Meena Kanakabati est une danseuse sattriya, un style de danse classique
originaire de l'Assam, dans le Nord-Est de l'Inde. Elle pratique aussi le
chhau qui est un art martial de l'Inde. Née sourde à Bangalore, elle a
grandi en France et partage sa vie entre la France et l'Inde où elle se
perfectionne en sattriya et chhau auprès de ses gurus. Nous l'avons
rencontrée à Paris quelques jours après sa participation au festival de
danses classiques indiennes “Mouvements émouvants” organisé par Mahina
Khanum.
C'est tout simple, quand je suis arrivée en France, j'ai commencé par la
danse classique et modern jazz avec des professeurs occidentaux. Mon
professeur Delphine Desyeux est aussi passionnée de danses indiennes. Grâce
à elle, j'ai pu retrouver un peu mes origines indiennes, et de là, j'ai
débuté mon apprentissage des danses indiennes.
J'ai commencé avec Sharmila Sharma qui m'a fait aimer la danse kathak.
Ensuite, j'ai voulu découvrir autre chose avec la danse bharatanatyam en
prenant des cours avec Maria-Kiran et Vidya (au centre Mandapa). J'ai
continué le modern jazz, et fait un peu de claquettes que je continue. J'ai
aussi rencontré Flora Devi (danse odissi) à Montpellier.
La danse a toujours été présente avec moi. J'ai toujours été dans le
mouvement. Par rapport à mon handicap, quand on est sourd, on a besoin de
la langue des signes. Le mouvement était comme un repos, parce ce que cela
me demandait une certaine concentration de lire sur les lèvres. Avec le
geste, c'était plus facile.
Par
rapport à l'histoire des sourds, certaines personnes sont plus
axées
sur les oralistes, qui veulent que les enfants oralisent
[c'est-à-dire communiquent avec les entendants en parlant et en
lisant sur
les lèvres, ndlr] et d'autres veulent que les enfants signent.
J'ai eu des
parents plutôt du côté oraliste.
Finalement, vous avez vu les deux côtés?
J'ai commencé par le côté oraliste, donc il a fallu que je passe des
heures avec des orthophonistes. Maintenant, avec le recul, je me rends
compte que cela été une certaine souffrance. C'était très dur, donc pour
m'en libérer, j'avais la danse et la gestuelle, ce qui me permettait de
souffler.
J'ai toujours été passionnée par l'art, le spectacle et le théâtre.
Toute petite, j'ai fait partie de groupes de théâtre. Je m'intéressais à la
musique : j'ai étudié les instruments de musique, pour voir ce que je
ressentais. Au fur et à mesure, en grandissant, j'ai analysé, j'ai observé
et avec cela, j'ai compris des choses : comment faire un mouvement comme
quelqu'un qui entend, comment entendre la musique comme quelqu'un qui
entend mais quand on est sourd, comment le ressentir à peu près
pareillement. Cela ne vient pas comme ça, cela prend des années et des
années. Mais j'aime travailler dur, cela fait partie de mon caractère.
En parallèle de la danse, j'ai aussi pratiqué des arts martiaux comme le
tai chi, parce que cela me passionne et parce que j'y trouve un côté
masculin. Dernièrement, j'ai rencontré Guru Janmejoy Sai Babu, un maître de
chhau (NDLR : danse martiale de l'Est de l'Inde). Je me suis spécialisée
dans la danse sattriya et le chhau, qui sont complémentaires. J'ai besoin
de la danse sattriya et aussi du côté martial du chhau. J'adore les autres
arts martiaux, mais dans le chhau, j'ai trouvé de la finesse, de la
rondeur, un côté athlétique, des lignes. J'ai été très émue quand Sai Babu
m'a donné sa bénédiction pour enseigner.
Comment avez-vous découvert la danse sattriya?
