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entretiens
Manuel Legris, directeur du Wiener Staatsballett

23 janvier 2016 : Manuel Legris - du danseur étoile au directeur de compagnie


On ne présente plus Manuel Legris. Et pourtant. Après une prestigieuse carrière à l'Opéra de Paris, le célèbre danseur a entamé une nouvelle vie en Autriche, où il exerce les fonctions de directeur du Wiener Staatsballett depuis septembre 2010. Ce n'est qu'avec réticence qu'il accepta le poste que lui offrait le nouveau directeur de la Staatsoper, un autre Français, Dominique Meyer, qui venait lui-même de succéder à Johann Holländer à la tête de la célèbre institution viennoise. Fort d'une expérience réussie, c'est maintenant avec enthousiasme qu'il vient d'accepter une prolongation de son contrat jusqu'en 2020. Lecteur assidu de Dansomanie, Manuel Legris nous a offert l'opportunité d'une rencontre à l'occasion d'un déplacement à Paris à la fin du mois de janvier 2016. Qu'il en soit remercié, d'autant que cet entretien intervient à un moment crucial de la vie professionnelle du danseur : pour la première fois, Manuel Legris se lance dans la chorégraphie d'un grand ballet en trois actes - une nouvelle version du Corsaire - dont la première est prévue le 20 mars prochain.



Manuel Legris, avec Kirill Kourlaev (répétition du Corsaire)

Commençons par la fin, en l'occurrence par Le Corsaire, qui sera votre prochaine création pour le Ballet de Vienne. Il y a eu récemment pas mal de nouvelles productions de ce ballet – celles d'Alexeï Ratmansky pour le Bolchoï, de Kader Belarbi au Capitole de Toulouse, celle de l’English National Ballet, qui va bientôt le présenter en tournée au Palais Garnier… Qu’est ce qui a suscité votre intérêt pour Le Corsaire?

Le ballet en lui-même, pour commencer. On peut certes se dire : «tiens, encore un Corsaire de plus!», mais cet ouvrage n’a jamais été dansé par le Ballet de Vienne. Il ne figurait pas non plus au répertoire de l’Opéra de Paris, et je n’ai jamais eu l’occasion de le danser moi-même. De ce fait, je ne suis soumis à aucune influence. Si j’avais remonté Raymonda, j’aurais évidemment été influencé par mon expérience personnelle. Donc ce sera quelque chose de vraiment neuf.

Le Corsaire correspond également aux aptitudes des danseurs dont je dispose, ainsi qu’aux goûts du public viennois. C’est un public qui adore les grands ballets classiques, et cette œuvre sera nouvelle pour lui. Au départ, je n’étais pas du tout décidé à en réaliser la chorégraphie moi-même. J’aime faire les choses dans l’ordre, en séparant bien mes activités. J’étais danseur, je suis maintenant directeur de compagnie. Mais j’ai voulu me poser un nouveau défi, un nouveau challenge. C’était aussi peut-être l’occasion de partager quelque chose de neuf avec mes danseurs. Bref, je voulais un grand ballet classique. Ma chorégraphie sera d’une veine classique. C’est, à mon avis, le bon choix pour la compagnie.


Cette chorégraphie se basera-t-elle sur des éléments préexistants? Comprendra-t-elle une part de «reconstitution historique» ou sera-t-elle créée ex nihilo?

Ma chorégraphie ne sera pas créée à partir de rien. A vrai dire, j’ai vu plusieurs «Corsaire», celui d’Alexeï Ratmansky, celui d'Anne Marie Holmes dans la version de l’ABT, celui du Marinsky, sans compter celui de Kader Belarbi, que je ne connais que par la vidéo. Je ne suis pas un spécialiste de l'histoire du Corsaire, mais ce qui reste aujourd'hui, ce sont des versions russes qui ont été modifiées au fil des ans. Au bout du compte, on ne sait plus qui a vraiment fait quoi. Y compris en Russie. J'ai un maître de ballet russe, Albert Mirzoyan, ancien danseur du Mariinsky, qui travaille avec moi et me conseille pour Le Corsaire, et selon lui, même à Saint-Pétersbourg, il y a des débats passionnés là-bas quant au choix des versions.

Mes premières préoccupations ont été l'histoire et la musique. L'argument du Corsaire, pour moi, ça a toujours été très confus, entre Ali et Conrad notamment, et il y a tellement de rôles... Au bout d'un moment, si on ne lit pas le programme en même temps, on ne comprend plus rien à l'affaire. J'avais plutôt envie d'une histoire assez simple, avec des rapports faciles à comprendre entre les personnages. J'ai donc supprimé le rôle d'Ali, au profit des seuls Médora et Conrad. En revanche, j'ai étoffé la partie de Zulmée, ordinairement cantonnée aux danses de caractère. Avec un ami, Jean-François Vazelle, nous nous sommes donc attelés au remaniement du livret. Notre but n'était pas de faire n'importe quoi, et nous sommes restés dans une lecture traditionnelle de l'ouvrage largement inspirée du poème de Lord Byron et du livret original. Nous avons juste voulu apporter plus de simplicité et de clarté à l'argument. Dans le développement des scènes, nous avons choisi de rassembler certains couples : par exemple, Zulmée tombe amoureuse de Birbanto.

