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Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche presentent LAAC
01 juillet 2015 : Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche présentent
LAAC au Théâtre des Champs-Élysées
Clairemarie
Osta et Nicolas Le Riche, tous deux anciens danseurs étoiles de
l'Opéra de Paris, se lancent, ensemble, dans un nouveau projet,
en collaboration avec le Théâtre des
Champs-Élysées. Ils viennent en effet de créer
LAAC (L'Atelier d'Art Chorégraphique), atelier ouvert aux
enfants dès 8 ans, aux amateurs, ainsi qu'à ceux qui se
destinent à une carrière professionnelle. L'atelier
démarrera, dans les locaux rénovés du TCE, le 15
septembre prochain. En attendant, le 1er juillet dernier, une
journée Portes Ouvertes était proposée au public.
Entre deux cours, Clairemarie Osta et Nicolas Le Riche se sont
très aimablement prêté au jeu d'une interview
informelle et à plusieurs voix.
Comment s'est construit ce projet?
Clairemarie Osta : Tout
est parti de nous. On est à une étape particulière
de nos vies respectives. On a finalement assez peu travaillé
ensemble à l'Opéra, en-dehors de quelques moments forts,
qui nous ont plu d'ailleurs. Le point de départ a
été la création d'Odyssée,
le duo que Nicolas a chorégraphié il y a deux ans. A la
création et à chaque fois qu'on a eu l'occasion de le
danser, on a été surpris d'y être heureux, de s'y
sentir à notre place. On avait donc envie d'explorer cet
espace-temps que proposait le duo. Il y a ensuite eu le solo Un Après-midi.
Je parle là de ce que nous avons fait en tant
qu'interprètes, mais c'est lié à cette envie de
travailler ensemble, d'explorer ce qu'on pouvait apporter à
cette communion qui existait dans la vie, mais pas tant que ça
du point de vue artistique. Par ailleurs, depuis que je fais de la
danse, j'aime ce mode de transmission, ce lien entre les
différentes générations, cette richesse
d'expériences, ce besoin qu'on a les uns des autres. C'est comme
ça que les choses se sont faites. Ce qui pouvait être
négatif ne l'était pas en fait et devenait positif. On
n'avait jamais projeté de travailler ensemble de cette
façon, mais l'on s'en réjouit grâce au vécu
de cette Odyssée.
Il y a aussi eu les rencontres avec le directeur du
théâtre des Champs-Élysées. On lui avait dit
que l'on aimerait bien se sentir un peu plus en résidence. Il a
eu la curiosité d'approfondir nos objectifs. Aujourd'hui, nous
sommes aussi des passeurs. Cette résidence au TCE, qui existait
déjà, devait donc se prolonger pour devenir un atelier de
formation et de transmission. Il fallait profiter de cet état de
transition et du fait que l'on est toujours en activité. De
toute façon, on le sera toujours d'une manière ou d'une
autre, même si ça n'est pas sur la scène. Il
s'agissait de transmettre cette expérience avec l'âme du
théâtre. Tout est cohérent en fait. C'est un peu
une école, mais on l'a appelée atelier parce qu'on est
dans un théâtre et que les artistes, les gens du
théâtre qui sont sur les différentes productions,
que ce soit de la de danse ou d'autres disciplines, vont être
amenés à se croiser, peut-être même à
travailler ensemble.
Nicolas Le Riche : Il
faut se rendre compte que ce théâtre est un endroit
unique. C'est le seul théâtre dans Paris avec une
école à l'intérieur et qui parle de danse. Un
projet comme celui-ci ne peut exister sans la volonté des gens.
Nous avons été accueillis très chaleureusement. Il
y a eu une véritable écoute. Ce qui nous a donné
envie de ce projet, ce sont aussi les gens, les équipes de ce
théâtre.
Pourquoi avoir voulu ouvrir un atelier pré-professionnel aux amateurs et aux enfants?
Clairemarie Osta : Le
rêve commence enfant. Le moteur de l'artiste prend naissance
tôt, particulièrement dans la danse. Nicolas et moi, nous
avons commencé la danse enfants et en tant qu'amateurs. J'ai
moi-même été amateur jusqu'à quinze ans,
même si je faisais déjà beaucoup de danse. A quinze
ans, la directrice du conservatoire de Nice m'a dit qu'il fallait que
je parte : - «Mais pour quoi faire?» - «Pour
être danseuse» - «Mais je le suis
déjà». Cela voulait dire que la danse faisait
déjà partie de ma vie. Cette énergie existe chez
les enfants et elle est communicative. Pourquoi les amateurs? Parce
qu'eux aussi sont des grands passionnés. L'âge n'a pas
altéré le rêve, la passion. La
créativité est chez eux souvent débridée.