C'était en 2001, en France. J'ai fait un stage avec Bhaba (NDLR :
diminutif de Bhabananda). Cela m'a fait un choc. Je suis tombé amoureuse de
cette danse dans laquelle il y a un fort aspect spirituel. Les autres
danses classiques indiennes sont très belles aussi, mais la danse sattriya
a vraiment réveillé quelque chose en moi, que je ne saurais pas
expliquer. donné sa bénédiction pour enseigner.
J'avoue avoir aussi été bouleversé la première fois que j'en ai
vu et puis lorsque j'ai vu votre guru lors d'une démonstration à
Delhi...
C'était poignant. Ensuite, je suis allé parler à Bhaba pour lui demander
s'il était d'accord pour me prendre comme élève malgré ma surdité. Il a dit
«Ok, pas de problème». On y est allé. Cela a été dur, mais il faut être
exigeant, parce que c'est comme cela qu'on arrive à progresser. Depuis,
j'ai continué.
Comment faites-vous pour danser sur le rythme malgré
votre surdité? Comment le ressentez-vous, est-ce que vous entendez
un peu les basses fréquences? Lors du festival “Mouvements émouvants”,
vous étiez très précise, très musicale dans la deuxième pièce que vous avez
dansée, mais je vous sentais un peu plus en difficulté par rapport au
rythme dans la première pièce.
J'entends un peu comme quand quelqu'un se bouche les oreilles ; je pense
que si quelqu'un mettait des boules de Quies il entendrait plus...
J'entends avec mes yeux et ressens par vibrations la musique.
Je ne connaissais pas la scène. Je ne l'avais pas testée assez. Il faut
que j'aie mes repères surtout quand je danse avec une bande son, où je fais
souvent appel à ma mémoire intérieure quand je ne ressens pas les
vibrations : «le corps est une incroyable machine». Quand je danse avec
des musiciens en live, c'est un réel bonheur de danser et j'ai mes repères
dans n'importe quel registre musical grâce à un travail de décodage que je
fais sur les artistes avec qui j'ai travaillé jusqu'à présent. Aussi,
suivant les musiques, je ne ressens pas du tout la même chose. Dans le
spectacle du festival “Mouvements émouvants”, la première pièce était très
aérienne, sans rythme très marqué, avec beaucoup de gestes, de postures et
de jeux de mains. La deuxième était très différente. C'était une partie du
répertoire classique de sattriya en rapport à Krishna intitulée
Skrikinaya Vasudeva suivie de Chali nach : une partie
d'Abhinaya (NDLR : l'art de l'expression) et une partie de danse pure.
Pourriez-vous nous présenter votre guru Adhyapak Bhabananda
Barbaryan?
C'est un moine. Il vient de l'Uttar Kamalabari Sattra sur l'île de
Majuli (NDLR : en Assam dans le Nord-Est de l'Inde). Il est arrivé à quatre
ans au Sattra, il y a appris la danse sattriya et à son tour, il a commencé
à l'enseigner et à se produire. Parallèlement, il a obtenu des diplômes,
notamment un doctorat. C'est le moine le plus jeune dont le savoir ait été
reconnu au plus haut niveau. C'est aussi un des gurus qui respectent le
plus la pureté de la tradition de la sattriya. J'apprécie que l'on garde
cette précision et que l'on préserve cette pureté des origines.
Adhyapak Bhabananda Barbaryan
Enseigne-t-il dans une institution? Donne-t-il des cours
collectifs et/ou des cours particuliers?
Il enseigne en Assam, au monastère. Des personnes y viennent pour des
stages ou des cours particuliers. Il enseigne aussi à Delhi au Sankaradeva
Bhavan. Je vais aux cours en groupe quand il y en a, sinon je prends des
cours particuliers. Dans cette institution située près de Qutub Minar, il y
a un théâtre, ce qui permet d'assister à des spectacles : c'est le pôle à
Delhi pour tout ce qui a un rapport à la culture assamaise.
