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entretiens
Cécile Loyer, chorégraphe

30 décembre 2015 : rencontre avec Cécile Loyer (Scène Nationale d'Orléans)


Cécile Loyer, formée au CNDC (Centre National de Danse Contemporaine) d'Angers, est devenue l'une des collaboratrices les plus régulières de Josef Nadj, au Centre Chorégraphique National d'Orléans. Elle a notamment participé aux créations de Poussière de soleils (2004), Asobu (2006), Entracte (2008), Shobo-genzo (2008) et Cherry Brandy (2010). Fin 2013, Bruno Lobbé, alors directeur adjoint de la Scène Nationale d'Orléans, la convainc de se lancer dans un projet en coopération avec l'Alliance Française de Madras (aujourd'hui Chennai), en Inde. Ayant pu disposer d'une bâtisse familiale à Vatan (Indre), elle y a établi un Centre de Création de la Danse, équipé de studios de répétition et de chambres d'hôtes, elle y accueille des artistes de tous horizons, dont, récemment, des danseurs indiens de Bharata Natyam.  C'est à cette occasion qu'elle a rencontré notre correspondant Bernard Thinat.





Cécile Loyer, qu’est-ce qui vous a amenée dans votre enfance à vous intéresser à la danse?


J’ai commencé la danse à partir de 4 ans, comme toutes les petites filles, danse rythmique, puis danse classique à partir de 9 ans. C’est un choix de mes parents je suppose, mais comme je le dis souvent, j’ai commencé à danser avant d’apprendre à parler. Chez moi, on ne parlait pas beaucoup. Alors, j’ai commencé à inventer des spectacles et à danser assez vite, pour trouver un autre langage. 

Vous avez fréquenté une école de danse?


Oui, il y avait une école municipale jusqu’à 19 ans. J’ai eu un parcours simple, à Poissy en banlieue parisienne. Je faisais du classique, du modern jazz, j’ai commencé un peu le contemporain l’année du bac. J’avais un professeur de danse qui m’a formée depuis l’âge de 9 ans, que je considère un peu comme ma maman de la danse, qui a commencé à me faire rêver. J’ai alors commencé à prendre des cours sur Paris, et j’ai annoncé à mes parents que je voulais faire ma vie dans la danse. Je me suis renseigné sur les types d’écoles possibles et j’ai passé le concours pour entrer au CNDC d’Angers.


Vous avez travaillé avec quels professeurs à Angers?


Avec plusieurs chorégraphes. L’année de ma promotion, celle du décès de Dominique Bagouet, nous avons repris son répertoire, avec Catherine Legrand et Fabrice Ramaligom, et créé Les Marguerites de l’oubli avec Bernardo Montet… Et nous sommes partis en tournée avec ces pièces. Ce fut un bon tremplin car des chorégraphes venaient nous voir. J’ai été tout de suite contacté par des chorégraphes et les choses se sont enchaînées.



Et le métier de chorégraphe, il est venu comment?


J’ai travaillé cinq ans avec Catherine Diverres, lorsqu’elle était directrice du Centre chorégraphique de Rennes. J’ai commencé à créer mon premier solo, à travailler sur ma propre écriture au CCN de Rennes. Je me suis enfermée dans les studios, des week-ends et j’ai créé BLANC. Je suis alors partie au Japon, avec une bourse Villa Médicis hors les murs et j’ai rencontré un maître du Butô que j’avais déjà croisé lors d’un stage à Paris. J’ai travaillé pendant trois mois avec Mitsuyo Uesugi sur la pratique du Butô et sur mon solo, dont la première a été jouée à Tokyo. Quand je suis arrivée au Japon, cette pièce durait 27 mn. Elle dure toujours 27 minutes, mais pendant ces 3 mois, avec Mitsuyo Uessugi, j’ai appris à l’habiter, à le nourrir ; c’était un solo sur la frontière entre l’adolescence et le passage à l’âge adulte. Quant au Butô, c’est un travail sur la mémoire, émotionnel, physique. Je suis rentrée avec ce solo en France où j’ai gagné un concours. On m’a commandé un autre solo et cela s’est enchaîné comme ça. Alors, j’ai créé une compagnie pour gérer tout ça, mais je suis restée interprète jusqu’à l’année dernière : j’ai dansé pour Josef Nadj pendant longtemps, j’ai été interprète pour, Héla Fattoumi, Eric Lamoureux, Karine Pontiès, pour Caterina Sagna. J’aime travailler avec d’autres chorégraphes, j’apprends beaucoup, je suis dans un autre univers, ça me libère aussi énormément parce que je n’ai pas les contraintes de la production, de gestion, de plannings, d’espaces… Je suis beaucoup plus libre dans ma danse quand je travaille avec d’autres chorégraphes.


