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entretiens
Doug Fullington : reconstruire Paquita à Munich

11 janvier 2015 : Doug Fullington, archéologue du ballet romantique



Musicien de formation, Doug Fullington est aujourd'hui assistant du directeur du Pacific Northwest Ballet, compagnie basée à Seattle. Il en assure aussi les programmes pédagogiques. C'est toutefois à un autre titre que nous l'avons rencontré à Munich. Doug Fullington est en effet historien de la danse et spécialiste des notations Stepanov, un système de notation chorégraphique qui prévalait dans la Russie de la fin du XIXe siècle – celle de Marius Petipa. Après avoir participé, auprès d'Ivan Liška, à la reconstruction du Corsaire en 2008 à Munich, Doug Fullington a repris du service en secondant, toujours dans la capitale bavaroise, Alexeï Ratmansky dans la reconstruction de Paquita, dont la première a eu lieu le 13 décembre dernier. Il évoque pour nous cette reconstruction.





Pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre formation, Doug Fullington?

J’ai d’abord reçu une formation musicale. Je suis vraiment arrivé à la danse par la musique. Je n’ai pas fait de danse quand j'étais enfant, mais bien plus tard, pas avant l’âge de vingt ans. C’est très différent que d’avoir commencé la danse à huit ans! Quand j’étais adolescent, j’étudiais les partitions de musique de ballet. C'est quelque chose que j’aimais. A vingt ans, j’ai commencé à travailler pour le Pacific Northwest Ballet comme pianiste accompagnateur, et il y a aussi vingt ans maintenant que je fais cela.

A dix-sept ans, mes parents m’ont fait cadeau du livre de Roland John Wiley sur les ballets de Tchaïkovski [Tchaikovsky’s ballets : Swan Lake, Sleeping Beauty, Nutcracker, Oxford University Press, 1991 ndlr]. C'est là que j'ai appris ce qu’était la notation Stepanov. En fait, la notation Stepanov est écrite comme de la musique. Le rythme, en particulier, est noté comme celui de la musique. Je me suis dit que c’était quelque chose que je pouvais approfondir et qui me permettait d'avoir une meilleure approche de la danse.



Quelles sont maintenant vos fonctions au Pacific Northwest Ballet?

Je suis l'assistant du directeur [Peter Boal, ndlr]. C’est essentiellement un travail administratif pour le directeur et les maîtres de ballet, mais je m’occupe aussi de l’éducation du public, je fais des conférences, je donne des cours, j’écris les notes de programme. Occasionnellement, je fais de la mise en scène, comme ça a été le cas par exemple pour Giselle. Nous allons également donner des extraits - environ trente minutes - du Corsaire pour le spectacle annuel de l’école de danse. L’année prochaine, nous en ferons une version qui durera une heure pile pour le spectacle des familles.


Comment avez-vous appris la notation Stepanov? Avez-vous suivi des cours, ou vous êtes-vous débrouillé tout seul?

J’ai appris la notation Stepanov par moi-même. Roland John Wiley, dont je vous ai déjà parlé, a traduit l’ouvrage de Gorsky publié en 1899. Il s'agit en fait de deux volumes : l’un est une explication de la notation Stepanov, l’autre est constitué d'exemples. Ce livre a donc été traduit en anglais, ce qui m’a beaucoup aidé pour aller plus loin. J'ai appris seul, car il n’y avait pas d’autre moyen pour apprendre la notation chorégraphique que de me débrouiller avec ça. C’est un processus lent.

Le système de notation Stapanov n'est pas très connu et ce n’est non plus pas évident de se plonger dans les livres, d'aller dans les bibliothèques... Il pourrait y avoir davantage de personnes qui le maîtrisent. Après tout, c’est comme une langue, cela s’apprend. Mais seule une poignée de gens est prête à faire cet effort. Alexeï Ratmansky s'y est mis et il l'étudie maintenant avec sa femme. Pour moi c’est formidable de pouvoir en discuter avec quelqu’un d’autre, de pouvoir lui dire : «regarde ça, qu’en penses-tu?».



