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Evan McKie, Etoile du Ballet de Stuttgart
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14 décembre 2011 : Evan McKie, Etoile du Ballet de Stuttgart
Evan McKie est né le 7 avril 1983 à Toronto, au Canada. Après une formation initiale à la National Ballet School of Canada, il part pour la Kirov Academy of Ballet
de Washington, aux USA, où il se perfectionne avec la
méthode Vaganova. Il quitte ensuite l'Amérique du Nord
pour se rendre, à l'invitation du célèbre
professeur Pyotr Pestov (décédé en 2011 à
l'âge de 82 ans, il fut le maître notamment de Vladimir
Malakhov, Nikolaï Tsiskaridzé et Alexeï Ratmansky),
à Stuttgart. Il suit tout d'abord les cours à la John Cranko Schule,
puis intègre la troupe du Ballet de Stuttgart en 2001. A
l'occasion de sa venue impromptue à Paris pour interpréter
le rôle titre d'Onéguine,
en lieu et place de Nicolas Le Riche, victime d'une blessure, Evan
McKie a accepté de répondre aux questions de Dansomanie.

Depuis
la fin de la Seconde Guerre mondiale, de nombreux soldats
américains et canadiens, ainsi que leurs familles, vivent
à Stuttgart. Est-ce que cette relative
«américanisation» a facilité votre adaptation
au mode de vie européen? Avez-vous appris l’allemand?
Je ne trouve pas que Stuttgart soit une ville très
«américanisée». Depuis que je suis
arrivé en Europe, je m’y sens davantage chez moi
qu’en Amérique du Nord. En vérité,
c’est à Paris que je me sens le plus «à la
maison». Cela a toujours été ainsi. Evidemment, mes
amis me trouvent un peu bizarre ; eux préfèrent New York
ou Londres. Mais moi, je suis un parigot de cœur.
Evidemment, depuis que je danse à Stuttgart, j’ai appris
l’allemand ; je comprends aussi le russe, que mon grand
professeur, Pyotr Pestov, m’a enseigné. Je me passionne
pour les langues étrangères, leurs sonorités, leur
prononciation. Au travail, je m’amuse à imiter des accents
différents, ce qui déclenche les rires de mes
collègues.
Avant
d’arriver au Ballet de Stuttgart, vous intéressiez-vous
déjà particulièrement aux chorégraphies de
Cranko, ou du moins aux ballets dramatiques?
Je suis issu d’une famille d’artistes. Ma grand-mère
était régisseur de théâtre, mon
grand-père, éclairagiste. Ma mère, elle, est
maquilleuse, et mon père, musicien. En tant qu’enfant,
j’ai assisté à énormément de
spectacles. L’une de mes pièces
préférées est aujourd’hui Le Dieu du Carnage
[pièce de Yasmina Reza créée en 2006 par
Jürgen Gosch à Zurich, ndlr.]. Mais le tout premier ballet
que j’ai vu dans ma vie, c’était… Onéguine, à Toronto. C’est ce qui m’a décidé à entreprendre une carrière de danseur.
Comment les ballets de Cranko sont-ils enseignés à Stuttgart?
Avec
passion, minutie, et dans l’amour du détail. Les danseurs
apprécient Reid Anderson, Marcia Haydée ou encore
Georgette Tsinguirides pour leur aptitude à restituer les
intentions exactes de Cranko, car ils l’ont très bien
connu. Les pas de deux de Cranko sont souvent difficiles [sur le plan
technique], mais en fait, je ne m’en rends plus compte, car ce
qui importe vraiment, c’est de capter l’essence même
de chaque instant.
Quels
sont les premiers ballets de Cranko que vous ayez dansés? Y
en a-t-il un que vous préférez? Et y a-t-il un rôle
que vous n’avez jamais dansé, et dont vous rêvez?
J’ai fait mes débuts en dansant l’un des vieillards [au 2ème acte, ndlr] dans Onéguine
à ... 18 ans! Ce fut mon premier défi, je voulais
qu’on me remarque sur scène. Mais il me fallait
éviter aussi bien le sur-jeu qu’une caractérisation
trop terne, qui aurait été ennuyeuse. J’essayais de
me mettre dans la peau d’un homme mûr, en Russie,
convié à prendre part à une soirée
mondaine. Qu’aurait-il fait? A qui aurait-il parlé?
Comment se serait-il conduit? Je fus agréablement surpris, car
on m’a beaucoup complimenté pour ce tout petit rôle.
Cela m’a conforté dans l’idée que si on fait
les choses sérieusement, même le personnage le plus
insignifiant peut intéresser le public.
