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entretiens
Léa Thomasson, Chambéry-Saint-Pétersbourg via Milan et Stuttgart

17 juillet 2017 : Léa Thomasson, la Française du Mariinsky


Du haut de ses vingt ans, Léa Thomasson, jeune Savoyarde, a déjà bien roulé sa bosse : Chambéry, Paris, Milan, Stuttgart, et maintenant Saint-Pétersbourg. Après un an passé à la prestigieuse Académie Vaganova, Léa intègre, en septembre 2017, le «saint-des-saints» de la danse classique, le Ballet du Mariinsky, où elle est vraisemblablement la première Française à avoir été engagée, au moins depuis le début du vingtième siècle. Avec beaucoup de courage et de persévérance, surmontant les difficultés administratives et linguistiques, elle est parvenue à réaliser son rêve, travailler en Russie, cette Russie qui représente pour elle «Le» pays de la danse. 
Léa Thomasson

Comment êtes-vous venue à la danse? Êtes-vous issue d'une famille de danseurs?

Non, pas du tout, je viens d'une famille de musiciens. Dans ma famille, tout le monde fait de la musique, pas forcément à titre professionnel d'ailleurs, mais j'ai été baignée dans la musique depuis que je suis toute petite. Mes parents aiment bien l'art de manière générale, et nous allions souvent au musée et au spectacle.

J'ai commencé, toute petite, par la gymnastique. Un jour, ma mère m'a proposé d'essayer un cours de danse, et je suis allée au Conservatoire National de Région de Chambéry, chez moi, en Savoie. J'ai d'abord fait de la danse moderne, car il n'y avait plus de place au cours de classique. Ensuite, je suis passée dans le cours de classique, d'abord à Chambéry, puis à Annecy. Quand j'ai eu quinze ans, j'ai voulu m'investir davantage encore dans la danse, et en plus des cours au Conservatoire, j'ai pris des leçons dans une école privée d'Annecy, auprès de Bénédicte Windsor. Elle m'a préparée aux concours et j'ai passé des auditions dans plusieurs écoles en Europe. J'ai été admise au CNSMD à Paris et à l'école de l'English National Ballet. Bénédicte Windsor, admiratrice de l'école française et elle-même ancienne élève de l'établissement, m'a conseillée d'aller au CNSMDP. J'y suis restée un an, c'était au moment où Clairemarie Osta a pris la direction du Département Danse. Mon professeur était alors Anne Salmon, l'assistante de Pierre Lacotte.


Pourquoi avez-vous quitté le Conservatoire un an après?

Tout simplement parce que j'ai raté mon examen de fin d'année et que je n'ai pas été admise dans la classe supérieure. Il fallait donc que je trouve autre chose. Je suis allée faire le stage d'été à la Scala de Milan. Mes parents avaient des amis en Italie, ce qui a simplifié les choses. Frédéric Olivieri, qui était le directeur de l'école de danse de la Scala [il est devenu depuis directeur de la compagnie, ndlr], m'a repérée et acceptée dans un cours. Il m'a ensuite proposé d'intégrer l'école en sixième année – le cursus à Milan en comporte huit. J'ai fait la sixième et la septième année là-bas. J'ai été admise en huitième année, mais durant les vacances d'été, j'ai suivi quelques cours à Paris. J'ai rencontré un Polonais, qui, après m'avoir vu danser, m'a dit que je devrais m'intéresser à l'école russe, que mon corps pouvait convenir. Il voulait me présenter directement à des professeurs de l'école Vaganova, mais celle-ci était fermée hors période scolaire. Il m'a alors adressée à la John Cranko Schule de Stuttgart, où il y avait essentiellement des enseignants russes venus du Bolchoï et de Perm. J'y ai donc pris des cours auprès de Natalia Gasmaeva, elle-même formée à l'école de Perm. J’ai donc dû choisir, entre rester à Milan pour finir ma scolarité ou aller à Stuttgart et saisir cette opportunité de travailler avec les méthodes russes, ce qui a toujours été une envie ancrée en moi. Je me suis décidée pour Stuttgart, où j’ai également eu l’opportunité de travailler un peu avec la compagnie. J’ai même pu faire un peu de corps de ballet et participer à une soirée mixte composée d’ouvrages de Cranko. En tous cas ce fut pour moi une belle expérience, une belle année.

Léa Thomasson

A la Scala, vous ne travailliez pas avec les méthodes russes aussi?

