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Yuhui Choe, Première soliste au Royal Ballet
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04 décembre
2009 : rencontre avec Yuhui Choe
A
l'heure où Miyako Yoshida s'apprête à tirer sa
révérence au Royal Ballet après une longue
carrière, une autre danseuse venue du Japon s'impose lentement
mais sûrement sur la scène londonienne : Yuhui Choe, qui
est née à Fukuoka mais a fait ses classes à Paris
avec Daini Kudo et Dominique Khalfouni. Après une
médaille d'argent au Concours International de Paris en 2000, le
Prix de Lausanne lui a permis, deux ans plus tard, de laisser de
côté ses rêves français pour intégrer
le Royal Ballet. Un choix qui s'est révélé
fructueux - distribuée dans le pas de deux de l'Oiseau bleu
dès sa titularisation, en 2004, elle devient Première
Soliste en 2008 sans même être passée par
l'échelon de Soliste, et fait ses débuts dans La Bayadère
aux côtés de Sergueï Polunin. Distribuée dans
Petipa comme dans Balanchine, elle participe également aux
créations de Wayne McGregor et Jonathan Watkins. La
pureté cristalline de sa danse et la délicatesse de ses
ports de bras en font surtout l'une des héritières
naturelles du répertoire de Frederick Ashton, et 2010 devrait
lui appartenir avec deux nouveaux rôles de premier plan - La Fille mal gardée et Cendrillon.
Comment avez-vous commencé la danse au Japon?
Quand
j'ai eu 5 ans, ma mère m'a poussé à apprendre
quelque chose, le piano ou la danse – quelque chose d'artistique.
De manière complètement spontanée, j'ai choisi la
danse, mais je n'y avais jamais vraiment songé auparavant. Ma
mère m'a emmenée à des cours de danse classique
aux alentours de Fukuoka, où nous habitions, et j'ai encore le
souvenir de mon tout premier cours : l'image est gravée dans ma
mémoire, je me souviens de tout, j'étais tellement
enthousiaste.
Quels ont été les professeurs qui vous ont le plus influencée?
Daini Kudo en fait partie. Il est installé en France, et je l'ai
rencontré à l'âge de quatorze ans – il
était alors sur le point d'ouvrir une école de danse pour
étudiants japonais à Paris. J'avais toujours voulu aller
à l'Ecole de danse de l'Opéra de Paris, et c'est pour
cette raison que je suis partie pour la France. Elisabeth Platel
était une véritable source d'inspiration pour moi
à l'époque – je voulais aller là-bas,
étudier son élégance, être comme elle.
Monsieur Kudo m'a tout appris, pas uniquement la danse. C'est un homme
extraordinaire – il disait toujours qu'il est nécessaire
d'être quelqu'un de bien, et pas seulement un bon danseur
classique. Il m'a enseigné cela, et je continue à me le
répéter aujourd'hui. Il donnait également des
cours très difficiles, mais qui m'ont permis de me sentir
vraiment solide. Il m'a poussé à m'inscrire à
beaucoup de compétitions, en France et ailleurs, et j'ai ainsi
participé au Concours de Paris, en 2000 – je n'avais que
16 ans, j'étais pleine d'énergie, et j'ai profité
de chaque instant, j'ai adoré voir des danseurs venus de partout.
J'ai par ailleurs rencontré Dominique Khalfouni au Concours, et
j'ai commencé à travailler avec elle en parallèle.
Elle donnait surtout des cours de répertoire, en faisant
énormément de suggestions – nous apprenions
beaucoup de variations, classiques ou tirées du
répertoire de Roland Petit, de Carmen, Notre-Dame de Paris... J'espère avoir l'occasion de danser ces ballets un jour.
Qu'avez-vous appris de spécifique en France?
Je me concentrais sur tous les aspects de la
technique, mais en particulier sur le travail des pieds – avoir
des pieds impeccables est tout simplement nécessaire à
Paris. Je prenais également des cours une fois par semaine avec
Christiane Vlassi, qui a depuis pris sa retraite de l'Ecole de danse de
l'Opéra de Paris.
Yuhui Choe dans La Bayadère (Nikiya)
Quid du Prix de Lausanne, auquel vous avez participé en 2002?
