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entretiens
Kristina Shapran, Première Soliste au Ballet du Mariinsky

15 décembre 2015 : Kristina Shapran, de Saint-Pétersbourg à Paris


Kristina Shapran est Première Soliste au Ballet du Mariinsky. Le 18 décembre, le public parisien va découvrir cette artiste dans La Bayadère à l'Opéra Bastille, où elle est invitée à danser le rôle de Nikiya aux côtés d'une autre star du Mariinsky, le Coréen Kimin Kim. Afin de vous faire mieux connaître Kristina Shapran, notre correspondante Elena Kushtiseva l'a rencontrée à Saint-Pétersbourg avant son départ pour la France.





Dans l'une de vos anciennes interviews, vous disiez que vous ne rêviez pas de devenir danseuse. Comment êtes-vous devenue danseuse?

Kristina Shapran : J'ai toujours aimé danser. J'ai pratiqué la danse de société, la danse sportive, j'aimais aussi écouter de la musique et bouger en rythme. Puis nous avons déménagé, on m'a transférée dans une autre école et j'ai demandé à ma mère qu'il y ait obligatoirement des danses sportives. Mais il n'y avait qu'un cercle chorégraphique amateur. Je crois que que ce n'est qu'à ce moment-là que j'ai entendu pour la première fois le mot "ballet". "C'est d'accord, on va essayer", m'a dit ma mère. Et nous avons donc décidé d'essayer. C'est ainsi que j'ai fait connaissance avec la danse classique.



Quel âge aviez-vous à ce moment-là?

J'étais en deuxième [en Russie, la numérotation des classes est consécutive de 1 à 11], je devais avoir huit ans.


Et vous avez tout de suite aimé la danse classique?


Non, au contraire, cela me paraissait insupportable. C'était très difficile. Je ne comprenais pas pourquoi ces enfants y arrivaient, et pas moi. Les autres enfants pratiquaient la danse classique depuis déjà un an. Je suis arrivée dans la classe après eux. Ils faisaient déjà leurs exercices à la barre selon les canons classiques : demi-pliés, battements tendus... Je ne connaissais pas tout ça et j'ai eu un tel choc en les voyant que ça a déclenché chez moi un intérêt d'ordre sportif. Je pensais : "comment ça se fait que je suis la dernière?" Je ne pouvais pas. Je pensais : "il faut, il faut, il faut..." C'est ainsi que ça a commencé à marcher pour moi.


Vous voulez dire qu'il est important pour vous d'être toujours la première?


Non, pas toujours. Mais à ce moment-là, l'envie d'être la première a été un moteur. Bien sûr, j'ai aimé la danse classique et j'ai eu envie de réussir.


Qu'est-ce qui vous a plu? Pourquoi avez-vous aimé la danse classique?

D'abord, je ne la comprenais pas. Alors j'ai demandé à ma mère de m'emmener au théâtre et nous sommes allées voir La Bayadère. Après cette sortie au Théâtre Mariinsky, j'ai compris que c’était ce que je voulais à la folie. J'ai été extrêmement frappée par la danse avec le serpent. Tous les gens sur scène me paraissaient super heureux : ils entrent en scène, des milliers d'yeux les regardent et ils reçoivent des ovations. J'avais l'impression que la scène était un cosmos, et moi aussi, je voulais participer à cette fête de la vie. Après La Bayadère, je suis même allée voir mon prof à l'école...


Mais quand même, ballerine est une profession particulière, dans laquelle il faut prendre les décisions importantes très tôt, à l'âge où la plupart des enfants n'éprouvent pas encore leur responsabilité ni pour leur choix professionnel ni pour leur destin. Qui a pris une telle décision pour vous, qui vous a orientée vers les études professionnelles?