L'autre chose importante a donc été la musique. C'est vraiment le point de départ du ballet. J'ai beaucoup écouté l'enregistrement de Richard Bonynge, qui est à mon avis celui qui ressemble encore le plus à l’œuvre originelle. Je m'en suis donc largement inspiré, mais j'ai ajouté d'autres musiques d'Adam qui avaient été peu utilisées jusqu'à présent. J'ai tout de même préservé la partition d'Oldenbourg pour le Pas d'esclave, ainsi que celle de Drigo pour le célèbre pas de deux et de Delibes pour le Jardin animé. J'ai principalement travaillé là-dessus l'été dernier, mais quand je suis rentré à Vienne, tout n'était pas achevé. Il me fallait encore une musique pour une danse d'esclave dans la scène du marché, au premier acte, et je ne trouvais rien qui me plaisait. J'ai beaucoup travaillé aussi avec le chef d'orchestre Valéry Ovsianikov, qui dirigera d'ailleurs la première. J'ai aussi la chance d'avoir un pianiste formidable, Igor Zapravdin. Il est répétiteur dans la compagnie, et également concertiste. Il possède quelques partitions d'Adam, dont celle de l’Écumeur des mers [Морской разбойник, ballet composé en 1840 pour le Théâtre impérial à Saint-Pétersbourg, ndlr]. J'y ai trouvé des choses incroyables. Pierre Lacotte m'en avait un peu parlé autrefois, mais il n'avait jamais encore pu mettre la main dessus.

J'ai notamment introduit une musique tirée de l’Écumeur des mers dans le pas des Odalisques, qui, par une curieuse coïncidence, portait également le titre «Les Odalisques». En plus, la structure correspondait parfaitement à la chorégraphie, avec un adage, et trois variations pour les filles et une coda. Au début, je ne tenais pas vraiment à changer le pas des Odalisques. Je me suis dit, ça fait partie de la tradition, comme le pas de deux du Corsaire et le Jardin animé. Mais quand j'ai entendu cette musique, je me suis dit, pourquoi ne pas refaire les Odalisques? J'ai donc créé un nouveau trio, avec une musique qui est bien d'Adam, mais pas celle que l'on entend habituellement, et avec, évidemment, une chorégraphie différente. J'ai fait la même chose pour une «Danse des esclaves». J'ai trouvé dans l’Écumeur des mers une musique qui convenait exactement à ce que je voulais faire. Donc, il y aura de l'inédit. Après j'ai aussi conservé pas mal de choses, mais tout n'est pas fini, on est à deux mois du spectacle [23 janvier 2016 ndlr]... A ce jour, j'ai réalisé environ 65-70% du ballet. La production restera malgré tout très traditionnelle, avec des danseuses sur pointes. C'est un nouveau «challenge» que je me lance, une expérience. Mais je ne vais pas me dire pour autant «ça y est, maintenant je suis chorégraphe».

Pour le moment, cela me laisse une bonne impression, je sens que ce que je vais dans la bonne direction, par rapport à ce que je voulais faire et présenter au public et il y a une excellente dynamique dans le travail. Après, l'avenir dira si j'avais raison ou non.

Maria Yakovleva (Médora), Robert Gabdullin (Conrad) (répétition du Corsaire)
Maria Yakovleva (
Médora), Robert Gabdullin (Conrad) (répétition du Corsaire)

Et la scénographie de ce nouveau Corsaire?

Elle est aussi tout à fait traditionnelle. C'est Luisa Spinatelli qui l'a réalisée.


Vous restez donc proche de votre univers à l'Opéra de Paris quand même?


En fait, c'est une histoire qui remonte au Lac des cygnes de Nouréev que j'ai voulu reprendre à Vienne. Le Wiener Staatsballett n'avait plus les droits, et la fondation Noureev exigeait que la scénographie soit entièrement revue, elle ne voulait plus des anciens décors et costumes. J'ai donc demandé à Luisa Spinatelli de se charger de ce travail. Cette nouvelle production a été une réussite et a eu beaucoup de succès auprès du public viennois. Le soir de la première, il y avait un dîner officiel, et Luisa Spinatelli m’a demandé à ce moment-là quels étaient mes projets en matière de ballets classiques. Je lui ai répondu que j’envisageais de faire Le Corsaire, qui était pour moi l’un des grands titres qui manquaient à Vienne, même s’il est beaucoup dansé ailleurs. Elle m’a alors dit qu’elle avait justement travaillé à un projet de scénographie pour cet ouvrage, à la Scala, à l’époque où Frédéric Olivieri était directeur de la compagnie milanaise. Les dessins étaient quasiment achevés, mais entre temps, Frederic Olivieri avait quitté la troupe de ballet pour s’occuper de l’école de danse de la Scala, et le projet était tombé à l’eau. Comme j’aime beaucoup son travail, j’en ai alors profité pour demander à Luisa si elle voulait participer à ma nouvelle production viennoise. Elle m’a rétorqué : «Mais qui va faire la chorégraphie»? Je n’étais pas vraiment décidé, je pensais que la version d’Anne-Marie Holmes pouvait, compte-tenu des danseurs dont je disposais, faire l’affaire. C’est une chorégraphie très démonstrative, vivante, virtuose, et j’avais des interprètes qui correspondaient à cela. Luisa Spinatelli m’a regardé et m’a répondu : «Je viens seulement à Vienne si c’est toi qui le fais». Ça m’a pris de court. J’étais très surpris. Dominique Meyer n’était pas loin, et il m’a dit : «Manuel, vas-y, prends ce nouveau challenge». Alors, j’ai pensé : «Finalement, pourquoi pas»? C’était une œuvre qui était a priori assez éloignée de moi, et que je pouvais donc aborder avec une certaine fraîcheur, une certaine naïveté, sans avoir le lourd poids d’une tradition sur les épaules. Je me suis donc lancé comme ça, ce n’est pas du tout un projet que j’avais dans la tête depuis quinze ans. J’ai eu un moment de panique quand je l’ai annoncé à la presse, je me suis dit : «Maintenant, tu ne peux plus reculer»! Je n’avais jamais fait un grand ballet classique, mais après tout… Je me suis convaincu moi-même, et aujourd’hui, je suis content que la première arrive bientôt.


