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entretiens
Pierre Rigal, chorégraphe

11 avril 2014 : Pierre Rigal, du stade à la scène


Le chorégraphe Pierre Rigal sera l'invité de l'Opéra de Paris durant la saison 2014-2015 et crééra pour la compagnie nationale un ballet intitulé Salut. Pierre Rigal a gentiment accepté de nous en dire quelques mots, à l'occasion de la présentation de sa pièce Micro dans le cadre des «Soirées performances» sur la Scène Nationale d'Orléans. Il revient également sur une carrière atypique - il a, avant d'opter pour la danse, été un athlète de haut niveau - qui trouvera sa consécration le 3 février 2015 au Palais Garnier.





Pierre Rigal, vous n’avez pas un parcours très conventionnel pour quelqu'un qui est aujourd’hui chorégraphe et danseur. Pouvez-vous nous en dire quelques mots?

Je suis à la base plutôt un sportif, j’ai pratiqué beaucoup de sports dans ma jeunesse, j’étais un peu un hyperactif. J'ai fait surtout de l’athlétisme, où je me suis spécialisé en sprint long, c’est-à-dire le 400 mètres et le 400 mètres haies. J’ai été  un sportif de haut niveau en catégories junior et espoir entre 16 et 20 ans. Puis, un peu par hasard, un peu par instinct, un tout petit peu pour des raisons amicales, j’ai pris un cours de danse, un cours municipal à Toulouse, de danse contemporaine qui s’appelait rythme primitif, avec un chorégraphe, Heddy Maalem, et ce premier cours m’a beaucoup plu. Cela a été pour moi, un monde qui s’ouvrait et quelque chose de l’ordre du loisir. A 23 ans, je ne pouvais imaginer en faire un métier. Pour beaucoup, la danse commence à 4/5 ans, à l’école de danse, au conservatoire, c’était ça pour moi dans mon imaginaire. Mais la particularité de la danse contemporaine, c’est qu’elle peut s’ouvrir à toute personne qui n’a pas forcément les bases du classique. Et comme j’avais développé des qualités dans le sport, en termes de coordination du corps, de mouvement, d’énergie, de force, de saut, celles-ci pouvaient m'être utiles dans le domaine de la danse.


C’est à ce moment-là que vous avez arrêté le sport?

Oui, pour une blessure récurrente qui m’empêchait de retrouver mon niveau maximum, et c’est d’ailleurs assez fréquent vers cet âge de 22/23 ans.


Vous n’avez donc pas de formation en danse classique?

Non.


Cela vous manque-t-il?


Oui, ça me manque, dans le sens où c’est une culture intellectuelle et une culture du corps. Mais j’ai voulu compenser par autre chose. J’ai compris que je ne pouvais pas rattraper ce retard dans le domaine classique, donc j’ai développé autre chose et j’ai fait mon chemin dans celui de la danse contemporaine, en m’inspirant de mon ancienne activité sportive, de l’acrobatie, du hip-hop,  en créant ma propre nouvelle culture.


En fait, si votre absence de formation classique est un handicap, votre formation sportive pourrait-elle constituer un atout?

Exactement! J’ai vu que j’avais une originalité ; une formation très classique génère un standard, et j’ai développé une différence qui a créé une originalité et a constitué une force.


Comment travaillez-vous, comment préparez-vous un spectacle, quelle en est l’origine, l'inspiration?

Ça vient en fait d’une idée, et souvent, même systématiquement, cette idée vient avec le titre. Je trouve le titre du spectacle très tôt, et ce titre se déroule comme une déclinaison. J’ai d’abord travaillé dans une compagnie de danse contemporaine, avec le chorégraphe, Gilles Jobin. Plus tard, j’ai voulu créer mon propre solo et j’ai eu l’idée d’intituler ce spectacle «érection». C’est un mot particulier, un peu provocateur. J’ai cherché d’autres titres, mais je me suis rendu compte que c’était le seul qui correspondait à l’idée que je voulais développer, à savoir un homme couché qui doit se lever. Le seul mot qui convient pour ce mouvement de la position couchée à la position debout est le verbe s’ériger et le nom érection. J’ai donc adopté ce mot-là malgré le côté provocateur. A partir de là, beaucoup de choses se déclinent, il faut chercher de manière un peu studieuse, comme une étude, toutes les positions intermédiaires entre la position couchée et la position debout. Au départ, je n’étais pas sûr que ce soit une idée suffisante pour en faire un spectacle, mais en travaillant en studio, je me suis rendu compte que c’était un sujet infini. Il y a une infinité de positions entre ces deux positions extrêmes : en fait, ce parcours entre ces deux positions crée une histoire, toute une narration. On peut y voir l’évolution de l’espèce humaine, l’évolution de l’individu, de l’enfant qui marche à quatre pattes à celui qui vieillit, ainsi que l’évolution d’un sujet social, de celui qui s’érige dans la société. Cette idée finalement s’avère assez riche, presque infinie.


