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Sara Renda - Neven Ritmanic : conte de fée à la bordelaise
15 janvier 2016 : rencontre avec Sara Renda et Neven Ritmanic (Ballet de Bordeaux)
Sara
Renda vient d'être nommée Etoile du Ballet National de
Bordeaux, à l'occasion de la récente reprise de La Belle au bois dormant de Charles Jude. Neven
Ritmanic, lui, attend encore son heure, mais déjà, on lui
a confié le rôle masculin principal de cette production
à grand spectacle, ce qui augure bien de son avenir. Ces deux
jeunes artistes, aujourd'hui sous les feux de
l'actualité, ont accepté de se confier à
notre correspondante Gabrielle Tallon pour un entretien croisé.
Sara Renda et Neven Ritmanic
Vous avez tous les deux 24 ans et vous avez fait vos débuts dans les
rôles principaux de La Belle au bois
dormant ce mois-ci. Comment vous a-t-on proposé ces rôles? Avez-vous été
surpris?
Sara Renda : Je
n’ai pas été très surprise :
j’étais Première danseuse et j’avais
déjà dansé des rôles principaux, par exemple
dans Casse-noisette. Je
m’attendais à danser Aurore - je n’étais pas
sûre, mais quand [Charles Jude] m’a dit que j’allais
le danser, j’étais super contente, et surtout
d’avoir ce rôle-là, aux côtés de Roman
Mikhalev [danseur étoile de l’ONB, ndlr]. Je voulais le
danser! Charles Jude est venu me voir, m’a dit “Je te vois
bien dans ce rôle” et m’a proposé de le danser.
Neven Ritmanic : Moi,
je l’ai appris sur la grille de distribution. Je ne m’y
attendais pas forcément, étant donné que ce
n’est pas mon registre de base. D’habitude, on me
“case” plutôt sur le Chef des gitans dans Don Quichotte, Rothbart [Le Lac des Cygnes], Mercutio [Roméo et Juliette]...
J’ai vu sur la grille que j’étais distribué -
surprise! Au début, on ne connaît pas les dates, on sait
juste si on le fait ou si on est remplaçant.
J’étais tout de suite titulaire. On a su ça juste
avant de partir en Russie, mi-octobre [2015], un mois et demi avant le
début des représentations.
Comment se sont
passées les répétitions ensuite? Qu’est-ce
qui a été le plus dur techniquement, artistiquement?
Sara Renda :
Les répétitions ont bien commencé - et se sont bien
terminées. C’était dur parce que j’ai un
caractère très fort, comme Neven, et pour Aurore, je
devais faire tout le contraire. Être très fluide,
très calme, pas statique mais avoir des positions nettes.
C’était un bon travail d’apprendre tout ça.
Et je me suis très bien entendue avec Charles Jude. Il aide
vraiment énormément ; et surtout, il insiste sur tout,
des premiers pas pour entrer sur scène jusqu’aux yeux, au
bout des mains. Ce que j’ai le plus travaillé, ce sont les
bras, le haut du corps. Surtout au troisième acte, il faut avoir
des positions claires, les bras très en bas... il faut
être parfait!
Neven Ritmanic : Pendant
les répétitions, et c’était assez
constructif, il y avait Roman [Mikhalev] et Sara qui
commençaient, et nous qui reprenions. On a commencé par
le troisième acte dans l’ordre, c’était la
première répétition qu’on a faite. On
était trois casts et on répétait tous les trois
tous les jours. On avait vraiment le temps, pour ma part je pouvais
voir Roman et Oleg [Rogachev] avant, prendre tout ce qu’il y
avait à prendre. Très rapidement, on a attaqué le
deuxième acte, qui est monstrueux pour le garçon! Roman
m’a raconté que la première fois qu’il
l’a dansé, à la fin de la variation, il était
en train de crever. Et j’ai compris pourquoi…
On l’a beaucoup travaillé, [Charles Jude] a fait les
choses petit à petit sans nous mettre la pression. J’avais
jusque là dansé des rôles assez abordables,
impromptus, où l’on n’a pas toute l’attention
sur soi, c’est assez facile. Là, ce n’est pas pareil
! Mais ça a été agréable, il a construit
les choses très intelligemment. Il n’y a pas qu’une
série de pas, il faut tenir deux heures et demie, donc avoir le
physique et aussi le mental. Si ça ne se passe pas comme on
veut, si on est fatigué, il faut le faire quand même. Le
travail de Charles est très malin, très
réfléchi. Il est très dur parfois, notamment un
jour où il nous a demandé d’enchaîner toutes
les variations de l’acte 2... Roman l’a fait,
c’était parfait. Ensuite il me demande de le faire - je
fais l’entrée, ça passe, la chasse, j’ai mal
mais ça passe, et en plein milieu de la lente, je crampe,
impossible ; j’ai dû m’arrêter ce
jour-là, il y avait une répétition de
l’Oiseau bleu que je n’ai pas faite jusqu’au bout.