Le Butô au Japon, la danse indienne, vous êtes attirée par les danses orientales?


Je suis attirée par le voyage, le déplacement, la rencontre. Quand Bruno Lobbé (1) qui était directeur adjoint à la Scène Nationale d’Orléans, m’a proposé de faire quelque chose avec l’Inde, j’ai sauté sur l’occasion, j’ai dit oui, évidemment oui, sans savoir quoi, sans savoir comment, sans savoir avec qui, mais avec l’idée de partir, rencontrer des gens, aller travailler ailleurs.


Donc, l’idée vient de lui?


Absolument! Comme la Région Centre Val de Loire est jumelée avec le Tamil Nadu, que des choses se font en musique, mais rien en danse, il m’a contacté fin 2013, et en 2014, j’étais dans l’avion.


Vous êtes restée combien de temps là-bas?


La première fois, une semaine, pour rencontrer des danseurs et présenter mon travail. J’ai contacté l’alliance française qui m’a prêté l’auditorium pour y créer un court solo. C’était à Chennai (2), en février 2014. Je voulais aussi que les danseurs que j’avais contactés pour travailler avec moi, voient mon travail, pas seulement par vidéos ou par internet.


Et vous y retournez une seconde fois?


Oui, donc première étape en février, deuxième étape en juillet pendant 15 jours. Et troisième étape, 15 jours à l’alliance française de Chennai en décembre 2014. Et pour la reprise, ils sont arrivés la semaine dernière en France.


Vous vous êtes initiée à la danse indienne, le bharata natyam?


Pas du tout ! En fait, quand j’ai réfléchi à ce projet, je me suis demandé ce que j’allais faire, je ne connaissais pas ce pays, cette culture, je me suis demandé quelle légitimité j’avais. Je travaille avec des danseurs, je ne leur dis pas «fais ci, fais ça», évidemment je les dirige, mais je les regarde aussi et je fais avec ce qu’ils sont. Mais parce que j’ai cette expérience du Japon, du Butô, il est apparu évident qu’il fallait que je commence par la mémoire des danseurs indiens, par leurs racines, leurs formations, parce que s’il y a aussi des danseurs contemporains en Inde, ils ont la même formation le bharata natyam. Après, il y a plein de danses traditionnelles, de déclinaisons, mais la base, c’est le bharata natyam. Et à Chennai, il y a la plus grosse école de bharata natyam.


Ils sont nombreux?


Oui, extrêmement nombreux. Ils ont deux théâtres sur le site, un domaine immense, c’est assez impressionnant. J’ai rencontré énormément de Japonais, d’Italiens…



Cécile Loyer - Danseurs indiens


Venons-en à Histoires vraies. Le ballet a été créé là-bas. Ce n’est pas simple de faire se rencontrer deux danses aussi différentes que la danse contemporaine et la danse classique indienne, ne pas les confronter, mais les faire s’accompagner, puisque l’une accompagne l’autre et inversement. Vous avez suivi quelle démarche ?