C'est arrivé par hasard. J'avais une copine à l'école. Elle m'a conseillé de passer l'audition. L'Académie Vaganova recrutait à ce moment-là des élèves. Elle m'a dit : "Allons-y. Il s'agit de l'Académie de Ballet Russe." Elle était au courant de tout et m'a expliqué les choses. Je suis allée passer l'audition avec elle et on a été admises toutes les deux, mais dans les classes différentes. On peut donc dire que c'est moi qui ai pris la décision. J'ai dit à ma mère que je voulais passer cette audition. 


Votre maman n'y était pas opposée?

Non, au contraire, maman me soutenait. Je ne comprends pas les parents qui sont contre. J'ai assisté aux  entraînements des petits enfants qui font de la gymnastique artistique. Les petites puces qui doivent encore jouer aux joujoux [expression russe] y font des exercices fous. J'ai essayé ensuite moi-même de faire la même chose et c'est de la folie! Il y avait une fille, elle était plus élancée [que les autres], avec des jambes, des pieds, un cou-de-pied irréels, mais elle était un peu faible pour la gymnastique, même si elle faisait elle aussi des trucs très compliqués. Son entraîneur a dit à ses parents qu'elle devrait faire de la danse classique, mais ses parents ne voulaient pas. Ce qu'ils font en gymnastique va pourtant au-delà des limites du corps. Dans la danse classique, la santé des enfants est mieux préservée. En fait, je suis allée voir s'entraîner ces jeunes gymnastes, qui travaillent comme des adultes, pour y trouver une motivation pour moi-même. En pensant à leur travail, il ne m'était plus permis d'avoir de petits moments de faiblesse. 


A l'école, vous n'étiez pas comme ces enfants? Vous estimiez que vous travailliez moins?

Non, on fournissait bien sûr beaucoup d'efforts, mais on en veut toujours plus. 


Vous n'avez jamais eu envie de tout abandonner? 

Si, plusieurs fois!


Et qu'est-ce qui vous arrêtait? 

A certains moments, j'avais l'impression que ce n'était pas pour moi, que je n'étais pas faite pour cet art. En général, on a ce genre de pensées pendant la période de l'adolescence, lorsque quelque chose commence à changer dans la tête, dans l'esprit de l'enfant, dans sa perception du monde. Mais ensuite, on réfléchit, les émotions se calment et on comprend que l'on ne veux faire rien d'autre dans la vie. Même, par exemple, lorsqu'on avait une semaine de vacances, je ne savais plus comment m'occuper.


C'est le corps qui le demandait? 

Oui, bien sûr, le corps forcément, et la tête. Vous savez, c'est comme si votre esprit n'était pas là. Maman me demandait quelque chose, mais mes pensées étaient déjà ailleurs, je réfléchissais à la manière de danser ceci ou cela...


Qu'est ce qui était le plus dur pour vous à l'école, quelle était votre discipline préférée? 

J'aimais les cours de gymnastique. On faisait des exercices, puis on avait les cours [d'enseignement général]. Je pensais que ces cours étaient de trop et que l'on aurait dû faire de la danse toute la journée.


Mais qu'est-ce que vous faisiez en gymnastique? Des étirements?

On travaillait les abdos, les muscles du dos... Parfois, je pouvais manquer un cours pour aller faire de la gymnastique. Et même après, quand il n'y avait plus de cours de gym chez les filles, je suivais les cours avec les garçons.


Existait-il une concurrence entre les filles à l'école?

Elle existait, bien sûr. La concurrence saine est bénéfique, elle aide à avancer, mais pas lorsqu’elle prend des proportions démesurées. 


Pendant vos études, avez-vous eu de l'inquiétude pour votre avenir : et si on ne me remarque pas ou si je n'y arrive pas?

Altynaï Abdouakhimovna [Assylmouratova] [ancienne directrice de l'Académie Vaganova, ndlr.] m'a dit : "Kristina, tu dois!" - et je ne me suis plus posée de questions à ce sujet.


Et votre copine d'école a terminé ses études?

Non, elle a été exclue.


Dans votre classe, combien d'entre vous ont terminé le cursus à l'Académie?

Dans ma classe, on était peut-être trois sur treize. C'est pour ça que vers la fin, on a réuni les trois classes en une seule.

