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entretiens
Danse contemporaine - Orléans, scène nationale : Compagnie La Bazooka

20 février 2015 : Sarah Crépin / Etienne Cuppens : Compagnie La BaZooKa




Sarah Crépin et Etienne Cuppens


Sarah Crépin, vous pouvez vous présenter pour les lecteurs de Dansomanie?

SC :
Je suis danseuse et chorégraphe au sein de la Compagnie la BaZooKa.


Et vous, Etienne Cuppens?

EC :
Je suis metteur en scène, et tous les deux, nous sommes chacun la moitié de la BaZooKa.


Sarah, vous avez suivi quelle formation?

SC :
J’ai eu une formation très traditionnelle. J’ai commencé la danse classique au Conservatoire de Grenoble ; assez vite, une section danse contemporaine s’est ouverte. J’ai donc pu suivre le double cursus. Je suis passée par le CNDC d’Angers, j’ai fait un détour par l’Allemagne, et j’ai enfin intégré le Centre Chorégraphique du Havre. J’ai travaillé avec divers chorégraphes tels que Hervé Robbe ou Myriam Naisy, et en même temps, avec Etienne, nous avons commencé à réfléchir à des projets, un peu à «l’arrache».


Vous n’êtes plus attachée au CCN du Havre?

SC :
Non, je ne peux plus être interprète pour une autre compagnie en même temps que la BaZooKa.


Vous êtes indépendante?

SC :
Oui, absolument.


Votre compagnie est subventionnée?

SC :
Oui, par le Ministère, la Région, le Département, la ville du Havre.


Etienne, votre itinéraire à vous?

EC :
Quand j’étais ado, j’ai fait quelques mises en scène avec des copains. Puis après le Bac, j’ai reçu une formation de régisseur son pour le spectacle vivant. Pendant une dizaine d’années, j’ai assuré la sonorisation de spectacles surtout pour le théâtre. J’ai aussi travaillé pour le cinéma. Un jour, j’ai croisé François Raffinot [ndlr : Directeur du CCN du Havre de 1993 à 1998] qui m’a fait entrer dans sa compagnie pour m’occuper du son. Et cela m’a ouvert un monde que je ne connaissais pas du tout : la danse contemporaine. Je me suis intéressé à cet univers très libre où j’ai découvert plein de possibilités de choses à dire, à exprimer de façon totalement différente. J’ai travaillé ensuite avec d’autres chorégraphes. Enfin, avec Sarah, on a décidé de créer nos spectacles à partir de nos propres envies, nos frustrations…


Et vous avez créé la BaZooKa. Cela veut dire quoi?

SC :
La BaZooKa? Les bazooka étaient des chewing-gums que je mangeais quand j’étais petite, ils avaient un goût très particulier, et étaient emballés avec des bulles de comics. Je trouvais l’emballage totalement fascinant. Au moment où on cherchait un nom pour notre compagnie, on faisait une tournée aux Etats-Unis, j’ai retrouvé ces chewing-gums qui ne sont plus commercialisés en France. Cela fait penser aussi au nom d’une icône comme la Pavlova. On trouvait ça assez drôle, et en même temps, cela a un côté percussif qui nous correspondait aussi. Il y a quelque chose de proche de la bande dessinée, c’est un peu comme une bulle de chewing-gum qui explose.


Quand vous créez un spectacle, quelle est votre démarche à tous deux, quelle est l’idée première?

EC : Pour Queen Kong, c’est parti du fait que Sarah voulait travailler sur le conte, ainsi que sur l’idée de forêt.

SC : Je voulais surtout quelque chose de féminin dans la forêt, dans un milieu plus ou moins hostile. C’est un milieu paradoxal où tout est possible, c'est à la fois le lieu du réconfort, de la métamorphose, mais aussi celui du danger. J’avais envie de ce terrain-là, avec des femmes dans cet univers, à la fois puissantes, naïves, combatives, et en même temps menacées. Je voulais qu’on les mette en question, face à des choses à surmonter, et dans une absence de masculin. C’était les trois points d’ancrage que j’avais posés au départ.

EC : Ensuite, je me suis approprié ce désir, l’idée de féminin. J’ai plus questionné l’idée du sentiment, de la sauvagerie, et à travers l’idée du conte, de la fantasmagorie, de voir comment tout cela pouvait prendre corps, d’alimenter les sentiments qui peuvent être concordants.


Donc, votre travail à vous porte sur la scénographie essentiellement?

