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Pierre Lacotte, chorégraphe
09 novembre 2013 : Marco Spada conquiert le Bolchoï
Presque trente ans jour pour jour après son exhumation à l'Opéra de Rome, Marco Spada
est repris au Bolchoï, à l'initiative de Sergueï
Filin, le directeur de la célèbre compagnie russe. Pierre
Lacotte, qui avait entièrement rechorégaphié
l'ouvrage en 1981, en vue des célébrations du
tricentenaire de la naissance du compositeur Daniel
François Esprit Auber, a accepté de nous parler de la
genèse de ce retour à la scène d'un ouvrage
désormais entré dans la mythologie du ballet romantique
français.
Pourquoi avoir voulu reprendre Marco Spada
un peu plus de trente ans après sa création?
C’est le Bolchoï qui le souhaitait et qui m’a contacté. En 2003, La Fille du Pharaon,
que j’avais remonté à Moscou, avait eu beaucoup de
succès, et Sergueï Filin désirait donc voir à
nouveau un ballet à grand spectacle. J’ai pensé
à Marco Spada. Il correspondait bien à cela.
Marco Spada avait
été créé à l’Opéra de
Rome avec une distribution fabuleuse, Noureev, Ghislaine [Thesmar],
Michael Denard et Francesca Zumbo. Je suis content qu’il ait pu
revoir le jour, car c’est un peu mon enfant. C’est le
premier ballet que j’ai réalisé entièrement
moi-même - chorégraphie, décors et costumes
-, sans chercher à reconstituer quoi que ce soit,
puisqu’il ne restait plus rien, ou presque. A
l’époque, Rudolf [Noureev] et les autres ont
été passionnés par cette aventure, et ils ont
foncé avec moi, avec enthousiasme. Il y avait aussi la musique,
qui, je trouve, est très belle. Et maintenant, ça
recommence avec les gens du Bolchoï. Moi, ça me fait
plaisir, j’ai l’impression de vivre à nouveau la
même excitation que j’ai eue quand je l’ai
monté pour la première fois. C’était
à Rome, une ville que j’adore ; Rudolf, bien sûr, je
l’adorais aussi, Ghislaine [Thesmar] c’est inutile de le
dire, Michael [Denard], Francesca [Zumbo] et les Italiens, c’est
difficile à dire, il s’est passé quelque chose. Les
ateliers de l’Opéra de Rome m’ont accordé
tout ce que je voulais, c’était merveilleux. D’abord
j’ai eu peur de ne pas pouvoir obtenir la même chose ici,
à Moscou, mais le Bolchoï a réalisé les
décors et les costumes d’une façon fantastique, je
suis très content.
Justement,
comment cette production a-t-elle évolué avec les
nouveaux moyens techniques et humains dont vous disposez au
Bolchoï?
Sur
le plan du génie scénique, il n’y a pas de eu
changements significatifs au Bolchoï par rapport à Rome.
Les vieux théâtres italiens possédaient eux aussi
tous les systèmes de trappes et les dispositifs techniques dont
j’avais alors besoin, et donc je n’ai rien changé au
Bolchoï. Mais en revanche, j’ai ajouté des
personnages. J’ai ajouté les quatre amis de la Marquise,
les deux amis de Marco Spada et j’ai conçu des variations
supplémentaires au deuxième acte, variations qui
étaient nécessaires, car sans elles, le pas de deux
était incomplet. Il y avait l’adage, certes, mais pas les
variations, et pas la coda pour Frederici et la Marquise Sampietri.
Sinon, j’ai repris ce qui existait déjà.
On a donné pour chaque rôle des indications très
précises sur la pantomime. Et puis, petit à petit,
ça a pris vie, chacun assimilait le «texte», comme
dans une pièce de théâtre. Avec la danse, on dit
aussi des mots, mais on les dit différemment. Il y a tout
d’un coup des silences qui veulent dire quelque chose, des
arrêts, des regards… La musique a aussi une signification
différente pour chacun. C’est ce qui apporte la vie, et
c’est ce qui m’intéresse.
C’est aussi très intéressant d’avoir
plusieurs distributions, parce que chaque personnage peut être
incarné de manière différente. Par exemple, Igor
Tsvirko, que vous avez vu en Pepinelli, le chef des Dragons, lors de la
première, vous le découvrirez ensuite dans le premier
rôle : il y est tout simplement extraordinaire. Il a, comment
dirais-je, une foi, une passion de son métier, que j’ai
rarement vue chez un jeune. Il pourrait travailler jour et nuit, il
pose des questions tout le temps, il est ouvert, il est heureux, il est
content. Il écoute la musique, il demande qu’on lui rejoue
certains passages, il est disponible, et je trouve qu’il a un
talent… Déjà en Pepinelli, il était vivant,
spirituel, mais là, avec lui en Marco Spada, le dernier acte, la
mort, c’est colossal. C’est aussi là qu’on se
rend compte de la valeur de la compagnie.