Pouvez-vous nous expliquer de manière plus précise ce que sont les notations Stepanov? Quelle apparence ont-elles? Et peut-on leur faire crédit?

Les notations ont été développées par Vladimir Stepanov, qui était danseur au Mariinsky au début des années 1890. Un comité du théâtre Mariinsky avait approuvé son travail. Ce système était utilisé pour noter les ballets, mais également pour enseigner aux élèves de l'école de danse. A la mort de Stepanov, c'est Alexander Gorsky qui prit le relais et s'occupa des notations à son tour. En 1900, Gorsky partit pour le Bolchoï et c'est Nikolaï Sergueïev qui en prit la responsabilité.

Les pas sont notés comme de la musique, dans le même rythme que la musique et en utilisant les mêmes symboles (notes). La place qu'ils occupent sur la portée indique le mouvement des jambes, des bras et du buste, quel angle le corps doit former avec le sol – 45° par exemple – s’il faut être tourné, si les mains doivent être fléchies...Tout n'est pas forcément écrit, mais le système en soi permet de transcrire énormément de détails, concernant les mains, la tête, et si une variation a été correctement notée, on peut la reconstituer presque parfaitement. Je pense vraiment qu'on peut se fier à ces notations. Il n'y a pas de raison de ne pas leur accorder foi. Les notateurs se contentaient de reproduire ce qui se passait sous leurs yeux. Ils précisaient aussi le nom des danseurs : Pavlova, Kchessinskaïa, Gerdt, Trefilova… Il n'y a pas de raison de penser que les transcriptions sont incorrectes.



Venons-en au ballet lui-même : quelle importance a eu
Paquita dans la carrière de Marius Petipa?

Je pense que ce ballet a eu une grande importance dans sa carrière. C'est le premier ballet qu'il a monté et dansé en Russie, lorsqu'il a quitté la France pour s'installer en Russie, en 1847. Il connaissait bien le ballet, que son frère Lucien avait dansé à Paris. C'est un ballet qui est resté au répertoire du Mariinsky durant toute sa carrière. Même à la fin, il continuait d'ajouter des variations – ce fut notamment le cas en 1903 avec Pavlova. Petipa avait d'autre part vécu en Espagne. Il avait appris les danses espagnoles. C'est un aspect important de la chorégraphie. Ce qui est intéressant aussi, c'est que le ballet a eu une grande importance aussi pour George Balanchine. Balanchine avait dansé le Pas de trois pour l'un des spectacles de fin d'études, lorsqu'il était élève à Saint-Pétersbourg. Et même après, lorsqu'il organisait des spectacles de jeunes danseurs, avec des danseurs «contemporains», il a continué de programmer ce Pas de trois. Il l'a monté pour le New York City Ballet, pour le ballet du Marquis de Cuevas... Le ballet a aussi été important pour Nikolaï Sergueïev. Il voulait le remonter en Occident mais il n'en a pas eu la possibilité. C'est l'une des raisons pour lesquelles je suis heureux de travailler sur ce ballet.


Sur laquelle des «versions» de Petipa votre production de Paquita s'appuie-t-elle?

C'est difficile à dire. La dernière «vraie» production de Petipa date de 1892 ou 1893, mais il a continué d'ajouter des variations. Ce que nous avons, en termes de notation, date de 1904. C'est une sorte de version finale. Nous pensons par ailleurs que certaines parties du ballet sont antérieures à tout cela. Petipa avait écrit au rédacteur en chef d'un journal de Saint-Pétersbourg pour répondre à des critiques qui l’accusaient d’avoir simplement repris le travail de Mazillier. Petipa affirmait qu’il y avait «cinquante personnes» en mesure de témoigner que le Grand pas était bien de lui, tout en reconnaissant qu’il avait conservé la Gavotte et la Contredanse de l’ancienne version de Paris. Nous savons qu'il a gardé certaines parties du ballet et qu'il ne les a pas changées complètement. Il s'est passé la même chose avec Giselle. De nombreux passages de Giselle étaient déjà présents dans la version de Paris. Nous avons les notations d'Henri Justamant et elles montrent des pas et des motifs très semblables. On va travailler là-dessus, et voir si on peut encore découvrir des choses.