Il n'y a pas de complexe. C'est positif pour ces jeunes qui se
destinent à être professionnels. Ils sont souvent
concentrés sur une méthode, sur une technique, et ils ont
aussi besoin de revibrer, de vivre leur passion de la manière la
plus ouverte possible, de comprendre ce qui les motive à
être là, par-delà la réussite.
Y a-t-il une raison financière à cet élargissement?
Clairemarie Osta : Non,
pas du tout. On revient toujours à ce dont nous avons envie.
Forcément, les choses que nous proposons ont un prix, c'est une
règle économique et sociale, mais aucun de nos choix
n'est contraint.
De quelle manière vont se croiser les enfants et les amateurs?
Clairemarie Osta :
Cela prendra la forme d'événements. Il y aura un
spectacle en fin d'année réunissant les classes, avec une
mise en scène, une histoire..., qui comportera une ouverture sur
ce qui se sera passé durant l'année dans le LAAC. Il y
aura sans doute d'autres événements. On a aussi
envisagé des conférences dansées.
Concrètement, les enfants auront cours le mercredi
après-midi, les autres le matin. Mais le programme précis
sera aussi construit en fonction des gens qui vont venir à nous.
C'est le groupe qui va se constituer qui déterminera les
valeurs, les orientations qu'on va prendre, les gens que l'on invite.
L'idée, c'est celle d'une ouverture. On les accompagne, mais ils
nous accompagnent aussi. A chaque fois qu'on trouvera quelque chose
d'intéressant, on trouvera le moyen de le faire partager. Cela
pourra être par exemple une séance de dédicace avec
un artiste... On a la chance de croiser des gens différents. Ils
peuvent avoir un lien avec la danse, mais ils ne sont pas
forcément danseurs. Si on les trouve intéressants, on en
fera profiter le groupe.
Comment seront organisés les ateliers à l'échelle de l'année?
Clairemarie Osta : Pour
les enfants, le créneau horaire sera le mercredi
après-midi, pour les autres, ce sera tous les matins, avec un
premier cadre jusqu'à 10h45 et ensuite, en fonction du groupe,
il y aura un deuxième programme adapté à leurs
objectifs. Pendant les vacances de la Toussaint, il y a deux projets
qui nous intéressent beaucoup : l'un, plutôt
pédagogique, avec l'Association des Maîtres à
Danser, l'autre avec la Fondation En Avant. En Avant
part de l'idée que les richesses sont disponibles, mais que les
jeunes ne savent pas toujours comment les approcher. Les richesses, ce
sont les gens qui ont dansé, côtoyé de grands
chorégraphes, interprété des rôles et dont
la mission est à présent de transmettre. C'est le
cœur de cette fondation, qui a déjà fait des stages
itinérants, à New York, chez Barychnikov, au San
Francisco Ballet, maintenant à Paris... Mais les choses vont se
construire petit à petit. Le cœur de notre énergie,
ce sont les gens que nous aurons à accompagner. On est experts
dans notre pratique, mais la rencontre avec les jeunes va orienter le
programme. Il y aura des professeurs invités, et
nous-mêmes avons très envie d'ouvrir les choses en donnant
des cours dans d'autres compagnies, mais accompagnés de nos
apprentis. Ce qui va se passer pour nous va se passer pour eux,
à leur niveau et selon leurs besoins.
Il n'y aura donc pas que de la danse classique?
Clairemarie Osta : Non,
justement. Par rapport à cette étiquette, on pourrait
dire en fait que tout est classique, puisque ça se passe dans la
classe et ce qui ne se passe pas dans la classe, c'est un autre monde.
On a eu la chance, dans nos carrières à tous les deux
à l'Opéra, d'arriver à une époque où
l'on n'a pas eu à faire le choix. Ce n'était pas
péjoratif de faire du contemporain et de travailler avec des
créateurs qui cherchaient en nous d'autres facettes nous a fait
évoluer.
Nicolas Le Riche : On
s'est battus pour ne pas avoir à faire de choix. Auparavant, on
était danseur classique ou danseur contemporain, les deux mondes
ne se rejoignaient pas. On a œuvré en tant
qu'interprètes pour rapprocher ces deux mondes qui
s'étaient éloignés de manière totalement
artificielle, tout particulièrement en France, et fait en sorte
de repenser la danse comme une. Il y a des spécificités,
mais c'est idiot d'opposer les techniques classique et contemporaine.
