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entretiens
Michel Rahn, Maître de Ballet au Capitole de Toulouse

30 novembre 2010 : à la rencontre de Michel Rahn


A quelques semaines de son départ du Ballet du Capitole pour l'Académie Princesse Grace, à Monaco, Michel Rahn a accepté, pour Dansomanie, de revenir sur sa carrière et d'évoquer les années passées au service de la danse à Toulouse.





Vous nous avez annoncé votre départ, quels sont vos projets?

Je vais travailler à Monte-Carlo, à l’Académie Princesse Grace de Monaco,  où Luca Masala, ancien premier soliste et maître de ballet au Ballet du Capitole est maintenant directeur. Il m’a demandé de le rejoindre pour encadrer les professeurs de l’Académie, et pour essayer d’y rénover le système d’enseignement. Je serai en quelque sorte le bras droit de Luca Masala, et le remplacerai lorsqu’il sera absent. Marika Besobrasova a dirigé l’Académie pendant très longtemps et celle-ci a une très grande réputation. Elle a formé beaucoup de danseurs, dont certains sont ici au Ballet du Capitole. Mais il fallait un changement, une évolution. Je connais Luca depuis longtemps. Il est d’ailleurs venu à Toulouse après avoir pris mes cours lorsque j’étais professeur invité à Munich alors qu’il était danseur étoile. Il avait besoin de moi pour faire ce travail de rénovation. C’était pour moi une très bonne opportunité, surtout que je vais avoir 63 ans et je ne voulais pas attendre qu’il soit trop tard pour entreprendre quelque chose d’autre.

J’aime beaucoup Toulouse. Je pense avoir beaucoup donné pour le Ballet du Capitole. L’enseignement c’est ce que j’aime faire avant tout. C’est je pense mon point fort, et donc l’opportunité était belle, surtout à Monte-Carlo.


Quel regard portez-vous sur toutes ces années passées à Toulouse?

J’ai entamé ma 17ème saison ici. C’est l’endroit où je suis resté le plus longtemps dans toute ma carrière. J’ai vraiment l’impression d’avoir grandi avec le Ballet du Capitole. J’ai ma famille à Toulouse. C’est une grande page qui se tourne pour moi. Je suis un peu triste, mais j’aime bien regarder en avant. J’ai envie de continuer à donner et j’ai ce sentiment, sans que ce soit une critique, d’être arrivé à un point de saturation à Toulouse. Nanette et moi avons amené le Ballet du Capitole à un niveau je pense assez élevé. Et j’ai la sensation que ça devient plus difficile à présent de franchir de nouveaux paliers, par exemple pour augmenter les effectifs de la compagnie. Il faudrait de nouveaux moyens, que je ne vois pas venir, en dépit du succès des spectacles
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Le Ballet du Capitole n’a pas le qualificatif de «national», pourquoi?


C’est toujours la question que je me suis posée. Le Ballet du Rhin est national, Marseille, Bordeaux ont cette appellation et nous non. C’est bien dommage car c’est peut-être pour cette raison que l’on ne nous regarde pas comme on regarde l’Orchestre National du Capitole, par exemple.


Pour en revenir à votre prédilection pour l’enseignement, vous êtes reconnu pour vos dons de comédien et de mime et j’ai l’impression que c’est quelque chose que vous aimez transmettre...

C’est en effet quelque chose qui a tendance à se perdre. La raison en est que la danse classique devient de plus en plus athlétique. Les danseurs recherchent la performance. Ils n’en sont pas responsables. Dans les écoles on met un point fort sur la technique. Pour moi la danse commence avec la musique. Il est très important d’avoir un bon pianiste pour un cours de danse. Et le plaisir de danser est primordial. Dans l’enseignement que je donne à des professionnels, je ne dissocie pas la technique et l’expression. Il semble que de nos jours l’expression est davantage portée par la danse contemporaine que par la danse classique. Celle-ci est devenue un cliché, avec tutus et pointes. Pour moi le classicisme est dans l’expression du mouvement. Et bien sûr la pantomime en est une partie intégrante. Les danseurs doivent prendre du plaisir en travaillant leur technique, pour que le mouvement, quel qu’il soit, ait une expression ou un ressenti. C’est ce que certains oublient un peu, en pensant que l’expression viendra au moment du spectacle. Je n’y crois pas. Il faut le travailler et l’entretenir chez un artiste.

Quels ont été vos maîtres?

J’ai eu beaucoup de chance. Lorsque j’ai commencé ma carrière, j’ai eu des professeurs qui avait été danseurs chez Diaghilev, comme Karnetski ou Wojcikowski. Leur enseignement était tourné vers le théâtre, et non vers la performance technique. Celle-ci était un support à la danse, alors que maintenant c’est l’inverse. On s’imagine que si le danseur est très expressif, sa technique s’en ressentira mieux. Je pense exactement l’inverse.

