|
Ekaterina Krysanova : la Mégère russe de Jean-Christophe Maillot
07 janvier 2015 : Ekaterina Krysanova - La Mégère ou rien!
C'est
Ekaterina Krysanova, l'étoile rousse du Bolchoï, au
tempérament bien affirmé, que Jean-Christophe Maillot a
transformée en Mégère (apprivoisée) pour la
création moscovite et la reprise monégasque de son
adaptation chorégraphique de la célèbre
comédie de Shakespeare. Elle a accepté de conter
à Dansomanie les circonstances qui ont conduit le directeur des
Ballets de Monte-Carlo à la choisir pour un rôle
qu'elle-même désirait ardemment interpréter. Et un
grand merci à Katerina Novikova, bien connue de tous les
balletomanes-cinéphiles, pour sa complicité active dans
la réalisation de cet entretien.

Connaissiez-vous le travail de Jean-Christophe Maillot avant sa venue au Bolchoï?
Oui,
bien sûr, je connaissais son travail. Les Ballets de Monte-Carlo
étaient venus en tournée à Moscou et
nous-mêmes, nous avions dansé à Monaco. En tant
qu'artiste, je m'intéresse à beaucoup de choses. Je suis
quelqu'un de très curieux. J'avais regardé sur Youtube ce
qu'il avait fait, mais à ce moment-là, je ne pouvais pas
imaginer qu'un jour nous aurions la possibilité de toucher
à ça. J'avais vu de nombreux ballets : son Roméo et Juliette, La Belle, son Lac...
J'ai aimé tout de suite son travail. En tout cas, mon âme
était ouverte à cela. Quand on nous a annoncé
qu'on allait avoir une création au Bolchoï avec
Jean-Christophe, tout le monde était très heureux.
Comment avez-vous été choisie pour incarner le rôle principal?
Jean-Christophe
nous a d'abord vus tous ensemble quand nous sommes venus à
Monaco faire Le Lac des cygnes. Jean-Christophe préparait son
Lac et nous, nous avons dansé les tableaux classiques, l'acte
d'Ivanov et le Cygne noir. Moi je dansais le Cygne noir. Ensuite, il
est venu au World Festival Ballet à Moscou [http://www.bolshoi.ru/en/about/press/articles/2012/2233/].
Et enfin, il y a eu le casting. Le chorégraphe nous montre des
enchaînements et nous les répétons. En ce qui me
concerne, je crois que j'ai montré une grande volonté de
faire cette création. Je suis allée parler directement
à Jean-Christophe et je lui ai dit que je voulais vraiment
participer au spectacle.
Qu'avez-vous ressenti quand vous avez appris que vous étiez
choisie pour le rôle principal et en première distribution?
Au
départ, j'ai eu beaucoup de mal à réaliser la
responsabilité que cela représentait. Je n'arrivais pas
à croire à une telle bonté. Au Bolchoï, c'est
toujours difficile de croire qu'une chose pareille peut vous arriver.
On commence quelque chose, mais on ne sait pas si on va aller jusqu'au
bout.
C'était la Mégère ou rien?
Oui! Quel autre rôle aurais-je pu danser? (rires)
Qu'est-ce qui vous attirait dans le ballet?
Déjà,
il y avait le le titre. Dès que j'ai appris le titre du ballet,
j'ai voulu ce rôle. J'ai senti d'emblée qu'il fallait que
je sois prête à me battre à n'importe quel prix
pour l'avoir. Je savais que j'avais quelque chose à dire de
personnel dans ce rôle.
Vous vous sentez proche du personnage de Katharina?
Je ne sais pas, je ne pense pas être si «mégère» que
cela! Mais tout dépend comment l'on considère le
personnage de Katharina, de quel point de vue on la regarde. Ce qui est
important, c'est qu'elle est différente des autres femmes, elle
ne se comporte pas de la même manière qu'elles. Ce qui me
rapproche de Katharina, c'est son comportement dans la vie quotidienne
: elle est naturelle et vraie – vraie de vraie. Toutes les femmes
jouent un peu dans la vie - la coquette, la vamp... -, et tout
ça bien sûr pour les hommes... Et elle, elle ne joue pas.
Elle est comme elle est. Elle est ouverte, sincère,
honnête. Dans le monde de la danse, on quitte la scène et
l'on oublie parfois qu'on est dans la réalité, qu'on est
un être humain, qu'il faut donc arrêter de jouer et
être soi-même. Pour moi, cette transition est très
facile à vivre.
Quelles sont les héroïnes que vous aimez dans le ballet classique?
A la fin de mes études, je pensais que le rôle qui
était fait pour moi, c'était Kitri. En entrant dans la
compagnie, j'ai eu la chance de danser beaucoup de premiers rôles
et c'est seulement lors de ma septième saison au
théâtre que j'ai enfin pu danser Kitri. J'avais alors une
expérience qui m'a permis de comprendre que les autres
rôles ne sont pas moins intéressants et qu'ils sont
parfois même plus intéressants que celui-ci.
Comment
vous vous êtes appropriée le rôle de la
Mégère? Vous avez rencontré des difficultés
particulières?
Ce travail, ça a été comme dans un conte de
fées. Après la première, j'ai même dit
à Jean-Christophe que je n'arrivais pas à me souvenir des
conflits, des incompréhensions, des difficultés...
