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entretiens
Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche presentent LAAC

01 juillet 2015 : Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche présentent LAAC au Théâtre des Champs-Élysées


Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche, tous deux anciens danseurs étoiles de l'Opéra de Paris, se lancent, ensemble, dans un nouveau projet, en collaboration avec le Théâtre des Champs-Élysées. Ils viennent en effet de créer LAAC (L'Atelier d'Art Chorégraphique), atelier ouvert aux enfants dès 8 ans, aux amateurs, ainsi qu'à ceux qui se destinent à une carrière professionnelle. L'atelier démarrera, dans les locaux rénovés du TCE, le 15 septembre prochain. En attendant, le 1er juillet dernier, une journée Portes Ouvertes était proposée au public. Entre deux cours, Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche se sont très aimablement prêté au jeu d'une interview informelle et à plusieurs voix.





Comment s'est construit ce projet?

Clairemarie Osta : Tout est parti de nous. On est à une étape particulière de nos vies respectives. On a finalement assez peu travaillé ensemble à l'Opéra, en-dehors de quelques moments forts, qui nous ont plu d'ailleurs. Le point de départ a été la création d'Odyssée, le duo que Nicolas a chorégraphié il y a deux ans. A la création et à chaque fois qu'on a eu l'occasion de le danser, on a été surpris d'y être heureux, de s'y sentir à notre place. On avait donc envie d'explorer cet espace-temps que proposait le duo. Il y a ensuite eu le solo Un Après-midi. Je parle là de ce que nous avons fait en tant qu'interprètes, mais c'est lié à cette envie de travailler ensemble, d'explorer ce qu'on pouvait apporter à cette communion qui existait dans la vie, mais pas tant que ça du point de vue artistique. Par ailleurs, depuis que je fais de la danse, j'aime ce mode de transmission, ce lien entre les différentes générations, cette richesse d'expériences, ce besoin qu'on a les uns des autres. C'est comme ça que les choses se sont faites. Ce qui pouvait être négatif ne l'était pas en fait et devenait positif. On n'avait jamais projeté de travailler ensemble de cette façon, mais l'on s'en réjouit grâce au vécu de cette Odyssée.

Il y a aussi eu les rencontres avec le directeur du théâtre des Champs-Élysées. On lui avait dit que l'on aimerait bien se sentir un peu plus en résidence. Il a eu la curiosité d'approfondir nos objectifs. Aujourd'hui, nous sommes aussi des passeurs. Cette résidence au TCE, qui existait déjà, devait donc se prolonger pour devenir un atelier de formation et de transmission. Il fallait profiter de cet état de transition et du fait que l'on est toujours en activité. De toute façon, on le sera toujours d'une manière ou d'une autre, même si ça n'est pas sur la scène. Il s'agissait de transmettre cette expérience avec l'âme du théâtre. Tout est cohérent en fait. C'est un peu une école, mais on l'a appelée atelier parce qu'on est dans un théâtre et que les artistes, les gens du théâtre qui sont sur les différentes productions, que ce soit de la de danse ou d'autres disciplines, vont être amenés à se croiser, peut-être même à travailler ensemble.

Nicolas Le Riche : Il faut se rendre compte que ce théâtre est un endroit unique. C'est le seul théâtre dans Paris avec une école à l'intérieur et qui parle de danse. Un projet comme celui-ci ne peut exister sans la volonté des gens. Nous avons été accueillis très chaleureusement. Il y a eu une véritable écoute. Ce qui nous a donné envie de ce projet, ce sont aussi les gens, les équipes de ce théâtre.

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Pourquoi avoir voulu ouvrir un atelier pré-professionnel aux amateurs et aux enfants?


Clairemarie Osta : Le rêve commence enfant. Le moteur de l'artiste prend naissance tôt, particulièrement dans la danse. Nicolas et moi, nous avons commencé la danse enfants et en tant qu'amateurs. J'ai moi-même été amateur jusqu'à quinze ans, même si je faisais déjà beaucoup de danse. A quinze ans, la directrice du conservatoire de Nice m'a dit qu'il fallait que je parte : - «Mais pour quoi faire?» - «Pour être danseuse» - «Mais je le suis déjà». Cela voulait dire que la danse faisait déjà partie de ma vie. Cette énergie existe chez les enfants et elle est communicative. Pourquoi les amateurs? Parce qu'eux aussi sont des grands passionnés. L'âge n'a pas altéré le rêve, la passion. La créativité est chez eux souvent débridée. Il n'y a pas de complexe. C'est positif pour ces jeunes qui se destinent à être professionnels. Ils sont souvent concentrés sur une méthode, sur une technique, et ils ont aussi besoin de revibrer, de vivre leur passion de la manière la plus ouverte possible, de comprendre ce qui les motive à être là, par-delà la réussite.