Je vous donne deux exemples : Sidi Larbi Cherkaoui, c'est du
contemporain, Pina Bausch, c'est du contemporain aussi, mais pourtant
ça n'a rien à voir, ils ne font pas la même chose.
Nous pensons qu'il y a la danse actuelle, la danse d'aujourd'hui. On
revient du conservatoire d'Avignon où l'on a fait passer les
examens et les danseurs qui nous font rêver, ce sont des danseurs
complets. Il y a des danseurs très spécifiques, mais tout
de suite, leur horizon est restreint. Au moment d'auditionner dans une
compagnie, ne pas être un danseur complet devient vraiment
problématique.
Cet atelier a-t-il justement pour but une insertion professionnelle?
Clairemarie Osta : Oui,
bien sûr. C'est majeur dans le projet des apprentis. Le but est
d'en faire des pros. Ce que nous allons leur concocter sera en fonction
de leurs objectifs, ce qui inclut des conseils, des recommandations
auprès de directeurs. On les aidera à s'orienter dans le
monde de la danse. C'est quelque chose qui manque souvent dans les
formations, car il faut avoir la connaissance du milieu, des
directeurs, des styles...
Comment se fera le recrutement?
Clairemarie Osta : On
va se rencontrer, ce sera le plus simple. Ils vont nous exposer leurs
objectifs et nous, on va les regarder... On espère qu'il y aura
de multiples profils. On a été des interprètes
ouverts, on a dansé des choses très variées, on ne
veut pas qu'un profil classique, qu'on adore, mais qui pourrait limiter
les rencontres avec des jeunes qui se destinent à des
carrières différentes de la nôtre. On pourra aussi
aider peut-être certains à entrer à l'Opéra,
si c'est leur rêve ou si c'est leur place...
Nicolas Le Riche : Plus
concrètement, il y a un dossier d'inscription sur le site et
après cela, on va un peu regarder tous les les candidats et voir
ce qui peut être cohérent, ce qui permettra de faire
avancer le groupe. On espère une audition pour les
pré-pros, ceux que nous avons baptisés apprentis-pros. On
a besoin de voir le potentiel, les motivations de ces jeunes... Le
travail du danseur n'est pas à sens unique. Il demande pas
mal de courage. On a beau demander à un danseur de lever le
bras, si ça ne passe pas par sa tête ou par son
désir, rien ne se passe. On a vraiment besoin de sentir ce
désir.
Clairemarie Osta : Certains
apprentis feront une année entière, d'autres
peut-être deux, en fonction de leur projet et de la
réalité. On a aussi envie de répondre à des
attentes de gens qui viendront de l'étranger, par exemple pour
travailler un rôle, un style, pour une rencontre
particulière, sur des périodes d'un semestre, d'un mois,
d'une semaine...
Le cours à deux, c'est une formule qui sera renouvelée?
Nicolas Le Riche : Il
n'y a pas de règle. On a pensé que c'était plus
sympathique d'être présents tous les deux pour ces portes
ouvertes. Ensuite, on aime travailler ensemble, on se connaît
bien. Pour la suite, cela dépendra beaucoup des
élèves qui seront là.
Clairemarie Osta : Cet
après-midi, on a séparé en fonction de l'âge
plutôt que par niveau. On se laisse aussi la possibilité
de constituer des groupes de garçons pendant l'année s'il
y en a suffisamment.
Cette formation vient-elle pallier le manque de grands maîtres aujourd'hui à Paris?
Nicolas Le Riche : Nous
avons eu la chance de connaître une époque où il y
avait à Paris de grands maîtres. Après, il faut le
mettre en perspective, nous vivons une autre époque, un autre
moment. Mais c'est vrai, nous avons eu la chance d'avoir une
première vie professionnelle «chargée», dans
le sens de la charge, de la recharge, de ce qui nous nourrit.
Aujourd'hui, on a envie de le retourner comme une peau d'orange et de
l'offrir. Nous avons vécu un moment très
intéressant de la danse française qui est arrivée
à une espèce d'apogée, avec notamment des apports
étrangers. Avec Rudolf Noureev, les choses se sont ouvertes,
l'Opéra est devenu beaucoup plus international sous son
impulsion. Il a amené la danse contemporaine à
l'Opéra, il a fait venir William Forsythe, Maguy Marin, Bob
Wilson... C'était une époque très riche. On a eu
la chance d'être là. Ce foisonnement, on a envie de le
nourrir et de le faire vivre.