Avez-vous eu l'occasion de pratiquer votre art à l'Uttar
Kamalabari Sattra, le monastère situé en Assam dont est originaire votre
guru?
Oui, forcément, je suis allé à l'Uttar Kamalabari, parce que je pense
que lorsque l'on pratique un art, il faut aller à son berceau. On y
comprend beaucoup de choses. À Delhi, on apprend bien, mais il y a plein de
choses qui manquent ; quand on va en Assam, on voit la philosophie, les
monastères et on comprend mieux la danse sattriya.
La danse bharatanatyam (un autre style de danse classique
indienne) était autrefois dansé rituellement dans les temples et aussi dans
les cours royales ; au cours du XXe siècle, elle est devenue un
spectacle dansé sur scène. En Assam, dans quel contexte les danseurs-moines
se “produisent-ils”?
C'est dans un cadre religieux. En fait, Sankaradeva a créé ce style au
XVe siècle. Ses écrits ont été traduits sous forme de danse et
de théâtre pour permettre aux gens, quels que soient leur niveau social ou
leur caste, de pratiquer le même art, ensemble. J'ai trouvé cela très
intéressant, parce que dans d'autres parties de l'Inde, j'ai pu voir le
système de castes à l'œuvre. Je l'ai vécu aussi ; on me disait « Tiens-moi
ça... Pose-ça là... ». Alors que là-bas, à Majuli non. Je n'entends pas,
mais ce n'est pas grave, on m'accepte comme je suis. C'était dans la
philosophie de Sankaradeva : même ceux qui ne savaient pas lire pouvaient
comprendre grâce à la danse et au contexte religieux vishnouïte lié à
Krishna.
Ils se produisent dans des monastères. Bhaba a aussi constitué un groupe
avec des moines, et ils se produisent lors de tournées. Ils vont un peu
partout, dans des théâtres et des festivals, en Inde, au Bangladesh, à
Londres...
Dans cette danse, y a-t-il des petits enchaînements (ou
adavus) comme on en pratique dans d'autres styles de danses
classiques indiennes?
Il n'y a pas d'adavus. C'est plus le Mati Akhara : des
pas et des postures d'échauffement, c'est la grammaire de la danse
sattriya. Ces exercices (au total de 64 Mati Akhara sous-divisés en huit
catégories : Ora, Saata, Pak, Jhalak, Sitika, Jap, Lon, Khar) permettent de
faire travailler le corps autant à l'intérieur qu'à l'extérieur, le mental
et le physique. Cela constitue le fondement, la base de la formation d'un
danseur sattriya.
Certaines positions sont communes avec d'autres styles de danses
indiennes et on utilise aussi les hastas (mudras) [positions de doigts, ndlr].
Pourriez-vous décrire les différentes types de pièces de danses
que vous interprétez en tant que soliste?
Par exemple, une pièce dédiée à Krishna est intitulée Skrikinaya
Vasudeva. Puis, il y a le Chali nach : on évoque l'histoire
de Krishna avec l'Abhinaya. Ensuite, on enchaîne avec la danse féminine,
très joyeuse, qui rappelle les mouvements du paon. Elle est de deux
types : style pur et le style Abhinaya. Le Chali nach est une
danse féminine : c'est un Lasyadharmi. Madhavadeva [disciple de Sankaradeva, ndlr] a composé cette danse à Barpeta où les hommes
enfilaient des costumes féminins, rappelant un chapitre du Kirtana
[recueil de textes composés par Sankaradeva] qui décrit Krishna
ayant pris la forme d'une belle femme et dansant pour charmer Shiva. Le
nritya de chalikya a été réalisée par Narada quand il est allé au
Vaikuntha ; le chalikya a probablement eu une certaine influence dans le
chali nach. Aussi lorsque Krishna danse avec les
gopis [bouvières] à Vrindavan tout en regardant les
vaches du pâturage, il y a une
étroite relation avec le Chatli qui fait partie du répertoire de
la danse du Manipur (état voisin de l'Assam). Le Chali nach
posséde 12 Ramdani : 8 (Sidha Chali Nach), 4 (Rajaghariya
Chali Nach). Le Ramdani est divisé en trois séquences «Ramdani —
Gitar Nach — Mela Nach».
