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entretiens
Nicolas Le Riche - Du danseur au chorégraphe

13 mars 2017 : Nicolas Le Riche chorégraphie Sur la grève pour le Ballet de Bordeaux


Depuis qu'il a pris sa retraite au Ballet de l'Opéra de Paris, Nicolas Le Riche s'est essentiellement consacré à LAAC, le projet pédagogique et artistique qu'il mène avec son épouse. Clairemarie Osta, au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris. Mais sa prochaine création - intitulée Sur la grève - aura lieu au Grand Théâtre de Bordeaux, le 30 mars 2017, dans le cadre de la sixième édition des «Quatre tendances» programmées par Charles Jude. en dépit des récents événements, qui ont conduit à la suspension du directeur de la compagnie, le travail de répétition s'est o poursuivi, et Nicolas Le Riche a fort aimablement accepté d'expliciter la substance de son nouveau ballet aux lecteurs de Dansomanie.





Comment est né ce projet? Vous aviez déjà eu quelques contacts avec le ballet de Bordeaux par le passé, notamment à l'occasion de jurys de concours, non?

En effet. Cela s'est fait à l'invitation de Charles Jude, il voulait que je fasse quelque chose à l'Opéra de Bordeaux, et j'ai répondu présent. C'est lui qui a pris l'initiative.


Charles Jude vous a-t-il d'emblée fixé un cadre, donné des instructions précises en ce qui concerne le format, la durée de l’œuvre, le nombre de danseurs, etc... ou en avez-vous décidé vous-même?

Le contexte était fixé, il s'agissait d'une soirée composite. Le principe des spectacles «Quatre tendances» au Ballet de Bordeaux est qu'ils sont constitués de quatre ouvrages distincts. Charles Jude m'avait tout de suite dit que la création qu'il me commandait s'inscrirait dans ce contexte-là. Donc, par exemple, en ce qui concerne la durée, même si on ne m'a donné aucune directive impérative, elle s'imposait plus ou moins d'elle-même. En ce qui concerne le choix de l'effectif et du thème de la pièce, là, on m'a laissé entièrement libre. Pareil pour la musique. Pour moi, il était important que ce soit une vraie création, totale, du début à la fin, avec une chorégraphie, une musique et un thème entièrement neufs.


Pour vous, c'est une première, de concevoir un ballet en dehors du cadre de l'Opéra de Paris, pour une compagnie tierce?

Non, j'ai déjà créé pour le Ballet de Lorraine [RVB21 en 2001, ndlr], et sinon, bien sûr, il y a les pièces que j'ai écrites pour Clairemarie [Osta] et moi dans le cadre de LAAC, au Théâtre des Champs-Élysées. Donc ça n'est pas tout à fait une première.

 
Quel est le thème de cette création pour Bordeaux? Raconte-t-elle une histoire ou est-ce un  ballet purement abstrait?

La pièce s'intitule Sur la grève. En fait, je me suis posé la question de Bordeaux, de sa localisation géographique, des caractéristiques du lieu, de la compagnie, des danseurs. L'idée m'est venue assez vite. La grève, c'est le lieu où se rejoignent la terre, la mer et le ciel, et aussi le lieu où les hommes vont à la rencontre de ces éléments. En fait, avec ça, je vous ai quasiment tout dit sur le contenu de cette pièce. C'est une histoire de rencontres, d'expériences.


Sur la grève contient-il des éléments autobiographiques, des souvenirs personnels, à l'instar de vos créations pour vous et Clairemarie Osta dans le cadre de LAAC?

Il y a souvent une part d'autobiographie dans mes créations. Mais ici, je ne cherche pas du tout à raconter «mon» histoire. Il s'agit, dans Sur la grève, d'une histoire humaine, peut-être un peu humaniste, d'une portée plus générale : la rencontre des hommes avec les éléments.


Combien d'interprètes seront-ils présents sur scène? Les avez-vous choisis vous-même?

Il y aura six danseurs, trois hommes et trois femmes. Charles Jude m'a laissé entièrement libre pour déterminer les distributions.


Aviez-vous déjà une idée du type de danseurs que vous recherchiez?

