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José Carlos Martinez, directeur de la Compañía Nacional de Danza (Madrid)
02 mars 2012 : José Carlos Martinez, de Lausanne à Lausanne
En
1987, José Martinez, alors élève à l'Ecole
Rosella Hightower, à Cannes, se présentait à son
premier concours international, le Prix de Lausane, et remportait
d'emblée la compétition, ce qui lui permit ensuite
d'intégrer l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris.
Vingt-cinq ans plus tard, à l'issue d'une carrière qui
l'aura mené jusqu'au titre d'Etoile, il fait son retour dans la
métropole vaudoise, en tant que membre du jury cette fois, et au
titre de directeur de la Compañía Nacional de Danza,
poste qu'il occupe depuis un an à Madrid. Pour Dansomanie,
José Martinez a accepté de revenir sur ses souvenirs de
jeunesse à Lausanne, en les mettant en perspective avec sa
récente expérience au jury du célèbre
concours.
Comment avez-vous été amené à participer, en tant que jeune danseur, au Prix de Lausanne?
On
m'a proposé de participer une première fois
au Prix de Lausanne en 1986, mais je n’étais pas vraiment
décidé. C’est Rosella
Hightower, chez qui j’étudiais à Cannes, qui
m’y avait incité. J’ai commencé à
travailler mes variations, mais mon professeur, José Ferran, a
estimé que je
n’étais pas prêt, et j’ai donc renoncé
à me présenter au concours. J’ai retenté
ma chance l’année suivante, en 1987. Cette fois-là,
j’étais beaucoup mieux
préparé.
Quelles variations aviez-vous présentées?
Lorsque
j’ai passé le concours, nous devions présenter une
variation classique et une variation dite «libre» ; on les
montrait chacune trois fois sur scène, lors des quarts de
finale, de la demi-finale et de la finale. Comme variation classique,
j’avais présenté celle de Basilio, dans Don
Quichotte. Ma variation libre était une pièce de
José Ferran. M. Ferran était certes un pédagogue
de grande valeur, mais aussi un chorégraphe nettement moins
habile. Je me souviens que certains candidats dansaient des variations
réglées pour eux par des créateurs prestigieux.
Une Suissesse avait interprété une pièce de Heinz
Spörli, un autre de Hans van Manen ; à côté
d’eux, je me sentais un peu mal à l’aise…Ma
variation classique, c’était Basilio (Don Quichotte).
C’est cette même variation qui m’a, des années
plus tard, permis de devenir Premier danseur à
l’Opéra de Paris, et que j’aurai donc dansé
lors de mon premier et de mon dernier concours!
Vous aviez une idée de l'école de danse que vous vouliez alors intégrer?
Les
épreuves étaient, à l’époque,
divisées en quart de finale, demi-finale et finale. A
l’issue des demi-finales, les candidats admis au dernier tour
avaient un entretien avec le jury, et nous devions dire où nous
souhaitions poursuivre notre formation après les
épreuves. J’avais exprimé le désir
d’aller soit chez John Neumeier, à Hambourg, soit à
l’American Ballet Theatre. J’ai remporté le
concours, et, après la finale, on a annoncé au public que
j’avais choisi l’école du Ballet de Hambourg. A ce
moment, Violette Verdy, qui était, cette année là,
professeur au Prix de Lausanne, s’est précipitée
sur moi et m’a conjuré de renoncer à
l’Allemagne, au profit de l’Ecole de danse de
l’Opéra de Paris, partenaire, à
l’époque, de la compétition lausannoise. Mlle Verdy
est allée dire quelques mots à Claude Bessy, elle aussi
présente à Lausanne pour… commenter la finale
à la télévision! Claude Bessy s’est
laissé convaincre de me prendre, et une demi-heure plus tard, on
a fait une annonce rectificative pour informer le public que
j’avais décidé d’aller à Paris! A
cette époque, l’organisation du Prix de Lausanne
était beaucoup moins rigoureuse qu’aujourd’hui, et
ce genre d’improvisation de dernière minute était
encore possible. Maintenant, cela se passe de manière
très différente, et les lauréats ont un mois pour
réfléchir à l’école ou à la
compagnie qu’ils souhaiteraient intégrer.