Quand vous engagez les répétitions, votre spectacle est complètement arrêté dans votre tête, ou est-ce que vous le créez avec les danseurs?

Oui, je le crée beaucoup avec les danseurs. L’idée de base est assez solide et va guider toute la recherche, mais il y a de la recherche aussi qui se crée avec tous les intervenants, ceux qui gèrent la lumière, la musique… chose qui est moins usuel dans la danse classique. Dans la pièce que je vais créer à l’Opéra de Paris, en termes de temps de recherche, c’est beaucoup plus court, quasiment inexistant. Donc il faut que je fasse ma recherche à l'avance.


Vous avez un musicien attitré?

Je travaille avec plusieurs musiciens que l’on retrouve d’une pièce à l’autre. Pour l’Opéra de Paris, ce sera Joan Cambon qui a fait justement la musique de mon premier spectacle, ainsi que plusieurs pièces pour le groupe avec lequel j’ai créé Micro. J'ai aussi monté d’autres spectacles avec Nihil Bordures. Mais toutes les musiques sont créées spécifiquement pour le spectacle, toujours originales et toujours interactives, c'est-à-dire générées en direct : c’est le mouvement d’un danseur qui va générer une situation musicale. De ce fait, on ne sent pas toujours le danseur suivre la musique, il va créer une interaction, des atmosphères un peu différentes. J’aime bien procéder ainsi, ce qui est assez stressant dans la création, parce que les danseurs ne peuvent pas s’appuyer sur une musique préexistante, la musique se crée en même temps qu’on crée la danse. Alors il y a toujours un retard qui peut être déstabilisant pour les danseurs. Cette déstabilisation, je vais la retrouver à l’Opéra, puisque la musique ne sera pas intégralement construite avant la pièce, elle se construira pendant les répétitions avec les danseurs. Ce sera peut-être une nouveauté pour eux, qui peut les déstabiliser, mais j’essaierai de leur montrer que c’est possible.


Venons-en à Micro, il y a une histoire dans cette pièce, non?

C’est un homme qui rêve de construire sa vie, en l’occurrence de construire un groupe de rock. C’est un peu une métaphore du rêve. Il y a un côté très adolescent. Et pour construire sa vie, ou un groupe de rock, il faut faire intervenir des éléments, d’abord des objets, puis des créatures, des automates, qui vont découvrir l’électricité, le bruit, le son, le rythme, puis la mélodie, enfin la chanson. Mon personnage est un peu comme un chef d’orchestre technicien qui construit son rêve. Plus tard, son rêve le dépasse un peu, il en perd la maîtrise. C’est encore une métaphore de ce qu’est la vie : on rêve d’une vie et il y a une différence entre le rêve et la réalité. On passe notre vie à lutter, à gérer, à spéculer sur cette différence entre le rêve qu'on a et la réalité. Finalement, pour continuer à maîtriser sa création, son théâtre, il décide un peu comme un enfant de casser ses jouets. Ce n’est plus qu’un champ de ruines.



C’est une allégorie de la vie?

Oui. Tous mes spectacles se terminent un peu de manière nostalgique!



Vous êtes invité à l’Opéra Garnier en février prochain pour une création. Comment cela s’est-il passé?

En fait, c’est Brigitte Lefèvre qui m’a invité. Cela fait plusieurs années que nous sommes en contact. Elle a vu plusieurs de mes pièces, notamment mon solo Press, qui lui a plu. J’ai ensuite créé des pièces de hip-hop au festival de Suresnes, dirigé par Olivier Meyer. Brigitte Lefèvre est assez ouverte, elle ne va pas voir que de la danse classique, elle va voir différents styles de danse, et notamment du hip-hop. J’ai créé deux pièces à Suresnes, l’une s'intitulait Asphalte, l’autre Standards. Manifestement, ces pièces lui ont plu et elle a eu l’idée courageuse, expérimentale, de m’inviter. J'en suis ravi
!


Vous êtes venu récemment à l'Opéra de Paris, mais dans un autre contexte, non?

