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Sébastien Marcovici, Maître de ballet au L.A. Dance Project
10 mars 2014 : Sébastien Marcovici, un Français à la conquête de l'Amérique
Sébastien Marcovici, qui vient de mettre un terme à sa carrière de Principal
(Etoile) au New York City Ballet, est l'un des plus proches
collaborateurs de Benjamin Millepied. Il exerce aujourd'hui les
fonctions de Maître de ballet au L.A. Dance Project, la compagnie
du futur directeur du Ballet de l'Opéra National de Paris. A
l'occasion d'une tournée au Théâtre du Châtelet, ce
Français qui a conquis l'Amérique nous a accordé
une interview, dans laquelle il retrace son parcours et évoque
ses perspectives d'avenir.
A
trente-huit ans vous venez de quitter le New York City Ballet. Est-ce
l'âge normal de départ en retraite ou avez-vous un peu
anticipé?
Oui,
j’ai trente-huit ans, mais il n’y a pas vraiment
d’âge fixe pour la retraite au New York City Ballet. En
fait, ça fait quelque temps que je souffre de problèmes
physiques, notamment aux pieds ; je ne peux plus danser comme je le
voudrais, je ne peux plus faire les grands sauts, et de ce fait mon
répertoire est devenu un peu limité. Et comme Benjamin
Millepied m’a, dans le même temps, proposé de
travailler pour lui, cela m’a aidé à prendre ma
décision et à faire le choix de partir.
Et donc, maintenant, au L.A. Dance Project, vous occupez quelles fonctions?
Je suis maître de ballet et répétiteur.
Le
répertoire que vous allez travailler avec le L.A. Dance Project
sera-t-il très différent de celui que vous dansiez au New
York City Ballet?
Le répertoire sera effectivement sensiblement différent,
mais cela ne changera pas grand chose en ce qui concerne mon travail de
maître de ballet et répétiteur. Mon devoir,
c’est de respecter les œuvres et les exigences artistiques
des chorégraphes.
Même si vous êtes originaire de Paris, vous êtes
encore mal connu du public français. Pouvez-vous revenir en
quelques mots sur votre carrière?
J’ai passé cinq ans à l’Ecole de danse de
l’Opéra de Paris. J’étais de la même
génération que Jérémie Bélingard et
Karl Paquette, mais, la distance aidant, j’ai un peu perdu le
contact avec mes anciens camarades de promotion.
Comment
avez vous pris la décision de partir pour les Etats-Unis?
Avez-vous quitté la France dès la fin de votre
scolarité?
Oui,
dès ma sortie de l’Ecole, à la fin de la
première division. En fait, j’étais engagé
au Ballet de l’Opéra de Paris, mais, pour intégrer
la troupe, il fallait avoir obtenu son BEPC [aujourd’hui Brevet
des collèges, ndlr]. Moi, l’école, ce
n’était pas trop ma tasse de thé, j’ai
raté le brevet, et on ne m’a pas laissé entrer
à l’Opéra…
Jean-Pierre Bonnefous, ancien danseur étoile de
l’Opéra de Paris, parti lui aussi au New York City Ballet,
était venu donner des cours durant une semaine à
l’Ecole de danse. Il m’avait repéré et cela
m’a valu une invitation au stage d’été
qu’il organisait dans l’état de New York. Le New
York City Ballet était installé juste à
coté, à Saratoga. Jean-Pierre Bonnefous m’a
proposé d’aller suivre une classe avec la compagnie,
c’est ce que j’ai fait, et, à la fin du cours, Peter
Martins est venu vers moi et m’a demandé si je voulais
rester. Et j’ai répondu oui. J’avais dix-sept ans.
Pour
un adolescent, c’est un peu une aventure de partir ainsi pour
l’Amérique. Vous aviez de la famille, des amis
là-bas?
Absolument
pas. C’était un grand saut, c’est vrai, mais
à dix-sept ans, on ne se pose pas de questions. Pour moi,
c’était juste excitant, incroyable.
Comment s’est passée votre arrivée aux USA et votre adaptation à la vie new-yorkaise?
Je
trouvais New York géniale et je me suis adapté
aisément à la vie locale. Pour le logement, j’ai eu
la chance de faire la connaissance d’un danseur de l’autre
grande compagnie locale, l’American Ballet Theatre, qui cherchait
justement un co-locataire. Tout s’est fait rapidement et je dois
dire, vraiment facilement.