Kristina Shapran


Pendant vos études, aviez-vous un modèle de ballerine auquel vous vouliez ressembler?

Je me rappelle que dans mon cahier il y avait des photos [de ballerines] que je découpais dans les revues, des cartes postales, mais je n'avais pas de modèle. De nombreuses ballerines me plaisaient. J'aimais Altynaï Abdouakhimovna Assylmouratova, Janna Aïoupova, Vichneva, Lopatkina, Zakharova, Makhalina... J'adore Aurélie Dupont et Sylvie Guillem.


Le passage de l'école dans la vie professionnelle adulte a-t-il été dur pour vous? La vie au théâtre après l'école est-elle plus facile ou, au contraire, il vous faut travailler bien plus? Comment est organisée votre journée au théâtre d’habitude?

Pour certaines choses, c'est devenu plus facile, pour d'autres, c'est plus difficile au contraire. Maintenant,  on a des répétitions toute la journée. Aujourd'hui, par exemple, je travaille de 11h à 21h. D'abord, je suis toujours la classe, et après, il y a des répétitions. En ce moment, je fais une petite pause, ensuite, de 16h à 21h, j'aurai une répétition. Mais c'est différent d'un jour à l'autre. 


Et comment cela se passe-t-il le jour du spectacle?

Cela dépend de ce que je danse. Par exemple, lorsque j'ai dansé récemment la Fée des Lilas, j'avais la répétition de La Bayadère dans la matinée.


C'était La Bayadère parisienne?

Non, celle d'ici [la version de Tchaboukiani/Ponomarev].


Pourquoi votre chemin vers le Théâtre Mariinsky, qui aurait pu être direct et rapide, a finalement été si long et avec deux "escales" [Kristina a d'abord dansé au Théâtre Stanislavsky, à Moscou, puis, au Théâtre Mikhailovsky, à Saint-Pétersbourg, ndlr.]?

Ça s'est fait comme ça. Je ne vais pas le regretter ni me mordre les coudes [expression russe] : "comment donc, j'aurais pu le faire tout de suite?!" Il n'y a rien à regretter, car c'était une expérience inestimable. Je n'aurais pas pu l'avoir autrement. Si j'avais rejoint le Théâtre [Mariinsky] tout de suite, j'aurais certainement pensé que les choses pouvaient être encore mieux ailleurs. Probablement, quelque part, le répertoire peut être meilleur, bien que j'estime qu'ici [au Mariinsky] le répertoire est idéal. Mais les artistes sont tout de même habités par ce genre de pensées.


Et dans quel théâtre la scène est-elle la plus confortable pour vous?

Ici, bien sûr!


Donc maintenant on peut dire que la boucle est bouclée et que vous avez trouvé au Théâtre Mariinsky ce dont vous avez besoin?

Oui, je suis bien ici. Je n'ai jamais appelé ni le Théâtre Stanislavsky ni le Théâtre Mikhaïlovsky "mon théâtre", comme on dit souvent "notre théâtre". Je ne sentais pas que le Théâtre Stanislavsky était mon théâtre et surtout pas le Mikhaïlovsky. J'étais là-bas, mais à part, comme si j'étais en visite.


On vous a invitée aussi au Bolchoï, dans le corps de ballet ou en tant que soliste?

J'ai été invitée partout comme soliste.


Mais pourquoi n'avez-vous pas choisi le Bolchoï ?

C'est ainsi. J'ai cru dans les paroles d'Igor Anatolievitch [Zelensky]. C'est sa proposition qui m'a paru la plus prometteuse.


Vous avez été déçue?

Non, pourquoi? C'est un artiste très talentueux, un bon directeur. Il sait beaucoup de choses et j'estime qu'il a beaucoup donné pour moi. Et j'ai aussi appris de lui. 


Et comment vous êtes-vous retrouvée ensuite au Théâtre Mikhaïlovsky?