Non, en fait, à l’école de la Scala, on enseignait avec la méthode russe à l’époque de Anna Maria Prina, mais lorsque Frédéric Olivieri – qui est Français – est arrivé à la direction [en 2006, ndlr], des changements ont été introduits. Il reste encore trois professeurs russes, je crois, mais personnellement, j’ai étudié avec l’épouse de Frédéric Olivieri, qui utilisait en même temps des éléments de méthode française et de méthode russe. Je ne pourrais pas vous définir précisément de quelle école son enseignement relevait. C’est aussi pour cela que je suis partie de Milan, car je voulais apprendre avec une méthode bien spécifique.


Et la John Cranko Schule, pourquoi l’avez-vous quittée?

Pourquoi ? Parce que j’ai eu une proposition pour aller étudier à l’Académie Vaganova. C’est l’école la plus prestigieuse au monde, et une telle proposition, ça ne se refuse tout simplement pas. J’avais suivi des masterclasses là-bas à l’occasion d’un stage, durant les vacances – non, je ne me repose pas pendant les vacances, je continue à travailler! - et des professeurs m’avaient repérée. Ils m’ont dit que je devais me présenter, que j’avais une chance d’intéresser l’école, et qu’en plus, si je souhaitais ensuite travailler en Russie, cela me faciliterait les choses. J’y suis donc restée un an. Après l’examen de fin d’études, les directeurs de compagnie viennent nous voir, et j’ai été engagée au Mariinsky.


Qui étaient vos professeurs à l'Académie Vaganova?

Madame Marina Vassilieva, qui est une des plus anciennes enseignantes de l’école. Elle a été le professeur d'Evguénia Obraztsova et de Viktoria Tereshkina, notamment. C’est elle d’ailleurs qui est la responsable du département des enseignants. C’est elle que les autres professeurs viennent toujours consulter s’ils ont des questions sur la pédagogie.


Quel type de contrat aurez-vous au Mariinsky, au moins pour vos débuts? CDD, CDI?

J’aurai un contrat d’un an. En fait, c’est en raison de la date d’expiration de mon visa de travail. Les permis de travail pour les étrangers ne sont valables qu’une année, et doivent faire l’objet d’un renouvellement à chaque fois. La durée du contrat ne peut être supérieure à celle du visa.


Léa Thomasson


Vous avez vingt ans, cela n’a pas dû être évident de vous installer ainsi loin de chez vous, de devoir vous organiser seule, comment avez-vous géré cela, de manière très pratique?

Déjà, mon éloignement s’est fait de manière graduelle. D’abord Paris, où j’étais interne, puis l’Italie, l’Allemagne, j’avais déjà dû m’adapter à différentes langues, différentes cultures. Donc, la Russie, ce n’était qu’un pas supplémentaire à franchir, même si c’était un grand pas. Et c’est ce que je voulais. Aller là-bas, à l’école Vaganova, c’était mon rêve, et je ne me suis pas vraiment posée de questions. Une fois sur place, j’ai tout fait pour essayer d’apprendre le russe au plus vite. Durant l’été, j’ai étudié la langue toute seule, avec une application installée sur mon i-pad, j’ai acheté quelques livres. Cela ne m’a finalement pas paru trop difficile. Une fois à l’école, nous avions aussi deux cours de russe par semaine. Vous savez, ici, très peu de gens parlent anglais, donc ou vous apprenez le russe, ou vous êtes perdu. Tous les cours à l’école sont en russe. Il faut aller très vite, si on veut profiter au maximum de l’enseignement qu’on reçoit. Pour moi, il était de toute façon évident que je devais parler la langue du pays.


Est-ce que l’école Vaganova vous fournit une assistance pour trouver un logement, effectuer les démarches administratives?

Pour le logement, il n’y a pas de problème, car on est à l’internat, qui, de plus, se trouve dans le bâtiment même de l’école, rue Rossi. Tout était très bien organisé. En plus, l’école Vaganova est très bien située, en plein centre de Saint-Pétersbourg, à cinq minutes à pied de Nevsky Prospekt, la principale avenue de la ville. Tout est à proximité. Et vivre à l’école Vaganova, c’est quand même vivre dans un beau château ! Les locaux sont magnifiques.


Qu’est-ce que cela vous a fait, quand vous avez appris que vous étiez engagée dans l’une des plus prestigieuses compagnies de ballet classique au monde?