Dominique Meyer, le directeur de la Wiener Staatsoper, était partant lui aussi? Vous avez dû négocier le budget?

Non. Il a tout de suite été d’accord. Depuis que je suis avec lui à Vienne, il me laisse carte blanche pour la programmation. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, c’est moi qui en porte toute la responsabilité. Il n’y a pas un spectacle qui m’ait été imposé.


Les pas de ce nouveau Corsaire seront-ils créés autour de danseurs particuliers? Avez-vous déjà la distribution en tête?

L’un des points fort du ballet de Vienne, c’est qu’il y a des danseurs très différents les uns des autres. Je vais donc certainement adapter la chorégraphie en fonction des interprètes. Certains peuvent penser que cette diversité n’est pas une qualité, moi je suis persuadé que c’en est une. J’ai des personnalités et des gabarits complètement différents. De Denys Cherevychko à Vladimir Shishov et Robert Gabdullin – sans oublier quelques jeunes aussi -, j’ai toutes les tailles, toutes les morphologies. Et surtout pour les variations solistes, je ne cherche pas non plus à imposer une chorégraphie intangible, j’aime laisser une petite marge d’interprétation. D’ailleurs, à ce propos, je voudrais rectifier des choses inexactes qui circulent. On entend toujours dire que dans les versions Noureev des grands ballets classiques, il faut faire comme ceci ou comme cela. Eh bien, non! il peut y avoir des variantes. A la création de La Bayadère, Laurent Hilaire et moi avions chacun notre version pour la variation du deuxième acte. Ce n’était absolument pas figé comme certains l’imaginent aujourd’hui.

Moi aussi, j’essaye de créer des pas clairs, mais je laisse également une certaine liberté. Et là, en plus, je suis encore dans une phase de travail, j’observe comment les danseurs réagissent, et je n’ai pas encore d’avis définitif. Pour moi, c’est une première expérience, ne l’oublions-pas…


Est-ce que le danseur Manuel Legris n’a pas quelques regrets? Vous ne vous dites pas «c’est quelque chose que j’aurais aimé danser moi-même»?

Non, absolument pas. J’étais toujours très conscient de ce que je pouvais faire, et aussi de ce que je ne pouvais pas faire. C’est une notion qui se perd un peu maintenant, mais je suis persuadé qu’on a des types, des emplois, qui évoluent d’ailleurs avec l’âge : lorsqu’on approche de la retraite, si on gère intelligemment sa carrière, on peut passer à des rôles de caractère, on peut évoluer artistiquement. Mais bon, moi, quand j’avais vingt ans, j’étais davantage un Des Grieux , un Roméo qu’un Spartacus, donc clairement, Le Corsaire ne m’a jamais fait rêver en tant qu’interprète. Ce n’était pas pour moi. Conrad, c’est un rôle héroïque. Déjà, en ce qui me concerne, Solor, c’était vraiment limite. Je ne l’aurais jamais dansé si Noureev n’avait pas voulu m’y distribuer. Je suis très content pour mes danseurs à Vienne, car Conrad, c’est fait pour eux.


Vous allez travailler avec le chef Valery Ovsyanikov?

Oui, nous n’avons collaboré qu’à peu d’occasions jusqu’à présent, mais à chaque fois, il y avait de sa part une écoute particulière, il trouvait les bon tempi. Là, quand j’ai fait le découpage musical du Corsaire – ce qui a été un exercice compliqué pour moi – et que je suis allé le lui présenter, je n’étais pas très rassuré, je pensais qu’il allait tout critiquer, et en fait, il m’a immédiatement dit : «C’est bien». Ça m’a mis en confiance, surtout venant de la part d’un chef qui avait déjà dû diriger au moins cinq ou six versions différentes du Corsaire. Certaines des musiques que je lui ai soumises, il ne les avait jamais entendues pourtant. Il m’a demandé : «C’est d’Adam?» - «Oui, c’est d’Adam, et c’est dans Le Corsaire». Ça m’a rassuré et stimulé d’avoir son approbation et d’avoir même pu lui faire découvrir des choses. Je suis vraiment très content de travailler avec lui en tout cas. Valéry Ovsyianikov est déjà venu à Vienne pour un Gala Noureev, et j’ai aussi collaboré avec lui au Japon. Dans ce que je lui ai soumis, la seule chose qui ne lui plaisait pas, c’était la musique des Esclaves. Je n’étais pas très chaud pour non plus, et nous avons décidé de la supprimer. En revanche, il a été épaté par ce pas des Odalisques de L’Ecumeur des mers que mon pianiste avait retrouvé.