J'ai rejoint le Mikhaïlovsky avec Altynaï Abdouakhimovna Assylmouratova [ancienne directrice de l'Académie Vaganova, ndlr.]. Et nous avons ensuite quitté ce théâtre ensemble.


Votre professeur au Théâtre Mariinsky est Elvira Tarassova. L'est-elle depuis le début et qui a décidé que vous alliez répéter avec elle?

Nous avons discuté de cette question avec Youri Valerievitch [Fateev]. Il m'a parlé des différents professeurs qui travaillent au théâtre. On a conclu ensemble qu'avec Elvira Guenndaievna [Tarassova] nous ferions une bonne union.


Les danseurs ont souvent des relations très proches, presque filiales, avec leurs professeurs. Pouvez-vous dire que c'est votre cas?

Oui, nous avons des relations très proches avec mon professeur, mais dans le cadre du théâtre. C'est-à-dire que nous pouvons bien sûr sortir, discuter ensemble, mais ça reste quand même une question délicate, et Elvira Guenndaievna [Tarassova] le comprend aussi. Je me suis déjà brûlée et, apparemment, elle aussi, parce qu'elle me dit qu'il doit y avoir une limite. Les rapports professeur-élève ne doivent pas se transformer en rapports copains-copines.


Comment cela se passe-t-il lorsque vous préparez un rôle? Est-ce toujours vous-même qui proposez quelque chose ou bien un diktat - ça doit être comme ça et pas autrement – s'exerce-t-il parfois sur vous?

Je n'aime pas qu'on me dise "c'est comme ça et pas autrement". Pour moi, c'est une catastrophe. Je ne dis certes pas que tout doit changer et je ne veux pas non plus tout changer. Si cela me convient et si c'est chorégraphié comme ça, pourquoi ne le ferais-je pas?


Je ne parlais pas seulement du texte chorégraphique...

Mais c'est très important.


Sans doute, c'est très important et, naturellement, ici, vous avez moins de liberté, mais cela n'exclut pas une certaine liberté d'interprétation du caractère du personnage. Tout récemment, deux soirées de suite, vous et Ekaterina Kondaourova, qui répète aussi avec Elvira Tarassova, avez dansé la Fée des Lilas. C'est la même chorégraphie, mais vous avez campé deux personnages complètement différents. C'était le choix de qui?

Nous sommes tout le temps en recherche. Je propose quelque chose, Elvira Guenndaievna [Tarassova] me dit : "D'accord, on va essayer". Si je restais comme un légume, que pourrait-elle faire de moi? Je ne pourrais pas accepter si elle commençait à essayer sur moi ses "costumes". Parfois, Elvira Guenndaievna me dit : "On peut faire ça autrement, mais je ne vais pas te montrer comment je le ferais pour que tu ne copies pas".


Avez-vous une référence absolue, quelqu'un dont vous écouteriez sans hésitation les conseils?

Je suis naturellement à l'écoute de tout, mais je réfléchis aux raisons pour lesquelles on m'a fait telle ou telle suggestion.


Dans l'une de vos interviews, vous avez loué les qualités de partenaire de Konstantine Zverev. Avez-vous d'autres partenaires préférés, avec lesquels vous vous sentez à l'aise pour danser et avec qui vous aimez répéter?

Ce n'est pas toujours aussi lisse que ça [rires]. Kimintchik [Kimin Kim] est bien. Nous avons dansé ensemble  Giselle, Le Spectre de la Rose. Il est bien éduqué, très poli... Il vient de Corée, ils ont une autre mentalité là-bas, et ça se sent. 


En quelle langue vous communiquez avec lui ?

En russe. Il parle très bien le russe.


Le Théâtre Mariinsky est l'un des rares théâtres de ballet où l'on n'a pas encore complètement oublié la notion d'emploi. Vous êtes d'accord qu'il ne faut pas aller à l'encontre de son emploi ou vous faites partie de ces ballerines qui estiment qu'il faut pousser les limites?