Mais apprendre derrière Roman (et j’imagine pour Sara
danser avec lui), c’est un puits de connaissance absolument
incroyable.
Dans le travail, j’ai essayé de ne pas être moi. Le
gros bagage technique, les séries d’entrechats sept,
j’aime ça, c’est facile. J’ai essayé
d’être un prince. Je suis, disons, plutôt un danseur
de demi-caractère, et il fallait me transformer en prince.
C’est ce qui a été le plus dur. Se tenir, se
placer, ne pas aller trop vite, et même gérer
l’excitation de la première fois : on a tellement
d’adrénaline, on contrôle à moitié ce
qu’on fait! Charles voulait quelque chose de classe, de noble,
à la limite du nonchalant. Les ports de bras, de
tête… Ce n’est pas tout à fait dans mon
tempérament, je suis plus du genre à exploser partout
tout le temps!
Vous n’avez pas dansé ensemble cette année, mais
vous aviez dansé ensemble le pas de deux de l’Oiseau bleu
en 2012…
Neven Ritmanic : C’était
la seule fois, je crois… Non, le pas de trois du Lac on l’a
fait ensemble aussi, mais c’était deux pirouettes et demi!
[rires] Pour l’Oiseau bleu, on n'était que
remplaçants au départ, on ne devait même pas le
faire.
Sara Renda :
… et j’avais dit “Non, Neven, on va danser!”
Il fallait montrer qu’on en était capables. On
répétait le soir jusqu’à 21h. Et finalement,
on a fait partie du deuxième cast.
Neven Ritmanic : On a travaillé dur et ça a marché, c’est agréable.
Sara Renda :
Oui, et je m’étais sentie très bien. L’Oiseau
bleu, c’est pétillant, très actif, et on avait une
bonne énergie ensemble. Le public avait beaucoup aimé. Ce
soir je vais encore danser l’Oiseau bleu, mais avec Austin [Lui].
J’aurais aimé danser aussi avec Neven!
Comment le courant
est-il passé avec vos partenaires respectifs cette année?
Neven, on est particulièrement frappé par votre assurance
dans les pas de deux.
Sara Renda :
Avec Roman, je me sens très bien : au niveau de la technique, du
partenariat et sur le plan personnel. On ne peut pas se trouver mal
avec lui. Petit à petit, on monte en puissance, et
j’espère que le 31 [décembre 2015] ce sera un feu
d’artifice!
Neven Ritmanic :
J’adore l’adage, j’adore le pas de deux. Dans le
deuxième acte, c’est dur parce qu’on est
déjà depuis longtemps sur scène, on ne sent plus
ses bras quand on commence l’adage. Mais ce n’est pas
l’un des plus compliqués qu’on ait fait, et Diane
[Le Floc'h] est une partenaire facile, c’est un peu comme Sara,
elle danse toute seule aussi donc ça marche sans
problème. On a beaucoup travaillé. Charles était
un monstre en adage, donc en tant que garçon, j’apprenais
absolument tous les jours. Il est très athlétique, mais il
a une technique d’adage qui n’est plus vraiment transmise -
que j’ai notamment acquise grâce à mon maître
Attilio Labis. Si j’avais l’air aussi sûr,
c’est parce que Charles est très précis. En fait,
on travaille beaucoup les adages avec lui ; les variations presque un
peu moins. On sait danser tous seuls, mais le pas de deux est
très important et il a tellement de bons conseils à
donner…
Auriez-vous un exemple précis en tête?