C'était un tel plaisir! Le seul moment difficile, c'est quand je
me suis blessée durant les répétitions. Pendant
trois semaines, j'ai été obligée de
m'arrêter et de rester à la maison. Jean-Christophe est
reparti à Monaco à ce moment-là, il est revenu
deux semaines plus tard. A son retour, il était très
triste, et pendant une semaine, il m'a attendue. Il continuait à
travailler, mais avec les autres personnages, avec le corps de ballet,
pas sur le rôle de Katharina.
Comment ça s'est passé avec votre partenaire, Vladislav
Lantratov? La scène de la chambre au début du second acte
est quand même une scène délicate...
Mes amis ou les gens qui voient le spectacle me disent tous
après qu'il est difficile de croire que nous ne sommes pas un
vrai couple dans la vie. En fait, peut-être bien que ce
début de deuxième acte, cette scène dans la
chambre, est pour moi la scène la plus difficile de tout le
ballet. Quand Jean-Christophe m'a vu danser Kitri, il m'a dit la chose
suivante : « Je vois bien que tu as une personnalité, du
caractère, de l'énergie, de la force, mais je ne suis pas
sûre que tu peux être tendre, que tu peux montrer de la
fragilité». Mais pour moi, ce n'était pas ça
la difficulté. La difficulté, c'est que tout ce qu'on
fait dans cette scène est différent de ce qu'on fait
normalement dans la danse. Ça rappelle davantage la vie
quotidienne, l'atmosphère présente – nous sommes
là, assises ensemble, à discuter... Dans cette
scène, nous ne sommes plus des acteurs, nous ne sommes
même plus des danseurs, mais des êtres humains face aux
spectateurs. Pour nous danseurs, c'est quelque chose de très
difficile. Tout à coup, on n'a plus la chorégraphie qui
nous protège. On est nus en quelque sorte.
Jean-Christophe Maillot insiste beaucoup sur le fait qu'il vous a demandé d'oublier le public...
Je
ne pense jamais qu'on me regarde. Je ne pense pas au public. Moi j'ai
un tel plaisir d'être en scène que je suis toujours
plongée dans l'histoire.
Vous avez une scène préférée dans le ballet?
C'est très difficile pour moi d'en citer une. Chacune est importante pour moi.
Un changement dans la distribution modifie-t-il vraiment le travail [le
rôle de Bianca, la sœur de Katharina, était tenu par
Anastasia Stashkevitch et non par Olga Smirnova, comme il était
initialement prévu]?
Oui,
ça a vraiment changé. Olga et Nastia sont très
différentes physiquement. Olga et moi, on est de taille
différente et on danse souvent ensemble. Nastia et Olga ont une
approche différente du rôle de Bianca. Ma Katherina change
donc avec cette distribution.
Est-ce que La Mégère apprivoisée
a changé votre manière d'appréhender la danse et
les rôles du répertoire que vous dansez habituellement?
Mon
professeur [Svetlana Adyrkhaeva, ndlr] pense – et je pense la
même chose - que chaque rôle nous fait progresser. Chaque
nouveau rôle nous aide et nous permet d'enrichir le suivant. Mais
il est quand même difficile pour moi de juger mon travail sur
scène. Beaucoup de critiques, des connaisseurs, m'ont dit que
Jean-Christophe avait découvert des aspects de moi que personne
n'avait remarqués auparavant. Moi je suis incapable de me juger,
mais certains m'ont dit que c'était comme une
révélation. Oui, j'ai lu beaucoup de choses comme
ça.
Est-ce que le ballet vous a donné envie de faire davantage de créations ?
Oui,
mais cela arrive tellement rarement. Je ne sais même plus quand
c'était la dernière fois... Il a fallu que je
réfléchisse... La dernière fois que j'ai fait
ça, une création partant de zéro,
spécialement pour le Bolchoï, c'était les Illusions
perdues de Ratmansky. Entre Les Illusions et La Mégère,
il y a eu trois ans au moins. Une création est une grande chance
pour les artistes que nous sommes. Non seulement c'est rare, mais en
plus, très peu de gens ont eu la chance que j'ai eue. D'ailleurs
peut-être que pour moi, ça n'arrivera qu'une fois dans ma
vie.
Il y a des chorégraphes avec qui vous aimeriez travailler ?
Bien
sûr. Je voudrais tout d'abord continuer à travailler avec
Jean-Christophe Maillot. Je vais aussi travailler avec Alexeï
Ratmansky et Youri Possokhov. Il y a évidemment des ballets que
j'aimerais danser, mais ce sont des ballets qui existent
déjà, et ce n'est pas aussi intéressant qu'une
création.
Propos recueillis et transcrits par Bénédicte Jarrassse.
Entretien en Russe. Traduction simultanée : Katerina Novikova
Le
contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et
www.forum-dansomanie.net est la propriété exclusive de
Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute reproduction
intégrale ou partielle non autrorisée par Dansomanie
ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit de
citation
notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage
privé), par
quelque procédé que ce soit, constituerait une
contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.
Entretien
réalisé le 19 décembre 2014 - Ekaterina Kysanova © 2015,
Dansomanie
|
|