EC :
Non. En fait, il y a eu deux types de travail : l’un purement chorégraphique sur ces ancrages, voir comment les corps pouvaient prendre, à partir de propositions de thèmes d’improvisation, des thèmes énoncés par Sarah et par moi-même. Ensuite, on a échangé, trié, nous deux, ainsi qu’avec les deux autres danseuses, en fonction de ce qui se passait. A partir de là, quand il a fallu travailler sur des canevas, j’ai proposé des événements, des situations, des musiques aussi, pour constituer petit à petit cette trame dans cette forêt, avec tous ces événements et ces interactions.

La BaZooKa
Queen Kong (Cie La BaZooKa)

Parlons de la musique : il y a du rock, des airs d’opéra. Quelle est votre réflexion à ce sujet ?

EC :
Il y avait au départ un désir de Sarah de travailler à partir de musiques baroques qu’on a écoutées énormément. Puis on a utilisé pas mal de rock sur les improvisations. Finalement, en écoutant les deux, ce qui nous est apparu le plus en phase, ce fut la musique d’opéra, de Vivaldi, où on a trouvé finalement cette folie un peu rock dans le classique, ce côté fou nous paraissait très équilibré en passant de l’un à l’autre, ce côté très joyeux. Cela a été vraiment les deux matières principales qu’on a retenues pour ce spectacle. J’ai trouvé que coupler le rock avec le classique rendait très bien alors qu’on aurait pu penser que ça ne fonctionnerait pas.

SC :
Oui. On se demande d’ailleurs quel est le plus rock des deux, quel est le plus fou.


Concernant la chorégraphie elle-même, comment se déroule la création? C’est votre travail seule, ou avec les deux autres danseuses?


SC :
C’est nous quatre. En fait, il y a pas mal de situations proposées par Etienne qui ont donné lieu à des improvisations. Il y a des choses qu’on a gardées, qu’on a jetées, et tout ça s’est construit de manière très empirique. Il y a une partie que j’ai chorégraphiée de façon très «dictatoriale». Mais tout le reste s’est fait très à l’écoute, avec très peu d’a priori sur ce qui allait se passer, avec beaucoup d’ouverture d’esprit, avec des choses qui nous paraissaient très étranges, difficiles à nous approprier, il fallait encore leur donner une chance pour voir comment elles allaient éclore. Cela a pris pas mal de temps, ce n’était pas toujours très confortable parce qu’on ne voulait pas entrer dans des choses très cadrées trop tôt, vu qu’on était sur des thématiques du sauvage, de l’animalité. On voulait laisser la place à des choses très étranges. Donc la chorégraphie s’est faite à quatre. Après, moi, j’étais là pour le détail, le fignolage, pour les détails purement techniques.


Qu’en est-il du titre, Queen Kong?

SC :
Il est arrivé très tôt. Parfois, on ne sait pas d’où les idées émergent. Je me suis réveillée un matin, j’avais le titre, je suis arrivée au bureau et j’ai dit à tout le monde : Queen Kong. King Kong, c’est un singe, mais aussi un monstre. Les trois danseuses, vous n’êtes pas des monstres, tout de même…

SC :
En fait, Kong est un mot inventé pour le film, qui représente quelque chose de monstrueux, de puissant, d’animal, de sauvage. Ce qui nous plaisait bien, c’est que les trois femmes sur le plateau représentaient la dynastie Kong, des femmes Kong, comme une fratrie qui les unit, un peu leur identité. Et on s’est aperçus, en interrogeant des enfants, que ça leur parlait directement. Du coup, les filles ont un côté Queen et un côté Kong.


Il y a une métaphore derrière, sur la société actuelle?

EC :
Je ne sais pas. En tous cas, pour en revenir à Queen Kong, je dirais que King Kong est un être surdimensionné qui fait peur, mais qui est doué de sentiments aussi puissants que n’importe quel être humain, amoureux, effrayé, blessé, en colère. Et finalement, nous, c’est un peu la même chose. Il y a trois reines à taille humaine, mais je pense que le travail des sentiments dans un milieu hostile, inconnu, c’est la base de ce qui nous construit et qui provoque les crises, les guerres.


Vous avez des projets en préparation?