J’ai commencé comme je fais d’habitude, d’abord les faire travailler, je leur ai donné des cours à ma façon, dans des ateliers, on n’a pas fait d’improvisations parce que c’était beaucoup trop loin d’eux, trop compliqué, mais comment construire à deux, à trois. Après, les choses se sont faites par contamination, dans le bon sens du terme. Il n’y a pas de recette, je pars toujours avec les mêmes outils, je transmets ce que je sais faire, puis on invente sur place avec ce que sont les gens, leurs atouts, leur force…


Les Indiens ont une danse très précise, qui ne s’improvise pas, il y a des duos entre les deux danseurs indiens, des duos de danse contemporaine, mais aussi des duos mixtes : alors, qui s’adaptait à l’autre finalement?


Les danseurs de Bharata Natyam nous ont donné des éléments, ils nous ont appris à taper du pied, à battre des mains, mais ça devenait caricatural et n’était pas très intéressant. Ils sont plus venus vers nous, c’est certain, sur la façon de construire une danse contemporaine. Il y a eu un voyage dans les deux sens car nous, on s’est déplacés en Inde, dans l’espace, dans un environnement différent, et eux sont venus vers nous par le toucher car dans leur danse, on ne se touche jamais, comment on se donne la main, comment on se roule par terre, comment être au contact l’un de l’autre. Je leur ai ouvert cette porte-là. Le garçon indien avait une grande fascination pour Steven Hervouet et avait envie de faire quelque chose de totalement différent de ce qu’il avait l’habitude de faire. Il m’a demandé de lui expliquer mon concept de l’espace. J’ai essayé de l’emmener ailleurs même s’il avait beaucoup de raideurs, de tics. Donc, je devais m’appuyer sur leur force, leurs qualités à chacun. Mais il fallait qu’on invente une danse ensemble. On n’avait pas le même vocabulaire, mais la même nécessité à être sur un plateau.


Cela leur a apporté beaucoup dans leur danse?


J’en ai l’impression. Cela leur a effectivement apporté dans leur danse, mais aussi dans leur vie, j’espère aussi. Je me suis rendu compte que pour eux, ils sont toujours face au public, c’est un truc très plat.


Ils ne connaissent pas la danse contemporaine comme nous, on la connaît?


Non, ils ne la pratiquent pas du tout. Ce sont des danseurs traditionnels. Quand ils se produisent, c’est en costumes, maquillés, avec des chants et des musiques traditionnels. Ils ont toujours le même dispositif, avec une petite scène, sur le côté le chanteur, les musiciens assis par terre, avec pas mal de percussions. Les spectateurs connaissent par cœur l’exécution, il n’y a rien de nouveau, ils viennent voir le moment qu’ils adorent, donc ils sont attentifs trois minutes, puis ils ouvrent le journal, parlent au téléphone alors que c’est une danse hyper sacrée.


Cécile Loyer - Vatan



Parlons un peu du «Centre de Création de la Danse» à Vatan. Ce qui est assez curieux, c’est qu’il s’agit d’une petite ville dans l’Indre.


En fait, cet endroit a été construit par mes arrière-grands-parents. C’est un ancien chai où l’on faisait le commerce du vin. C’est resté dans la famille depuis toujours. On a créé une association qui s’appelle «La Pratique». C’est un lieu de résidence pluridisciplinaire pour artistes, dédié à toutes les pratiques artistiques. C’est un lieu de recherche.


Donc, il n’y a pas que de la danse?


Non. Depuis son ouverture, on a eu beaucoup de musiciens, de comédiens, de gens du cirque, plasticiens, les artistes du Triocollectif (3), une compagnie de ciné concert de l’Indre qui travaille avec des archives cinématographiques  et qui passe commande à des musiciens contemporains. On a fait des travaux, on a un vrai studio de danse, des locaux aux normes. L’acoustique est très bonne, mais on n’a pas de matériel de son. Donc, on cherche des financements pour développer ce lieu au sein duquel on organisera un festival, du 15 au 18 juin 2016, en partenariat avec le CCN d’Orléans, Culture O Centre, Equinoxe, la communauté de communes de Vatan.