Y a-t-il une raison financière à cet élargissement?

Clairemarie Osta : Non, pas du tout. On revient toujours à ce dont nous avons envie. Forcément, les choses que nous proposons ont un prix, c'est une règle économique et sociale, mais aucun de nos choix n'est contraint.


De quelle manière vont se croiser les enfants et les amateurs?


Clairemarie Osta : Cela prendra la forme d'événements. Il y aura un spectacle en fin d'année réunissant les classes, avec une mise en scène, une histoire..., qui comportera une ouverture sur ce qui se sera passé durant l'année dans le LAAC. Il y aura sans doute d'autres événements. On a aussi envisagé des conférences dansées. Concrètement, les enfants auront cours le mercredi après-midi, les autres le matin. Mais le programme précis sera aussi construit en fonction des gens qui vont venir à nous. C'est le groupe qui va se constituer qui déterminera les valeurs, les orientations qu'on va prendre, les gens que l'on invite. L'idée, c'est celle d'une ouverture. On les accompagne, mais ils nous accompagnent aussi. A chaque fois qu'on trouvera quelque chose d'intéressant, on trouvera le moyen de le faire partager. Cela pourra être par exemple une séance de dédicace avec un artiste... On a la chance de croiser des gens différents. Ils peuvent avoir un lien avec la danse, mais ils ne sont pas forcément danseurs. Si on les trouve intéressants, on en fera profiter le groupe.


Comment seront organisés les ateliers à l'échelle de l'année?

Clairemarie Osta : Pour les enfants, le créneau horaire sera le mercredi après-midi, pour les autres, ce sera tous les matins, avec un premier cadre jusqu'à 10h45 et ensuite, en fonction du groupe, il y aura un deuxième programme adapté à leurs objectifs. Pendant les vacances de la Toussaint, il y a deux projets qui nous intéressent beaucoup : l'un, plutôt pédagogique, avec l'Association des Maîtres à Danser, l'autre avec la Fondation En Avant. En Avant part de l'idée que les richesses sont disponibles, mais que les jeunes ne savent pas toujours comment les approcher. Les richesses, ce sont les gens qui ont dansé, côtoyé de grands chorégraphes, interprété des rôles et dont la mission est à présent de transmettre. C'est le cœur de cette fondation, qui a déjà fait des stages itinérants, à New York, chez Barychnikov, au San Francisco Ballet, maintenant à Paris... Mais les choses vont se construire petit à petit. Le cœur de notre énergie, ce sont les gens que nous aurons à accompagner. On est experts dans notre pratique, mais la rencontre avec les jeunes va orienter le programme. Il y aura des professeurs invités, et nous-mêmes avons très envie d'ouvrir les choses en donnant des cours dans d'autres compagnies, mais accompagnés de nos apprentis. Ce qui va se passer pour nous va se passer pour eux, à leur niveau et selon leurs besoins.

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Il n'y aura donc pas que de la danse classique?


Clairemarie Osta : Non, justement. Par rapport à cette étiquette, on pourrait dire en fait que tout est classique, puisque ça se passe dans la classe et ce qui ne se passe pas dans la classe, c'est un autre monde. On a eu la chance, dans nos carrières à tous les deux à l'Opéra, d'arriver à une époque où l'on n'a pas eu à faire le choix. Ce n'était pas péjoratif de faire du contemporain et de travailler avec des créateurs qui cherchaient en nous d'autres facettes nous a fait évoluer.