Mon premier sentiment quand j’ai appris la nouvelle, ce fut une grande reconnaissance. Je suis très reconnaissante qu’on m’ait donné une telle opportunité, que les gens qui m’entouraient, notamment au théâtre, aient cru en moi. Durant cette année à Saint-Pétersbourg, j’ai rencontré des gens formidables, dans le milieu de la danse et ailleurs, et j’ai aussi beaucoup grandi en tant que personne. Aller au Mariinsky, pour moi, c’est une chose extraordinaire. Je pense que c’est le meilleur endroit où je puisse être, pour travailler et m’épanouir en tant qu’artiste.


Est-ce que ce contrat vous est tombé dessus par surprise, ou est-ce qu’au cours de l’année scolaire, vos professeurs vous avaient déjà laissé entendre, compte tenu de vos capacités, que vous aviez une chance d’intégrer le Mariinsky? Vous ont-ils préparée pour cela?

On ne m’a pas dit ouvertement que j’avais une chance d'entrer au Mariinsky. Enfin si, il y a tout de même eu un professeur, une dame, qui m'a demandé où j'aimerais travailler à ma sortie de l'école. Je lui ai répondu que je ne savais pas vraiment, mais que je voudrais bien rester en Russie. « Et pourquoi pas ici ? » me dit-elle. A la sortie du cours, je suis retournée la voir et je lui ai posé la question : «Pensez-vous vraiment que je puisse viser le Mariinsky?» - «Oui, tu en as les moyens, mais il faut que tu travailles, car l'examen est redoutable». Aucun autre professeur ne m'a dit : «Tu peux entrer au Mariinsky», d'autant plus que je suis une étrangère, ce qui complique les choses : connaissance de la langue, paperasserie administrative, visa de travail... En plus je venais d'arriver, je n'ai passé qu'un an à l'école, et ils prennent de préférence ceux qui ont fait leur scolarité entière là-bas. Il faut vraiment correspondre au «style Vaganova», et personne ne pouvait m'assurer que je correspondrai aux exigences du directeur du Mariinsky. Lors de l'audition, Monsieur Fateev vient lui-même assister aux épreuves, et il est accompagné de répétiteurs. En fait, deux ou trois répétiteurs sont venus voir la totalité des épreuves, et M. Fateev est venu pour les examens de classique.


Quand débute votre contrat au Mariinsky?

Au premier septembre 2017.


Avez-vous déjà eu l'occasion de danser sur la scène du Mariinsky en tant qu'élève de l'école Vaganova?

Oui, j'ai eu cette chance-là, j'ai participé aux représentations de La Fleur de pierre, que Youri Grigorovitch a remonté pour le Mariinsky en novembre 2016. J'ai aussi dansé avec les élèves de l'école dans Casse-Noisette. J'y ai fait l'une des Dames galantes de l'acte I, la Valse des flocons et la Danse arabe. Et évidemment le spectacle de fin d'études, en juin.


Vos parents sont-ils venus vous voir au Mariinsky?

Oui, ils sont venus pour le spectacle de l'école.


Vous avez déjà une idée du spectacle sur lequel vous ferez vos débuts en tant que danseuse de la compagnie?

Non, mais si vous regardez le programme de septembre au Mariinsky [Cendrillon, Carmen Suite, Le Corsaire, Casse-Noisette, Giselle, La Sylphide ndlr.], vous verrez qu'il y a tellement de ballets que de toute façon, ce sera quelque chose d'intéressant. Je pense que cela dépendra de la vitesse à laquelle je vais apprendre le répertoire.


Comment avez-vous réussi à vous adapter à des écoles très différentes, à Paris, au Conservatoire, à la Scala, à la John Cranko Schule…

Passer de la John Cranko Schule à l’école Vaganova, ce n’était pas bien difficile, car à Stuttgart, ils n’emploient que des méthodes russes. Donc l’adaptation n’a pas été compliquée. C’était en revanche beaucoup moins évident pour moi de passer de la Scala de Milan à la John Cranko Schule… L’école russe est dure, mais en même temps c’est ça que je voulais, au fond de moi je rêvais d’aller danser en Russie. Donc, il fallait que j’en passe par là, et quand j’ai eu l’opportunité d’intégrer l’école Vaganova, j’ai presque trouvé cela «naturel», normal. Mais je sais aussi que j’ai encore beaucoup à apprendre. Je travaille pour cela, et les choses se font petit à petit.