Vous organisez des actions avec la population locale?


Oui. Toute l’année, on mène des ateliers avec différentes associations, les scolaires évidemment, les personnes âgées, actions pluridisciplinaires bien sûr, beaucoup de danse, mais aussi de la vidéo, du chant…


Comment se présente le festival en juin?


Il y aura de la danse, du cirque, de la musique, du théâtre, un ciné concert, et un grand bal à la fin où nous créerons «La Vatanaise», danse spéciale pour Vatan afin d’aller chercher le public aux alentours. C’est un grand et beau projet pour ouvrir les portes de «La Pratique» à Vatan.


On peut être hébergé dans le centre?


Il y a deux maisons dans lesquelles on peut héberger 20 personnes avec 12 chambres, deux cuisines avec un chai de 60 m² ; c’est un endroit idéal pour travailler. On est à 20 km de Vierzon, mais on est au cœur du village. Donc, les compagnies viennent pour travailler leur projet comme une étape dans leur parcours de création. Sinon, on organise des résidences pluri disciplinaires pendant une semaine, j’invite six artistes de pratique différente, qui à leur tour invitent chacun un artiste, on les héberge, on les défraie et on leur laisse libre accès à tous les espaces de la Pratique, ils mangent ensemble, ils partagent ensemble leurs outils, leurs travaux, leurs recherches, sur l’artistique, la gestion, l’économie, les montages de projets. A la fin de la semaine, on ouvre les portes, ils peuvent parler de ce qu’ils ont vécu, parler de leur projet, certains ont besoin d’avoir des retours sur ce qu’ils ont crée, sur la scénographie…


La population de Vatan participe à vos projets?


Oui, elle commence à venir, d’abord parce que je travaille beaucoup avec l’école, les enfants en parlent aux parents. La dernière résidence pluri disciplinaire était un peu particulière puisque le sujet était «la place des femmes dans la culture», on a associé Madame le Maire de la commune. Quand les Indiens étaient là, on a reçu les enfants dans le cadre des TAP (4), le dernier jour, on a fait un filage devant la classe de CP, les enfants commencent à s’identifier, à comprendre ce qui se passe là.


J’en reviens à nos deux danseurs indiens qui sont arrivés en France au moment des attentats : ils ont dû être assez secoués, je suppose?


Oui. Ils n’étaient pas à Paris, mais à Vatan, puis à Orléans le week-end. On en a parlé toute la semaine, évidemment on a baigné là-dedans pour finir cette création.


Il y aura une représentation filmée?


Oui, à Châteauroux, pour vendre le spectacle et j’aimerais monter une tournée. C’est un coût, il faut regrouper 4 à 5 dates sur une région. J’aimerais bien aussi réaliser une tournée en Inde, dans les Alliances.


Vous travaillez souvent avec les mêmes danseurs?


Là, je ne connaissais que Mai Ishiwata que j’ai eu comme élève au Conservatoire de Paris.


Vous y intervenez régulièrement?


Avec Daniel Agésilas, je ne voulais pas un poste régulier parce que je pouvais pas assumer cette charge, j’intervenais sous forme de sessions, de master-class, pour leur solo de fin de cinquième année. Ensuite, il y a eu des changements de direction, cela a eu du mal à se stabiliser, ça s’est ressenti sur les élèves. J’y ai un peu enseigné en début de cette année ainsi qu’au Conservatoire de Lyon. C’est toujours quelques jours, on m’appelle et si je suis disponible, j’y vais.





Cécile Loyer - Propos recueillis par Bernard Thinat


(1) Bruno Lobbé est, aujourd’hui, Directeur du «Manège», à Reims.
(2) Chennai, anciennement Madras
(3) Le Tricollectif est un groupe de musiciens de jazz, originaires d’Orléans et de Paris.
(4) Temps d’Accueil Périscolaire, issus de la réforme Peillon


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Entretien réalisé le 21 novembre 2015 à Orléans - Cécile Loyer © Dansomanie


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