Remontons un peu le temps. Comment avez-vous été recruté à Vienne?

C’est Dominique Meyer qui m’a recruté. Il m’avait déjà contacté environ un an avant mon départ à la retraite. Je n’ai alors dit ni oui ni non. J’étais encore fortement impliqué dans mon activité à l’Opéra de Paris, et je ne m’inquiétais pas trop pour mon avenir, car on m’avait également proposé un poste de maître de ballet. Je me posais des questions par rapport à l’endroit [déménager à Vienne], par rapport à la langue, beaucoup de petites choses me bloquaient. Peu avant ma soirée d’adieux, j’ai repensé à tout cela, je me suis dit que tant qu’à faire, pourquoi ne pas être directeur d’une compagnie, cela me donnerait une grande liberté, et Vienne est une belle ville, avec un théâtre magnifique. Certes, je ne connaissais pas tous les danseurs de la troupe, mais ils étaient quand même quatre-vingt à la Staatsoper, auxquels venaient s’ajouter vingt-quatre autres à la Volksoper. En restant à l’Opéra de Paris, je n’aurais pas pu prendre le même recul, et là, ça me permettait de découvrir d’autres gens. Je suis retourné voir Dominique Meyer, sans savoir si le poste était encore vacant. Il m’a répondu : «J’étais persuadé que tu finirais par accepter, le poste est pour toi». Trois jours après, on a annoncé officiellement ma venue à Vienne. Mais comme on était limite question délais, j’ai signé le contrat sans même vraiment me préoccuper de ce qu’il y avait dedans!


Est-ce que les liens qu’entretenait Rudolf Noureev avec l’Opéra de Vienne - il avait chorégraphié pour la compagnie de ballet, et possédait la nationalité autrichienne – ont compté dans votre décision d’accepter la proposition de Dominique Meyer?

C’est compliqué. Bien sûr, pour toute une génération de danseurs, Noureev, c’est une grande histoire. Mais j’ai aussi vécu des moments importants avec d’autres personnalités. Je ne veux pas non plus prétendre que toute mon histoire personnelle, c’est Noureev. De toute façon, Vienne, c’est un théâtre où je m’étais déjà produit beaucoup en tant qu’invité, je connaissais les lieux, l’ambiance. Je savais également que ce serait difficile, mais les choses difficiles ne me font pas peur. Dans la vie, il faut savoir y aller!

Donc Noureev n’a pas compté plus que cela dans ma décision d’aller à Vienne. En revanche, une fois dans le poste, j’ai tout de suite pensé à ce projet de Gala Noureev annuel. On a d’ailleurs tenté de m’en dissuader. Les gens me disaient, les galas, à Vienne, cela ne marchera pas, il y en a déjà eu beaucoup trop. J’ai répondu que Neumeier, à Hambourg, avait bien réussi à imposer son Nijinski Gala. S’il y a un concept et du contenu, cela peut, en fin de saison, permettre de s’ouvrir à de nouveaux artistes, à de nouvelles œuvres. Et le succès a été au rendez-vous, à chaque fois, il ne reste plus une place de libre. Le Gala Noureev est devenu une institution, comme le concert du Nouvel An. Cela me fait plaisir en tous cas que Noureev, après tout ce qu’il a fait à Vienne, ait un spectacle qui soit dédié chaque année à sa mémoire.

Liudmila Konovalova (Gulnare) - Kirill Kourlaev (Lankhedem)

Liudmila Konovalova (Gulnare) - Kirill Kourlaev (Lankhedem)

Vous étiez danseur, vous vous retrouviez directeur de compagnie, avec tout ce que cela implique de travail administratif, de bureaucratie. Le choc n’a-t-il pas été trop brutal?

Non. Cela faisait des années que je m’occupais de mon groupe de danseurs [à l’Opéra de paris]. Je savais ce que c’était de monter une programmation, de faire travailler des gens ensemble. Depuis l’âge de trente ans je m’étais confronté à ce genre de problèmes : établir un budget, gérer les questions de droits d’auteur… A Vienne évidemment, on passe à une autre échelle, les montants ne sont pas les mêmes, l’effectif de la troupe est beaucoup plus nombreux. Mais cela reste fondamentalement le même travail. La principale difficulté, c’était plutôt d’apprendre à connaître les gens, à s’adapter au lieu…

Dominique Meyer m’a toutefois ouvert un boulevard, en m’offrant, pour ma prise de fonction, huit premières, ce qui s’est avéré beaucoup trop en une seule saison d’ailleurs. D’un côté, c’était génial, car j’avais tout d’un coup la possibilité de monter huit programmes, alors qu’auparavant, il y en avait deux par an. Mais, avec le recul, j’ai conscience que pour les danseurs, c’était beaucoup trop. Ils ne pouvaient assimiler autant de ballets dans autant de styles différents en si peu de temps. Mais cela a aussi été un formidable stimulant. C’est vrai, la première saison, il ne fallait pas être trop regardant sur la perfection technique et stylistique, il y avait certainement des soirs où c’était moins bien, parfois même franchement «limite», mais il y a aussi eu de très bonnes représentations. Il fallait en passer par là, c’était nécessaire pour la compagnie, à ce stade de son évolution. Et j’ai eu la chance de pouvoir le faire.