Je dois dire aussi qu’il n’y avait pas vraiment
d’esprit de compétition et de rivalité entre les
candidats, les tensions n’étaient pas exacerbées,
et l’ambiance était un peu celle d’une colonie de
vacances. Certains jeunes danseurs de l’époque sont
devenus des amis, et j’en ai retrouvés grâce
à Facebook. Aujourd’hui, c’est d’ailleurs un
peu la même chose, mais entre les membres du jury! J’ai
notamment été très heureux de faire la
connaissance de Sue-Jin Kang, du Ballet de Stuttgart.
Et maintenant que vous êtes au jury, que pensez-vous de l'évolution du Prix?
J’apprécie beaucoup le fait qu’à
présent, même les candidats qui n’ont pas obtenu de
récompense peuvent espérer une place dans une
école ou une compagnie. Je pense en particulier à un
jeune Australien, Calvin Richardson, qui a été
recalé pour seulement quelques millièmes de points.
J’ai été très heureux qu’il
m’ait écrit, peu après le concours, pour
m’annoncer qu’il avait été malgré tout
admis à la Royal Ballet School à Londres.
Le Prix de Lausanne est une vraie fête de la danse, même
s'il y a toujours quelques déceptions lorsque des candidats de
valeur sont recalés. La rencontre avec les candidats
refusés en finale a été l'occasion
d'échanges très intéressants. Parfois, on est
aussi obligés de dire des choses pas faciles. J'ai ainsi dû
recommander à une jeune fille qui rêvait de devenir une
ballerine classique, de s'orienter plutôt vers la danse
néo-classique ou contemporaine. Il y a malheureusement dans la
danse classique des contraintes de morphologie dont on ne peut pas
s'affranchir.
Les membres du jury se mettent-ils facilement d'accord sur le palmarès?
Lorsqu'on regarde les résultats du concours, il ne faut pas
perdre de vue qu'ils représentent une moyenne de notes, et non
l'appréciation d'une personne particulière. Par ailleurs,
la performance sur scène n'est pas prise seule en compte, le
travail fourni encours est également évalué, ce
qui explique que des candidats que l'on aurait espéré voir
arriver en finale soient parfois recalés.
Cela dit, j'ai trouvé les décisions du jury assez
cohérentes, et on ne peut pas déplorer d'injustices
majeures, même si des personnalités intéressantes
ont été écartées dès les
sélections en raison de notes insuffisantes. Encore une fois, il
s'agit de moyennes, qui peuvent refléter une
réalité contrastée. Certains membres du jury sont
plus sensibles à la maîtrise technique, d'autres
privilégient les aptitudes physiques et le sens artistique.
Quid des partenariats, notamment avec l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris?
A titre personnel, je regrette que l’Ecole de danse de
l’Opéra de Paris ne soit plus partenaire du Prix de
Lausanne – je ne connais d’ailleurs pas les raisons de
cette attitude – car on laisse ainsi passer de très bons
danseurs. Moi-même, s’il en avait été ainsi
en 1987, je ne serais jamais entré à l’Opéra
de Paris. On peut évidemment toujours avancer l’argument
de la préservation du style, ce qui serait plus difficile avec
des élèves venus, en fin de scolarité, de tous
horizons. A cela, on répondra que suivre les cours durant un an
à l’école ne signifie nullement qu’on va
être engagé dans la compagnie ensuite.
Et en tant que directeur de compagnie, que vous a apporté le Prix de Lausanne?
J'espère bien renouveler cette expérience d'une
participation au jury du Prix de Lausanne, car elle m'est aussi utile
dans le cadre de mes fonctions de directeur de compagnie. A la
Compañia Nacional de Danza, nous possédons d'ores et
déjà un ballet junior, la CND2, que j'espère voir
bientôt devenir partenaire du Prix de Lausanne.
En tant que directeur de compagnie, on est toujours à la
recherche d’un «produit fini», un danseur prêt
à monter sur scène. Avant, je m’étonnais du
fait que les responsables de troupe préféraient
systématiquement recruter des artistes
expérimentés. Maintenant que je suis de l’autre
côté de la barrière, je comprends leur attitude. En
effet, les jeunes ne sont pas encore complètement formés
lorsqu’ils quittent l’école, et peu de compagnies
ont la chance, à l’image de l’Opéra de Paris,
de disposer d’une troupe de cent cinquante personnes au sein de
laquelle les nouveaux arrivants ont le temps de prendre leurs marques
avant de faire réellement leurs débuts. A la CND, nous ne
sommes que quarante-deux, et tout le monde doit être
opérationnel immédiatement. Mais je dois dire que
j’aurais bien engagé la jeune Japonaise qui a
remporté le Prix cette année [Madoka Sugaï, ndlr],
et il y a quelques autres candidats que j’aurais pu prendre
à la CND2. Je suis persuadé de l’importance de
cette compagnie «junior» pour préparer la
relève de la CND. Les danseurs de la CND2 participent
occasionnellement aux spectacles de la CND, mais ils assurent aussi
leur propre saison de ballet et des programmes de tournées
spécifiques.