Neven Ritmanic : Il
est exigeant, il demande des choses très dures qu’il faut
essayer, quitte à se casser la figure - mais s’il le dit,
c’est qu’on peut le faire, donc on le fait! Je me souviens
d’avant la première représentation scolaire,
où l’on faisait le troisième acte avec Diane. A la
toute fin de l’adage du troisième acte, on se
détourne, on revient l’un vers l’autre, on fait un
posé pirouette - à ce moment-là, on est
fatigué, on en a plein les jambes. Et juste avant le lever du
rideau, Charles me dit : “Mets-toi bien à gauche
d’elle, et laisse-la tourner de son côté.”
D’habitude c’était un peu laborieux, et ce
jour-là ça a tellement bien marché! Et
c’était une correction dix minutes avant.
Charles nous fait aussi travailler tous les angles, à chaque
porté, être en diagonale et pas de profil… Il
connaît, il faut vraiment juste le suivre. Et puis il a
l’œil, il prend le temps d’adapter en fonction de
chaque danseur : on n’a pas tous les mêmes proportions. Par
exemple, Sara est très souple, ce qui fait que les lignes avec
le
partenaire doivent être différentes : si le partenaire est
juste derrière, on ne le voit plus… Avec d’autres
ce sera différent, en fonction des lignes de jambes. Cela change
aussi tout au long de la création ; début octobre, il
proposait des choses, puis voyait que ça ne marchait pas, donc
changeait progressivement. L’adage avec lui, c’est vraiment
intéressant.
Sara Renda
Sara, vous avez été nommée danseuse étoile le 15 décembre…
Sara Renda : Oui,
je n’arrive toujours pas à y croire! Qu’est-ce que
j’en pense… je me réveille le matin et c’est
toujours moi... Être étoile, c’était quelque
chose d’impossible! L’année dernière,
j’avais quand même été nommée
Première danseuse. Il s’est passé un an et dix
jours entre les deux évènements. C’est incroyable,
je n’ai pas les mots. Un rêve. Je pense que tous les
danseurs et danseuses en rêvent, c’est le top d’une
carrière.
Je ne m’y attendais pas du tout. J’étais vraiment
concentrée pour bien faire la Première -
c’était quand même beaucoup de responsabilité
de faire la première d’une série. Mais quand je
suis montée sur scène, j’étais vraiment
Aurore, je ne pensais à rien, ni à ce qui se passait dans
les coulisses, ni derrière moi. Je regardais mes quatre princes,
puis mon prince, et j’étais vraiment concentrée.
Quand Charles Jude et Thierry Fouquet sont rentrés, je me suis
dit qu’ils allaient dire quelque chose, merci au public…
Mais quand j’ai entendu “nomination” je me suis dit
que Roman était déjà étoile, que
d’habitude ce sont quand même les gens qui dansent le
premier rôle qui sont nommés… Après
j’étais dans les étoiles, c’était
incroyable.
Revenons sur vos débuts. Vous avez tous les deux
été dans de grandes écoles de danse,
l’École de la Scala de Milan et l'École de danse de
l’Opéra de Paris. Comment avez-vous vécu cette
scolarité?
Sara Renda : Quand
j’ai commencé, j’avais dix ans et demi.
J’étais toute petite, j’ai laissé ma famille
en Sicile et j’ai fait huit ans d’école.
C’était intense, dur, surtout pour moi qui suis
très proche de ma famille. Mais petit à petit, j’ai
commencé à comprendre que je voulais faire ça. Et
du coup, je n’ai pas lâché. Je voulais vraiment
terminer. Mais il y a eu des moments fragiles. Au tout début, ma
mère prenait l’avion dès qu’elle
m’entendait pleurer au téléphone : si le jeudi je
pleurais, le vendredi elle était déjà à
côté de moi ! Après, quand on aime faire quelque
chose et qu’on veut transformer ça en métier,
c’est facile. Et si on y arrive, ce n’est pas fatiguant!
Dès que je suis entrée à l’école, je
savais que je voulais en faire mon métier.
Neven Ritmanic : J’ai
fait toute l’école de danse à l’Opéra.
Ça a été très dur, surtout
psychologiquement. On est souvent mis sous pression. Après, il y
a des moments incroyables comme le spectacle de l'École.
Rétrospectivement, j’en suis très fier et je me dis
“Mais comment j’ai pu faire ça?”. Mais
ça a été très dur. J’ai toujours été externe, c’était hors de
question que je reste à l’internat, j’avais vraiment
besoin de rentrer chez moi, voir mes frères et soeurs, voir la
vraie vie, décrocher. Mes parents étaient vraiment
là tous les soirs pour me recadrer, dire parfois que ce
n’était que de la danse, et me soutenir.