Avec le recul, je me dis que j’ai commencé à obtenir quelque chose de vraiment satisfaisant au bout de la troisième année. Quand on est directeur, un mandat de trois ans, c’est par conséquent bien trop court si on a envie d’imprimer une marque, un style, une dynamique à la compagnie. Il faut du temps.


En tant que directeur, assumez-vous également un rôle de «maître de ballet»? Êtes-vous également présent dans les studios de répétition, au cours...?

J’arrive le matin à 8h30, et le soir, c’est moi qui éteins les lumières… Et je prends toujours la classe. J’en ai l’habitude depuis mon plus jeune âge, j’en ai besoin. Au début, les danseurs trouvaient ça un peu bizarre, et se demandaient pourquoi le directeur prenait encore le cours. Pour moi, c’est indispensable, même sur le plan physique, pour me sentir bien. Donc j’arrive généralement à l’Opéra une heure avant le cours, je fais un peu de travail administratif, puis je prends la classe. Ensuite, ce sont les répétitions, auxquelles je consacre environ la moitié de ma journée. Et après, je retourne aux tâches de bureau. C’est lourd, c’est même un peu de la folie, mais en même temps, cela me convient, et je n’ai pas besoin de me forcer.

Au début, les gens, la presse même, me suspectaient de vouloir «importer l’Opéra de Paris» à Vienne. Dans un premier temps, c’est vrai, c’était plus facile, plus sécurisant pour moi de programmer des œuvres, des chorégraphes que je connaissais. Il me fallait aussi du temps pour découvrir, évaluer les danseurs. Au bout d’un an et demi, le public a été rassuré quand il a constaté qu’il y avait bien quinze ou vingt chorégraphes que j’avais invités et qui n’avaient jamais mis les pieds à l’Opéra de Paris. On m’a également accusé de vouloir mettre à la porte tous les danseurs russes de la compagnie. J’ai toujours adoré l’école russe, on aurait peut-être même pu penser que j’allais me débarrasser de tous ceux qui n’étaient pas russes! Parfois, les commentaires et les critiques sont un peu contradictoires…Là, j’entame ma sixième année à la direction de la compagnie, et je pense avoir maintenant prouvé mon ouverture d’esprit et montré qu’il n’en était rien de tout cela.


Quand vous êtes arrivé à Vienne, vouliez-vous vous situer dans la continuité de ce qu’avait fait Gyula Harangozó, votre prédécesseur, ou au contraire, marquer une rupture nette?

Je trouve que c’est absolument contre-productif de vouloir, lorsqu’on arrive, détruire tout ce qui a été fait précédemment. C’est vrai aussi pour l’Opéra de Paris, à ce que j’en lis [l’interview a été réalisée avant l’annonce du départ de Benjamin Millepied, ndlr] : on n’a pas besoin d’anéantir ce qui a été réalisé auparavant.

A Vienne, je dois remercier M. Harangozó de m’avoir laissé des danseurs formidables. Lorsque j’ai débarqué, les critiques, les spectateurs me disaient : «Oui, la programmation du ballet c’est un peu triste»… Moi je n’en savais rien. Mais ce que j’ai trouvé en ouvrant la porte, c’est Olga Esina, Maria Yakovleva et bien d'autres : des artistes d’un niveau incroyable. Certes, ils attendaient peut-être de danser davantage – la politique d’Harangozó, c’était d’avoir beaucoup de solistes invités – et j’ai tout de suive voulu montrer que les jeunes du corps de ballet, s’ils avaient du talent, pourraient au bout d’un an ou deux déjà, obtenir des rôles. C’est une chance que j’ai eu moi-même, donc… Mais à chaque interview, on essayait de me faire débiner ce qu’avait fait M. Harangozó. C’était pour moi hors de question. Il y avait peut-être des chorégraphes au répertoire que personnellement je n’aurais pas invités, mais chacun a ses goûts. Et il a dû faire avec les moyens qu’on lui donnait. A son époque, le directeur général de la Staatsoper, c’était Johann Holländer, qui n’aimait pas le ballet, et non Dominique Meyer, comme maintenant, qui, lui, aime le ballet. Ma situation est donc complètement différente de la sienne.

Ceci étant posé, en arrivant, ce qui est tout de même assez normal, j’ai commencé par faire ce que je connaissais : trente ans de carrière à l’Opéra de Paris, cela ne s’efface pas comme cela, et je n’allais pas non plus décider d’un coup de ne programmer que des chorégraphes que je ne connaissais pas. On ne peut pas faire table rase de tout son passé comme cela : je suis Français, j’ai été formé en France, j’ai travaillé avec certains chorégraphes à l’Opéra de Paris, ça laisse des traces. De même, je suis parfois interloqué qu’on tente de faire un trait – que ce soit sur votre blog, dans la presse ou ailleurs – sur vingt ans de Brigitte Lefèvre. On a tous eu de bons et de mauvais moments. Parfois, il arrive qu’on invite un chorégraphe de génie, que l’on adore, pour une création et au bout du compte, l’œuvre est ratée. On n’y peut rien. On peut aimer Wheeldon, Ratmansky, Ekman, on peut les inviter pour une création, on n’est jamais sûr de rien, ça marche ou ça ne marche pas. Roland Petit a fait des ballets magnifiques, d’autres étaient moins bons. C’est comme ça. Quand on est directeur, il y a aussi une part d’imprévu, de chance, quand on fait la programmation!