Le
répertoire du New York City Ballet est centré sur
Balanchine et Robbins. Est-ce que déjà, à
l’Ecole de danse, vous aviez manifesté un
intérêt particulier pour ces deux chorégraphes?
Non, pas vraiment. Robbins m’était davantage familier, car
à l’époque, le Ballet de l’Opéra de
Paris montait souvent ses chorégraphies. En revanche, je ne
connaissais pas bien Balanchine. Mais dès que j’ai
vraiment découvert Balanchine et Robbins au New York City
Ballet, ça a été le coup de foudre.
L’énergie de la compagnie est stupéfiante, et quand
j’ai commencé à travailler les ballets de
Balanchine et de Robbins qu’on ne voit pas ailleurs, j’ai
trouvé cela fascinant. J’ai compris que
c’était cela que je voulais faire.
Avez-vous eu l’occasion de travailler avec Jerome Robbins lui-même?
Oui, au moins durant deux ans, si je me souviens bien. Nous avons beaucoup travaillé sur Glass Pieces, mais l’un des moments les plus intenses, c’est lorsqu’il a remonté West Side Story, ou plus exactement West Side Story Suite,
qui reprenait les passages chorégraphiques de la comédie
musicale de Leonard Bernstein. C’était vraiment
impressionnant pour moi, après avoir vu le film, de me retrouver
«dans» West Side Story, sur scène, avec Robbins. Un autre grand moment, ça a été la création de Brandenburg ; pour ce ballet, Jerome Robbins a spécialement chorégraphié un petit pas de deux pour moi [Brandenburg, sur la musique des Concertos Brandebourgeois
de Jean-Sébastien Bach, a été monté pour la
première fois au New York City Ballet en 1997, ndlr].
C’était une expérience assez fascinante. A
l’époque, j’étais dans le corps de ballet. Il
y avait quatre couples, deux couples d’étoiles et deux
couples pour des seconds rôles. Moi, je devais danser un petit
menuet. Benjamin Millepied était d’ailleurs aussi sur
cette production.
Vous êtes arrivé au New York City Ballet en même temps que Benjamin Millepied?
Non, j’ai intégré la troupe un an avant lui, je
crois. Mais il était déjà à New York,
puisque lui, il avait étudié la danse à la School
of American Ballet.
Comment
se déroule la carrière d’un danseur au New York
City Ballet? Y-a-t-il une hiérarchie? L’avancement des
danseurs se fait-il par concours ou est-ce la direction qui en
décide?
Il y a une hiérarchie, moins formelle qu’à
l’Opéra de Paris : corps de ballet, solistes et principaux
(étoiles). L’avancement est généralement
conditionné par l’ancienneté. Il n’y a pas de
concours. Pour les solistes et les étoiles, c’est le
directeur qui décide seul. Moi-même, j’ai
passé cinq ans dans le corps de ballet, puis trois ans comme
soliste avant d'être promu principal. La progression peut
être plus ou moins rapide. En ce qui me concerne, j’ai
dû attendre un certain temps, car les étoiles
étaient assez nombreuses et pas sur le point de partir. Mais
ça n’a pas été une mauvaise chose, car
ainsi, j’ai pu parfaitement me préparer à chaque
changement de niveau. De toute façon, si on doit devenir
étoile, on y arrive, que ce soit rapidement ou plus doucement,
peu importe. Et pour moi, le passage dans le corps de ballet a
été l’un des meilleurs moments de ma
carrière. Au New York City Ballet, en raison des
spécificités du répertoire, le corps de ballet est
très sollicité, et il arrive qu’on danse trois
ouvrages à la suite dans une même soirée,
c’est fascinant, fantastique même.
Est-ce que le style, les méthodes de travail en cours et en
répétition sont très différents aux USA?
Avez-vous dû «ré-apprendre» tout ce
qu’on vous avait enseigné à l’Ecole de danse
de l’Opéra de Paris?
Oui,
les méthodes et le style sont très différents.