Léa Thomasson

D’où vous est venu ce désir d’aller en Russie? Vous avez vu des reportages, des vidéos sur les grandes compagnies russes (Bolchoï, Mariinsky). Aviez-vous de la famille en Russie?

Ce sont une multitude de petites choses qui m’ont donné ce goût. Et c’est vrai que je trouve les danseuses russes moins froides, plus passionnées qu’en Occident. Et il y a en Russie une vraie vénération de la danse. On y vénère les danseurs, comme en Espagne on vénère les footballeurs. Pour une danseuse classique, la Russie, c’est vraiment le monde du ballet.

Mon premier contact avec la Russie, ce fut quand j’étais chez Bénédicte Windsor, à Annecy, au centre Artys. L’école avait organisé une sorte d’échange avec un établissement russe, et on avait passé une semaine à Voronej. Nous avions été accueillis dans des familles russes. Ce fut une expérience étonnante. La vie en Russie, c’était très différent de ce que je connaissais alors. Je ne peux pas dire que je suis tombée immédiatement amoureuse de la Russie. Voronej, c’est une ville provinciale, c’est quelque part la «vraie Russie». Saint-Pétersbourg, en revanche, ce n’est pas «réellement la Russie». C’est une ville plus européenne, avec des cafés, de nombreux étrangers. Mais Voronej, ça a été un premier contact, qui m’a permis de voir comment les Russes travaillaient, avec quelle rigueur, et de comprendre leur amour pour la danse. Cela m’a poussée, à mon retour, a regarder des vidéos de l’école Vaganova, des grands interprètes russes. Et petit à petit, le désir d’aller travailler là-bas s’est imposé en moi. En Russie, les gens ne comptent pas les heures. A Vaganova, l’école est ouverte en permanence. Si le dimanche, l’envie me prend, je peux aller travailler, les studios sont ouverts sept jours sur sept, de huit heures à vingt-et-une heure. Rien à voir avec l’expérience que j’ai eue à la Scala par exemple. En plus, l’école est tellement grande que si, quand on a un moment de libre, on veut s’entraîner, il y a toujours un studio de disponible. Tout le monde fait cela ici d’ailleurs. Il y a une forte émulation, qu’on ne trouve que difficilement dans d’autres institutions.


Vous êtes, d’après les recherches que j’ai pu effectuer, la première danseuse française à intégrer le Mariinsky, au moins depuis le début du vingtième siècle. Y-a-t-il des artistes russes que vous prenez pour modèle, ou du moins que vous admirez particulièrement?

Ouliana Lopatkina, c’est le premier nom qui me vient à l’esprit. Et sinon – j’ai aussi le droit de donner le nom d’un interprète masculin? – Mikhaïl Barychnikov.


Vous avez eu l’occasion de le rencontrer?

Oui, très brièvement, à Milan, lors d’un spectacle qu’il présentait en tournée.


Avez-vous vu Ouliana Lopatkina sur scène, au Mariinsky?

Non, comme elle s’est arrêtée de danser cette saison, malheureusement. A ma liste je pourrais aussi ajouter Svetlana Zakharova, que j’ai vue à plusieurs reprises à Milan, où elle était artiste invitée. Olga Smirnova également, étoile du Bolchoï…


Avez-vous un répertoire ou un ouvrage qui vous attire particulièrement? Un rôle que vous rêveriez de danser?

Il y a énormément de rôles que je voudrais danser un jour. J’aime beaucoup Nikiya, dans La Bayadère, Giselle également, ainsi que La Légende d’Amour, de Grigorovitch, que j’ai eu déjà l’occasion de voir au Mariinsky. Il y a tellement de ballet magnifiques. Le Mariinsky danse des ballets qu’on ne connaît pas du tout en Europe occidentale. J’ai fait des découvertes, comme la version de Spartacus [Léonide Jakobson, ndlr] que possède le Mariinsky, l’Oiseau de feu – qu’on danse finalement peu hors de Russie -, Shéhérazade, La Fontaine de Bakhchissaraï, ou même Roméo et Juliette, avec cette scène finale extraordinaire, qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

 


Propos recueillis par Romain Feist

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Léa Thomasson






Entretien réalisé le 17 juillet 2017 - Léa Thomasson © 2017, Dansomanie


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