Quelles étaient vos responsabilités et tâches exactes pour cette production?

Je ne devais m’occuper que de la danse. Rien que la danse, pas la pantomime. Nous nous sommes rencontrés, Alexeï et moi, avant le début des répétitions, afin d’être sûrs que nous avions la même vision des choses. Nous avons fait un certain nombre d’arbitrages. Après, lors des répétitions, c’est Alexeï qui montrait les pas aux danseurs, et moi j’étais assis et je contrôlais : «pied gauche devant, pied gauche derrière»... J’ai quand même appris la Mazurka aux enfants [de l’école de danse], mais Alexeï est arrivé à la rescousse pour leur faire travailler le haut du corps et différents détails. Il y a aussi la petite Contredanse au début de la dernière scène. C’est une chose très simple, mais elle n’a pas été notée de manière très claire. Nous avons fini par comprendre qu’il s’agissait d’un Quadrille à la française, et je leur ai aussi fait étudier ce genre de danse.



Avez-vous travaillé exclusivement sur des sources historiques ou y a-t-il des éléments chorégraphiques nouveaux, dans le style de Petipa?

Hormis environ cinq minutes, tout provient des documents en notation Stepanov. Ratmansky était vraiment déterminé à suivre au plus près les notations chorégraphiques dont nous disposions. Les ports de bras et les mouvements du haut du corps n’étaient pas systématiquement consignés, mais chaque fois qu’ils étaient indiqués, nous les respections. Alexeï ne voulait pas modifier la chorégraphie pour la rendre «meilleure», il voulait voir ce à quoi l’original pouvait ressembler. Pour moi, c'était génial! Je pense que c’est la première fois que quelqu’un a essayé de reconstituer la chorégraphie d’un ballet romantique avec autant d’exactitude.


Comment cette collaboration avec Alexeï Ratmansky a-t-elle été initiée?

Je pense qu'elle a été initiée grâce à moi. En 2007-2008, j’avais déjà travaillé avec le Bayerisches Staatsballett sur Le Corsaire. Nous étions restés en contact. Wolfgang Oberender,  qui est le directeur artistique associé d'Ivan Liška, m'a dit qu'ils avaient manifesté de l’intérêt pour la Paquita de Pierre Lacotte, mais qu'ils préféraient, au bout du compte, faire une nouvelle production, qui serait la leur, appuyée sur des documents originaux, plutôt que d’en acheter une déjà existante. Ils m’ont demandé qui pourrait se charger et superviser une production complète et j’ai répondu Alexeï Ratmansky. Je l’ai contacté par Facebook (!) - c’était encore le moyen le plus rapide de communiquer -, je lui ai transmis la proposition, et il m’a dit oui. Après, le Bayerisches Staatsballet s’est mis directement en rapport avec lui pour finaliser les choses.


Est-ce que vous aviez vu la Paquita de Pierre Lacotte avant de vous lancer dans votre propre projet?

Je l’ai vue et j'ai le DVD, mais je ne l'ai pas regardée depuis pas mal d’années.


Plusieurs chorégraphes ont manifesté un intérêt pour Paquita ces dernières années, que ce soit Pierre Lacotte dans sa production complète pour l'Opéra de Paris ou Yuri Burlaka qui a remonté le Grand pas pour le Bolchoï. Pourquoi le choix s'est-il porté sur Paquita plutôt que sur un ouvrage qui n'a pas encore été exhumé?

I
l y a plusieurs raisons à cela. En premier lieu, c’est un ouvrage très bien documenté en  notation Stepanov, aussi bien pour la danse que pour la pantomime. Il existe même parfois deux notations différentes pour la même scène, l’une plus précise pour le haut du corps, l’autre plus détaillée pour les jambes. Ça nous a été d’une grande utilité. En ce qui concerne  la version Lacotte, le chef d’orchestre David Coleman avait «arrangé» la partition. Nous, nous voulions utiliser autant que possible la musique originale de Deldevez, dont le manuscrit est conservé à Paris. Maria Babanina en a commandé une copie pour nous. Burlaka, j’adore ce qu’il fait, mais lui aussi a procédé à des changements dans la chorégraphie, là où il pensait qu’aujourd’hui, l’effet serait meilleur en faisant autrement. Nous avions donc conscience qu’il était possible de remonter le ballet en entier, dans une version réellement inédite.