Le public viennois, tant pour le lyrique que pour le ballet, a la réputation d’être plutôt difficile. Avez-vous dû l’affronter et êtes-vous allé à sa rencontre pour expliquer votre politique artistique?

Pas vraiment. En fait, j’ai eu la chance d’avoir une adhésion assez rapide de la presse autrichienne, et nous avons eu, pour le ballet, de très bons articles. Nous avons réussi à fidéliser un public, qui se déplace maintenant aussi pour des spectacles plus «ardus», alors qu’au début, il était plus réticent. Là, il s’est déplacé pour des créations de Natalia Horecna ou d’Alexander Ekman, si j’avais programmé cela lors de ma première saison, la salle aurait été a moitié vide. Je pense que le public apprécie aussi la qualité des danseurs. C’est quelque chose dont je suis fier, je peux l’affirmer, j’ai de très bons danseurs à Vienne.

Liudmila Konovalova (Gulnare) - Kirill Kourlaev (Lankhedem)

Manuel Legris, avec Chantal Lefèvre (répétition du Corsaire)

Recrutez-vous tous azimuts ou privilégiez-vous les danseurs formés à l’école de danse du Wiener Staatsballett? Avez-vous mis en place une sorte de «filière» de recrutement analogue à celle de l’Opéra de Paris?

Sur le papier, je suis également directeur de l’école de danse justement. Je ne veux pas dire que je suis un «directeur fantôme», mais je ne peux pas tout faire, et à l’école de danse, j’ai placé Simona Noja [ancienne soliste du Staatsballett de Vienne ). C’est elle qui gère de facto l’école, même si, dans mon contrat, il est stipulé que je suis directeur du ballet à la Staatsoper, à la Volksoper et à l’école de danse! Je n’interviens qu’en cas de problème. Autrement, c’est Simona Noja qui s’occupe entièrement de l’école.

La distinction entre Staatsoper et Volksoper, c’est aussi une chose qui a été un peu difficile à appréhender pour moi, quand je suis arrivé à Vienne. C’est très compliqué. A Paris, on dirige une compagnie. Ici, je dois me dépatouiller avec deux directeurs [Dominique Meyer à la Staatsoper, Robert Meyer - sans lien avec le précédent – à la Volksoper, ndlr], plus l’école de danse. Cela fait vraiment beaucoup pour un seul homme!

Pour en revenir à Simona Noja, elle fait vraiment du bon travail, et depuis que je suis à Vienne, j’engage chaque année deux à trois élèves au Ballet de la Staatsoper ou à la Volksoper. Il existe maintenant une vraie relation avec l’école, comme à l’Opéra de Paris. Je ne dis pas que nous ayons atteint le même niveau, mais il y a de très bons éléments. Je pense notamment à Natascha Mair et à Jakob Feyferlik, que j’ai pris à leur sortie de l’école il y a trois ans. Là, ils viennent de danser les rôles principaux [Lise et Colas] dans La Fille mal gardée. Ils ont été formidables. Pour moi, c’est aussi un bonheur d’avoir pu recruter ainsi de jeunes Autrichiens issus de l’école. Quand je l’ai engagé, Jakob Feyferlik avait seize ans et demi, il en a maintenant dix-neuf, et il a déjà un niveau exceptionnel. C’est l’un de mes futurs solistes, cela ne fait aucun doute. En plus des recrutements directs à l’école, j’organise une audition annuelle, qui vient de se tenir. Les meilleurs candidats viennent en général de la Scala et de la Royal Ballet School de Londres. Malheureusement, il n’y a pas trop de Français. Le problème n’est pas que leur niveau soit insuffisant, mais ils visent prioritairement l’Opéra de Paris, où l’audition est en juin. Donc ceux qui se présentent à Vienne, si je veux les embaucher, c’est toujours sous réserve qu’ils ne soient pas finalement pris ensuite à l’Opéra de Paris. Je ne peux pas me permettre de patienter jusqu’en juin ou juillet, au risque de manquer de danseurs pour débuter la saison en septembre. Donc, avec les Français, la conjoncture ne facilite pas les choses.


Suivez-vous des concours internationaux comme le Prix de Lausanne?

j’ai toujours eu des contretemps qui m’ont empêché de m’y rendre. Cela correspond toujours à une période d’activité importante à Vienne, avec notamment le Bal de l’Opéra, ce qui rend les choses un peu compliquées.


Justement, êtes-vous parvenu à vous adapter à ces traditions viennoises telles que le Bal de l’Opéra?

Oui, de toute façon, je n’avais pas le choix. Cela fait partie du jeu. On y accorde peut-être trop d’importance - l’image de Vienne est toujours liée à ce fameux concert du Nouvel An -, mais pour moi, ce qui compte avant tout, c’est le travail accompli avec la compagnie. C’est aujourd’hui une belle compagnie classique. Et contemporaine, car j’ai aussi des danseurs parfaits pour des créations contemporaines.


Et le public vous suit aussi maintenant lorsque vous programmez des œuvres actuelles ?