Une des particularités du style sattriya est qu'il ne ressemble à aucune
des autres danses classiques indiennes : il a un attrait plus asiatique. À
l'origine, cette danse a été crée par Mahapurusha Sankaradeva (dramaturge,
réformateur social et religieux, figure colossale de l'histoire culturelle
et religieuse de l'Assam). La danse sattriya a des techniques et postures
très anciennes, mais certaines postures des danses tribales assamaises ont
influencé la danse sattriya : les déplacements posturaux des tribus Deuri,
les mouvements du tronc et des pieds des Moran et Bodo, la gestuelle des
mains des Mishing. Le sattra (monastère) a maintenu une certaine rigidité
et austérité dans ses murs jusqu'à la moitié du XXe siecle. La
rigidité classique, l'adhérence stricte à certains principes et le
non-engagement dans la recherche universitaire sur la danse ont fait que la
danse sattriya n'a été reconnue comme danse classique que tardivement. On
retrouve cependant tous les paramètres définissant une danse classique
indienne.
Dans la danse intitulée Gayana-Bayana, on saute et danse avec
le khol (tambour) ou les cymbales (bhortal) : un groupe
de danseurs chante et joue des cymbales et l'autre groupe joue du
khol. Cette pièce est jouée en prélude musical (ou
Purvaranga) au drame sanskrit (Ankhya Bhaona) : le but
est d'obtenir la bénédiction de Dieu et de créer une atmosphère sainte.
Il y aussi le Krishna Nach qui est Sudhha Nritta
(danse pure) : l'abhinaya est évité, seuls les mouvements et les rythmiques
sont présents. Cette danse possède deux formes (Barpravesar Nach
et Gopabalakar Nach). C'est une danse que je présente comme
soliste et que j'aime énormément, tout comme le Dasavatara Nritya
que je présenterai dans un prochain spectacle et qui est une pièce très
connue racontant les incarnations de Vishnu. Le tambour et les cymbales
sont une partie intégrante de cette danse.
Une autre danse est Jhumura. C'est une forme de danse
masculine, qui est un Tandavadharmi (NDLR : Tandava et
Lasya sont les aspects masculins et féminins de la danse, associés
respectivement à Shiva et Parvati). « Jhu » signifie air et « mura »
mouvement circulaire. Jhumura Nach a été développé par Madhavadeva
pour divers drames comme Chordhara Jhumura, Guchowa
Jhumura, etc.
Dans le drame (Ankhya Bhaona), après le Gayana-Bayana,
un passage important est le Sutradhari Nach (NDLR : dans la
tradition littéraire indienne, le Sutradhar est le conteur, celui
qui transmet oralement des histoires). La première partie
(Sarubhangi) est lente, puis vient le Barbhangi dans
lequel le Sutradhar récite des vers, chante et raconte
l'histoire.
Bhortal Nritya est une danse en groupe très populaire à
Barpeta. Les musiciens utilisent des petits tambours, tandis que les
danseurs ont un Bhortal (cymbale) dans chaque main et utilisent la
gestuelle des mains et la rythmique des pieds (pas de Mati Akhara)
du Sattriya Nritya.
Ojapali est une danse très ancienne basée sur le Byahar
Ojapala qui date de l'ère précédant Sankaradeva. Elle rassemble danse,
drame et musique, pour un groupe de 10 à 15 interprètes.
La plupart des enchaînements de base (adavus) utilisent des
rythmes à quatre temps. Est-ce que dans votre école, on vous les fait
pratiquer régulièrement ou systématiquement sur des rythmes
variés?