Nicolas Le Riche : On s'est battus pour ne pas avoir à faire de choix. Auparavant, on était danseur classique ou danseur contemporain, les deux mondes ne se rejoignaient pas. On a œuvré en tant qu'interprètes pour rapprocher ces deux mondes qui s'étaient éloignés de manière totalement artificielle, tout particulièrement en France, et fait en sorte de repenser la danse comme une. Il y a des spécificités, mais c'est idiot d'opposer les techniques classique et contemporaine. Je vous donne deux exemples : Sidi Larbi Cherkaoui, c'est du contemporain, Pina Bausch, c'est du contemporain aussi, mais pourtant ça n'a rien à voir, ils ne font pas la même chose. Nous pensons qu'il y a la danse actuelle, la danse d'aujourd'hui. On revient du conservatoire d'Avignon où l'on a fait passer les examens et les danseurs qui nous font rêver, ce sont des danseurs complets. Il y a des danseurs très spécifiques, mais tout de suite, leur horizon est restreint. Au moment d'auditionner dans une compagnie, ne pas être un danseur complet devient vraiment problématique.


Cet atelier a-t-il justement pour but une insertion professionnelle?


Clairemarie Osta : Oui, bien sûr. C'est majeur dans le projet des apprentis. Le but est d'en faire des pros. Ce que nous allons leur concocter sera en fonction de leurs objectifs, ce qui inclut des conseils, des recommandations auprès de directeurs. On les aidera à s'orienter dans le monde de la danse. C'est quelque chose qui manque souvent dans les formations, car il faut avoir la connaissance du milieu, des directeurs, des styles...


Comment se fera le recrutement?

Clairemarie Osta : On va se rencontrer, ce sera le plus simple. Ils vont nous exposer leurs objectifs et nous, on va les regarder... On espère qu'il y aura de multiples profils. On a été des interprètes ouverts, on a dansé des choses très variées, on ne veut pas qu'un profil classique, qu'on adore, mais qui pourrait limiter les rencontres avec des jeunes qui se destinent à des carrières différentes de la nôtre. On pourra aussi aider peut-être certains à entrer à l'Opéra, si c'est leur rêve ou si c'est leur place...

Nicolas Le Riche : Plus concrètement, il y a un dossier d'inscription sur le site et après cela, on va un peu regarder tous les les candidats et voir ce qui peut être cohérent, ce qui permettra de faire avancer le groupe. On espère une audition pour les pré-pros, ceux que nous avons baptisés apprentis-pros. On a besoin de voir le potentiel, les motivations de ces jeunes... Le travail du danseur n'est pas à sens  unique. Il demande pas mal de courage. On a beau demander à un danseur de lever le bras, si ça ne passe pas par sa tête ou par son désir, rien ne se passe. On a vraiment besoin de sentir ce désir.

Clairemarie Osta : Certains apprentis feront une année entière, d'autres peut-être deux, en fonction de leur projet et de la réalité. On a aussi envie de répondre à des attentes de gens qui viendront de l'étranger, par exemple pour travailler un rôle, un style, pour une rencontre particulière, sur des périodes d'un semestre, d'un mois, d'une semaine...


Le cours à deux, c'est une formule qui sera renouvelée?

Nicolas Le Riche : Il n'y a pas de règle. On a pensé que c'était plus sympathique d'être présents tous les deux pour ces portes ouvertes. Ensuite, on aime travailler ensemble, on se connaît bien. Pour la suite, cela dépendra beaucoup des élèves qui seront là.

Clairemarie Osta : Cet après-midi, on a séparé en fonction de l'âge plutôt que par niveau. On se laisse aussi la possibilité de constituer des groupes de garçons pendant l'année s'il y en a suffisamment.


Cette formation vient-elle pallier le manque de grands maîtres aujourd'hui à Paris?

Nicolas Le Riche : Nous avons eu la chance de connaître une époque où il y avait à Paris de grands maîtres. Après, il faut le mettre en perspective, nous vivons une autre époque, un autre moment. Mais c'est vrai, nous avons eu la chance d'avoir une première vie professionnelle «chargée», dans le sens de la charge, de la recharge, de ce qui nous nourrit. Aujourd'hui, on a envie de le retourner comme une peau d'orange et de l'offrir. Nous avons vécu un moment très intéressant de la danse française qui est arrivée à une espèce d'apogée, avec notamment des apports étrangers. Avec Rudolf Noureev, les choses se sont ouvertes, l'Opéra est devenu beaucoup plus international sous son impulsion. Il a amené la danse contemporaine à l'Opéra, il a fait venir William Forsythe, Maguy Marin, Bob Wilson... C'était une époque très riche. On a eu la chance d'être là. Ce foisonnement, on a envie de le nourrir et de le faire vivre.