Oui. A la Staatsoper, on atteint un taux de remplissage de plus de 98%, et à la Volksoper, il n’est pas loin de 90%. Au début, j’ai eu quelques difficultés à appréhender les particularismes du public de la Volksoper. Mon idée initiale était d’utiliser la Volksoper pour programmer des pièces plus contemporaines. Cela s’est avéré une erreur. En fait, le public de la Volksoper était plus familial que celui de la Staatsoper, et demandait du divertissement, des choses plus légères. D’un autre côté, si j’avais mis par exemple Le Secret de Barbe-Bleue [Blaubarts Geheimnis, ndlr] de Stephan Thoss à l’affiche de la Staatsoper, vu le prix des places – dans les 135 € -, ça n’aurait pas marché non plus. J’ai donc dû m’adapter. Je ne fais pas à 100% ce que je veux, il y a des chorégraphes que j’aimerais avoir, mais je ne peux pas tous les programmer la même saison, je dois opérer des choix si je veux que cela «passe» auprès du public. Chaque compagnie a ses spécificités, et si j’étais directeur ailleurs, je ne dirigerais pas de la même façon qu’à Vienne, c’est clair. Il faut s’adapter.


Quel a été votre plus beau succès à l’Opéra de Vienne?

D’abord, la qualité de travail avec les danseurs. Il y a une ambiance de travail positive, les danseurs voient que je donne le maximum, et ils donnent également le meilleur. Je suis très fier de cela, car j’aurais tout aussi bien pu me retrouver face à des gens qui n’adhéraient pas à mon projet artistique et à mes choix de programmation. Les chorégraphes invités, lorsqu’ils pénètrent dans les studios, le perçoivent également, il y a une ambiance, je n’ose dire, presque familiale. Je comparerais ça à ce que je ressentais quand je dansais – assez souvent – en invité à Stuttgart, du temps de Marcia Haydée. On se sentait bien, on avait envie de bien danser. Cela tenait sans doute à la personnalité de Marcia Haydée. Il y avait quelque chose dans l’air qui faisait qu’on était à l’aise. A Vienne, c’est un peu pareil. Les artistes invités du gala Noureev, par exemple, sont toujours très heureux de venir.

Et la seconde chose dont je suis fier, c’est d’avoir su tenir mon rang de directeur. Je suis devenu un vrai directeur de compagnie, ce qui n’était pas forcément le cas au moment où j’ai signé mon contrat. En tous cas, j’ai le sentiment de ne pas m’être trompé en choisissant cette voie. Au début, évidemment, j’avais des interrogations par rapport à cela. Maintenant, avec Le Corsaire, mes interrogations concernent plutôt mon aptitude à la chorégraphie.


Vous avez eu, en tant que danseur, une carrière prestigieuse. Est-ce que cela vous confère une certaine autorité, une certaine légitimité face à la compagnie?

Autorité, je ne sais pas, respect en tous cas. Je suis très proche d’eux, mais il subsiste aussi une forme de respect, de distance. Je trouve cela agréable. Donc, oui, respect eu égard à ma carrière, mais aussi parce qu’ils voient que je ne suis pas là juste pour moi, je suis là pour eux. C’est une nuance subtile, mais cela fait une grande différence dans l’approche du travail, dans ce qu’ils peuvent me donner et dans ce que je peux leur donner. C’est un petit détail, mais il est révélateur. Quand Dominique Meyer m’a fait signer mon contrat, il m’a dit «Tu sais, là, tu ne vas plus danser, je veux un directeur qui soit vraiment un directeur». Je lui ai dit que j’en avais parfaitement conscience, que je ne ressentais aucune frustration par rapport à cela. Mais un an après avoir vu le travail accompli, Dominique Meyer est venu vers moi pour me demander : «Et pour le Bal de l’Opéra, tu ne veux pas danser? Le public te demande, ils te voient avec la compagnie…». Je n’avais pas spécialement envie de re-danser, mais comme j’avais toujours la condition physique, je me suis dit que si c’était vraiment nécessaire pour cet évènement, pourquoi pas? Mais bon, il était évidemment hors de question que je redevienne un danseur au Ballet de Vienne. En raison de ma proximité avec Noureev, je me suis également produit dans le gala qui lui est dédié à l’Opéra de Vienne. Mais je ne suis pas sûr de continuer cette année. Jusqu’à présent, il y avait des pièces que je pouvais encore danser, mais je ne vais pas non plus m’accrocher jusqu’à soixante-dix ans! En tout cas, cela s’est passé assez naturellement. Il y a des étapes dans la vie, quand j’ai fait mes adieux à l’Opéra de Paris, j’étais très heureux de pouvoir partir à 44 ans en dansant encore un ballet en trois actes, Onéguine. Là, je suis directeur, mais cela ne veut pas dire que je ne ferai pas autre chose encore dans quelques années.


Votre contrat à Vienne court jusqu’à quand?