Marco Spada est un
ballet d’action, qui offre beaucoup de possibilités aux
interprètes, il touche à la commedia dell’arte.
C’est ce qu’appréciait Rudolf et il avait raison. Il
me disait : «tu vois, ce que j’aime, c’est ce que tu
as pu tirer parti de chaque personnage, pour lui donner une valeur
propre, sans qu’il écrase l’autre». Il
ajoutait : «ce que je déteste, c’est la
rivalité». Il regardait des coulisses les autres
personnages, alors que généralement il ne le faisait pas,
s’il y avait un autre soliste présent dans le même
spectacle que lui. Ça l’énervait ; soit il
était admiratif et ça le complexait – enfin pas
vraiment, parce qu’il possédait tout de même une
sûreté heureusement forte –, soit il était
carrément jaloux, furieux. Et là, Marco Spada,
vraiment, ça l’a amusé, il a travaillé.
– Vous connaissez l’histoire drôle de la
distribution de Rudolf dans Marco Spada?
Il m’avait fait monter La Sylphide à New York,
qu’il a dansé durant trente représentations
consécutives. Il était très heureux, parce que
cela marchait bien. Un soir, il nous invite à dîner, il me
demande quels sont mes projets. Je lui dis que je vais à Rome,
je suis invité par l’Opéra de Rome, c’est
l’anniversaire de la mort, je crois, d’Auber [en fait le
tricentenaire de la naissance d’Auber, le 29 janvier 1782], et il
veulent remonter Marco Spada, c’est une très belle partition.
– «Qu’est ce que c’est Marco Spada?»
me dit Noureev. Je lui raconte le livret, et tout d’un coup ses
yeux se sont mis à briller, et il me dit : «tu es
complètement fou, c’est un rôle pour moi
ça.»
– «Je sais.»
– «Mais pourquoi tu ne me l’as pas demandé?»
– «Mais parce que tu
es un jour en Australie, un jour à Londres… moi je ne
peux pas monter une création avec quelqu’un qui
n’est jamais là.»
– «Et si je
t’écris et que je te jure que je serai là?»
– «Eh bien alors, c’est différent».
Nous étions dans un restaurant français, où il y
avait des nappes en papier, il a découpé un morceau de
nappe et il a écrit : «Moi, Rudolf Noureev, certifie que
je serai libre pendant un mois et demi pour répéter Marco Spada».
J’ai téléphoné à l’Opéra
de Rome pour tout changer, c’était Anthony Dowell qui
était pressenti, et c’est Noureev qui a pris le
rôle, finalement.
Et vous avez gardé ce fameux bout de nappe?
Eh
bien, écoutez, je suis affolé et furieux, j’ai
déménagé il n’y a pas longtemps, et je ne
l’ai pas retrouvé. Alors peut-être est-il perdu au
milieu d’un tas de paperasse, et dans ce cas je finirai bien par
le retrouver, mais à l’endroit où je croyais
l’avoir mis, il n’y était pas!
Question incidente, on reconnaît dans la musique de Marco Spada quelques fragments de La Muette de Portici, non?
Oui, effectivement, il y a un morceau de Fra Diavolo et un morceau de La Muette qui ont été ajoutés à la partition.
En
ce qui concerne les modifications apportées pour la reprise au
Bolchoï, les parties de corps de ballet ont-elles
été étoffées?
Non, j’ai simplement rajouté au deuxième acte le
passage quand Pepinelli reste seul et que les suivantes de la Marquise
se moquent de lui parce qu’il a pris la cape. J’ai
rajouté ce petit sketch et les deux petites variations [pour
Frederici et la Marquise, cf. supra]. Mais pour le corps de ballet,
non, je n’ai rien changé.
Mais n’y a-t-il pas plus de danseurs sur scène qu’à Rome?
Oui, c’est vrai, il y a un peu plus de monde sur le plateau .
… Les enfants notamment?
Les enfants y étaient déjà à Rome, mais
utilisés de manière un peu différente, c’est
exact. J’ai aussi rajouté quelques figurants, notamment au
début.