L'enseignement est-il quelque chose de naturel pour vous?
Nicolas Le Riche : Je
suis dans un studio de danse depuis que j'ai sept ans, je prends des
cours depuis que j'ai sept ans, j'ai eu le temps de les regarder tous
ces professeurs! Ce qui est intéressant dans un cours, c'est la
pratique collective qui permet d'affiner l’œil. Ce qu'on
dit aux autres est aussi important que ce qu'on vous dit à vous.
Il faut aussi regarder les autres réagir à la consigne...
Tout cela, c'est de la formation pédagogique. Ensuite, il y a
l'arrivée dans le milieu professionnel, notamment les
répétitions avec les partenaires. Dans un pas de deux, il
faut être capable de dire à sa partenaire ce qu'on attend
d'elle, comment on ressent les choses. La démarche
pédagogique vient de là, c'est une continuité. Je
regarde aujourd'hui tous ces jeunes avec énormément de
tendresse. J'ai aimé avoir des «sachants» qui m'ont
aidé, j'ai beaucoup cru en leur parole.
Le projet est
évolutif. Peut-on imaginer quelque chose comme une petite
troupe, avec plus d'un spectacle, des tournées?
Clairemarie Osta : La
boîte à idées est large. On s'amuse parfois
à se demander comment elle pourrait s'appeler, cette petit
compagnie. Monter sur scène, c'est quand même l'une des
motivations de ces jeunes, donc toutes les occasions de le faire seront
saisies et provoquées.
Nicolas Le Riche : L'avenir
est très incertain de toute façon. Si vous nous aviez
parlé de LAAC il y a deux ans, on n'aurait pas forcément
parié dessus, même si l'on en avait envie, mais nos voies
étaient engagées différemment. On ne se ferme
aucune porte, c'est ça qui est important.
Allez-vous
vous impliquer dans la transmission des rôles que vous avez
interprétés durant votre carrière, ici ou ailleurs?
Clairemarie Osta : C'est l'un des projets de la Fondation En Avant, de choisir des thèmes, d'impliquer les danseurs qui y ont leur place, de les accueillir...
Nicolas Le Riche : Pour
moi, il y a deux aspects dans cette question : l'aspect Opéra de
Paris et l'aspect transmission. Ce n'est pas vraiment la même
chose pour moi. Nous avons dansé beaucoup de rôles
à l'Opéra de Paris, c'est un lieu important de
transmission, mais attention, il ne faut pas que ce soit le seul en
France. C'est un danger énorme si la tradition ne tient
qu'à un seul lieu, c'est comme d'imaginer que Molière ne
serait joué qu'à la Comédie Française, ce
serait triste pour tout le monde. Ce trésor est bien plus large.
Il y a aussi un autre danger : imaginez qu'un directeur de la danse
arrive, n'aime pas Roland Petit et décide que Roland Petit n'a
plus à être programmé à l'Opéra de
Paris, Roland Petit disparaît. Je parle de Roland Petit,mais je
pourrais parler de Maurice Béjart, de Serge Lifar. Ce sont des
pans d'histoire de la danse française extrêmement
importants. Il ne faut pas que l'Opéra soit un lieu unique de
diffusion, sinon il y a un énorme danger de rupture. Ce serait
triste sachant que la France est un vecteur historique de la danse. Le
projet s'inscrit donc aussi dans cette préoccupation. Nous nous
plaçons au cœur de cette transmission, nous pensons qu'il
faut faire durer cette voie qui est passée par nous à un
moment donné, mais qui a existé avant nous. C'est cela la
richesse de la danse aujourd'hui. Ce qui la rend extrêmement
dynamique, c'est qu'elle est basée sur le vivant.
Clairemarie Osta :
J'ai beaucoup insisté sur le fait que l'on allait orienter nos
propositions en fonction des objectifs des danseurs, mais on y
intégrera aussi des ingrédients qu'on juge
indispensables, à savoir cette culture du répertoire, que
ce soit dans le cadre de LAAC ou dans un autre cadre, par exemple celui
de compagnies avec lesquelles on pourrait travailler.
La
transmission du répertoire reste très centralisée
en France, en dépit de Toulouse et Bordeaux. Comment
percevez-vous le paysage chorégraphique en France?