Par la suite j’ai rencontré Jiří Kylián qui débutait au Nederlands Dans Theater. J’ai participé à ses premières créations. J’ai toujours un très bon contact avec lui et il m’a beaucoup appris. C’est quelqu’un qui ressent tout ce qu’il fait quand il travaille le mouvement avec ses danseurs. Peu après j’ai rencontré Balanchine, dont Jiří est un admirateur. Avec Mr B., j’ai appris que tout est possible. Il donnait l’impression qu’il n’y avait pas de limite technique. Il nous mettait à l’aise et nous demandait avant tout de ressentir la musique.

Aux Etats-Unis j’ai travaillé avec Danilova, grande Etoile de Diaghilev. Avec tous ces gens-là on a davantage l’impression de s’amuser, même si par ailleurs le travail peut faire souffrir. C’est ce que j’essaie de retransmettre dans mon enseignement et aussi quand je participe sur scène à des spectacles. Balanchine l’a dit : la danse c’est un plaisir avant tout. Et il faut la travailler dans ce sens. Si nous perdons cette vision, je crois fermement que le public nous perd. Pour moi il n’y a pas autre chose à transmettre. Je ne sais pas à quel point je vais aider un danseur à faire tel ou tel pas mais j’espère qu’après avoir travaillé avec moi il aura envie d’en faire plus, avec moi ou avec quelqu’un d’autre. C’est la seule chose à faire passer. Sinon la danse classique mourra. Ce n’est pas par la performance technique qu’on va sauver la danse classique, mais c’est en démontrant la beauté et le plaisir dans le mouvement classique.

La force du Ballet du Capitole, c’est l’état d’esprit porté vers la discipline. Un danseur qui passe trop de temps en studio et pas assez sur scène perd la notion de responsabilité au sein d’une compagnie et donc sa discipline. Il devient trop assisté. C’est comme un cheval de course qui peut devenir très au point à l’entraînement mais qui ne deviendra jamais un champion s’il ne fait pas de course. C’est notre grand combat à Toulouse. Je dois reconnaître qu’avec Frédéric Chambert il y a un effort énorme pour davantage de spectacles. Il manque en revanche des libertés pour faire des tournées. Avec seulement 35 danseurs, tout le monde danse tout le temps. On ne peut pas diviser la compagnie en deux, une partie à Toulouse, l’autre partie en tournée, et les réunir pour les grosses productions. Ce serait l’idéal. Car on est très heureux quand les danseurs peuvent se déplacer. C’est une très bonne publicité pour le Ballet du Capitole. Mais les danseurs participent rarement aux spectacles d’opéra ou d’opérette. Les ballets sont la plupart du temps supprimés des productions. C’est dommage car le théâtre en perd son homogénéité, dans ses diverses composantes. 


alice au pays des merveilles
Esquisse de costume pour le Lièvre, Alice au pays des merveilles, chor. Michel Rahn


Venons-en à présent au prochain spectacle. Qu’est-ce qui vous a donné l’idée d’un ballet sur Alice au pays des merveilles?

La Direction cherchait un spectacle pour les fêtes, adapté à notre mesure. J’ai lâché l’idée, sans penser que j’en ferais la chorégraphie et elle a été retenue immédiatement. J’ai accepté de le faire moi-même mais en me tournant tout de suite vers mon décorateur et mon dessinateur de costumes de Casse-Noisette, qui sont anglais et écossais , et dont je savais qu’il connaissaient parfaitement le sujet. J’ai pensé aussi à ma fille Alexandra qui a toujours été fascinée par Alice au pays des merveilles et qui m’a bien aidé à traiter cette histoire, qui se prête vraiment très bien au ballet.

On retrouvera les personnages principaux, le lièvre de mars, le chapelier fou, le loir, la reine et le roi de cœur….J’ai voulu un spectacle pas uniquement pour enfants, mais un vrai ballet, pour une compagnie avec une très bonne technique. Pour la musique, j’ai choisi trois morceaux différents peu connus de Glazounov.


Ce sera votre spectacle d’adieu?

Un spectacle d’adieu à mes danseurs, dont certains sont des amis. Mais je reviendrai. Nanette a insisté pour que j’incarne Coppélius en fin de saison. Cela tombera pendant le Grand Prix de Formule 1 de Monaco, et l’Académie sera fermée durant cette période. Je ne pourrai malheureusement pas faire la sorcière dans La Sylphide. Quoiqu’il en soit ma famille est ici et je serai à Toulouse aussi souvent que possible.

alice au pays des merveilles
Esquisse de costume pour la Reine de cœur, Alice au pays des merveilles, chor. Michel Rahn


Et pour vous succéder, on parle de Paola Pagano…

Paola est respectée et aimée par tout le monde au sein de la compagnie. Elle a une discipline personnelle extraordinaire et elle est à son point culminant comme danseuse. C’est la personne idéale pour me remplacer. Elle a commencé à donner les cours et ça se passe très bien. Avec Paola Pagano et Minh Pham comme maîtres de ballet, je pars rassuré et j’ai le sentiment de laisser un héritage derrière moi. Et cela me fait très plaisir.



Michel Rahn - Propos recueillis par Jean-Marc Jacquin


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michel rahn




Entretien réalisé le 30 novembre 2010 - Michel Rahn © 2010, Dansomanie


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