Doug Fullington


La musique est donc exclusivement celle de Deldevez, à l'exception du Grand pas composé par Minkus?

Presque, il y a aussi un peu de Minkus et de Pugni dans le Pas de trois, si je me souviens bien. Mais toute la musique de Deldevez y est restituée dans son orchestration originelle.


N'avez-vous utilisé que la partition conservée à Paris ou vous êtes-vous également appuyé sur des sources conservées en Russie?

C’est compliqué. Il y a à la bibliothèque de l’Université de Harvard une autre partition, qui a été copiée à Riga. Quand Maria Babanina l’a vue, elle a trouvé que l’orchestration était beaucoup trop lourde. Le Mariinsky possède également une partition complète, mais il a été impossible d’y avoir accès. Valery Gergiev s’y est formellement opposé, et même Alexeï Ratmansky n’a pas réussi à le convaincre malgré ses efforts. Nous avons donc dû recourir à un ensemble de sources différentes. Nous avons utilisé une partition utilisée par le Kirov et d'autres compagnies. Maria Babanina en avait une de son côté. Nous avons mis ensemble tout cela. Mais, en tout état de cause, même si l'on avait eu accès à la partition conservée au Mariinsky, il est très difficile de savoir ce que Minkus et les autres avaient initialement voulu [pour les représentations à Saint-Pétersbourg, ndlr]. Nous avons donc fait du mieux que nous avons pu, avec les documents qui nous paraissaient les plus authentiques.


Avez-vous fait des coupures ?

Nous avons procédé aux coupures prévues dans la version Petipa. A Harvard, il existe une partie de violon répétiteur, qui montre exactement où Marius Petipa a effectué les coupures. Nous en avons tenu compte à environ 95%. Occasionnellement, nous avons conservé un peu plus de musique, lorsqu’elle accompagnait la pantomime, et non la danse. Ainsi, nous avons pu préserver davantage de Deldevez. Mais Alexeï [Ratmansky] tenait à ce que nous présentions quelque chose qui soit aussi conforme que possible à ce que voulait Petipa.


Avez-vous eu des discussions spécifiques avec le chef d'orchestre?

Non, pas moi. Ce sont Alexeï Ratmansky et Maria Babanina qui ont discuté avec le chef. Alexeï a passé deux mois à Munich. Moi j'étais là les trois premières semaines, sachant que nous avons commencé les répétitions le 19 octobre. Un peu avant ça, je me trouvais à New York et l'on s'était vus, Alexeï et moi, pour régler certaines choses avant le début des répétitions. Durant les trois semaines que j'ai passées à Munich, on a travaillé toutes les parties dansées figurant dans les notations. Les quatre semaines suivantes, Alexeï a peaufiné tout ce qui avait trait à l'action et à la pantomime. Marian Smith [musicologue, professeur à l’Université de l’Oregon, ndlr], qui connait énormément de choses sur les traditions à l’Opéra de Paris durant la période 1830-1840, a été formidable. Elle nous a beaucoup aidés à analyser la partition musicale et à déterminer comment la pantomime devait se caler sur les accents de la mélodie et de l’instrumentation. Elle avait déjà fait cela pour nous avec Giselle. Je suis venu aussi en avril faire travailler aux enfants la Mazurka. Ils voulaient qu'ils l'apprennent tôt, de manière à bien la répéter. Il y a beaucoup de pas dedans...


Vous avez gardé beaucoup de pantomime  dans le ballet?

On a coupé un tout petit peu de musique dans la deuxième scène, mais nous avons gardé tous les passages de pantomime consignés dans les notations Stepanov et cela fait beaucoup. C'est intéressant de voir que Paquita possède la même structure que des ballets comme Coppélia ou Sylvia : un long premier acte, un acte de pantomime, avec de petites danses, et un troisième acte qui est un divertissement. Je pense que c'était un découpage traditionnel.