Nicolas Le Riche : Il
faut se poser la question de ce qu'est ce paysage, de son histoire et
de son évolution. Je peux regretter que sur dix-neuf centre
chorégraphiques nationaux, il y en ait dix-neuf contemporains
– on peut mettre un petit bémol sur Biarritz. On peut
regretter qu'à Marseille, l'école ne fasse plus partie du
ballet. Ce sont des choses qui sont difficiles à comprendre. Du
coup, c'est un paysage un peu uniformisé.
Clairemarie Osta :
Paradoxalement! La transmission, cela se passe à plusieurs
niveaux. Si on parle d'un répertoire ou d'un patrimoine, nous,
on imagine qu'on va le transmettre à des jeunes
pré-professionnels, voire à des amateurs dans
l'idée qu'ils côtoient certains univers du monde de la
danse, mais il faut aussi regarder, quand certains ballets sont repris
dans certaines compagnies, qui porte l'histoire avant et qui transmet
un ballet. Il faut choisir tout cela avec soin. La formation est
aussi capitale dans le devenir du paysage chorégraphique. On ne
peut pas inventer des ballets sur des gens qui n'ont pas de culture ni
de savoir-faire. On n'a pas forcément de réponse à
tout, mais on se pose toutes ces questions avec le LAAC.
L'Opéra de Paris n'a pas de choréologue
(l'écriture de partitions chorégraphiques) [NDLR :
affirmation fausse d'une intervenante, l'Opéra National de Paris
emploie une choréologue à temps plein, Michèle
Delgutte]. Que pensez-vous de ce mode de transmission?
Nicolas Le Riche : Il
a ses avantages, il a ses inconvénients. Un certain nombre
d'indications qui passent par le vivant peuvent-elles être
écrites? C'est très vaste. On touche à
différents champs, du très concret comme «tends ton
genou, tends ton pied»... mais on passe aussi par tout le champ
de l'imaginaire, et là, subitement, la notation devient
très difficile.
Clairemarie Osta : Il
y a tout le témoignage du vécu. A travers les indications
que l'on montre, le dessin de la chorégraphie, on porte une
mémoire dont on a conscience, mais qui jaillit aussi
malgré nous. Pour avoir pas mal travaillé avec des
notateurs, je peux dire qu'eux-mêmes ne se considèrent pas
comme seuls à porter la transmission. L'idéal, ce serait
une équipe constituée de quelqu'un qui a écrit en
présence du chorégraphe ou du passeur de
répertoire, quelqu'un qui aurait vu et vécu le mouvement,
et c'est encore mieux s'il a pu le vivre dans son corps. Les meilleurs
notateurs, ce sont ceux qui ont dansé, qui ont une culture de
quelqu'un. Ils ne sont pas compétents en tout, mais ils savent
faire des choix et noter ce qui leur paraît l'essence de tel ou
tel style.
Nicolas Le Riche : L'exemple
est très important dans un cours. Je me souviens d'un cours
où les danseurs avaient du mal à sauter. Ils ne sautaient
pas jusqu'au moment où je me suis mis à sauter avec eux.
On retrouve là l'importance du vivant. Ensuite, ce vivant a des
défauts. Je vais vous donner un exemple. Aujourd'hui, à
l'Opéra de Paris, on danse dans une version transmise oralement
par deux personnes qui n'avaient pas dansé ce ballet. On en a
une version fantasmée. Or, il se trouve que Vaslav Nijinsky a
lui-même écrit sa partition de L'Après-midi d'un faune,
au détail près. C'est incroyable aujourd'hui de
confronter cette partition et de voir la différence. La
partition de Nijinsky est bien plus moderne, contemporaine, imaginative
que celle que nous dansons à l'Opéra qui est une version
romantisée ou fantasmée de ce que peut être le
ballet.
Clairemarie Osta : Parfois
on n'a pas la source, alors que là, on a la chance de l'avoir.
C'est bien de temps en temps de jouer les archéologues et de
confronter cette mémoire avec les éléments qu'on
a. C'est d'ailleurs intéressant de voir ce que les transmetteurs
ont gardé et pourquoi ils l'ont gardé. C'est une trace
intéressante, mais il ne faut pas qu'elle fasse de l'ombre ou
annule le reste. C'est toujours une recherche.
On peut remonter L'Après-midi d'un faune dans la version notée?
Nicolas Le Riche : C'est en train. Je travaille là-dessus depuis le début de cette année.
La
transmission ne doit pas passer que par l'Opéra de Paris, mais
elle doit aussi passer par l'Opéra de Paris. N'y a-t-il pas de
frustration pour vous de ne pas pouvoir transmettre aussi à
l'Opéra?