Bien sûr, il ne faut pas rentrer dans quelque chose qui ne te va pas du tout. 


Qu'est-ce qui ne vous irait pas dans la classique?

La Sylphide probablement, celle d'ici [de Bournonville].


Et La Sylphide de Pierre Lacotte c'est votre Sylphide?

Elle est différente. Même avec ma taille, pourtant  je suis très grande [Kristina fait 1m75] et Lacotte avait des doutes, à cause de la taille ou pas - je ne me rappelle plus... C'est sa technique que j'aime beaucoup. Lorsqu'ils expliquaient tout ça avec Ghislaine Thesmar, c'était une découverte pour moi. C'était  tellement intéressant, toute cette technique perlée française du bas de jambe. Et puis, j'ai regardé Aurélie Dupont, elle le fait admirablement.


Qu'est-ce que vous préférez danser, le classique ou bien êtes-vous curieuse des chorégraphies contemporaines?

J’aime danser le répertoire classique, mais aussi explorer la chorégraphie contemporaine.


Dans quels rôles vous rêvez-vous encore maintenant?

Récemment, j'ai fait mes débuts en Juliette dans le Roméo et Juliette de Lavrovsky. Je voulais ce rôle à la folie. Maintenant, je rêve de danser Manon, La Dame aux camélias de Neumeier, Onéguine, Roméo et Juliette de MacMillan, Carmen de Roland Petit et d’Alberto Alonso, et Anna Karénine [d'Alexeï Ratmansky].

Kristina Shapran


Vous aimez les grands ballets narratifs néo-classiques?

Oui, je les aime beaucoup. C'est très intéressant pour moi. On peut s'immerger là-dedans.


Danserez-vous Le Lac des cygnes cette saison?


Oui, je le danserai cette saison, même si dans l'immédiat, ça n’a pas pu se concrétiser. [Kristina devait faire ses débuts dans le rôle d'Odette/Odile le 22 octobre dernier].


Vous avez encore le trac avant d'entrer sur scène?

Ouiiiii, bien-sûr. Quelqu'un a dit que s'il n'y a plus de trac avant d'entrer sur scène, ce n'est plus la peine de danser.


Et comment le maîtrisez-vous?

J'entre en scène... [rires]


Que représente pour vous l'invitation à l'Opéra de Paris?

Depuis l'enfance, on considérait l'Opéra de Paris comme un temple. C'est-à-dire, le Mariinsky est un temple et là-bas [à Paris] aussi, il y a quelque chose que l'on a peur de toucher. C'est une grosse responsabilité. Ce n'est pas une proposition, mais un cadeau.


Vous en avez rêvé?

Pour être honnête, je rêvais de danser à Paris lorsque j'étais petite. C'est étrange, j'ai rêvé de danser ici, au Théâtre Mariinsky, et là-bas. J'ai récemment relu mes cahiers d'enfant et il y est écrit : "Je veux devenir ballerine et danser au Théâtre Mariinsky et je veux aussi danser à Paris".


A qui revient l'initiative de cette invitation à Paris? Comment l'avez-vous appris?

Je l'ai appris par Youri Valerievitch [Fateev]. Je ne sais pas comment ça s'est passé exactement, mais Benjamin Millepied est venu me voir encore après Without [ballet de Benjamin Millepied au répertoire du Mariinsky, ndlr.] lorsque je l'ai dansé en Amérique et il m'a dit : "Je voudrais que tu viennes danser chez nous." 


Ce sera déjà la quatrième version de La Bayadère que vous abordez en quatre ans de carrière. Vous la connaissez déjà?

J'ai regardé la vidéo. "Les Ombres" y ont été en principe conservées. Mais vous savez ce qui m'a choquée dans cette version? C'est la scène où Nikiya vient chez Gamzatti lorsqu'elle l'invite et que Gamzatti la gifle.


Et qu'est-ce que vous pensez des lectures qu'a Noureev des ballets classiques?

Elles sont très difficiles. Don Quichotte, c'est de la folie. Elles existent, elles sont très intéressantes, mais trop dures physiquement.