Quand j'ai commencé avec mon guru, on a repris les adavus, mais assez
rapidement parce que j'avais déjà fait du bharatanatyam. Par contre, quand
il organisait des workshops sur plusieurs jours, on reprenait
vraiment tout très précisément et effectivement, dans ces
workshops, on travaillait les adavus sur différents rythmes.
Contrairement à ce qui est parfois montré dans d'autres styles,
plutôt que de mettre en valeur des positions du corps, la danse sattriya
semble mettre en valeur le mouvement majestueux et très stylisé d'une
position vers une autre, comme lorsque vous représentez l'éclosion du
lotus, chaque doigt de la main s'ouvrant l'un après l'autre!
Cela dépend des pièces de danse et du répertoire. Certaines danses vont
demander des mouvements très droits. mais ce ne sera jamais aussi droit que
le bharatanatyam, parce qu'il y aura toujours une rondeur dans le
mouvement. Dans beaucoup de danses, on représente l'éclosion,
l'épanouissement : c'est très spirituel, c'est comme si du sol on allait
vers le ciel, cela me fait penser à ça.
Je pense qu'il y a une autre dimension aussi. Pour Bhaba, la danse est
un acte religieux. Pour les moines, ce qu'ils dansent viennent de leur
tripes, parce que c'est comme une prière. Je pense que les personnes qui ne
seraient pas croyantes et d'autres qui seraient très spirituelles ne
feraient pas la même chose. On peut le faire parce que c'est comme ça ou
parce que c'est beau, mais cela peut aussi être comme un lâcher prise, une
façon de se retrouver soi-même.
Bhabananda semble très simple, extrêmement tranquille, tout en
douceur...
Dans les sattras, ils sont très modestes. Ce sont des paysans. Ils font
de l'agriculture, ils se débrouillent eux-mêmes. Après, ils se transcendent
quand ils dansent. Ils n'ont pas besoin d'artifices. Certaines danses ont
besoin de beaucoup d'artifices, mais eux dansent avec un costume très
simple.
Le style sattriya est né il y a environ 500 ans et, depuis, la
tradition se transmet dans différents monastères (sattras). Dans
quelle mesure le répertoire se renouvelle-t-il ? Certaines chorégraphies
sont-elles absolument fixes, ou bien sont-elles toujours renouvelées par de
nouvelles interprétations ? Les maîtres de danse chorégraphient-ils
régulièrement de nouvelles pièces?
Dans l'Uttar Kamalabari Sattra, ils gardent la pure tradition, mais
Bhaba a aussi composé de nouvelles pièces, donc on peut faire évoluer le
répertoire tout en préservant le style et la technique. Dans d'autres
sattras moins rigides, ils vont apporter un nouveau style, qui est
différent. Par exemple, j'aime beaucoup la danseuse Anita Sharma, mais je
n'y retrouve pas le style de Bhaba. Même Naren, le cousin de Bhaba qui a
appris la danse sattriya en même temps que lui, ne danse pas tout à fait de
la même façon, même s'ils sont dans la même lignée. Je trouve son style
tout de même très beau, et c'est pourquoi j'envisage de me former auprès de
lui, afin d'avoir un autre aperçu.
Avez-vous eu aussi l'occasion de pratiquer des chorégraphies de
groupe avec d'autres disciples?
L'année dernière, j'ai participé au drame Jayamati
que Bhaba a
écrit, composé et chorégraphié. J'ai
été amenée à danser avec d'autres de
ses disciples, avec des chanteurs, des musiciens. C'était une
belle
expérience.
Pourriez-vous présenter le festival que vous allez organiser à
Montpellier en juin?