Lorsque vous aviez monté Scaramouche
avec les élèves de l'Ecole de danse de l'Opéra de
Paris, vos qualités de pédagogue avaient
été très appréciées. Avez-vous le
temps de poursuivre une activité d'enseignement à Madrid?
J’essaye
de ne pas abandonner toute activité pédagogique. Je donne
pas mal de cours en Espagne. La transmission, c’est très
important, et cela ne se limite pas à enseigner une technique et
à donner des corrections. Il faut d’abord inoculer aux
élèves l’envie, le plaisir de danser. C’est
ça qui compte avant tout.
A Paris, il est question de reprendre Scaramouche avec l’Ecole de
danse de l’Opéra, lors d’une prochaine saison. Avec
Scaramouche, je cumulais les fonctions de chorégraphe et de
professeur. Il fallait que je fasse découvrir la scène
aux enfants, en demeurant plus proche d’eux qu’un simple
enseignant, qui doit au contraire maintenir une certaine distance. Cela
m’aurait tenté de devenir professeur à
l’Ecole de danse de l’Opéra de Paris, mais il
n’y avait pas de poste à pourvoir immédiatement, et
entre temps est arrivé le projet de la CND, qui s’est
imposé à moi tout naturellement. Cependant, je ne sais
pas si je dirigerai la compagnie nationale espagnole toute ma vie.
J’ai un contrat de cinq ans, renouvelable ensuite par tranches de
trois années. Je n’exclus pas de revenir un jour en
France, et notamment à l’Opéra de Paris. Je
n’ai pas décidé de rester directeur de compagnie
jusqu’à la retraite!
Où et comment sont formés les danseurs espagnols?
De
nombreux danseurs espagnols ont été formés chez
Victor Ullate. Leur style est très fougueux, mais avec une base
technique impeccable. Je suis d’ailleurs stupéfait par
leur excellent niveau. Le premier cours que j’ai donné
à de jeunes danseuses espagnols, je l’ai fait sans
demander l’utilisation des pointes. A la fin, la directrice du
conservatoire est venu protester en disant qu’ici, les filles
faisaient le cours entier sur pointes… à 15 ans. A Paris,
c’est très différent, l’essentiel du cours
est fait sur ½ pointes, et on ne chausse les pointes que tout
à la fin.
Existe-t-il un établissement directement rattaché à la CND?
En
Espagne, il y a de très bonnes écoles et il n’y a
pas vraiment besoin d’une structure supplémentaire.
Madrid, par exemple, possède déjà trois
conservatoires, auxquels s’ajoute l’école de Victor
Ullate. Lors de la dernière audition que j’ai fait passer
à la CND, il y avait plus de 300 candidats, largement de quoi
former plusieurs compagnies! De plus, les conditions économiques
pour créer une nouvelle école qui serait rattachée
à la CND ne sont pas favorables. La priorité serait
plutôt de pouvoir augmenter les effectifs de la compagnie. Les
postulants sont d’ailleurs nombreux, et ceux qui sont
déjà dans la troupe veulent y rester.
Avez-vous souhaité recruter vos propres danseurs en arrivant à la tête de la CND?
Quand
je suis arrivé à la CND, les danseurs recrutés par
Nacho Duato avaient des contrats de deux ans. Un seul d’entre eux
a voulu partir, et dans le même temps, j’ai obtenu la
création de deux nouveaux postes. Seuls trois danseurs ont ainsi
été choisis et embauchés par moi depuis ma prise
de fonction. Mais les choses vont bientôt changer, car les
contrats conclus à l’époque de N. Duato arrivent
à présent à expiration, et je vais avoir la
difficile tâche de décider de ceux qui restent, et de ceux
qui devront partir. Je pense en fait que le renouvellement se fera
surtout à la CND2, la «jeune» compagnie où,
paradoxalement, la moyen d’âge est plus
élevée (23-26 ans) qu’à la CND1.
Mon but est de permettre à des danseurs doués de rester
en Espagne s’ils le souhaitent. Mais pour cela, il faut aussi
leur donner un répertoire qui leur donne envie de demeurer au
pays. Duato, qui est d’abord un chorégraphe, ne cherchait
pas forcément de grandes personnalités. Il
préférait des danseurs plus anonymes, plus
malléables, qui exécutaient fidèlement ses
créations.