Certes, un pas de bourrée demeure un pas de bourrée, mais
l’exécution est vraiment différente. En
Amérique, et notamment au New York City Ballet, on exige une
rapidité bien plus grande. J’ai effectivement dû
ré-apprendre beaucoup de choses, mais c’est un choix de ma
part. J’ai suivi pour cela beaucoup de cours, j’ai
même obtenu la permission d’assister aux classes à
l’école de la compagnie, la School of American Ballet, qui
était située juste à côté. Mes
professeurs ont été Stanley Williams –
aujourd’hui décédé - qui était
un pédagogue – d’origine danoise, je crois –
très respecté. C’est lui surtout qui m’a fait
travailler la rapidité. J’ai aussi étudié
auprès d’Andreï Kramarevsky qui, lui, insistait
surtout sur la technique. C’était très important,
car avec le répertoire qu’on danse au New York City
Ballet, si on n’y fait pas attention, au début, on peut
perdre un peu cette technique. Kramarevsky, c’est
l’école russe, qui, après tout, a aussi
marqué Balanchine.
Certains
maîtres de ballet sont-ils plus spécifiquement
chargés de transmettre le répertoire de Balanchine et de
Robbins, justement?
Oui, notamment pour Balanchine, il y a encore plusieurs maîtres
de ballet qui ont eux-mêmes dansé sous la direction du
chorégraphe. Mais nous entrons dans une période de
transition car cette génération commence à
vieillir et la connexion directe avec Balanchine et Robbins est en
train de se rompre.
Est-ce qu’on sent au
New York City Ballet le poids de l’héritage? La compagnie
se sent-elle investie d’une mission «historique» de
préservation de ce qui est aujourd’hui
considéré comme le fondement même de la danse
américaine?
Oui,
mais en fait, la préservation de l’héritage,
c’est plutôt la mission de l’école [la School
of American Ballet, ndlr], qui, en un sens, est plus fidèle au
style et à la technique originels que la compagnie
elle-même.
Y a-t-il des différences significatives entre les deux grandes
compagnies new-yorkaises, le New York City Ballet donc, et
l’American Ballet Theatre? Alliez-vous voir des spectacles de vos
collègues de l’ABT?
Oui,
les différences sont considérables, l’ABT, ce sont
les grosses productions classiques qui font appel à la technique
russe ou française, le New York City Ballet est vraiment plus
spécifiquement américain. Et j’aime bien aussi voir
ce qui se fait chez les confrères de l’ABT, il faut se
tenir au courant de ce qui se passe ailleurs.
Quel
a été votre premier rôle important en tant que
soliste au New York City Ballet? Ou celui que vous considérez
comme particulièrement important dans votre carrière?
Le Danseur en vert dans Dances at the gathering de
Robbins, notamment. C’est un rôle que j’ai
abordé assez tôt d’ailleurs. Ma mémoire me
trahit un peu… Dans Balanchine, c’était
«Mélancolique», dans Les Quatre tempéraments.
Sébastien Marcovici dans Chaconne (chor. George Balanchine)
Et en tant que principal?
Il y a eu Chaconne,
de Balanchine, un très beau ballet rarement
représenté hors des Etats-Unis. Il y a beaucoup de petite
batterie, les filles dansent avec les cheveux lâchés.
Et quels sont les rôles que vous regrettez de ne pas avoir dansés?
Un
seul : Duo concertant, un Balanchine que j’avais d’ailleurs
répété, mais je me suis fait mal juste avant les
représentations, et j’ai dû renoncer. Lors de
reprises ultérieures, j’étais distribué dans
d’autres ouvrages donnés au cours de la même
soirée, et je n’ai pas non plus eu la possibilité
de le danser. Ce scénario s’est reproduit de la même
manière pour Opus 19/The Dreamer
de Robbins. Ce sont des ballets sur lesquels j’étais
distribué et que je n’ai pas pu danser suite à des
blessures, et que je n’ai ensuite pas pu reprendre en raison de
problèmes de planning, d’organisation. Ce ne sont pas des
rôles qu’on a refusé de me donner. Je n’ai pas
de regrets de ce point de vue là.
L’attribution
des rôles était décidée par Peter Martins?
Vous est-il arrivé d’aller le voir pour lui dire que vous
aimeriez danser tel ou tel ballet en particulier?
Quand
on vient juste d’être nommé étoile,
là, on prend ce que le directeur nous donne. Après, quand
on a montré des aptitudes dans un genre particulier, on peut se
permettre d’exprimer certains désirs. Il m’est
arrivé d’approcher Peter Martins pour lui demander
s’il serait possible de me distribuer sur un ballet que
j’avais vraiment envie de faire.
Maintenant que vous êtes passé au L.A. Dance Project,
envisagez-vous de vous lancer dans la chorégraphie?