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L'enseignement est-il quelque chose de naturel pour vous?

Nicolas Le Riche : Je suis dans un studio de danse depuis que j'ai sept ans, je prends des cours depuis que j'ai sept ans, j'ai eu le temps de les regarder tous ces professeurs! Ce qui est intéressant dans un cours, c'est la pratique collective qui permet d'affiner l’œil. Ce qu'on dit aux autres est aussi important que ce qu'on vous dit à vous. Il faut aussi regarder les autres réagir à la consigne... Tout cela, c'est de la formation pédagogique. Ensuite, il y a l'arrivée dans le milieu professionnel, notamment les répétitions avec les partenaires. Dans un pas de deux, il faut être capable de dire à sa partenaire ce qu'on attend d'elle, comment on ressent les choses. La démarche pédagogique vient de là, c'est une continuité. Je regarde aujourd'hui tous ces jeunes avec énormément de tendresse. J'ai aimé avoir des «sachants» qui m'ont aidé, j'ai beaucoup cru en leur parole.


Le projet est évolutif. Peut-on imaginer quelque chose comme une petite troupe, avec plus d'un spectacle, des tournées?

Clairemarie Osta : La boîte à idées est large. On s'amuse parfois à se demander comment elle pourrait s'appeler, cette petit compagnie. Monter sur scène, c'est quand même l'une des motivations de ces jeunes, donc toutes les occasions de le faire seront saisies et provoquées.

Nicolas Le Riche : L'avenir est très incertain de toute façon. Si vous nous aviez parlé de LAAC il y a deux ans, on n'aurait pas forcément parié dessus, même si l'on en avait envie, mais nos voies étaient engagées différemment. On ne se ferme aucune porte, c'est ça qui est important.


Allez-vous vous impliquer dans la transmission des rôles que vous avez interprétés durant votre carrière, ici ou ailleurs?

Clairemarie Osta : C'est l'un des projets de la Fondation En Avant, de choisir des thèmes, d'impliquer les danseurs qui y ont leur place, de les accueillir...

Nicolas Le Riche : Pour moi, il y a deux aspects dans cette question : l'aspect Opéra de Paris et l'aspect transmission. Ce n'est pas vraiment la même chose pour moi. Nous avons dansé beaucoup de rôles à l'Opéra de Paris, c'est un lieu important de transmission, mais attention, il ne faut pas que ce soit le seul en France. C'est un danger énorme si la tradition ne tient qu'à un seul lieu, c'est comme d'imaginer que Molière ne serait joué qu'à la Comédie Française, ce serait triste pour tout le monde. Ce trésor est bien plus large. Il y a aussi un autre danger : imaginez qu'un directeur de la danse arrive, n'aime pas Roland Petit et décide que Roland Petit n'a plus à être programmé à l'Opéra de Paris, Roland Petit disparaît. Je parle de Roland Petit,mais je pourrais parler de Maurice Béjart, de Serge Lifar. Ce sont des pans d'histoire de la danse française extrêmement importants. Il ne faut pas que l'Opéra soit un lieu unique de diffusion, sinon il y a un énorme danger de rupture. Ce serait triste sachant que la France est un vecteur historique de la danse. Le projet s'inscrit donc aussi dans cette préoccupation. Nous nous plaçons au cœur de cette transmission, nous pensons qu'il faut faire durer cette voie qui est passée par nous à un moment donné, mais qui a existé avant nous. C'est cela la richesse de la danse aujourd'hui. Ce qui la rend extrêmement dynamique, c'est qu'elle est basée sur le vivant.

Clairemarie Osta : J'ai beaucoup insisté sur le fait que l'on allait orienter nos propositions en fonction des objectifs des danseurs, mais on y intégrera aussi des ingrédients qu'on juge indispensables, à savoir cette culture du répertoire, que ce soit dans le cadre de LAAC ou dans un autre cadre, par exemple celui de compagnies avec lesquelles on pourrait travailler.


La transmission du répertoire reste très centralisée en France, en dépit de Toulouse et Bordeaux. Comment percevez-vous le paysage chorégraphique en France?

