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entretiens
Emmanuelle Grizot, Etoile du Ballet de Bordeaux

06 juillet 2011 : Emmanuelle Grizot, Giselle, dernière...


Le 5 juillet 2011, Emmanuelle Grizot, danseuse étoile au Ballet de Bordeaux, a fait ses adieux à la scène du théâtre dans lequel elle vient de passer vingt années de sa vie, en interprétant une ultime fois le rôle dont rêve toute ballerine classique : Giselle. Au lendemain de l'hommage public et de la fête privée, au milieu de ses collègues, Emmanuelle Grizot a eu la gentillesse de nous consacrer un peu de son temps pour retracer sa carrière, qui, avant de la conduire en Aquitaine, a mené cette native de Dijon en Suisse et en Allemagne.





Premiers pas : de la Côte d'Azur à la Suisse

Je suis d’origine dijonnaise, mais c’est à Cannes que j’ai véritablement appris la danse. A l’âge de treize ans, j’ai été admise à l’école Rosella Hightower. J’y suis restée quatre années, puis j’ai suivi les cours de Marika Besobrasova, à l’Académie de danse de Monaco. C’est alors que je me suis présentée au Prix de Lausanne ; ce n’est d’ailleurs pas un très bon souvenir, car, paralysée par le trac, j’ai perdu tous mes moyens et j’ai échoué en quarts de finale. Marika Besobrasova m’a aidée à remonter la pente, en me faisant prendre conscience qu’il ne fallait pas tout miser sur la technique – forcément faillible – et qu’il me fallait aussi travailler la musicalité, le jeu de scène. A Lausanne, la peur m’a dépossédée de ma technique, et il ne me restait plus rien qui puisse venir en compensation. Mais cela, je ne l’ai réellement compris qu’après-coup.

A dix-huit ans, j’ai obtenu mon premier contrat chez Heinz Spœrli, au Ballet de Bâle, en Suisse. J’étais stagiaire, et ma première apparition sur scène, eh bien, c’était… de la figuration! J’avais alors dit à ma mère que j’allais «promener mon chapeau sur le théâtre».

Le jour de mes vingt ans, j’ai enfin eu le droit de danser le Pas de trois du Lac des cygnes. C’était un beau cadeau d’anniversaire, d’autant que la représentation était retransmise en direct à la télévision suisse. Heinz Spœrli m’a ensuite confié un rôle dans l’une de ses créations, Abschied, un ouvrage pour cinq solistes. Mais j’ai compris que jamais je n’obtiendrai de premier rôle dans un ballet classique, et moi, ce que je voulais, c’était «raconter une histoire» à mon public.

Je suis restée cinq années à Bâle, une très bonne expérience somme toute. C’est là que j’ai appris mon métier, d’autant que la compagnie avait un répertoire très vaste qui incluait les grands ouvrages romantiques (Giselle, Le Lac des cygnes, Coppélia) ainsi que les ballets néo-classiques de Spœrli lui-même. Ce fut également l’occasion pour moi de partir en tournée avec la compagnie

emmanuelle grizot


Le Rhin, rive droite

Je me suis néanmoins décidée à passer des auditions en Allemagne. Là bas, même dans des villes de taille assez modeste, on trouvait des troupes de ballet classique conséquentes ainsi que des orchestres professionnels. A la suite de ces auditions, j’ai obtenu des contrats à Berlin, à la Deutsche Oper, et à Düsseldorf (Deutsche Oper am Rhein). J’ai finalement choisi Düsseldorf, parce que le ballet de la Deutsche Oper am Rhein était dirigé à l’époque par Paolo Bortoluzzi, que je connaissais déjà un peu – au moins de réputation – car il était venu a Bâle. J’ai donc préféré demeurer en territoire connu… C’était de toutes façons une belle compagnie avec, comme en Suisse, un répertoire étoffé, classique et néo-classique, et, évidemment, les ouvrages de Bortoluzzi, qui étaient conçus dans un style rappelant celui de Maurice Béjart. Le ballet de la Deutsche Oper am Rhein se produisait principalement dans deux théâtres, à Düsseldorf et à Duisburg. J’avais un contrat de «Solo mit Gruppe», ce qui signifiait que j’étais recrutée pour danser essentiellement des soli, mais qu’on pouvait également faire appel à moi, en cas de besoin, pour du travail de corps de ballet. En fait, je n’ai eu que des rôles de soliste ou de demi-soliste. Ma chance, ce fut de figurer sur la troisième distribution du rôle principal (Ottilie) de Wahlverwandtschaften, un ballet du chorégraphe (est)-allemand Tom Schilling, adapté des Affinités électives de Gœthe. A priori, il n’était pas prévu que je danse. Les premières représentations étaient  confiées à Eva Evdokimova [1948-2009, étoile du Ballet Royal du Danemark puis du ballet de la Deutsche Oper à Berlin, et créatrice du rôle d’Aurore dans La Belle au bois dormant, chorégraphiée par Nouréev pour le London Festival Ballet – aujourd’hui English National Ballet, ndlr.], invitée pour l’occasion. Les spectacles suivants devaient normalement être assurées par la titulaire de la seconde distribution. Mais celle-ci s'était blessée, et j'ai été appelée à reprendre le rôle du jour au lendemain. Je m’étais bien préparée au cours des répétitions, et le succès fut au rendez-vous. Paolo Bortoluzzi décida alors de me donner d’autres rôles de premier plan, notamment dans sa Butterfly, où je dansais avec Georghe Iancu, qui était le partenaire en titre de Carla Fracci, ce qui, je dois dire, m’intimidait beaucoup! Mon séjour à Düsseldorf fût également l’occasion de travailler avec Uwe Scholz [1958-2004, célèbre chorégraphe allemand, directeur du Ballet de Leipzig., ndlr.], dont j’appréciais énormément le sens musical.