La première édition de ce festival aura lieu du premier au 19 juin et
montrera l'univers de la compagnie MudraDanse. Il y aura des stages
d'initiation à différents styles de danses indiennes, des expositions, des
projections de films avec des débats. On verra ainsi महिलाओं
का सीजन (La saison des femmes). Tout le festival sera en version bilingue (français/langue
des signes) pour qu'il soit accessible aux sourds. Je trouve important que
les sourds puissent aussi accéder à d'autres cultures, pas seulement la
culture sourde. Il y aura des expositions, avec des artistes, notamment le
sculpteur Richard Granado qui fait des sculptures sacrées bouddhistes qui a
été formé par un maître traditionnel. Parmi les stages de danse, il y aura
Isabelle Anna (kathak), Lila (mohiniattam), Valérie Kanti Fernando
(bharatanatyam), etc. Céline Wadier fera un stage de chant dhrupad.
Le 18 juin, en fin d'après-midi, il y aura un spectacle d'élèves qui ont
travaillé sur des danses folkloriques et fusion-sattriya, parce qu'en
France, on n'a pas tout à fait la même mentalité, donc il faut trouver une
façon d'intéresser les gens qui voudraient pratiquer ces danses pour se
faire plaisir. La soirée se conclura par le spectacle Citrāṅgadā
de ma compagnie MudraDanse.

Meena Kanakabati
Un des spectacles de ce festival sera basé sur la pièce
Citrāṅgadā de Rabindranath Tagore qui s'est inspiré d'un épisode
du premier livre de l'épopée indienne du Mahābhārata.
Pourriez-vous présenter l'intrigue de cet épisode, qui n'est pas le plus
connu de l'épopée!
J'ai réadapté cette histoire en version moderne et bilingue.
J'interpréterai le personnage de Citrāṅgadā et rendrai visible celui
d'Arjuna, même s'il n'est pas présent sur scène. La pièce associera la
danse indienne, un art martial, le théâtre, la langue des signes, avec un
fil conducteur. Je voulais montrer mon travail depuis de longues années sur
la transcription visuelle du corps en mouvement et de la gestuelle,
via la musique, le chant et la parole. Par exemple, Citrāṅgadā est
initialement une guerrière. Elle sera alors interprétée vocalement par un
chanteur homme. La voix masculine et une voix féminine vont se rencontrer
quand elle va devenir plus féminine, amoureuse d'Arjuna, jusqu'à ce qu'il
ne reste plus que la voix féminine. Ce sera comme si les chanteurs sont en
moi et mettent en scène l'imaginaire de Citrāṅgadā. J'ai aussi voulu rendre
cette pièce accessible aux sourds et montrer mon univers utilisant les
danses indiennes et les arts martiaux.
J'apprécie cette pièce-là parce qu'il y a le côté masculin / féminin de
Citrāṅgadā, mais aussi parce que c'est une femme qui est une guerrière, qui
sait ce qu'elle veut. On voit sa transformation au fil de l'histoire, et je
trouve intéressant en plus de danser différenment tout au long de
l'histoire, de jouer tous les passages d'états d'âme auxquels Citrāṅgadā
est confrontée, en cherchant au fond de moi et de sortir la vraie émotion
tout au long de cette pièce, autant par le corps, l'état d'âme et le
ressenti, d'être au plus juste, au plus sincère, ce qui fait tout l'art du
comédien-danseur...
Le spectacle sera signé, mais dans quelle langue ce spectacle
sera-t-il chanté?
Un texte sera dit en français par une conteuse (Stéphanie Rondot) et
traduit en langue des signes. Pour les voix chantées, je n'ai pas voulu
utiliser de paroles : j'ai voulu utiliser des vocalises et des
mantras
qui seront interprétées par Corinne Henry (chanteuse
lyrique). Il y aura une musique impressionniste, avec un harmonium, un
percussionniste (notamment Vincent Rekkab avec qui nous avons beaucoup
travaillé sur l'écriture musicale de toute la
pièce). Pour les
représentations suivantes, il y aura un flûtiste et un
violoncelliste. J'aimerais jouer aussi ce spectacle en Inde, en version
bilingue anglais
et langue des signes.