Cette école est difficile à tenir : les examens tous les
ans, les copains qui partent… Et puis c’est dur de se
construire : on est un enfant, puis un adolescent, puis on commence
à devenir adulte - on essaie de découvrir qui on est et
puis on nous met dans un moule. Je n’ai jamais vraiment
trouvé ma place dans cette école - ça s’est
toujours bien passé, et avec Elisabeth Platel aussi, elle a
été très délicate avec moi, mais je
n’étais pas le prototype exact. Parfois, quand j’y
repense, je me demande ce que je fichais là. Je ne rentre dans
aucun code, aucun critère, aucun moule. C’est pour
ça que c’était si dur : je savais que je
n’étais pas exactement comme il fallait. Et après
il fallait se détacher de tout ça, parce que souvent on
reste très “élève” en sortant de
l'École. On a du mal à se dire “Maintenant
libère-toi, danse! Deviens un homme, commence à danser
et fais-toi plaisir !”
Je me suis dit que je voulais être danseur quand j’avais 16
ans. La seconde division a été la plus dure de toutes, et
quand elle s’est terminée et que je suis passé en
première division, je me suis dit : “OK, c’est bon,
j’en suis sûr, je veux être danseur.” Jusque
là, ce qui me passionnait, c’était plutôt
l’exigence : comprendre ce milieu, comprendre cette danse. En
tant qu’homme, on ne comprend pas au début, on n’a
pas le physique pour le faire : on apprend la danse petit, on la
réapprend à l'École de danse parce que le corps
commence à changer, on commence à pouvoir faire des
choses ; et à 15-16 ans, quand on commence à être
armé, on apprend la danse d’homme - et là il y a
des choses vraiment intéressantes. C’est vers 16 ans que
je me suis dit qu’il y avait des choses qui me plaisaient
beaucoup.
Vous avez été un petit peu dans le corps de ballet ensuite?
Neven Ritmanic : J’ai
fait une année de surnuméraire à
l’Opéra, j’avais un contrat en même temps en
supplémentaire ici. On entre dans le domaine du politique, mais
je n’ai pas non plus trouvé ma place dans le corps de
ballet à Paris. Sur toute la saison, je n’ai
remplacé que quelques fois, sur le Lac des cygnes.
Tout le reste du temps je ne dansais pas. On attendait. Je
n’étais pas si mal classé que ça pourtant
[au concours d’entrée], mais je ne dansais pas du tout, et
je me disais “Mince, j’aime quand même bien danser et
je ne fais absolument rien!”
Ceci dit, cette année m’a permis de soigner toutes les
blessures accumulées à l'École, et de
réfléchir à ce que je voulais vraiment faire et
comment je voulais le faire. Mais je me suis vraiment dit que je
perdais mon temps et qu’il était hors de question que je
fasse ça trois, quatre, cinq ans. J’en connais qui ont
été plus patients que moi, et ça aurait
peut-être marché tôt ou tard, mais je ne trouvais
pas ma place. J’ai mis deux ans et demi à être
engagé en fixe, car il n’y avait pas de poste de titulaire.
Mais même en n’étant que supplémentaire,
j’ai eu la chance de danser l’Oiseau bleu avec Sara…
Sara Renda : Je
suis rentrée directement à Bordeaux. Pendant que
j’étais à l’École de la Scala, on a eu
un mois où l’on pouvait travailler. J’ai
travaillé un mois à Florence, au Maggio [Teatro del
Maggio Musicale Fiorentino, ndlr], qui est fermé maintenant - la
situation culturelle en Italie n’est pas facile en ce moment.
Après, j’ai eu la possibilité de travailler un mois
avec la compagnie de la Scala, la dernière année avant
d’avoir le diplôme de danseuse professionnelle. Ensuite je
suis rentrée directement ici, c’était mon premier
contrat, ma première compagnie. Je n’ai pas eu
d’autres propositions.
A l’Opéra de Bordeaux, vous êtes un petit effectif. Comment vous y sentez-vous?