J’ai dansé de nombreux rôles de premier plan dans
les ballets de Cranko, celui de Roméo notamment, ainsi que
toutes les figures principales de La Mégère apprivoisée, mais ceux que je préfère sont Onéguine, Lenski, ainsi que le troisième mouvement d’Initialen R.B.M.E. [Richard Cragun, Birgit Keil, Marcia Haydee, Egon
Madsen, les créateurs de l’œuvre], qui comporte un
solo très mélancolique, suivi de l’un des pas de
deux les plus beaux qui soient. La musique est de Brahms [Deuxième Concerto pour piano,
op. 83, ndlr], et elle me met dans un état d’esprit
très particulier quand je danse dessus. Pour peu qu’il y
ait une véritable fusion avec la partenaire, cela devient
magique.
Constatez-vous
une évolution, même ténue, dans
l’interprétation des ballets de Cranko, que ce soit
à Stuttgart ou ailleurs? Les danseurs du Ballet de Stuttgart
ont-ils encore des contacts avec leurs aînés –
interprètes ou maîtres de ballet – qui ont connu
Cranko personnellement, et qui sont à même de transmettre
le répertoire à la génération actuelle?
Parfois, j’ai l’impression qu’avec certains danseurs,
la magie de Cranko se perd un peu, car ils n’ont pas suffisamment
confiance en leur capacité à mettre en avant cette
humanité qui touche tant le public. Reid Anderson et son
équipe, à Stuttgart, savent merveilleusement bien faire
découvrir aux jeunes artistes toute la dimension
théâtrale de ces ballets, et cela conduit parfois à
des interprétations d’une intensité remarquable.
Mais je suis persuadé que si vous n’avez pas acquis une
bonne connaissance de votre propre personnalité, vous ne pouvez
pas réussir véritablement dans du Cranko. Vous serez
peut-être capable de faire Don Quichotte, mais pas du Cranko.
Comment
sont décidées les distributions? Les solistes principaux
se spécialisent-ils dans des rôles particuliers,
adaptés à leurs capacités techniques et physiques,
ou sont-ils autorisés à danser tous les types de
rôles?
C’est une question qu’il faut poser à mon directeur!
Cela dit, Reid Anderson a un don pour distribuer la bonne personne dans
le bon rôle. C’est l’une de ses qualités
propres. Parfois, il lui arrive de prendre la dernière fille du
corps de ballet pour en faire une star, car c’est celle qui
convient exactement pour un rôle particulier. Pour moi, M.
Anderson a un instinct très sûr pour choisir une
distribution. Et il sait comment créer le buzz, lorsqu’il
a trouvé l’interprète idéal d’un
rôle. Et il possède aussi un très bon flair pour
trouver exactement ce qui plaira au public. Il faut que tout soit
parfait, de la tête aux pieds. Mais il sait aussi prendre des
risques.
Quelles sont, d’après vous, les qualités requises pour bien danser les ballets de Cranko?
Se connaître soi-même. Avoir confiance en soi. Etre un
excellent partenaire, tant au niveau physique
qu’émotionnel. Les ballets de Cranko parlent de la vraie
vie. C’est du moins mon sentiment personnel.
Y
a-t-il une «vie en-dehors de Cranko» au Ballet de
Stuttgart? Y a-t-il aussi une place pour des ballets romantiques ou
contemporains qui n’appartiennent pas à
l’héritage de Cranko?
N’oubliez pas que Neumeier, Kylián, Forsythe, Scholz,
Spuck ont tous fait leurs classes au Ballet de Stuttgart, et
qu’ils ont créé de nombreux ouvrages pour la
compagnie. Par ailleurs, Cranko fut le mentor de MacMillan, et
l’a beaucoup aidé dans sa carrière de
chorégraphe. Le Chant de la Terre,
qui est l’un de ses meilleurs ballets, a été
conçu pour Stuttgart. Et c’est aussi le Ballet de
Stuttgart qui a commandé à Wayne McGregor et à
Mauro Bigonzetti leurs premières œuvres majeures.
J’ai d’ailleurs moi-même travaillé avec M.
McGregor sur trois ballets différents au cours des huit
dernières années. Et nous avons également des
chorégraphes «maison», tels Douglas Lee, Marco
Gœcke ou Demis Volpi, qui sont demandés maintenant dans le
monde entier. En fait, il y a beaucoup de points communs entre le
Ballet de Stuttgart et l’Opéra de Paris, car ce sont les
deux compagnies qui offrent la plus grande variété de
chorégraphies de haut niveau, tant à leur public
qu’à leurs danseurs.
Comment
avez-vous été prévenu que vous deviez venir
à Paris pour «sauver» les représentations
d’Onéguine, après la blessure de Nicolas Le Riche?
J’étais en train de faire ma barre, quelqu’un a
déboulé en disant que Brigitte Lefèvre me
demandait et que je devais être dans le train dans 45 minutes.