Oui, je connaissais la compagnie, comme j'étais déjà venu précédemment y donner des cours, et comme vous l'avez indiqué au début, pour faire partie d'un jury qui devait remettre un prix aux jeunes talents du Ballet de Bordeaux. Cela faisait un peu plus d'une saison que je suivais la troupe d'une manière vraiment attentive et assidue. Malgré tout, j'ai voulu organiser une sorte d'atelier-audition pour sélectionner les interprètes de Sur la grève, même si je savais à peu près ce que je voulais, ce vers quoi je me dirigeais.


Quelles qualités attendiez-vous de ces danseurs?

Pour moi il était important d'avoir un groupe de danseurs qui acceptait d'être dans la découverte, d'accomplir un travail différent de celui auquel ils étaient habitués. Je voulais des esprits curieux, intéressés par cette rencontre.


Avez-vous fait travailler vos danseurs de manière classique ou prenez-vous une direction plus «contemporaine»?

Les filles ne seront pas sur pointes – les garçons non plus! Après, pour ce qui est de « classer » l’œuvre, je serai bien en peine de vous dire si elle relève du champ de la danse classique  ou de celui de la danse dite «contemporaine». Je préfère vous dire qu'il s'agit simplement de la danse d'aujourd'hui, qui est caractérisée par son ouverture, sa diversité. Évidemment, j'ai quelques connaissances particulières en technique classique [rires], donc je les mets aussi à profit. Mais pour moi, il n'y a pas de frontière véritable entre les diverses formes de danse.


Le contexte des dernières semaines, avec l'annonce de la suspension de Charles Jude, a été assez agité au Ballet de Bordeaux. Avez-vous pu en faire abstraction, et préserver une atmosphère sereine pour les répétitions de Sur la grève?

Tout à fait, les répétitions se déroulent dans un lieu clos, en studio, je dirais presque «entre quatre yeux», entre les danseurs et le chorégraphe. Il était important pour moi de me concentrer exclusivement sur cette création.


Qu'avez-vous choisi comme musique pour ce nouveau ballet?

Pour la musique, j'ai fait appel à un compositeur norvégien qui s'appelle Nils Petter Molvaer. C'est un trompettiste extraordinaire. C'est un homme qui vient du Grand Nord, qui apporte avec lui cette musique chargée de mystère, picturale, avec beaucoup d’aplats, d'horizontalité, des textures sonores très organiques, avec des contrastes forts, comme ceux qui existent entre le sol – la terre –, l'espace fluide de l'eau et l'espace vaporeux de l'air.


S'agit-il d'une commande spécifique ou d’une partition préexistante?

C’est une commande que j’ai passée spécialement à Nils Petter Molvaer. La musique a été entièrement créée pour Sur la grève.


Lui avez-vous donné un canevas? Savait-il e qu’il devait illustrer ou, au contraire, êtes-vous parti de la musique pour y mettre ensuite les pas dessus?

J’aime beaucoup les collaborations artistiques, et je les envisage vraiment comme des échanges qui sont source d’enrichissements mutuels. En fait, il y a d’abord eu une première strate, une première série de contacts, pour définir un «tissu commun de réflexion». Puis nous avons affiné les choses. Nils Petter Molvaer m’a fait des propositions de couleurs musicales, certaines m’ont plu, d’autres non. On a gardé celles qui m’intéressaient et on a encore cherché d’autres couleurs, d'autres textures. Tout cela s’est construit petit à petit, patiemment, un peu comme une maison que l’on aurait bâtie brique par brique. On a eu de très nombreuses discussions ensemble.


Nils Petter Molvaer était-il présent à Bordeaux pour assister aux répétitions?

Absolument. Il était à Bordeaux la semaine dernière. Cette musique, nous l’avons conçue – j’ai envie de dire – dans «notre coin». Ensuite, j’ai travaillé avec les danseurs, et il était important que le compositeur puisse venir voir là où nous en étions, qu’il puisse apporter sa propre sensibilité et procéder à des réglages, des ajustements.


Combien de temps de répétition vous a-t-on accordé?

En fait, il faut que je consulte mon agenda pour vous répondre [rires]. En fait, nous avons commencé à répéter en studio le 6 février [2017]. Depuis, je vais très régulièrement à Bordeaux, environ une semaine sur deux. S’y ajoutent aussi quelques «sauts de puce». En fait, Bordeaux ce n’est pas si loin de Paris !


Beaucoup de danseurs bordelais connaissent bien l’Opéra de Paris dans la mesure où ils sont passés par l’École de danse, voire pour certains des contrats de surnuméraire… Est-ce que cela leur fait quelque chose de travailler avec une ancienne étoile de la maison dont ils ont, au moins indirectement, fait partie?