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Cap au Sud-Ouest : Bordeaux


En 1991, Paolo Bortoluzzi a été choisi par Alain Lombard [à l’époque directeur du Grand Théâtre] pour prendre la tête du Ballet de Bordeaux. Il m’a proposé de le suivre, et je me suis retrouvée en Aquitaine à compter de la saison 1992-1993. Mon contrat débutait officiellement en septembre 1992, mais le Grand Théâtre étant en cours de rénovation, je n'ai fait réellement mes débuts sur la scène bordelaise qu’en janvier 1993, dans le rôle principal de La Belle et la bête, un ballet créé par Bortoluzzi sur une musique de Philip Glass pour célébrer la réouverture du bâtiment de Victor Louis.

Nous avons ensuite donné toute une série de spectacles à Gênes, en Italie, la ville natale de Paolo Bortoluzzi. Une grande tournée aux Etats-Unis était également prévue ; elle eut malheureusement lieu sans Paolo Bortoluzzi décédé quelques mois auparavant [P. Bortoluzzi est mort brutalement le 16 octobre 1993 à Bruxelles, des suites d’une congestion cérébrale. Il avait, avant de voler de ses propres ailes, été l’un des solistes-fétiches de Maurice Béjart, qui lui avait notamment confié la création du Chant d’un compagnon errant, ndlr.] ; l’intérim fut assuré par Susanna Campo, qui était à l’époque Maître de ballet au Grand Théâtre [Susanna Campo occupe aujourd’hui les mêmes fonctions au Ballet de Genève, ndlr.].

En 1995, Eric Vu-An a été nommé directeur du Ballet de Bordeaux. Je l’avais déjà vu au début de ma carrière, à Bâle, où il était venu danser Basilio en tant qu’artiste invité. A Bordeaux, il m’a rapidement confié des rôles de premier plan, et notamment Kitri dans sa propre production de Don Quichotte. Il devait être mon partenaire, mais lors de la première, qui avait lieu au Palais des sports, il s’est rompu le tendon d’Achille en scène, et j’ai dû finir la représentation seule, sans Basilio!

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Et vint Charles Jude

Charles Jude a succédé à Eric Vu-An en 1996. Durant la première année de son mandat, il a surtout voulu jauger la compagnie, et il ne m’a donné aucun rôle important. J’ai commencé par faire du corps de ballet dans Icare, ce qui ne me plaisait pas beaucoup. Mais en 1997, il a monté Giselle et m’a distribué dans le rôle-titre, en alternance avec le Pas de six [à Bordeaux, le «Pas de deux des paysans» de l’acte I est remplacé par un pas de six, ndlr.]. Albrecht était dansé par Andreï Fedotov, venu du Ballet de Nancy.

Après cela, le succès a été au rendez-vous et les rôles se sont enchaînés, pour aboutir, en 2002, à ma nomination en tant qu’Etoile. J’ai eu la chance de pouvoir ainsi interpréter la plupart des premiers rôles féminins des grands ballets du répertoire : Clara (Casse-Noisette), Odette/Odile (Le Lac des cygnes), Juliette (Roméo et Juliette), Aurore (La Belle au bois dormant), Coppélia…

Et maintenant? Je ne vais pas rompre les liens avec Bordeaux. Mon ballet Hänsel et Gretel va être repris au Théâtre de Puteaux (Hauts-de-Seine) en novembre prochain, puis en Aquitaine en avril 2012. Pour cet ouvrage, l’Opéra de Bordeaux m’a fait confiance et a accepté de mettre à ma disposition ses moyens techniques et humains. En fait, j’ai commencé à m’intéresser à la chorégraphie il y a cinq ans, lorsque j’ai réalisé que ma carrière de danseuse touchait à sa fin. Et en 2009, j’ai ainsi pu monter Triphase, un duo destiné à Juliane Bubl et Alvaro Rodriguez Piñera [solistes au Ballet de Bordeaux, ndlr.] dans le cadre du Festival d’Arcachon. Par ailleurs, j’aurais bien aimé pouvoir demeurer au Ballet de Bordeaux – au sein duquel j’ai passé vingt ans de ma vie – en tant que Maître de Ballet, mais il n’y a pas de poste à pourvoir actuellement. En revanche, je ne me sens a priori pas trop tentée par l’enseignement en école de danse. Je préfère travailler avec des adultes, des professionnels.

En attendant, je vais prendre quelques vacances. J’ai été très touchée par la fête que le public, mes collègues et tout le personnel du Grand Théâtre m’ont réservée pour mon dernier spectacle. Je savais bien sûr qu’il se passerait quelque chose, mais je n’imaginais pas des adieux pareils. Cela m’a fait chaud au cœur, mais cela ne m’a pas empêché d’avoir le trac! Le premier acte s’est bien passé, mais au second, j’étais très tendue et mes muscles ne répondaient plus comme je le voulais. En fait, il faudrait que chaque représentation soit à la fois une première et une dernière : une première, pour aborder les rôles avec la fraîcheur requise, et une dernière, pour avoir la force morale de donner tout ce qu’on a en soi.




Emmanuelle Grizot - Propos recueillis par Romain Feist


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emmanuelle grizot




Entretien réalisé le 06 juillet 2011 - Emmanuelle Grizot © 2011, Dansomanie


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