Pour tout bagage, j’avais les vêtements que je portais
à ce moment-là, et une valise contenant le costume
d’Onéguine! Je suis un peu mal à l’aise quand
les gens disent que je «remplace» Nicolas Le Riche. Des
danseurs qui ont une vraie personnalité ne sont pas
interchangeables. J’adore Nicolas. Mais j’avais bien
conscience qu’Aurélie [Dupont] et moi ferions quelque
chose de complètement différent. J’étais
confiant dans notre capacité à montrer quelque chose de
nouveau, d’inédit au public parisien, et dans mon
subconscient, j’étais impatient de savoir si les gens
apprécieraient ou non. Le temps de répétition dont
nous avons disposé, Aurélie et moi, était si
chichement compté que le soir de la première, ce fut
quasiment de l’improvisation! Mais cela rendait
l’émotion plus naturelle, plus vraie, et c’est bien
ce qui compte dans ce ballet. J’ai été surpris que
Mme Lefèvre n’ait pas modifié le calendrier, de
sorte que ce soit l’une des autres distributions qui soit
à l’affiche de la première. Elle nous a vu
répéter, et elle a immédiatement demandé
à M. Anderson si nous pouvions assurer la soirée
d’ouverture, ainsi que les quatre autres représentations
[initialement programmées avec Nicolas Le Riche].
Est-ce
la première fois que vous dansez à l’Opéra
de Paris? Aviez-vous pris part à la tournée du Ballet de
Stuttgart à Paris en 2007?
Oui, j’avais fait partie de cette tournée au Palais
Garnier, mais là, c’est la première fois que je
danse avec le Ballet de l’Opéra de Paris en tant que
compagnie. Je sais que les solistes étrangers y sont rarement
invités.
Aviez-vous
déjà eu des contacts avec des danseurs de
l’Opéra de Paris, et avez-vous eu
l’opportunité de vous produire avec certains d’entre
eux dans des galas internationaux?
Manuel Legris m’a toujours beaucoup encouragé, et je
l’apprécie vraiment beaucoup. J’ai aussi fait la
connaissance d’Isabelle Ciaravola et de Mathieu Ganio [lors
d’un gala] en Ukraine. Nous avons beaucoup parlé de ce
Paris que j’aime tant, et de la vie dans ma ville
préférée. Nous avons également parlé
d’Onéguine, du
fait que Matthieu avait eu la chance de pouvoir travailler le
rôle. Je lui ai dit qu’il pouvait m’appeler quand il
voulait, s’il avait des questions à ce sujet. [Isabelle et
Mathieu] ont tout fait pour me rassurer quand j’ai appris que je
devais venir en tant qu’artiste invité. Je vais essayer de
revenir à Paris pour voir leur Onéguine
à eux. Tous les danseurs de la distribution ont
été très prévenants envers moi : Karl
[Paquette], Josua [Hoffalt], et tout spécialement Myriam
[Ould-Braham], qui est absolument charmante.
Comment
avez-vous réussi à vous adapter à Aurélie
Dupont, en tant que partenaire, en un laps de temps si bref?
Nous n’avons pas pensé du tout à cela. Je me suis
immédiatement rendu compte que sa danse venait du plus profond
de son cœur. Elle s’implique dans chaque pas avec un
naturel absolu. Beaucoup de ballerines sont pour leur partenaire un
superbe faire-valoir, mais lorsque vous y regardez de près, il
n’y a pas grand-chose de substantiel…Avec Aurélie
[Dupont], c’est l’exact contraire. Elle possède une
telle profondeur artistique, que tout ornement supplémentaire en
devient inutile. Elle est d’une pureté rare.
Avez-vous
craint d’éventuelles manifestations de chauvinisme de la
part du public parisien, déçu de ne pas voir
«ses» étoiles sur scène?
Honnêtement, oui.
Avez-vous
été en contact avec Nicolas Le Riche? Vous a-t-il
donné des conseils pour reprendre son rôle et vous
familiariser avec l’Opéra de Paris et ses
spécificités?
Cela a un goût un peu amer pour moi d’avoir eu cette
possibilité tant convoitée de danser à
l’Opéra de Paris à cause d’une blessure. Mais
j’espère avoir un jour l’opportunité de lui
rendre la pareille. Les voies du Seigneur sont
impénétrables…
Avez-vous envie de revenir danser ici?
Ma formation est totalement différente de celle des danseurs
français. Ma technique classique est essentiellement russe, et
mon jeu d’acteur et mon maintien sont très anglais.
C’est pourquoi, si je devais revenir à Paris danseur un
autre ballet, je voudrais travailler de manière vraiment
intensive avec les grandes étoiles du passé, qui sont
maintenant devenues professeurs, de sorte que je puisse devenir vraiment
familier des particularités du style français. Cela dit,
les danseurs de la troupe m’ont déjà adopté,
ce qui m’a beaucoup surpris et touché. C’est
déjà une bonne raison pour moi de vouloir revenir
travailler avec eux. Et dans mes rêves les plus fous, je voudrais
interpréter quelque chose de Nouréev. Peut-être vos
lecteurs auraient-ils des suggestions à me faire?...
Evan McKie - Propos recueillis et traduits de l'anglais par R. Feist
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Entretien réalisé en anglais le 14 décembre 2011 - Evan McKie © 2011,
Dansomanie
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