Envisagez-vous de publier une édition pratique de la partition?

J’aimerais vraiment. Je vais en tout cas proposer la publication d’une réduction pour piano de la version originale de Deldevez avec, en appendice, les changements effectués pour la Russie. Ce serait bien, d’autant que le travail est pour ainsi dire déjà fait. Maria Babanina, qui est maintenant pianiste accompagnatrice au Bayerisches Staatsballett - et qui a longtemps travaillé au Mariinsky - s’est vraiment donné beaucoup de peine pour ça. Elle est très lucide sur ces questions, elle sait qu'il y a eu beaucoup de modifications effectuées au fil du temps, alors si nous pouvons revenir aux sources des différentes partitions. La version de Paris est magnifiquement instrumentée, les couleurs y sont si riches. Les partitions utilisées en Russie étaient orchestrées beaucoup plus massivement. C’est pareil pour Le Corsaire, dont la version française d’origine est superbe.


Avez-vous gardé le contexte politique du ballet? Paquita était une sorte d'ouvrage de propagande...

On n'a rien fait de manière intentionnelle. On a conservé l'histoire et la pantomime telles quelles. On n'a rien ajouté par rapport à ce qui était écrit.


Pourquoi avoir remonté le ballet à Munich, et pas au Bolchoï par exemple? Y-a-t-il un lien quelconque qui rattache Munich à Paquita?

Non, c’est juste que le Bayerisches Staatsballett a montré de l’intérêt pour cela. Ils voulaient tenter la chose. Et j’avais déjà travaillé pour eux. Lorsqu’ils ont remonté Le Corsaire, je venais de réaliser la scène du «Jardin animé» à Seattle avec les élèves de l’école du Pacific Northwest Ballet. J’ai écrit un article à ce sujet dans le Dancing Times, à Londres. Wolfgang Oberender l’a lu et m’a fait savoir qu’il était intéressé [par une collaboration]. Le Bolchoï, je ne crois pas qu’ils auraient voulu d’un Américain pour ça.


Et vous, vous auriez aimé le faire à Moscou?

Peut-être. Mais c’est aussi bien de travailler avec une compagnie qui n’a pas une longue tradition, comme le Bolchoï. Ici, les danseurs sont très ouverts. Ils étaient prêts à tout essayer, sans dire «ça c’est moche », «je ne veux pas faire cela comme ça»… C’était très facile de travailler avec eux, et j’en ai été très content.


Et qu'avez-vous fait du Grand pas? Comme on le sait, Petipa chorégraphiait des variations spécifiques pour chaque danseuse. Lorsqu'il l'a remonté au Bolchoï, Youri Burlaka a fait de même, en changeant les variations en fonction des interprètes. Et vous?

Nous, nous avons remonté les cinq variations féminines qui figurent dans la partition de 1904 et qui étaient dansées alors à Saint-Pétersbourg. Cet ensemble est un peu différent de la version dansée actuellement au Kirov. La cinquième variation est la valse de Drigo, écrite pour Anna Pavlova, la quatrième est la variation de Cupidon, dans Don Quichotte - mais nous pensons qu’elle a en réalité d’abord figuré dans Paquita, dès 1885, avant d’être insérée dans Don Quichotte. Il y a aussi la variation prévue pour Ekaterina Vazem, qui date de 1881. Les deux autres variations sont une valse lente et une danse d'inspiration espagnole de Vassily Barmin. Nous avons pris ces variations car elles étaient notées.

Paquita


En ce qui concerne la scénographie - les décors et les costumes -, avez-vous eu recours également à des documents historiques ou est-ce une œuvre d'imagination pure?

C'est une œuvre d'imagination. Jérôme Kaplan s'est penché sur les documents historiques, mais pas spécialement sur ceux de Paquita. Il a étudié plus largement les documents historiques de l'époque, les décors et costumes des années 1850, les robes de l’Empire... La Mazurka des enfants est très proche de celle du Mariinsky. En ce qui concerne les décors, c'est un produit de son imagination. C'est fait dans le style de l'époque, mais ce ne sont pas des toiles peintes, c'est un décor construit. L'idée de Ratmansky, c'était de faire une production traditionnelle, mais avec une «inflexion» moderne («traditional with a twist»). Donc ce n'est pas une réplique exacte des décors originels du ballet.