Sara Renda : On
est 39 titulaires, et cela change tout. On parle avec les gens, on
trouve une relation humaine. Il y a aussi de la compétition,
mais c’est différent. C’est familial. Roman donne
des conseils, alors qu’il est étoile. Il pourrait ne pas
te regarder, mais c’est tout le contraire. Il y a des
premières danseuses, des danseurs du corps de ballet qui ont
beaucoup d’expérience, qui ont 40 ans, et qui donnent des
conseils. Je les accepte volontiers, et si ça ne va pas, je fais
autre chose. Mais c’est bien. Quand j’étais à
la Scala pendant un mois, c’était totalement
différent. J’étais plus jeune, j’avais 18 ans
donc je voyais les choses d’une autre façon. Mais ici,
c’est vraiment chouette de travailler tranquillement, même
s’il y a toujours un peu de compétition, comme à
l’extérieur de la danse d’ailleurs. C’est
agréable de travailler en harmonie.
Neven Ritmanic : Ici,
le gros avantage, c’est que c’est plus petit, plus
familial, on voit tout. Et ce qui m’a plu tout de suite,
c’est d’arriver sans connaître personne et voir Igor
[Yebra] ou Roman, nos deux étoiles, venir me donner des
corrections, m’aider à avancer, comme s’ils me
connaissaient depuis toujours. Ils ne connaissaient pas mon
prénom et m’aidaient… Et puis, j’ai
l’impression qu’on est bien dirigés. Ils savent
où ils nous emmènent. Ils savent ce qu’on peut
faire, où on peut aller, à notre rythme, sans se
brûler les ailes.
On a plein d'origines différentes aussi : Ashley [Whittle] et
Austin [Lui] viennent du Royal [Ballet de Londres, ndlr], Sara ou
Samuele [Ninci] de la Scala, Alice Leloup, Marina Guizien et moi de
l’Ecole de danse… Finalement, il n’y en a pas un qui
est pareil, il y a toujours quelque chose à voir ou à
prendre. Chaque personne existe ici.
Neven, vous avez justement retrouvé ici pas mal de monde de
l’École de danse de l’Opéra ou du CNSMDP…
L’Opéra de Bordeaux attire les Parisiens?
Neven Ritmanic : C’est
vrai, on s’est côtoyés pendant notre
scolarité, pendant les classes du samedi à Paris…
On se retrouve tôt ou tard. Même les supplémentaires
sont ceux qu’on a connus à l'École. Ça
devient très compliqué de trouver un poste fixe
aujourd’hui. Mon ami Elio Clavel par exemple était dans ma
promotion à l'École de danse et a mis 5 ans à
trouver, alors que c’est un danseur incroyable - il est en
Allemagne maintenant. Alors je suis content quand ils viennent ici,
parce que je sais que c’est un contrat où ils vont
être bien.
Depuis quelque temps, beaucoup me disent : “Ah, ça a
l’air pas mal, je peux venir prendre la classe, passer une
audition privée?” J’en ai hébergé
plein! Il y a ce côté “pas comme à l'École de danse”, “pas comme au
Ballet de l’Opéra de Paris”. Il y a des gens qui adorent
ça bien sûr, mais l’Opéra de Paris,
c’est une ambiance particulière. Quand on n’accroche
pas…
Pouvez-vous dire quelques mots sur votre tournée à Saint-Pétersbourg en octobre?
Sara Renda : Ça
s’est très bien passé. La ville, mettre un pied
dans le Théâtre Mariinsky… Le Ballet y avait
déjà dansé Suite en blanc, mais c’était il y a longtemps, on n'était pas encore là [les 1er et 2 novembre 2003, Suite en blanc de Serge Lifar, Sextet de Thierry Malandain, un duo de Febrile d’Ivan Favier et Aunis de Jacques Garnier, ndlr.].
Nous sommes allés voir un spectacle, La Belle au bois dormant
[rires], au Mariinsky II, le théâtre moderne. Mais nous
avons eu la chance de danser sur la scène historique du
Mariinsky. J’en parlais encore récemment avec mes
collègues : c’est un théâtre immense, et en
faisant le premier pas sur scène, en tournant la tête,
j’ai vu tout le public et je n’arrivais plus à
respirer, une sensation vraiment nouvelle pour moi. Je dansais une
petite partie de Pneuma
[chor. Carolyn Carlson, ndlr] avec Samuele [Ninci] et en sortant je lui
ai dit : “Sam, je ne sais pas ce que j’ai fait, j’ai
fait n’importe quoi!” Je rentrais [sur scène] avec
la tête toute droite, et quand je me tournais je ne connaissais
plus les pas, c’était la première fois que je
ressentais toute cette pression. C’était vraiment
impressionnant, ce théâtre fantastique et plein de monde.