Nicolas Le Riche :
Non, aucune. Nous avons été à l'Opéra de
Paris, nous continuons de l'être, nous continuons de le
porter. S'il y a une frustration, elle n'est pas de notre
côté.
Prévoyez-vous
de travailler avec les anciennes étoiles comme Kader Belarbi,
Manuel Legris, José Martinez, qui sont maintenant dans d'autres
théâtres?
Nicolas Le Riche :
J'espère que nous allons travailler ensemble. Ce LAAC est tout
nouveau, il faut qu'il naisse, qu'il se développe, qu'on voie
quel peut être son écho. En tout cas, ce sont des danseurs
que nous apprécions beaucoup et nous sommes en contact.
Clairemarie Osta : Par
rapport à cette idée de l'intérieur et de
l'extérieur de l'Opéra, je dirais que les choses, nous
les portons avec nous et elles continuent de se construire. Nous sommes
de cette génération qui s'est renouvelée - eux un
petit peu avant nous -, certains se retrouvent aujourd'hui à des
postes d'influence, avec une parole, un espace... C'est dans le projet
de LAAC de continuer à faire des choses ensemble, mais cela
prend du temps.
Quels souvenirs gardez-vous l'un et l'autre de vos adieux?
Clairemarie Osta : Un
grand moment. Une grande joie. Beaucoup de stress aussi, car c'est un
peu comme quand on organise une grande fête, ce sont surtout les
invités qui en profitent. Cela a été une grande
joie d'avoir vécu ces adieux avec Nicolas, même si cela
m'inquiétait beaucoup, car je me disais que ça allait
nous émouvoir encore plus. Finalement, ça m'a beaucoup
soutenue. C'est important de «marquer le coup». C'est aussi
grâce à cela que l'on prend un nouveau rebond. Cette
cérémonie, c'est une tradition. On fête quelqu'un
et en même temps on fête le groupe auquel on appartient. On
n'est pas le seul héros, on est dans toute cette organisation
traditionnelle. J'ai beaucoup plus souffert de voir partir des gens que
j'admirais ou avec qui j'aimais travailler que moi-même de
partir. Non pas que la compagnie ne me manque pas, mais j'avais
confiance dans ce que j'allais faire. On a la chance d'avoir un
très beau film qui retrace le dernier mois, des
répétitions jusqu'aux adieux, malheureusement il n'a pas
une grande visibilité.
Nicolas Le Riche :
Pour tout vous dire, j'étais heureux de partir. Je sentais que
c'était le moment et que j'étais arrivé au bout
d'un chemin. Il était temps de passer à autre chose. Je
retiens le partage et la joie avec les personnels de l'Opéra. Je
me suis battu pour que cette soirée se fasse avec des amis.
C'était l'une des premières fois où je pouvais
parler de l'Opéra tel que je l'avais vécu, de ce qui
était précieux pour moi : cette chaîne avec ces
enfants qui entrent à l'école, qui racontent une
histoire, leur histoire, mais aussi celle d'un ballet, Les Forains,
redérouler le fil, repasser au travers des souvenirs heureux et
marquants, du point de vue de l'expérience personnelle ou des
rencontres. Il y a eu les chorégraphes comme Noureev, le mythes
fantasmés comme Nijinsky, des rencontres plus personnelles,
celles avec Roland Petit, Maurice Béjart, Mats Ek, Sylvie
Guillem. Ce qui m'intéresse avec le Boléro, c'est comment on s'inscrit à l'intérieur d'une œuvre, comment on nourrit le rôle. L'homme du Boléro,
on peut l'envisager de différentes manières : comme un
tanagra, une icône sensuelle qui est dans un rapport de
séduction avec le chœur, comme un combattant, un meneur de
troupe qui part au combat, mais aussi comme un moment de partage, une
transe. Toutes ces petites subtilités, c'est magique de les
appréhender en tant qu'interprète. L'univers
intérieur est très important. Cette soirée,
c'était aussi une première pour dire : la danse, mais pas
que. Quand on est danseur, on est plus que danseur. Il faut avoir les
yeux ouverts sur les musiciens, sur les peintres, sur les
décorateurs. C'est comme ça en tout cas que
j'appréhende la danse et c'est pour ça que j'aime tant
cette histoire des Ballets russes.
Clairemarie Osta / Nicolas Le Riche - Propos transcrits par Bénédicte Jarrasse
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Cours commenté le 01 juillet 2015 au Théâtre des Champs- Elysées © 2015,
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