C’est à eux qu’il faut poser cette question ! Sérieusement, ce qui est sûr, c’est que lorsque je suis arrivé au Ballet de Bordeaux, tout le monde savait qui j’étais, ce que je faisais, et moi, je connaissais aussi les danseurs bordelais, très bien même pour certains d’entre eux. Je ne débarquais pas en simple «touriste»!


La pièce comportera-t-elle une scénographie et des costumes, ou ce sera un fond neutre avec des danseurs en justaucorps?

Non, il n’y aura pas de fond neutre [rires]! Je voulais, c’était important pour moi, avoir une scénographie construite sur la lumière, et, avec les équipes du Grand Théâtre de Bordeaux, nous travaillons également beaucoup sur des effets de fumée. Les lumières, elles, sont confiées à un éclairagiste qui s’appelle Jean-Michel Désiré, qui a déjà collaboré avec moi sur d’autres spectacles. C’est moi qui ai souhaité collaborer avec lui [Jean-Michel Désiré a, entre autres, souvent réalisé les éclairages des ballets de Roland Petit, ndrl]. De même, c’est moi qui ai choisi Olivier Bériot [Oliver Bériot a surtout fait carrière dans le cinéma, en travaillant pour Luc Besson et Gérard Corbiau – il a dessiné les costumes du Roi danse - ; pour le ballet, il a collaboré avec la compagnie l’Éventail, de Marie-Geneviève Massé, ndlr]. Nous avons aussi déjà travaillé en commun de nombreuses fois. Comme je vous l’ai dit, je voulais créer une œuvre «totale», et donc, il était important que je puisse décider des créateurs qui allaient la réaliser avec moi.


Avez-vous déjà dans vos cartons d’autres projets du même genre?

Oui, plein ! J’ai déjà des rendez-vous dans mon agenda, et il continue de se remplir, j’en suis très heureux. En tous cas c’est très excitant. On verra bien.


Un critique chorégraphique parisien avait avancé, sous forme de boutade, que vous seriez candidat à la succession de Charles Jude à Bordeaux. Y avez-vous réellement songé?

Pour le moment, il y a des tractations entre la direction générale de l’Opéra de Bordeaux et Charles Jude. A ma connaissance, il n’y a pas eu jusqu’à présent d’appel à candidature pour lui succéder. Et comme je ne suis pas devin, je ne sais pas s’il y en aura finalement un. On verra bien ce qui arrivera, et, le moment venu, je me poserai la question d’une telle candidature. Indéniablement, le Ballet de Bordeaux est une compagnie très intéressante et mérite qu’on y porte attention.


Lorsque vous avez pris votre retraite de danseur étoile, vous avez postulé à la direction du Ballet de l’Opéra de Paris, et vous n’avez jamais caché votre désir de prendre la tête d’une compagnie. Est-ce une ambition que vous nourrissez toujours?

Bien sûr. Comme vous le disiez, ce n’est un secret pour personne, j’aimerais diriger une compagnie. Échafauder et concrétiser un projet artistique avec une compagnie de danse, c’est quelque chose qui me tient à cœur depuis bien longtemps. Et j'espère que cela se concrétisera d'ici quelque temps. En tous cas, je m'y suis préparé.


Revenons-en au futur immédiat. Qu'auriez-vous envie de dire au public qui va découvrir Sur la grève? Et que public visez-vous? Les balletomanes, le grand public?

Mon spectacle est destiné à tous. J'espère que les gens qui le verront apprécieront le travail accompli, et pour le reste, chacun a son propre imaginaire, et y trouvera ce qu'il voudra y trouver. Ce que je peux vous dire, c’est que je suis heureux de ce que nous avons fait, de l’épaisseur, de la texture que nous avons donné à cette pièce.


Question un peu délicate : souvent, vos créations, que ce soit
Caligula à l'Opéra de Paris ou vos créations pour le Théâtre des Champs-Élysées, ont rencontré un accueil un peu réservé de la part de la critique institutionnelle, alors que le public les a reçues positivement. Comment évaluez-vous ce phénomène?


Mes pièces s’adressent à tous. Peut-être que pour certains il est plus difficile de se rendre compte que Nicolas Le Riche créateur n’est plus le même que Nicolas Le Riche interprète ? Le créateur doit sans doute être découvert autrement.