Avez-vous avez fait des conférences «pédagogiques» autour du ballet à Munich, afin de présenter au public cette reconstitution?

C’est Alexeï Ratmansky qui s’en est chargé et en a fait quelques-unes, pas moi.


Avez-vous l'intention de monter cette Paquita avec d'autres compagnies?

J'espère bien! Mais je ne suis pas au courant de tous les projets. L'ABT pourrait être intéressé, en tous cas, ils viennent la voir... Mais si une autre compagnie remonte le ballet, je ne sais pas si je collaborerai à la production, dans la mesure où mon travail est intervenu très en amont. On n’aura plus forcément besoin de moi.


Vous avez un contrat d’exclusivité avec le Bayerisches Staatsballett, du moins pour une certaine durée?

Je ne sais pas. S’il y a une exclusivité, c’est pour une période très brève, et cela doit figurer dans le contrat d’Alexeï Ratmansky. Je ne crois pas que mon propre contrat en comporte une. Il faudrait que je vérifie.


Vous avez travaillé sur différentes reconstructions : Le Corsaire, La Belle au bois dormant

Pour La Belle au bois dormant, il s'agissait simplement d'une démonstration au Musée Guggenheim  à New York. Je n'ai pas collaboré avec Vikharev sur la reconstruction de La Belle au bois dormant. Nos points de vue, surtout après Le Corsaire, auquel j’ai effectivement participé, étaient trop divergents.


Je reviens donc à ma question initiale : pensez-vous qu'il y ait beaucoup de ballets du XIXe siècle qui puissent encore être reconstruits?

Je pense que oui. J'aimerais beaucoup, et je sais qu'Alexeï aussi aimerait qu'on remonte Le Lac des cygnes, pour y faire participer des enfants dans les actes blancs – il me semble que le Royal Ballet l’a tenté. Cela donnerait une image complètement différente du ballet. Sinon, Raymonda a déjà été fait et j'ai trouvé ça très bien. Alexeï va monter La Belle au bois dormant pour l'ABT et La Scala. Je ne suis pas engagé officiellement sur cette production. Nous avons quand même un peu travaillé sur la partition musicale pour voir où se trouvaient les coupes dans le répétiteur. Ce répétiteur a aujourd'hui disparu. Au Mariinsky, ils prétendent qu’ils n’arrivent pas à remettre la main dessus. Heureusement, Roland John Wiley avait décrit ces coupes dans son ouvrage, et j’ai pu les reporter sur la partition. Je me contente d'apporter une petite aide. Pour le reste, j'aimerais travailler sur d'autres ballets. J'aimerais faire La Bayadère. Vikharev a certes remonté le ballet, mais dans l'acte des Ombres, il a repris la chorégraphie traditionnelle, alors que dans les partitions en notation Stepanov, les pas pour le corps de ballet sont complètement différents. Donc pour moi, ça vaudrait le coup d'essayer. Il y a aussi Le Roi Candaule ; la musique [de Cesare Pugni] n'est pas aussi intéressante, mais on pourrait quand même remonter le ballet. La Fille du pharaon également. Pierre Lacotte l’a faite, mais la chorégraphie était essentiellement du Lacotte. Il y a très longtemps, je lui avais envoyé des vidéos de certaines variations originelles du ballet et il ne les avait pas du tout aimées. Il n'en voulait pas.


Vous avez eu des contacts avec lui pour Paquita?

Non. Je ne suis pas sûr que cette Paquita lui plaise beaucoup. Mais en tous cas, pour la première, ce soir [13 décembre 2014], il y aura le directeur du Bolchoï, Makhar Vaziev, David McAllister, qui vient d'Australie, Ted Brandsen, du Het Nationale Ballet... Tout le monde est déjà arrivé à Munich.