Nicolas Le Riche : Il faut se poser la question de ce qu'est ce paysage, de son histoire et de son évolution. Je peux regretter que sur dix-neuf centre chorégraphiques nationaux, il y en ait dix-neuf contemporains – on peut mettre un petit bémol sur Biarritz. On peut regretter qu'à Marseille, l'école ne fasse plus partie du ballet. Ce sont des choses qui sont difficiles à comprendre. Du coup, c'est un paysage un peu uniformisé.

Clairemarie Osta : Paradoxalement! La transmission, cela se passe à plusieurs niveaux. Si on parle d'un répertoire ou d'un patrimoine, nous, on imagine qu'on va le transmettre à des jeunes pré-professionnels, voire à des amateurs dans l'idée qu'ils côtoient certains univers du monde de la danse, mais il faut aussi regarder, quand certains ballets sont repris dans certaines compagnies, qui porte l'histoire avant et qui transmet un ballet. Il faut choisir tout cela avec soin. La formation est  aussi capitale dans le devenir du paysage chorégraphique. On ne peut pas inventer des ballets sur des gens qui n'ont pas de culture ni de savoir-faire. On n'a pas forcément de réponse à tout, mais on se pose toutes ces questions avec le LAAC.


L'Opéra de Paris n'a pas de choréologue (l'écriture de partitions chorégraphiques) [NDLR : affirmation fausse d'une intervenante, l'Opéra National de Paris emploie une choréologue à temps plein, Michèle Delgutte]. Que pensez-vous de ce mode de transmission?


Nicolas Le Riche : Il a ses avantages, il a ses inconvénients. Un certain nombre d'indications qui passent par le vivant peuvent-elles être écrites? C'est très vaste. On touche à différents champs, du très concret comme «tends ton genou, tends ton pied»... mais on passe aussi par tout le champ de l'imaginaire, et là, subitement, la notation devient très difficile.

Clairemarie Osta : Il y a tout le témoignage du vécu. A travers les indications que l'on montre, le dessin de la chorégraphie, on porte une mémoire dont on a conscience, mais qui jaillit aussi malgré nous. Pour avoir pas mal travaillé avec des notateurs, je peux dire qu'eux-mêmes ne se considèrent pas comme seuls à porter la transmission. L'idéal, ce serait une équipe constituée de quelqu'un qui a écrit en présence du chorégraphe ou du passeur de répertoire, quelqu'un qui aurait vu et vécu le mouvement, et c'est encore mieux s'il a pu le vivre dans son corps. Les meilleurs notateurs, ce sont ceux qui ont dansé, qui ont une culture de quelqu'un. Ils ne sont pas compétents en tout, mais ils savent faire des choix et noter ce qui leur paraît l'essence de tel ou tel style.


Nicolas Le Riche : L'exemple est très important dans un cours. Je me souviens d'un cours où les danseurs avaient du mal à sauter. Ils ne sautaient pas jusqu'au moment où je me suis mis à sauter avec eux. On retrouve là l'importance du vivant. Ensuite, ce vivant a des défauts. Je vais vous donner un exemple. Aujourd'hui, à l'Opéra de Paris, on danse dans une version transmise oralement par deux personnes qui n'avaient pas dansé ce ballet. On en a une version fantasmée. Or, il se trouve que Vaslav Nijinsky a lui-même écrit sa partition de L'Après-midi d'un faune, au détail près. C'est incroyable aujourd'hui de confronter cette partition et de voir la différence. La partition de Nijinsky est bien plus moderne, contemporaine, imaginative que celle que nous dansons à l'Opéra qui est une version romantisée ou fantasmée de ce que peut être le ballet.

Clairemarie Osta : Parfois on n'a pas la source, alors que là, on a la chance de l'avoir. C'est bien de temps en temps de jouer les archéologues et de confronter cette mémoire avec les éléments qu'on a. C'est d'ailleurs intéressant de voir ce que les transmetteurs ont gardé et pourquoi ils l'ont gardé. C'est une trace intéressante, mais il ne faut pas qu'elle fasse de l'ombre ou annule le reste. C'est toujours une recherche.


On peut remonter L'Après-midi d'un faune dans la version notée?

Nicolas Le Riche : C'est en train. Je travaille là-dessus depuis le début de cette année.


La transmission ne doit pas passer que par l'Opéra de Paris, mais elle doit aussi passer par l'Opéra de Paris. N'y a-t-il pas de frustration pour vous de ne pas pouvoir transmettre aussi à l'Opéra?