Comment expliquez-vous que tant de danseurs espagnols talentueux aient quitté le pays?
Les
artistes de ma génération sont presque tous partis, car aucune
compagnie espagnole ne leur offrait d’opportunité sérieuse de faire
carrière en tant que danseur classique. Maintenant, les choses bougent,
il y a Corella, Ullate et, j’espère, la CND!
La CND est la
compagnie nationale qui, en Espagne, a la chance d’avoir le budget le
plus stable, et qui peut monter le plus grand nombre de productions.
Mon intention est de ce fait aussi d’inviter des danseurs espagnols
établis à l’étranger pour certains spectacles à la CND.
Quels sont les goûts du public espagnol?
Le
public ibérique aime beaucoup Kylian, qu’il a appris
à connaître grâce à plusieurs tournées
du Nederlands Dans Teater. Forsythe ou Ek, très
appréciés en France, sont beaucoup moins
célèbres en Espagne. Ici, le public a besoin de se
construire une «tradition» qui jusqu’ici lui a
manqué. Mutatis mutandis, les balletomanes espagnols sont un peu
dans la même situation que les Japonais. Il faut leur donner des
repères. Lorsqu’ils voient un ouvrage pour la
première fois, ils sont assez passifs. Puis, ils reviennent, et
là, ils n’hésitent pas à nous écrire
pour nous demander des explications, des renseignements plus pointus
sur le spectacle auquel ils ont assisté. Ainsi, peu à
peu, nous parvenons à fidéliser notre audience.
Vous
êtes actuellement danseur invité à l'Opéra
de Paris sur Appartement de Mats Ek, y aura-t-il une suite?
Je
n’ai pour l’heure pas de projet pour retourner à
l’Opéra de Paris en tant que soliste invité. Ce
n’est pas que l’envie m’en manque, mais la
tâche de directeur est trop lourde pour que je puisse poursuivre
simultanément une carrière d’interprète.
Y a-t-il une entraide entre anciens danseurs étoiles devenus directeurs de compagnie?
J’ai
conservé des contacts avec Manuel Legris et Kader Belarbi, qui
sont tous deux devenus comme moi directeurs de troupe. Avec Kader
Belarbi, nous avons des projets de coproductions. Dans un premier
temps, nous allons déjà nous entraider en nous
prêtant mutuellement des décors et des costumes. De son
côté, Manuel Legris remonte mon Delibes suite à
Vienne. La situation de Manuel est un peu différente de celle de
Kader et de moi. Lui, il est déjà
«installé», il a de l’expérience, alors
que nous, nous sommes des novices.
Pouvez-vous nous donner un avant-goût de la prochaine saison de la CND?
La
saison 2012-2013 de la CND ne sera annoncée que tardivement, en
juin. Ceci est dû au changement de gouvernement intervenu en
Espagne au mois de novembre dernier. De ce fait, les nouveaux budgets
n’ont pas encore été votés – cela
devrait intervenir d’ici à la fin mars – et nous ne
savons pas encore exactement de quelle somme nous disposerons, et nous
ne pouvons donc pas encore caler entièrement notre prochaine
saison.
En tout cas, nous avons d’ores et déjà annonce le
Roméo et Juliette de Goyo Montero, le directeur du Ballet de
Nuremberg. Nous espérons aussi pouvoir revenir, pour un
spectacle au moins, au Teatro Real. Une bonne collaboration s’est
déjà instaurée avec Gerard Mortier. Après
mon départ de l’Opéra de Paris, nous avons
conservé des contacts, et lorsqu’il a appris ma nomination
à la CND, il m’a immédiatement appelé au
téléphone pour me féliciter, et me proposer un
partenariat avec le Teatro Real. La CND, dont la résidence
habituelle est le Teatro de la Zarzuela, a un statut différent
du Teatro Real, ce qui complique un peu les choses. Nous sommes une
compagnie publique, entièrement subventionnée par le
Ministère espagnol de la Culture, alors que le Teatro Real est
une fondation indépendante sur le plan juridique. Mais
j’espère bien parvenir à monter une soirée
de ballet complète au Teatro Real, et poursuivre une
collaboration régulière entre nos deux institutions.
José Carlos Martinez - Propos recueillis par Romain Feist
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Entretien
réalisé le 02 mars 2012 - José Carlos Martinez © 2012,
Dansomanie
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