Comment expliquez-vous le succès ou l'intérêt du public pour les reconstructions de ballets du  XIXe siècle?

C'est difficile à expliquer, mais effectivement, le public a l'air d'apprécier ça. Par exemple, on a donné Giselle à Seattle, et le spectacle comporte 50% de pantomime et 50% de danse et le public a adoré. Nous ne savions pas ce que ça donnerait. Mon frère ne s'intéresse pas au ballet, mais il est venu voir Giselle et il a trouvé ça fantastique. Je ne sais pas pourquoi, peut-être qu'ils aiment pouvoir suivre une histoire. Quand ils ont monté Le Corsaire, le Bolchoï a publié un guide pour la pantomime dans son programme, avec des images... et nous avons fait la même chose à Seattle, avec des illustrations expliquant les gestes fondamentaux. Les gens ont beaucoup aimé cela, comprendre la signification de tous ces gestes...


Pensez-vous qu'une adaptation des chorégraphies originelles aux standards actuels de la danse est quand même nécessaire?

Je ne pense pas. Je suis une sorte de puriste, j'aime que l'on fasse comme les choses sont écrites dans les notations.


Je pensais notamment à tout ce qui a trait à la danse masculine. Aujourd'hui, les danseurs sont beaucoup plus sollicités.

Néanmoins, si l'on pense aux années 1890-1900 en Russie, il y avait des danseurs comme les frères Legat, George Kyasht... beaucoup de bons danseurs en fait. Et les variations masculines de l'époque sont très difficiles. Dans les notations de Paquita, il n'y avait pas de variation masculine consignée. On a donc utilisé une variation notée de Coppélia, qui date de 1904 et qui avait peut-être été destinée à l'origine aux frères Legat. Nous l'avons intégrée au Grand pas pour Lucien. Cela faisait partie de la tradition du ballet. Cette variation, en tout cas, est très difficile. Alexeï voulait utiliser une variation notée sur la même musique, celle de Delibes. En fait, elle est tirée de la partition de Sylvia, mais à Saint-Pétersbourg, elle était utilisée dans Coppélia.



Les reconstructions, comme celles de Ratmansky, ont certes eu du succès auprès du public, mais il y a quand même une résistance chez les répétiteurs, les maîtres de ballet en Russie. Ils ne veulent pas entendre parler des notations bien souvent...

Là-bas, c'est très difficile, parce que les générations récentes ont été formées avec des versions qui ont subi de nombreux changements, sur le plan de la chorégraphie ou sur celui de l'argument, durant les années vingt, trente ou quarante, du fait du régime politique en place. De nombreux chorégraphes ont aussi quitté l'Union Soviétique. La technique d'école a aussi beaucoup évolué. Et quand on remontait les ballets, comme ce fut le cas avec Le Lac des cygnes, on utilisait cette nouvelle technique. Ils pensaient qu'ils amélioraient le ballet ainsi. On a continué à dire durant des années que c'était du Petipa, alors que c'était du Petipa et de nombreuses autres personnes. Aujourd'hui, on arrive à comprendre cela, on peut déterminer ce qui est antérieur, ce qui est plus tardif...  Mais évidemment, il y a des résistances. On part de l'idée qu'avec le temps les choses s'améliorent et là, on leur suggère que les changements n'apportent pas forcément quelque chose de meilleur, mais simplement quelque chose de différent. Je pense qu'il est préférable de voir ce que le ballet était à l'origine. Mais c’est compliqué, surtout quand on est obligé de faire comprendre aux danseurs que ce qu’on leur a enseigné comme étant la vérité, n’est peut-être pas aussi vrai. Lorsqu’on est loin de la Russie et de ses coutumes, c’est plus facile de porter un regard objectif sur tout cela, et de dire : «ça, c’est d’origine, ça, c’est la tradition qui l’a apporté». Quand on est sur place, c’est autre chose.




Propos recueillis et traduits de l'anglais par Bénédicte Jarrassse et Romain Feist



Doug Fullington


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Entretien réalisé le 13 décembre 2014 - Doug Fullington © 2015, Dansomanie


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