néanmoins, il y a eu des discussions pour savoir si cet andante en trois parties appartenait à la classe du lundi ou à celle du mardi, dans la mesure où la musique peut convenir aux deux, et d'ailleurs, mes professeurs le faisaient des deux façons. Sur la version qui existe maintenant en DVD, l'andante en trois parties est rattaché à la classe du mardi et celui en quatre parties à la classe du lundi. Il n'empêche que ces deux exercices demeurent très semblables dans leur structure. Le n° 4 de la classe du mercredi est un adage avec grand jeté et pirouettes, très différent dans sa structure, et le n° 4 de la classe du vendredi est un adage beaucoup plus court en deux parties, sans aucune pirouette. Au total, il y a un choix de douze exercices d'adage différents dans les classes de Bournonville, certains sans pirouette, d'autres avec pirouettes, certains très carrés et académiques, avec des grands pliés, dégagés et développés (n° 1 des classes de mardi, jeudi et samedi), d'autres plus chorégraphiés, avec des combinaisons de pas inattendues et complexes (n° 1 des classes de lundi, mercredi et vendredi, n° 4 de mercredi).

Bournonville


Il est intéressant de noter que Bournonville utilise le grand plié comme un élément important dans les exercices destinés à travailler l'aplomb, par exemple comme une préparation pour les pirouettes à partir de la cinquième position (n° 3 et 5 de la classe de lundi, n° 3 de la classe de mardi) ou pour un changement de pied (n° 7 de la classe de mardi, n° 5 de la classe de mercredi, n° 7 de la classe de jeudi). Dans un grand plié, vous êtes obligé de rester dans le même axe vertical durant le mouvement de descente vers le sol puis en remontant ; cela en fait un excellent exercice pour maintenir le centre de gravité au droit des pieds.

Un autre exercice «signature» est le posé chassé, qui existe dans les six classes et figure toujours parmi les huit premiers exercices. Dans le n° 4 de la classe du lundi et les n° 4 et 5 du samedi, le posé chasse est inséré dans un exercice de tendu, alors qu'il apparaît comme un exercice séparé, très long, et assez basique dans le n° 5 du mardi et le n° 4 du jeudi. Ces deux exercices sont développés dans toutes les directions possible : en face en avant et en arrière, à côté vers la jambe en avant et vers la jambe en arrière, effacé en avant et en arrière, croisé en avant et en arrière. Et même, dans l'exercice du jeudi, dans une direction plus rarement utilisée : épaulé, le corps en face, les épaules tournées dans un angle au-dessus de la hanche. Le n° 7 du mercredi est une version intéressante sur le plan rythmique et plus chorégraphique du posé chassé et dans le n° 8 du vendredi, le posé chassé est combiné avec toutes sortes de petits sauts et de pas de bourrée rapides.

Beaucoup d'exercices, tout particulièrement les premiers du milieu (par exemple, le n° 7 du lundi, les n° 8 et 11 du mardi, les n° 9 et 11 du mercredi) doivent être exécuté avec les bras en position «bras bas» (position préparatoire), ce qui permet d'accorder une attention complète à la position des pieds et aux directions et aux placements des épaules et de la tête (l'épaulement).

Certains exercices allegro comportent un changement soudain de rythme dans leur dernière partie (par exemple : le n° 23 du lundi et le n° 11 du mercredi) qui indique que Bournonville devait utiliser ce «truc» dans ses classes pour faire en sorte que les danseurs prennent davantage conscience de l'importance de la musicalité des exercices. La musicalité est un mot-clé dès lors qu'il s'agit de caractériser le style de Bournonville. La musicalité va toujours main dans la main avec la technique, car pour exécuter les exercices avec la musicalité adéquate et le bon phrasé, il faut d'abord maîtriser les aspects techniques de l'exercice. Cependant, faire un exercice des classes de Bournonville de manière correcte musicalement parlant constitue aussi une aide technique pour le danseur. C'est un paradoxe intéressant inhérent au style et à la technique Bournonville et c'est en pratiquant les classes que l'on trouve progressivement le clé de ce paradoxe.

Cet essai d'analyse de la structure des classes Bournonville étant à présent terminé, je veux conclure en louant une nouvelle fois la valeur chorégraphique de cette série d'exercices et la satisfaction qu'en retire aussi bien le professeur que l'élève en travaillant sur les détails. On ne cesse jamais d'être impressionné par la manière originale qu'avait Bournonville d'arranger l'ensemble des pas. On découvre constamment de nouvelles surprises dans la composition des pas. La récompense, c'est la joie, qui vient naturellement, de pouvoir finalement danser ces pas avec l'attention à tous les aspects qui les constituent ; le phrasé musical et les accents, la qualité « en clair-obscur » des combinaisons de pas, les changements de dynamique, les épaulements et les mouvements des bras sans tension, gracieux et fluides, qui contrastent avec les mouvements des pieds rapides et précis et connectent les séries de pas dans des séquences de danse pure. C'est le cadeau que vous trouvez au fond de la malle aux trésors de Bournonville.

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Dinna Bjørn - Texte traduit de l'anglais par Bénédicte Jarrasse


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