Nicolas Le Riche : Non, aucune. Nous avons été à l'Opéra de Paris, nous continuons de l'être,  nous continuons de le porter. S'il y a une frustration, elle n'est pas de notre côté.


Prévoyez-vous de travailler avec les anciennes étoiles comme Kader Belarbi, Manuel Legris, José Martinez, qui sont maintenant dans d'autres théâtres?

Nicolas Le Riche : J'espère que nous allons travailler ensemble. Ce LAAC est tout nouveau, il faut qu'il naisse, qu'il se développe, qu'on voie quel peut être son écho. En tout cas, ce sont des danseurs que nous apprécions beaucoup et nous sommes en contact.

Clairemarie Osta : Par rapport à cette idée de l'intérieur et de l'extérieur de l'Opéra, je dirais que les choses, nous les portons avec nous et elles continuent de se construire. Nous sommes de cette génération qui s'est renouvelée - eux un petit peu avant nous -, certains se retrouvent aujourd'hui à des postes d'influence, avec une parole, un espace... C'est dans le projet de LAAC de continuer à faire des choses ensemble, mais cela prend du temps.

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Quels souvenirs gardez-vous l'un et l'autre de vos adieux?


Clairemarie Osta : Un grand moment. Une grande joie. Beaucoup de stress aussi, car c'est un peu comme quand on organise une grande fête, ce sont surtout les invités qui en profitent. Cela a été une grande joie d'avoir vécu ces adieux avec Nicolas, même si cela m'inquiétait beaucoup, car je me disais que ça allait nous émouvoir encore plus. Finalement, ça m'a beaucoup soutenue. C'est important de «marquer le coup». C'est aussi grâce à cela que l'on prend un nouveau rebond. Cette cérémonie, c'est une tradition. On fête quelqu'un et en même temps on fête le groupe auquel on appartient. On n'est pas le seul héros, on est dans toute cette organisation traditionnelle. J'ai beaucoup plus souffert de voir partir des gens que j'admirais ou avec qui j'aimais travailler que moi-même de partir. Non pas que la compagnie ne me manque pas, mais j'avais confiance dans ce que j'allais faire. On a la chance d'avoir un très beau film qui retrace le dernier mois, des répétitions jusqu'aux adieux, malheureusement il n'a pas une grande visibilité.

Nicolas Le Riche : Pour tout vous dire, j'étais heureux de partir. Je sentais que c'était le moment et que j'étais arrivé au bout d'un chemin. Il était temps de passer à autre chose. Je retiens le partage et la joie avec les personnels de l'Opéra. Je me suis battu pour que cette soirée se fasse avec des amis. C'était l'une des premières fois où je pouvais parler de l'Opéra tel que je l'avais vécu, de ce qui était précieux pour moi : cette chaîne avec ces enfants qui entrent à l'école, qui racontent une histoire, leur histoire, mais aussi celle d'un ballet, Les Forains, redérouler le fil, repasser au travers des souvenirs heureux et marquants, du point de vue de l'expérience personnelle ou des rencontres. Il y a eu les chorégraphes comme Noureev, le mythes fantasmés comme Nijinsky, des rencontres plus personnelles, celles avec Roland Petit, Maurice Béjart, Mats Ek, Sylvie Guillem. Ce qui m'intéresse avec le Boléro, c'est comment on s'inscrit à l'intérieur d'une œuvre, comment on  nourrit le rôle. L'homme du Boléro, on peut l'envisager de différentes manières : comme un tanagra, une icône sensuelle qui est dans un rapport de séduction avec le chœur, comme un combattant, un meneur de troupe qui part au combat, mais aussi comme un moment de partage, une transe. Toutes ces petites subtilités, c'est magique de les appréhender en tant qu'interprète. L'univers intérieur est très important. Cette soirée, c'était aussi une première pour dire : la danse, mais pas que. Quand on est danseur, on est plus que danseur. Il faut avoir les yeux ouverts sur les musiciens, sur les peintres, sur les décorateurs. C'est comme ça en tout cas que j'appréhende la danse et c'est pour ça que j'aime tant cette histoire des Ballets russes.



Clairemarie Osta / Nicolas Le Riche - Propos transcrits par Bénédicte Jarrasse



 

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Cours commenté le 01 juillet 2015 au Théâtre des Champs- Elysées © 2015, Dansomanie


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