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entretiens
Fabio Lopez, de Béjart à Malandain

13 novembre 2017 : Fabio Lopez (Cie Illicite) présente son travail au CNSMDP


Fabio Lopez, après s'ètre formé à Lisbonne, puis à Lausanne, auprès de Maurice Béjart, à la célèbre école Rudra a fait carrière comme danseur au Malandain Ballet Biarritz. Il y a deux ans, une blessure l'a obligé a réorienter ses activités vers la chorégraphie : il fonde alors sa propre compagnie, «Illicite». Avec le soutien de la Ville de Bayonne, l'initiative est aujourd'hui couronnée de succès. Et, cerise sur le gâteau, Fabio Lopez obtient aussi une reconnaissance institutionnelle en tant que pédagogue, puisqu'en cette fin d'année 2017, il a été invité à monter l'une de ses oeuvres, Molto sostenuto, avec les étudiants du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris. Grâce à sa gentillesse, et à la bienveillance de Jean-Christophe Paré, directeur du Département Danse du CNSMDP, nous avons été autorisé à assister à une journée de travail en compagnie des élèves du prestigieux établissement de la Villette.





I. Les années d'apprentissage - Maurice Béjart    

J’ai commencé la danse au Conservatoire national de Lisbonne, un peu par hasard. A l'école, j'étais plutôt bon élève, et les autres n'aimaient pas beaucoup les «premiers de la classe». Cela devenait difficile à vivre pour moi et on a envisagé de me changer d'établissement. J'étais par ailleurs très sportif. Mon père connaissait quelqu'un au Conservatoire, qui m'a incité à passer l'audition pour les classes de danse à horaires aménagés. J'ai également fait un peu de piano, en plus. Mais je ne me suis décidé à devenir danseur professionnel que tardivement, à l'âge de dix-sept ans. Cela m'a obligé à être bon aussi dans les matières académiques, pour réussir mes examens et assurer mon avenir.

Après le Conservatoire de Lisbonne, j'ai obtenu une bourse pour effectuer un stage d'été à la Julliard School, à New York. A l'issue de ce stage, on m'a proposé d'intégrer l'école, mais j'ai refusé. Je voulais absolument aller chez Maurice Béjart, à Lausanne, à l'école Rudra. J'y ai passé deux ans. A cette époque, Maurice Béjart était encore en vie. Au cours de ces deux années, il a réalisé quatre chorégraphies pour l'école. De ce fait, il passait des journées entières avec nous. C'était fascinant. Il nous a aussi emmenés en tournée.




Fabio Lopez


II. Premiers pas - Du danseur au chorégraphe   

A l'issue de ma scolarité à Lausanne, j'ai été engagé par Thierry Malandain au Ballet Biarritz. A l'époque, la compagnie donnait Les Créatures de Prométhée au Théâtre de Chaillot, à Paris, et j'en avais profité pour auditionner. J'ai passé neuf ans dans la compagnie. Je suis parti en 2015, principalement en raison d'une hernie discale, qui n’empêchait de poursuivre une carrière normale de danseur. Mais il y a eu tout un ensemble de choses qui m'ont conforté dans ma décision. Ma blessure, donc, découverte en 2013 ; par ailleurs, je m'étais déjà lancé un peu dans la chorégraphie et on m'avait passé plusieurs commandes. Il y avait aussi un climat favorable, avec l'arrivée de Benjamin Millepied à l'Opéra de Paris. Cela laissait espérer un renouveau d'intérêt global pour la danse académique. Je me suis dit que c'était le bon moment pour me lancer dans l'aventure et fonder ma propre compagnie.

Ma compagnie a pris le nom d' «Illicite», car la danse classique ou néoclassique est devenu quelque chose de presque tabou, d'interdit, en-dehors de l'Opéra de Paris. Certes, j'avais trouvé fascinante l'initiative de Jack Lang, avec la création des Centres Chorégraphiques Nationaux (CCN), mais cela a aussi eu pour conséquence malheureuse de couler les compagnies de ballets des maisons d'opéra. «Illicite» aussi, parce que ce fut pour moi un rêve, et que rêver, aujourd'hui, c'est aussi devenu... illicite.

L'effectif de la troupe est aujourd'hui de cinq danseurs, trois filles et deux garçons. Il passera à sept en 2019. Ce sont tous, pour le moment, des intermittents, mais dès que ce sera possible financièrement, j'aimerais engager des permanents. Pour limiter les coûts, nous sommes intégrés à la plate forme chorégraphique «Oldeak» (l' «Elan», en basque), créée par la ville de Bayonne. Nous partageons ainsi les studios, les bureaux et un local technique avec une compagnie de danses basques traditionnelles. Grâce à la volonté du maire, nous avons obtenu le statut de « compagnie associée » à la municipalité de Bayonne, ce qui nous donne une certaine sécurité. En ce qui me concerne, j'ai le statut de «chorégraphe-résident», mais j'invite également d'autres artistes à venir travailler avec la troupe. Nous sommes à présent devenus une «compagnie de répertoire», qui possède ses propres ouvrages. Pour ce qui est de l'avenir proche, Nils Christe fera une création pour ma compagnie en 2019, et dès 2018, il y aura deux premières françaises d'ouvrages de Thierry Malandain et de Jean-Philippe Dury.