A l’origine, Marco Spada
avait été monté pour «mettre en
scène» la rivalité supposée entre deux Prime
Ballerine (italiennes !) de l’Opéra de Paris, Amalia
Ferraris et Carolina Rosati. Dans la version que vous venez de
réaliser pour le Bolchoï, les deux premiers rôles
féminins sont plus équilibrés, alors
qu’à Rome, c’est clairement Ghislaine Thesmar qui
prédominait. Est-ce que vous avez eu à l’esprit,
ici, à Moscou, de «mettre en compétition»
deux grandes danseuses (Evguénia Obraztsova et Olga Smirnova
pour la première), comme ce fut le cas à lors de la
création du ballet?
Oui j’ai voulu rétablir un équilibre qui faisait
défaut au deuxième acte. Et j’ai trouvé
qu’il était préférable de remettre les deux
personnages d’Angela et de la Marquise Sampietri au même
niveau. Smirnova est merveilleuse et je l’adore aussi, elle fera
le rôle d’Angela plus tard.
Que restait-il du ballet originel quand vous l’avez monté
dans les années 1980, en-dehors des dessins de costumes et de
décors?
Il
y avait en réalité très peu de dessins des
costumes et je n’en ai pas tenu compte. Pour les décors,
il ne restait qu’une esquisse, un tout petit dessin du
deuxième tableau, ainsi qu’une aquarelle avec une
représentation de la grotte, au fond, au troisième acte.
Ce décor m’intéressait, et je l’ai
gardé, car l’idée m’amusait de faire danser
les gens sur deux niveaux différents.
On peut donc dire que Marco Spada est un ballet de Pierre Lacotte sur un argument d’Eugène Scribe ?
Exactement!
Pourquoi
ce ballet est-il sorti du répertoire de l’Opéra de
Paris, après sa reprise sous la direction Noureev?
C’est
très simple. C’est Rudolf qui a voulu absolument le
reprendre et le danser. Patrick Dupond, Jean Guizerix, Cyril
Atanassoff l’ont également interprété,
Claude de Vulpian et Elisabeth Platel ont incarné la
Marquise, Florence Clerc a fait Angela… Rudolf voulait le monter
à tout prix, mais il n’y avait pas de budget pour
ça. On a donc loué les costumes à
l’Opéra de Rome, mais pour une durée
limitée. On a programmé deux séries et ensuite,
les costumes sont repartis en Italie. Puis la direction du ballet de
l’Opéra de Paris a changé. Brigitte Lefèvre
n’a pas songé à le remettre à
l’affiche, et les choses en sont restées là.
Et maintenant, vous avez signé pour sept ans avec le Bolchoï…
Sept ans d’exclusivité, oui! Au Bolchoï, ils sont très contents, ils y tenaient absolument. Pour La Fille du pharaon,
j’ai été gentil avec eux, car ils ne
l’avaient au départ que pour trois ans. On m’a
redemandé ce ballet plusieurs fois et je trouve qu’ils le
font tellement bien que ce n’est pas la peine de le monter autre
part. Quand une compagnie a assimilé une œuvre et la danse
dans l’esprit que l’on souhaite, avec des
interprètes fabuleux comme Svetlana Zakharova, je ne vois pas
l’intérêt de la reprendre ailleurs. Ce serait une
sorte de «marchandage» et je n’ai pas envie de faire
cela. La vie est courte et bien sûr tout cela rapporte beaucoup
d’argent si on le programme dans des lieux prestigieux, mais
à quoi bon se disperser, à quoi bon avoir quelque chose
de moins bien… On ferait forcément des comparaisons, ce
n’est pas utile. C’est comme faire un cadeau à
quelqu’un et le reprendre ensuite pour le donner à
quelqu’un d’autre. Marco Spada, ils l’ont, ils le gardent, et puis on verra…
On
a parlé de votre rôle de chorégraphe. Au
Bolchoï, avez-vous aussi fait office de maître de ballet?
Comment avez-vous fait pour acclimater les danseurs russes à
votre style?
Avec La Fille du pharaon,
ils ont tellement travaillé qu’ils connaissent maintenant
bien ce style. Ça les intéresse même
beaucoup. Ce style correspond à une époque certes
révolue, mais qui a existé en Russie. Ils sont
très contents de retrouver tous ces petits pas rapides. Ils me
disent : «quel dommage qu’on ne nous apprenne pas tout
ça à l’école!». Il est très
important pour eux de retrouver cet héritage de la danse
classique. Les Russes et les Français ont toujours
collaboré, il faut que ça continue. De même que
nous, Français, ne devons pas oublier les bras merveilleux
qu’ils ont et que nous n’avons pas toujours, même si
nos méthodes de travail sont différentes. Barychnikov
disait quelque chose de très drôle, surtout venant
d’un Russe : «la danseuse parfaite, ce serait le haut russe
et le bas français». En Russie, l’attention
portée au bas de jambe n’est pas aussi forte que chez
nous. En France, nous avons voulu absolument préserver ce
travail, grâce à des artistes comme Yvette Chauviré
notamment, qui ont ébloui par ce merveilleux bas de jambe, par
cet art des petits pas rapides, les cous-de-pied bien en-dehors…
Ce sont nos traditions.