Là, je viens de signer jusqu’en 2020. Le mandat de Dominique Meyer se terminera en même temps. Très honnêtement, je me suis posé la question de savoir si je devais rester ou pas. Je pensais tout de même à mon pays, jusque-là, j’avais fait toute ma carrière en France, cela a impliqué des changements dans ma vie personnelle, et il y a eu par moment une certaine nostalgie, ce qui, je crois, est tout à fait normal. Mais ce qui a emporté ma décision, ce sont les danseurs. Une fois qu’on a déjà passé cinq ou six ans dans une compagnie, on a vraiment «ses» danseurs, il y a toute une génération d’artistes qu’on a soi-même choisis et préparés. A l’échéance de mon contrat initial, je n’avais d’abord rempilé que pour deux ans. Mais les gens commençaient à parler, à se poser des questions pour l’avenir, et Dominique Meyer m’a poussé à me décider. Je lui a dit d’accord, j’avais envie de voir grandir les danseurs que j’avais engagés, et je suis heureux de voir les plus jeunes arriver maintenant dans des rôles principaux même s’ils n’ont pas encore la maturité de la génération précédente.


Est-ce que l’Opéra de Paris vous trotte encore dans la tête?

Non. J’ai été sollicité pour un entretien au moment de la succession de Brigitte Lefèvre, mais c’était alors inenvisageable pour moi. Je venais d’accomplir ma troisième année à Vienne, et je n’étais pas arrivé au bout de ce que je voulais faire là-bas. Ce n’est pas dans mon tempérament de faire les choses à moitié, je voulais aller au bout de mon projet. Et Vienne a été pour moi une expérience bien plus riche que si j’étais resté à l’Opéra de Paris. Je ne connaissais pas les danseurs, je ne connaissais pas le public, j’ai dû partir de zéro. J’y ai appris cent fois plus de choses. Vienne, quelque part, c’était beaucoup plus compliqué pour moi, avec les deux théâtres et leurs deux directions différentes. J’ai quatre-vingt spectacles par an à gérer, sur les deux scènes, plus les tournées, les jeunes chorégraphes, les jeunes danseurs… C’est énorme mais cela me convient, cela me stimule.


Est-ce qu’on va bientôt revoir le Ballet de Vienne en France?

Oui, j’ai des projets dans ce sens. Je ne peux pas encore donner de détails, car les contrats ne sont pas encore finalisés, mais oui, on devrait revenir en France.


Verra-t-on un jour le Ballet de l’Opéra de Vienne au Palais Garnier?

Dans la conjoncture actuelle, c’est difficile. Je ne pense pas que Benjamin Millepied ait eu l’intention de nous inviter [l’interview a été réalisée avant l’annonce de la démission du Directeur de la danse de l’Opéra de Paris, ndlr]. Mais sur le fond, je trouverais cela légitime que le ballet de l’Opéra de Vienne se produise à l’Opéra de Paris, très honnêtement.


Sans dévoiler vous saisons à venir, y a-t-il des œuvres que vous aimeriez particulièrement monter à Vienne?

Difficile à dire. L’une de mes ambitions, que je ne peux pas satisfaire pour le moment compte tenu des moyens dont je dispose, serait une création complète, avec un grand chorégraphe, d’un nouveau ballet en trois actes. Mais cela demande deux à trois mois de répétitions, et en l’état actuel des choses, c’est impossible. Ce n’est pas une question d’argent d’ailleurs, c’est lié au fonctionnement, à l’organisation de l’Opéra de Vienne. Je dois assurer des premières, des créations à la Staatsoper et à la Volksoper, et les emplois du temps imposés aux danseurs deviennent insensés. Cette année, à Noël, on travaillait sur quatre productions simultanément : La Fille mal gardée d’Ashton, Verklungene Feste/Josephs Legende de Neumeier, La Reine des Neiges [Die Schneekönigin, chorégraphie de Michael Corder, ndlr] et un spectacle «Jeunes danseurs» [«Junge Talente des Wiener Staatsballetts» ndlr]. Si, par exemple, à ce moment-là, il fallait encore préparer une Première [création ou entrée au répertoire, dans les théâtres d’expression germanique, ndlr] pour le mois de mars, ce serait irréalisable. Donc il y a certains grands projets que je ne pourrai pas mener à bien en raison de ce genre de contraintes.

Et je ne voulais pas non plus tenter un «passage en force», en exigeant, lors de la reconduction de mon contrat, qu’on cesse de donner des spectacles à la Volksoper. Je sais pertinemment que Dominique Meyer n’aurait pas pu me donner satisfaction sur ce point, compte-tenu des engagements qui le lient lui-même. Je n’allais pas faire la révolution, me battre avec les syndicats et compromettre tout le travail déjà accompli juste pour une utopie. Sinon, dans le domaine du réalisable, il y aura Daniel Proietto, du Ballet de Norvège, à Oslo, qui fera une création pour nous la saison prochaine. Mais évidemment, il me manquera la possibilité de bloquer trois mois, pour monter un grand ballet ex nihilo, comme on peut le faire à l’Opéra de Paris. Ici, quand on reprend un ballet, on n’a même pas forcément le temps de répéter en scène, on va directement au spectacle, et parfois, il faut s’accrocher. Les danseurs découvrent le soir même par quel côté ils doivent entrer, n'ont pas le temps de tester les maquillages, les costumes. C’est ça aussi, Vienne, il faut le savoir! Au début, ça m’a un peu perturbé, mais on s’y habitue.





Manuel Legris - Propos recueillis par Romain Feist

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Affiche Le Corsaire Vienne






Entretien réalisé le 23 janvier 2016 à Paris - Manuel Legris © Dansomanie


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