Vous allez changer quelque chose dans la chorégraphie? Allez-vous y apporter une touche personnelle?

Certainement j'apporterai quelque chose de moi sur le plan de l'interprétation.


Les tempi vous conviennent?

A Paris, les danseurs sont un peu moins grands. Naturellement, c'est plus facile pour eux de bouger plus vite. J'aurai peut-être besoin de ralentir quelque part. J'espère que l'on accédera à mes souhaits.


Comment allez-vous vous préparer avec Kim? Avez-vous déjà des contacts avec l'Opéra?

Nous n'avons pas encore commencé à répéter... Il y a aussi  le premier adage si inhabituel... Aucun contact avec l'Opéra pour le moment. [date de l'entretien : 28 octobre 2015, ndlr].


Il vous faudra combien de temps pour les répétitions?

Nous allons en tournée en Chine, ensuite au Japon jusqu'à début décembre, et puis nous irons à Paris directement du Japon. 


Le style de danse des ballerines parisiennes est différent du style pétersbourgeois. Vous pensez vous y adapter?

Je n'y arriverai pas.


Mais vous avez envie de l'apprendre? Est-ce intéressant pour vous?

J'ai été frappée par leur technique de pas de bourrée, c'est incroyablement beau. J'ai envie de fréquenter leurs cours et d'étudier avec leurs professeurs. Bien évidemment, je veux apprendre et adopter quelque chose de l'Opéra. Mais le haut du corps... [phrase interrompue] J'ai dit à Elvira Guenndaievna : "Vous avez vu comme c'est beau?" Ils ont les hanches bien fixées, il n'y a pas d'emballement pour les extensions. Nous regardons tout ça.


Vous savez déjà avec qui vous allez répéter le rôle?

Pas encore.


Qu'est-ce qui est le plus difficile pour vous dans La Bayadère?

Comment dire? Le premier acte est bien sûr très difficile, il faut montrer un amour passionné pour Solor, et techniquement aussi... Dans la danse avec le serpent, il est également très important de montrer... Vous savez, maintenant, on l'interprète souvent comme un enchaînement de gymnastique et l'on ne comprend rien : pourquoi Nikiya se retrouve-t-elle là? Que veut-elle exprimer avec sa danse? Je voudrais rendre tout cela très clair, ce qui est assez compliqué aussi. Dans la variation du serpent, il y a plusieurs parties et il faut montrer la différence entre elles, ce qui n'est pas facile non plus. En réalité, on ne peut pas dire ce qui est le plus difficile. Chaque acte est difficile à sa manière.


Un passage préféré ?

La danse avec le serpent.


C'est donc l'amour dès le premier regard et pour la vie?

Oui, c'est comme ça, c'est resté dans ma mémoire depuis mon enfance.


Peut-on dire que La Bayadère est devenu le ballet de votre vie?

Je ne sais pas. En ce moment, j'aime tellement Roméo et Juliette, j'adore danser ce ballet, et  j'aime aussi énormément Giselle.


Et si vous aviez le choix de danser à Paris Giselle ou La Bayadère, lequel auriez-vous choisi ?

Giselle.


Bien que ce ne soit pas un ballet russe, mais un ballet français, et que, dès lors, et les jugements pourraient être plus sévères?

Oui, les jugements seraient peut-être plus sévères, mais j'ai davantage dansé Giselle que La Bayadère.


De quelles invitations rêvez-vous encore?

Covent Garden. Et je voudrais aussi danser Manon à l'ABT.


C'est-à-dire que vous voulez danser Manon aux États-Unis et non pas à Londres, et Giselle à Paris?

Oui [rires].


Dans une autre interview, vous avez dit qu’à l'école vous ne viviez que du ballet. Qu'est-ce qui a changé depuis dans la vie de la jeune fille Kristina Shapran? Avez-vous maintenant de nouvelles sources d'inspiration en dehors de la vie professionnelle?