SC :
Oui. Mais il y en a dont on ne peut pas vous parler parce qu’on n’a pas de définition verbale. Il y a aussi Pillowgraphies que vous avez vu en répétition, qui reste une création et qui nous prend beaucoup d’engagement, d’esprit, de réflexion de manière très joyeuse. [ndlr : pour Pillowgraphies, Sarah Crépin anime un atelier avec une vingtaine d’Orléanais non danseurs professionnels, durant six week-ends, de décembre à mai, à raison de 10 heures par week-end, devant conduire à la présentation publique d’une création en juin 2015]. C’est un projet très excitant en fait! On se retrouve très rarement dans cette situation-là, avec des gens qui ne sont pas danseurs, qui sont disponibles à 400 %, qui ont envie de découvrir des choses, de s’engager pour construire une œuvre, je trouve ça très excitant. Je trouve cet élan collectif rassurant sur des faits de société, sur ce qu’on a envie de faire ensemble. De plus, on s’est aventurés sur cette idée de faire vivre des éléments nocturnes, d’entrer dans un monde qui est pure imagination, et ce n’est que ça, Pillowgraphies, c’est un hymne à l’invisible, à ce dont on peut rêver. Et donc, cela fait partie de notre actualité et des choses qui nous tiennent à cœur. Pillowgraphies, cela veut dire littéralement «graphies d’oreiller». On retrouve les coussins de Queen Kong

SC : Ça n’a pas de rapport direct. Mais pour moi, les créations fonctionnent comme des sources d’eau, des rivières avec des nappes phréatiques, qui sont là, qu’on ne voit pas, mais qui peuvent donner lieu à plusieurs ruisseaux différents. En fait, sur Queen Kong, on m’a proposé d’animer un atelier de deux heures avec des non danseurs. J’ai donc demandé aux gens de venir avec un oreiller, et j’ai vu ce que l’objet oreiller provoquait chez les gens : ça les fait redevenir comme des enfants, très joyeux, avec une joie primaire. A partir de là, je me suis dit que c’était beau, cette sorte de carré blanc qui flotte dans l’espace, même quand ils sont posés, ça crée une dramaturgie intéressante. Donc, quand la Scène nationale d’Orléans m’a proposé de créer une pièce pour amateurs, j’ai repensé aux oreillers. Donc, évidemment, il y a un lien avec Queen Kong. De là est partie cet hymne au nocturne.

Pillowgraphies
Répétitions de Pillowgraphie (Cie La BaZooKa)


Les participants sont de niveaux très différents : ça ne complique pas la tâche ? Vous ne les avez pas choisis, vous avez pris tout le monde?...

SC : Tout à fait : c’est le principe. Les personnes s’inscrivent, ne savent pas ce qui va leur arriver et je ne sais pas qui je vais avoir en face. C’est une rencontre très intéressante, chacun fait un pas vers l’inconnu. J’aime beaucoup le hasard. Les gens vont se retrouver ensemble, à partager du corps, de la musique, une création, des doutes, et à se retrouver ensemble sur un plateau, et ça, c’est une expérience très intime.


L’autre jour, vous travailliez sur le Boléro de Ravel, chorégraphie de Béjart ultra connue, c’est un choix?

Je ne leur ai pas demandé s’ils la connaissaient.


Dans les gestes, on pense à Béjart…

SC : Oui, il y a des petits clins d’œil (rires). C’est un très grand sujet pour moi en ce moment. Avec cette idée de fantômes, je les imaginais bien arriver sur le Boléro, je trouvais ça très drôle. En effet, le Boléro est complètement associé à Maurice Béjart. Et proposer une autre vision très éloignée de celle de Béjart, et qui en même temps peut lui rendre des hommages plus ou moins décalés, j’aimais beaucoup! C’est une première chose d’ordre purement musical, avec cette pulsation qu’il y a dans le Boléro. Pour moi, cet univers nocturne pouvait être associé à ça. Mais d’un autre côté, dans Pillowgraphies, il y a cette idée de l’universel : qu’est-ce qu’on va faire ensemble, on est un collectif, on va danser ensemble, on va créer ensemble, avec cet objet universel, l’oreiller, ces fantômes qui constituent une vision universelle, et le Boléro est la musique la plus jouée au monde, la plus connue… Et ça me plaisait d’aller vers la chose la  plus populaire de la musique classique. On ne sait pas encore si ça va persister jusqu’au bout du projet avec le Boléro, parce qu’il ne faut pas que la musique ferme, étouffe le projet, sinon il faudra s’en dégager. On est actuellement sur le fil, à un moment où tout peut basculer. On se doit d’être vigilant.




Propos recueillis par Bernard Thinat






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Entretien réalisé le 20 février 2015 - Sarah Crépin / Etienne Cuppens © 2015, Dansomanie


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