Non,
absolument pas. Ce n’est pas quelque chose qui m’attire ou
qui représente pour moi un véritable besoin.
Pensez-vous un jour revenir en France, ou êtes-vous définitivement établi aux Etats-Unis?
Je
n’exclue rien. J’irai là où mon travail
m’amènera. Là, de toutes façons, je suis
obligé de me déplacer un peu partout. Je collabore
maintenant de manière très étroite avec Benjamin
Millepied, et je dois voyager beaucoup pour l’aider à
remonter ses ballets. Après, je verrais si je dois me fixer en
un lieu précis, mais pour l’instant, je ne peux rien
décider. S’il le faut, je pourrai aussi bien vivre en
France qu’aux USA, mais c’est un choix que je n’ai
pas encore à faire.
Benjamin
Millepied vous a-t-il proposé de prendre la direction du L.A.
Dance Project lorsqu’il prendra ses fonctions à
l’Opéra de Paris?
Non,
ce n’est pas à l’ordre du jour. Pour le moment, il
conserve la direction de la compagnie, il «manage»
ça très bien. Il est entouré de gens qui peuvent
s’occuper du quotidien. Lui, il décide des programmes et
supervise le montage des ballets. Mais ce n’est pas non plus
quelque chose que je voudrais vraiment faire. Si je devais un jour
assurer la direction d’une troupe, j’aimerais que ce soit
une formation plus classique, ou du moins balanchinienne.
Est-ce
que vous envisagez de rejoindre l’équipe de direction de
Benjamin Millepied au Ballet de l’Opéra de Paris, comme
vous vous connaissez de longue date et que vous êtes un peu son
«homme de confiance»?
Je
n’en sais rien du tout. S’il a besoin de mon aide en tant
que répétiteur, pourquoi pas? C’est vrai que nous
nous connaissons depuis très longtemps. Il m’a toujours
fait confiance, sur le plan professionnel, et donc, oui, c’est
une possibilité que je n’exclue pas.
Vous
avez mis fin à votre carrière au New York City Ballet le
même soir que votre épouse, Janie Taylor.
C’était un choix délibéré ou le
hasard en a décidé ainsi?
Non,
c’était volontaire, même si Janie est plus jeune que
moi. Il y a un moment dans une carrière, où l’on
sent qu’on ne peut plus vraiment évoluer. Nous
n’avions pas vraiment envie d’être
séparés, et pour elle, au cours des quatre ou cinq
années à venir, il n’y avait plus de grands
changements ni d’évolution à espérer au New
York City Ballet. Et puis, pour nous, c’était mieux de
pouvoir faire nos adieux à la scène en même temps.
On n’avait pas vraiment envie, chacun de notre côté,
d’assister aux adieux de l’autre! On a tellement
dansé ensemble ces dernières années que nous
voulions aussi partager ce moment particulier.
Janie Taylor et Sébastien Marcovici dans Episodes (chor. George Balanchine)
Vous
avez formé un couple à la ville parce que vous dansiez
souvent ensemble, ou bien vous a-t-on distribués ensemble car
vous formiez un couple à la ville?
En
fait, on s’est remarqués dès qu’on
s’est vus la première fois. Elle sortait de
l’école. Mais nous n’étions pas un couple
à ce moment, ça a mis environ deux ans. Peter Martins
nous a souvent distribués sur les mêmes productions, je ne
sais pas exactement pourquoi. Ensuite, nos carrières ont
évolué de manière un peu différente, et
c’est quand nous sommes devenus étoiles que nous avons
vraiment dansé ensemble de manière très
régulière.
La carrière de Janie va se poursuivre de quelle manière?
Elle
a déjà réalisé des costumes de danse plus
ou moins en dilettante, et maintenant, elle veut se lancer là
dedans de manière vraiment professionnelle. Elle va
d’ailleurs créer les costumes d’un nouvel ouvrage de
Justin Peck, qui sera créé au printemps au … New
York City Ballet. Elle a d’autres projets du même genre
dans les cartons, et elle envisage aussi de travailler en tant que
maître de ballet ou répétiteur, pour Benjamin
Millepied peut-être, mais ce n’est pas la seule piste.
Sébastien Marcovici - Propos recueillis et retranscrits par Romain Feist
Janie Taylor et Sébastien Marcovici le soir de leurs adieux.
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Entretien
réalisé le 7 mars 2014 - Sébastien Marcovici © 2014,
Dansomanie
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