Oui, j’ai donné 
Arrêts de jeu, qui est ma deuxième pièce, à l’Opéra Bastille, dans le cadre de la programmation «jeune public». C’est une pièce de danse contemporaine, et cela s’est très bien passé.  


Salut! [titre de la création de P. Rigal pour l'Opéra de Paris, ndlr], c’est une marque de respect, de convivialité, choses qui se perdent parfois dans notre société, non?

Comme je le disais au début, le titre est important pour moi, c’est souvent un mot et je ne déroge pas à cette règle. Salut est un mot qui désigne beaucoup de choses. Il désigne évidemment pour le danseur un geste que tout le monde connaît à la fin d’un spectacle, et qui est souvent un mouvement très chorégraphique, parfois plus libre. C’est aussi une notion de félicité, de bonheur, de plénitude, et dans le domaine religieux, de vie éternelle. Dans ce mot-là, il y a beaucoup de choses qui peuvent s’exprimer. D’ailleurs, quand on dit salut à quelqu’un, c’est beaucoup plus familier que lorsqu’on dit bonjour. Or, quand on dit bonjour, on souhaite à quelqu’un de passer une bonne journée, ce qui est sympathique, mais quand on dit salut, on lui souhaite peut-être la vie éternelle, le bonheur. C’est donc plus grand et, paradoxalement, plus familier. Ce mot-là va me permettre, du moins je l’espère, de travailler avec les danseurs sur la notion d’éternité, et de créer une espèce de cycle où l'on verra l’idée qu’un mouvement collectif se prolonge, avec une idée d’infinité perpétuelle.



Il y aura une histoire comme dans Micro?

Oui, mais plus schématique, plus simple. Il faut imaginer qu’on va voir une journée se dérouler, puis une deuxième journée, et on verra qu’il y a beaucoup de similitudes entre ces deux journées. Et donc on peut aussi imaginer que la troisième journée sera un peu similaire, mais avec de petites différences. L’idée est de travailler sur le cycle et un peu sur l’éternité, grâce à ce geste qui est le salut.



Vous utilisez uniquement les danseurs de l’Opéra national de Paris?

Oui. Ils seront entre 15 et 20, garçons et filles. Je ne connais pas encore la distribution, qui interviendra au mois de juin
.


Vous avez à faire des choix ou c’est l’ONP qui décide?

Cela se fera en concertation avec Brigitte Lefèvre et Benjamin Millepied. Je ne connais pas très bien les danseurs, en réalité je ne les connais que de loin.
 


A-t-on déjà une idée des rôles de solistes
? Y en aura-t-il?

Oui, mais je n’en connais pas encore l’identité. Cela dépend de mon choix, du calendrier des autres pièces en préparation. Ce que je souhaite, c’est avoir des danseurs très disponibles. Je suis curieux, impatient… Mais je ne suis pas inquiet, ce seront de toutes façons, de très bons danseurs!



Quand vont commencer les répétitions?

Ce sera en décembre 2014 et janvier 2015. Mais j’espère travailler avant, pour inventer des choses avec ma collaboratrice. Joan Cambon préparera de la musique un peu en avance, mais ce sera une matière assez large qui, pendant les répétitions, va se resserrer.



Ce sera une musique enregistrée?

Il n’y aura pas d’orchestre. Mais ce sera une musique générée en direct.



Ce sera vraiment de la danse contemporaine, non une «performance» scénique?

Oui, ce sera de la danse. J’aime énormément ces danseurs, ils sont extraordinaires. Je veux les faire danser, je vais utiliser leurs compétences, leurs qualités le plus possible, je veux en profiter. Il y aura beaucoup de mouvement, ce sera de la danse contemporaine, mais aussi un vrai ballet. Bon, il n’y aura ni pointes, ni tutus, mais la frontière entre danse classique et danse contemporaine est étroite, plutôt floue. En termes d’investissement physique, je compte utiliser au maximum les capacités de ces artistes. D’ailleurs, ils seront toujours sur scène et ne sortiront pas. Le ballet devrait durer trente minutes.



La perspective de pénétrer ainsi dans le «temple», le «Saint des saints», provoque-t-il une certaine tension chez vous?

Bien sûr! Mais vais essayer d’être plus proche du plaisir que de l’angoisse, je ne désespère pas de travailler en prenant du plaisir. C’est quand même une chance et il ne faut pas regretter ces instants-là. J’espère que les danseurs me feront confiance, même si je ne possède pas leurs codes classiques.




Pierre Rigal - Propos recueillis par Bernard Thinat




 pierre rigal


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Entretien réalisé le 11 avril 2014 - Pierre Rigal © 2014, Dansomanie


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