On a tout de même pu voir que Semion Chudin, tout russe qu’il est, possède une batterie excellente!
Ah,
Chudin! Quel beau danseur! Il est magnifique! Ce sont des dons
sacrés. Semion Chudin est quelqu’un qui est né avec
tous les dons. C’est un danseur absolument fabuleux. Son travail
des pieds est une merveille et il aime ça en plus.
J’apprécie beaucoup David Hallberg aussi ; c’est
totalement différent, mais c’est intéressant de les
voir juxtaposés dans des rôles différents.
Comment
vous êtes-vous répartis le travail entre vous-même,
Anne Salmon, Gil Isoart, et aussi Ghislaine Thesmar?
Ghislaine
a mis sa touche un petit peu à la fin. Elle a parlé de ce
qu’elle avait fait, de ce qu’elle avait ressenti en dansant
ce ballet, du rôle d’Angela bien sûr, mais aussi de
celui de Marco Spada, car elle était très proche de
Rudolf à ce moment-là. Elle le voyait s’efforcer de
rentrer dans la peau du personnage avec un enthousiasme extraordinaire.
On s’est partagé le travail de la façon suivante :
j’ai quatre-vingt un ans, donc je n’ai pas eu trop le
choix, je ne peux plus montrer les pas comme avant. Il fallait que je
trouve des collaborateurs – je n’appelle pas ça des
assistants. Ce sont des amis de la danse en quelque sorte. Ils
maîtrisent ce style, ils l’aiment, ils l’ont
étudié avec moi. Gil a fait les deux premiers actes, Anne
le troisième. Tous les deux connaissent parfaitement le ballet,
et si quelque chose n’allait pas, ils pouvaient,
indifféremment, reprendre chacun les choses en main.
Il a fallu qu’on discute beaucoup ensemble, notamment du
découpage musical. Ils sont venus chez moi dans le Midi de la
France, ils ont pris des notes, je leur ai donné des indications
supplémentaires. Anne Salmon est partie la première
à Moscou, elle a fait travailler tous les solistes. A son
retour, j’ai regardé les vidéos qu’elle avait
prises, j’ai demandé certains changements dans le
travail, etc… Tout s’est passé dans une
totale harmonie. Ensuite, ça a été le tour de Gil.
Ils ont été parfaits. J’avoue que j’ai eu
beaucoup de chance. C’est important d’être bien
entouré. On ne peut rien faire sans aide, ou alors il faut
être aveugle, jeune et penser qu’on est seul au monde. Mais
on n’est jamais seul au monde!
Partager, il n’y a rien de plus agréable. On fait les
critiques ensemble chaque soir, eux me font des propositions, et je les
écoute. C’est intéressant d’avoir
l’avis de personnes jeunes en qui j’ai confiance. Il
n’y ni rivalité, ni jalousie, ni mesquinerie. C’est
très ouvert. Ils ont fait un très gros travail,
d’autant plus qu’on n’a pas toujours eu autant de
répétitions qu’on l’aurait souhaité.
Le Bolchoï a un répertoire très chargé.
Certaines semaines, on a eu le corps de ballet deux fois deux heures,
c’est tout! Certes, ce n’est pas arrivé souvent,
mais quand ça arrivait, on était affolés, ce
ballet est quand même un monument pour le corps de ballet.
Finalement, tout s’est arrangé. Je connais bien les
maîtres de ballet du Bolchoï, parce qu’on avait
déjà beaucoup travaillé ensemble pour La Fille du pharaon.
Ils ont été très coopératifs, et dès
qu’il y avait un créneau de libre, ils rajoutaient des
répétitions, supprimaient un cours pour
répéter davantage… Le travail a été
très serré et puis finalement, la dernière
semaine, on a pu avoir la scène entièrement pour nous et
régler les lumières, la technique…
Combien de temps avez-vous passé à Moscou?
Trois
mois en tout à peu près, mais ça a
été découpé en plusieurs séjours. Je
suis venu d’abord avant les répétitions. Il y a eu
aussi la «période Paquita». J’étais sur Paquita
d’un côté et on me tirait de l’autre
côté en même temps : «Venez vite, on est en
train de répéter».