Neven Ritmanic : En
France, on n’est pas mal loti, quand on dit qu’on est
danseur, c’est intéressant. Mais là-bas, ça
fait partie de l’histoire de la ville et même de tout le
pays. C’est un endroit où l’on est fier
d’être danseur. On a visité le musée du
Mariinsky - il n’y a pas d’équivalent en France. Je
n’ai pas encore été à Cuba, mais s’il
y avait un pays de la danse, ce serait vraiment celui-là. On a
vu des costumes de Baryshnikov entre autres, c’était assez
incroyable.
Sara Renda : Et on a eu la chance de voir les classes de l’école Vaganova…
Quels sont vos rêves pour la suite? Quels rôles aimeriez-vous aborder?
Sara Renda : Mon
plus grand rêve, je l’ai déjà
réalisé, être étoile! La prochaine
étape, comme je l’ai dit dans une interview pour la radio
en Italie, c’est de danser à l’extérieur,
dans le monde. D’être connue, invitée. Je voudrais
que mon nom soit reconnu comme étoile internationale, pas
seulement étoile de l’Opéra de Bordeaux. La
priorité reste l’Opéra de Bordeaux, mais le
théâtre peut donner la permission de faire des galas et
des spectacles. Je l’ai déjà fait
l’année dernière, en Italie et en Russie avec Roman.
Aurore est mon deuxième [grand] rôle, mais mon rôle préféré est Kitri [dans Don Quichotte].
Il y a deux ans, j’ai dansé les amies de Kitri, et
j’étais remplaçante de Kitri, mais je ne l’ai
pas dansé. En octobre, on a eu un gala Petipa et j’ai
dansé le pas de deux [du troisième acte] avec Roman. Je
danse souvent ce pas de deux, mais je n’ai jamais dansé le
ballet en entier. Je sens que mon caractère et la façon
dont je suis dans la vie vont bien avec le rôle. Je suis
sûre que je vais le danser, mais on ne sait jamais!
Neven Ritmanic : J’ai
toujours mis du temps à faire les choses. Hier, je dansais un
rôle principal, et je me suis dit : “Tiens, je peux le
faire.” Alors maintenant, je sais que je peux faire plus. Tant
qu’on n’a pas été confronté à
quelque chose de vraiment dur, ce n’est pas pareil. On a tous
tout “passé” dans un studio, mais en scène ce
n’est pas pareil. Hier j’ai vu que je pouvais le faire, que
j’aimais ça et que j’en voulais. Dans un premier
temps, je veux aller encore plus loin. Je sens qu’ils [la
direction] essaient de me pousser plus loin, donc je vais essayer de
continuer à travailler le plus dur possible. Je veux tout
danser! Je veux même bien danser une Sylphide, même si je préférerais danser un Spartacus, un Don Quichotte, un Corsaire!
[rires] Je veux danser les ballets classiques majeurs, je sens que
j’en ai sous le pied et que je pourrais apporter quelque chose de
différent. Je fais aussi quelques galas à
l’extérieur, le dernier à la Fenice avec Claire
Teisseyre. Il y en a de plus en plus, c’est agréable, et
bien sûr, personne ne refuse les invitations. Ici, on est tous
passionnés.
Si je danse autant, s’ils me font avancer aussi vite que je veux,
il n’y a aucune raison de partir. Après, on verra quand
Charles partira. Mais il a pris tellement soin de moi.
J’étais plutôt fragile en sortant de l'École
de danse ; j’avais dansé Piège de lumière, Péchés de jeunesse,
mais je n’avais pas l’esprit de : “Je suis tout seul
sur scène et je sais ce que je fais”. Ici, ils ont
réussi à me donner envie d’avoir cet
esprit-là. C’est plus naturel chez Sara, elle est
étoile depuis trois jours et veut être étoile
internationale! [rires] A Paris, on ne nous apprend pas vraiment
ça, on nous calme… Mais si, on a le droit de le faire. Et
ici, on peut être comme ça.
Sara Renda : Il
faut vouloir, toujours regarder après. Étape par
étape, bien sûr. Mais toujours savoir ce que l’on
veut.
Propos recueillis par Gabrielle Tallon.
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Neven Ritmanic
Entretien
réalisé le 27 décembre 2015 - Sara Renda / Neven Ritmanic © 2016,
Dansomanie
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