Fabio Lopez


III. Molto sostenuto -  Nabokov et moi.    

Molto sostenuto a été créé en 2016 par la Compagnie Illicite pour un colloque de la Société Nabokov, qui se tenait à Biarritz. Le titre se réfère au premier mouvement «molto sostenuto » du Deuxième Concerto pour violoncelle et orchestre de Dimitry Kabalevski. Mais il fallait que la pièce, vu le commanditaire, ait un rapport avec Vladimir Nabokov. J'ai voulu sortir des sentiers battus, et je me suis tourné vers des poèmes qu'il a écrits lorsqu'il résidait à Berlin [de 1923 à 1937, ndlr]. L’œuvre que j'ai choisie – Le Pèlerin - [«Паломник », tiré du «Retour de Chorb», recueil de quinze nouvelles et vingt-quatre poèmes publié en 1929 sous le pseudonyme de Vladimir Sirin, ndlr] n'était jamais parue en français et la Société Nabokov l'a fait traduire exprès pour moi. Pour faire court, il s'agit d'un personnage en quête de sa «Mecque», et qui finit par comprendre que cette «Mecque» est en lui.

Il n'y a pas de décor à proprement parler, mais un jeu sophistiqué de lumières, créé par Aitz Amilibia, qui souligne les relations entre les deux couples d'interprètes. Ceux-ci sont en quête d'une impossible fusion. Au début, il y a un puissant éclairage frontal, pour que le public ne distingue que des ombres. Les formes, que l'on ne peut que deviner dans l'espace, apparaissent progressivement.



Fabio Lopez
 

IV. D'un conservatoire à l'autre : chorégraphe au CNSMDP
   

C'est Jean-Christophe Paré, le Directeur du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris (CNSMDP) qui m'a expressément demandé de reprendre cette pièce avec ses étudiants – pièce que je redonnerai aussi avec des élèves du Conservatoire de Lisbonne. Lors d'une rencontre professionnelle au Conservatoire, je lui avais présenté une vidéo, à lui ainsi qu'à son adjoint, Christian L'Anthoen, et les deux l'avaient jugée intéressante. Par ailleurs, Jean-Christophe Paré voulait mettre en avant un jeune chorégraphe «académique» et son choix s'est ainsi porté sur moi. Molto sostenuto est une pièce très technique, mais avec une corporéité plus contemporaine, notamment au niveau des bras et du haut du corps. Là, c'est très différent de ce que les élèves ont l'habitude de faire en classique. L'ouvrage se veut de ce fait un peu «pédagogique». Je l'ai remanié pour huit danseurs – quatre couples – au lieu des deux paires d'origine. Jean-Christophe Paré et moi souhaitions ainsi pourvoir employer tous les danseurs du groupe. Ce sont de grands élèves, qui ont déjà acquis la technique, et avec lesquels je suis plutôt dans le travail artistique, dans l'émotion. Je dois les faire évoluer, et je suis tout aussi exigeant avec eux que s'il s'agissait de ma propre compagnie. Ils ont un très bon niveau, et cela fait plaisir de voir que le CNSMDP a retrouvé son excellence d'autrefois. Je ne les ai pas choisis individuellement. Ce sont les huit étudiants de l'option «classique», et je les ai fait travailler en collaboration avec Céline Talon, qui est leur Maîtresse de Ballet. Nous nous sommes rencontrés à cette occasion. Elle connaît parfaitement les danseurs et comprend aussi exactement ce que je veux. Elle leur a transmis mes instructions de manière plus simple, plus claire, je dirais même, plus «objective» que je ne l'aurais fait moi-même.

Le type de danse dont je me sens le plus proche n'est malheureusement pas - ou peu - pratiqué en France. Je suis un grand admirateur de Hans Van Manen, de Rudi Van Dantzig et de Nils Christe. On ne voit pas de ballets dans ce genre en France, ou presque, même à l'Opéra de Paris – si l'on excepte l'unique représentation des Gnossiennes de Van Manen / Satie au Palais Garnier en ouverture de la saison 2017-2018. Six minutes! De ce fait, les jeunes danseurs n'ont pas de repères visuels, je dois leur expliquer qui est Van Manen, qu'il chorégraphie toujours, et qu'il chorégraphiait déjà avant Jiří Kylián, mais avec une fluidité toute contemporaine. Je leur ai aussi conseillé de regarder certains ballets, comme les Variations sur un thème de Frank Bridge, de Hans van Manen justement. Il y a également Renato Zanella, qui est un grand chorégraphe, et qu'on n'a jamais joué à l'Opéra de Paris. Je leur ai aussi soumis le texte du Pèlerin, le poème de Nabokov qui a servi de base à ma pièce, et je leur ai demandé d'écrire ce que cela évoquait pour eux. Je voulais qu'ils s'interrogent sur le sens de la chorégraphie, je ne voulais pas qu'ils l' «exécutent», mais qu'ils la fassent vivre, avec leur sensibilité propre.

J'aimerais beaucoup faire une «vraie» création pour le Junior Ballet du CNSMDP. Mais cela dépend de la ligne pédagogique que la direction du Conservatoire voudra suivre. Là, en tous cas, j'ai reçu un très bon accueil, tant de l’administration que des élèves. Ces derniers ont été vraiment extraordinaires, très curieux, avec une réelle envie d'apprendre un peu de mon esthétique, de mon style.





Fabio Lopez - Propos recueillis par Romain Feist


Merci à Miu, Théo, Mai, Rémy, Zoé, Tom, Alix, Lucas et Céline Talon pour leur collaborarion


 Fabio Lopez

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Entretien réalisé le 13 novembre 2017 - Fabio Lopez © 2017, Dansomanie


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