Je courais dans tous les sens… Mais il règne ici une
atmosphère réconfortante, car c’est
l’enthousiasme qui prévaut. L’organisation,
c’est autre chose. C’est russe, c’est
Dostoïevski, c’est la folie! C’est d’ailleurs la
même chose à Saint-Pétersbourg. Mais je connais
bien les Russes et je les aime comme ils sont, avec leur
tempérament, leurs états d’âme, leur charme,
leur intelligence et surtout leur talent. Ils ont du génie par
moments, c’est fantastique! Vous me parliez de Chudin. Eh bien,
par exemple, quand j’ai commencé à travailler
avec lui, je me suis dit : «on ne va jamais y
arriver…». Il me regardait, affolé. Et puis petit
à petit, il s’y est mis. Il était d’une
disponibilité absolue. C’est un très gentil
garçon en plus, très direct, très affectueux.. Ce
qui est drôle, c’est que quand je fais un compliment
à l’un, tout de suite, les autres sont là :
«et moi, et moi, et moi…». Ils sont comme des
gosses. C’est surprenant, mais c’est vraiment sympathique!
Vous avez appris quelques mots de russe?
Un
tout petit peu. J’ai une interprète. L’autre jour,
j’étais fatigué, je n’avais pas envie de
travailler, tout d’un coup, ça m’est revenu et je le
leur ai dit en russe. Ils ont hurlé de rire, ils ne
s’attendaient pas à ça! Mais non, je ne parle pas
russe, je peux dire : «encore une fois, à droite, à
gauche, en avant, attention, soyez plus fort», de petites
phrases. Mais [j’aime] entendre le russe, c’est une langue
tellement belle…
Vous avez vous-même évoqué votre âge. Avez-vous encore des projets dans les cartons?
Oui,
j’ai des projets dans les cartons, mais il faut être
conscient, l’âge étant là, que les choses se
feront au hasard des circonstances. Je n’ai pas
d’imprésario et les contrats arrivent tout seuls. On me
téléphone en me disant : «Etes-vous disponible?
Est-ce que ça vous intéresse?» Je dis oui, je dis
non, ça dépend. Alors oui, j’ai des projets. Il y a
des ballets que j’aimerais réactualiser, comme Les Trois Mousquetaires,
que j’avais monté au Japon pour un groupe de danseurs de
l’Opéra. Evguénia Obraztsova était venue
interpréter le rôle de Constance, il y avait aussi Mathias
Heymann en D’Artagnan, Marie-Agnès Gillot, Mathieu Ganio,
Josua Hoffalt… C’était inouï. Michel Legrand
m’avait permis de prendre un peu tout ce que je voulais dans sa
musique, il m’avait fait confiance. Ça s’est
passé dans une tellement bonne humeur que j’aimerais le
revoir. J’avais rêvé d’un personnage pour
chacun, d’après sa personnalité. Il y a eu une
espèce de communion, je n’avais pas encore connu cela.
Quand on fait un rôle pour quelqu’un, il y a toujours une
rivalité, on ne peut rien y faire, il y a toujours
quelqu’un pour dire : «c’est bien ce que vous avez
réglé, mais…». Là, pas du tout. Ils
s’aidaient, ils apprenaient le rôle à un
collègue arrivé plus tard… Bref, un état
d’esprit différent. Il y a plusieurs projets, on va voir
ce que ça donne. Sinon, je suis en train de finir ce que
j’ai entamé depuis longtemps, une Vie de Marie Taglioni.
Je voudrais également écrire des souvenirs, pas des
choses personnelles, mais des récits de rencontres : les gens
que j’ai eu la fortune de croiser, ce qu’ils m’ont
apporté... Car c’est ça que je crois : rien ne vous
est dû, on ne mérite rien, on a du talent, mais ce
n’est pas à nous d’en juger, il y a des chances,
c’est à nous de les saisir, de savoir en faire quelque
chose, de les partager. C’est cette espèce de communion
qui fait que l’on est heureux, et que l’on rend les gens
heureux. Ce sont ces souvenirs, ces anecdotes qui donnent du piment
à l’existence, comme celle de la table avec Noureev, que
je voudrais raconter. Je vais essayer de faire ça, mais
ça n’est pas simple de rassembler sa mémoire.
Surtout, il faut éviter de parler de soi! Même si cela
vous est arrivé à vous, il faut détourner la
chose, la voir comme si on en était spectateur.
Pierre Lacotte - Propos recueillis et retranscrits par Bénédicte Jarrasse et Romain Feist
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Entretien
réalisé le 09 novembre 2013 - Pierre Lacotte © 2013,
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