Est-ce que Nicolas Le Riche danseur ne vous manque pas?

Non, pas du tout. J’étais un «homme qui danse», et aujourd’hui, je travaille encore avec la danse. C’est cette relation, en constante évolution, avec la «matière dansante», qui m’intéresse. On réinvente tout perpétuellement. Hier, j’étais sur scène et j’interprétais les ballets des autres, aujourd’hui, je suis moins sur scène, je n’interprète plus les ballets des autres, mais je me consacre à la transmission et à la création. Ma relation à la danse se poursuit, elle est vivante, et j’en suis très heureux. Vous vous imaginez la tristesse, si chaque jour était identique au précédent?


Mais Nicolas Le Riche danseur était un peu une «bête de scène», qui se donnait beaucoup, et dont le public venait justement voir les prouesses techniques et physiques. Vous ne regrettez pas un peu cette époque?


Non, j’ai toujours le même appétit pour le spectacle, simplement à une autre place. Mais le théâtre, la scène, le travail autour de la «matière humaine» sont toujours présents dans ma vie, et même de plus en plus. Donc, je ne ressens pas de manque. C’est vraiment seulement ma place qui a un peu changé ! Ce sont d’autres maintenant qui sont sur le devant de la scène, et j’espère qu’ils feront vivre de la même manière cette relation avec le public.


Quand vous allez à Bordeaux, vous en profitez aussi pour prendre le cours avec les danseurs, voire leur donner le cours?

Bien sûr. Comme je vous l’ai dit, avant même que la création de Sur la grève soit envisagée, je suis allé à Bordeaux pour faire travailler les danseurs.  Et en effet, j’ai aussi pris le cours avec eux. Il ne doit pas y avoir de barrière. J’aime les danseurs et j’aime la danse. Je veux être au milieu d’eux, au cœur de cette «matière à travailler», car c’est cela l’essence de ma relation avec cet art.


Lorsque vous êtes entré à l’Opéra de Paris, Charles Jude y dansait encore. Avez-vous quelques souvenirs de cette époque?

J’ai eu la chance d’arriver très jeune dans la compagnie et d’y voir encore beaucoup de grands danseurs de cette génération. J’étais très curieux des autres. Pour prendre un exemple qui me tient à cœur, je me souviendrai toujours de Cyril Atanassoff – on se croise encore ici où là - qui m’a absolument bouleversé, ou encore Jean Babilée, quelqu’un de vraiment fascinant. En ce qui concerne les danseurs étrangers, j’ai eu la chance, en tant que gamin, de rencontrer Mikhaïl Barychnikov et de le voir travailler au cours. Tout comme Rudolf Noureev d’ailleurs. Il y a eu aussi des rencontres avec des chorégraphes. La première fois que j’ai vu Merce Cunningham, ça a été un émerveillement total.


Vous avez encore eu la possibilité de travailler avec Merce Cunningham de son vivant?

Malheureusement non. Je l’ai rencontré plusieurs fois, j’ai vu ses spectacles, j’ai assisté à des séances de répétition, mais je n’ai jamais travaillé directement avec lui en tant que danseur. En tout cas, je suis très attentif aux aînés qui ont fait l’histoire de la danse. Ce qui fait la danse, c’est aussi son histoire, sa culture.


Est-ce que justement, quand vous arrivez dans un théâtre comme celui de Bordeaux, qui a un passé prestigieux, et qui abrite la deuxième plus ancienne compagnie de danse en France, cela signifie quelque chose pour vous?

Oui, j’y suis arrivé avec l’émerveillement du gamin qui pousse pour la première fois la porte d’un théâtre, qui entend du chant, de la musique, des instruments, qui découvre les danseurs, les machinistes… c’est profondément écrit en moi.


Vous êtes-vous déjà produit à Bordeaux en tant que danseur?

Oui, deux ou trois fois, mais il faut bien le dire, c’étaient des voyages-éclair, et je n’avais pas eu le temps de partir à la rencontre des gens et de la région. Là, c’est différent, j’y suis pour plusieurs semaines, et j’en profite. C’est indispensable aussi de pouvoir rêver et découvrir. Du reste, si vous êtes de passage, je vous invite à visiter la Cité du Vin, c’est formidable.



Propos recueillis par Romain Feist


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Entretien réalisé le 13 mars 2017 - Nicolas Le Riche © 2017, Dansomanie


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