Maintenant, j'ai grandi, je peux être attirée par les jeunes hommes. Ça aide aussi.


Et à l'école, vous n'y pensiez pas?

Non, pas du tout, rien ne m'attirait [rires]. Je n'aimais que le ballet.


Qui sont actuellement les personnes les plus importantes dans votre vie?

Ma sœur cadette. Elle n'est pas danseuse, mais elle a des yeux de lynx. Son avis est très important pour moi. Elle est directe. Si c'était mauvais, elle me le dira ouvertement : "c'était mauvais". Si c'était bien, elle me dira : "oui j'ai aimé, c'était très bien". Son jugement a de la valeur pour moi. Elle ne me flatte pas, mais ne me dira jamais gratuitement que c'était mauvais. Elle est impartiale.


Qu’auriez-vous fait si vous n'aviez pas été ballerine?

Je serais devenue médecin. Ça me fait peur, mais mon frère est médecin et ma sœur aînée aussi.


Vous n'êtes pas issue d'une famille d'artistes?

Non, personne chez nous n'est dans la profession. Ma mère est comptable, mon père est géologue de formation, mais il écrit aussi des poèmes. Il prépare actuellement la sortie de son nouveau livre.


Est-ce qu’il y a quelque chose qui vous empêche d'avancer dans la profession et dans la vie?

Je suis très sensible. Il y a des périodes où tu réagis froidement à ce que l'on dit sur ton compte et tu continues ton chemin. Mais parfois, ça peut te blesser et tu commences à y penser.


La critique vous blesse?

Non, en principe, j'accepte la critique d'une façon objective, mais je ne comprends pas les gens qui s’abaissent à envoyer les messages personnels horribles sur les réseaux sociaux. Si vous en discutez quelque part sur Internet, faites-le, mais pourquoi passer aux attaques personnelles? Je ne peux pas comprendre cela. C'est un manque d'éducation affreux. 


Qu'est-ce que vous appréciez chez les gens et qu'est-ce qui vous fait vous éloigner d'eux?

Si je sais que la personne est méchante ou quelque chose dans ce genre, je ne peux pas l'apprécier en tant qu’artiste. Lorsque je vois quelqu'un jouer un personnage généreux alors qu'il ne l'est pas, je le regarde à la manière de Stanislavski et je pense : "Je n'y crois pas!" Par exemple, Vika [Viktoria Tereshkina, ndlr.] est quelqu'un de bien et c'est aussi toujours agréable de la regarder.


Avez-vous des amies au théâtre?

Oui, Vika. J'ai eu la chance de partager la loge avec Vika Tereshkina,  Katia Osmolkina, Lena Androssova. Elles sont géniales, on est devenues tout de suite amies. Plus tard, lorsqu'on a voulu me faire "déménager", elles ne m'ont pas laissée partir, elles me disaient : "Qu'est-ce qu'on va faire maintenant sans toi ?" [rires].


Vous êtes déjà venue à Paris avant?

Non, mais j'ai toujours rêvé d'y aller. Paris est une ville-mystère pour moi. Pour être honnête, je songeais à ma visite là-bas autrement. Je croyais que ce serait pour un voyage de noces.


Vous savez déjà avec qui?

Non [rires]. Mais maintenant, je suis heureuse que cela se passe comme ça. Je n'aurais jamais pu l'imaginer.


Qu'est-ce que vous voulez voir en particulier à Paris?

Je veux visiter la Tour Eiffel, monter tout en haut, et aussi obligatoirement lorsqu'il fait nuit pour que tout soit illuminé… Et je n'ai jamais goûté de grenouilles.


Vous vous considérez déjà comme une étoile en devenir?

Nooooon! Depuis mon enfance, je considère qu'il vaut mieux se sous-estimer en peu.





Kristina Shapran - Propos recueillis et traduits en français par Elena Kushtyseva

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Kristina Shapran






Entretien réalisé le 28 octobre 2015 à Saint-Pétersbourg - Kristina Shapran © Dansomanie


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