Cela a été une expérience formidable –
le Prix a changé ma vie, car jusque-là je ne rêvais
que de l'Opéra de Paris, je désespérais d'y
entrer. Mais le moment n'était tout simplement pas opportun, et
je n'ai jamais vraiment eu l'occasion d'essayer – je voulais
participer au Concours externe, mais pour une raison ou pour une autre
ça ne s'est pas fait. Après le Concours de Paris j'ai
reçu une proposition du Boston Ballet, mais j'étais trop
jeune pour obtenir un visa, et c'est à la suite de cela que je
suis allée au Prix de Lausanne. Être engagée
ensuite au Royal Ballet était sans doute la meilleure chose qui
aurait pu m'arriver. Quand je suis arrivée à Londres, je
ne savais pas si c'était une erreur ou non, je ne connaissais
pas assez la compagnie – mais c'était la bonne
décision.
Vous avez également
reçu le Prix Contemporain à Lausanne – aviez-vous
de l'expérience dans ce domaine?
J'avais brièvement étudié la technique de Martha
Graham au Japon. J'ai vraiment adoré travailler sur la partie
contemporaine de la compétition – je ne connaissais pas
vraiment cet aspect de moi jusque-là. J'ai dansé un solo
intitulé Homer, chorégraphié par Connie Jansen, et son assistant est venu au Prix pour me donner quelques conseils.
Yuhui Choe dans La Belle au bois dormant (Florine)
A quoi ressemblait le prix, un stage de danse contemporaine d'une semaine?
Ce stage s'est révélé être très,
très intéressant, car j'étais une pure danseuse
classique. Je me suis retrouvée à Amsterdam, qui est une
ville vraiment unique – tout y respire la liberté –
et tous les danseurs étaient des danseurs contemporains
professionnels, expérimentés. J'étais la seule
à être complètement perdue. Je me souviens d'avoir
pleuré le premier jour, en pensant que j'étais incapable
de faire ça, mais tout le monde m'a beaucoup soutenue, nous
avons créé des choses ensemble... J'ai notamment suivi un
atelier avec Anouk Van Dyke, une expérience formidable. Cette
semaine m'a donné envie de faire un peu de contemporain dans le
futur, mais en arrivant à Londres j'ai eu l'opportunité
de me concentrer sur la danse classique – et c'est une discipline
qu'il n'est possible de pratiquer que pour une durée
limitée, contrairement à la danse contemporaine.
Avez-vous
apprécié les années que vous avez passé
dans le corps de ballet à votre arrivée à Londres,
en 2002?
C'a été très difficile pour moi car je ne parlais
pas anglais, je ne connaissais personne, et Monsieur Kudo avait
été comme un père pour moi jusque-là
– il m'a tout donné, il m'a vraiment soutenue, et il
était toujours là pour moi. Lui et sa femme
étaient comme de seconds parents. Je n'avais personne en
arrivant, j'étais toute seule – après environ trois
mois, cependant, je me suis adaptée, et j'ai commencé
à en profiter plus. C'était un énorme choc de
devoir m'occuper de tout, mais tout s'est bien passé au final.
Yuhui Choe (La Fée dragée) et Steven McRae (Le Prince) dans Casse-Noisette
Comment vous êtes-vous adaptée au style du Royal Ballet à ce moment-là?
A l'époque nous avions une maîtresse de ballet
nommée Gail Taphouse, et c'est elle qui m'a formée
– après chaque répétition, elle passait cinq
minutes avec moi pour travailler les ports de bras et le reste. Elle
insistait vraiment sur ce qu'il fallait faire au Royal Ballet. J'ai
également eu la chance de prendre des cours privés avec
Lesley Collier. Elle m'a transmis l'ancien style du Royal Ballet, et
j'ai beaucoup regardé les autres danseurs. C'est venu assez
naturellement, au fond je pense que cela correspond à mon style,
ce que je n'avais pas réalisé auparavant – bending,
bending, more bending ! C'est devenu complètement
spontané au bout d'un moment.
Quelle a été votre première grande opportunité au sein de la compagnie?
J'ai été apprentie pendant un an, et l'année
suivant, en mars 2004, j'a eu l'opportunité d'apprendre le
rôle de la Princesse Florine pour La Belle au bois dormant,
à l'époque dans la production de Natalia Makarova.
Makarova a visiblement apprécié ce que je faisais, et
elle m'a donné quelques représentations, bien que ses
corrections «russes» aient été un peu
déstabilisantes. Quand je suis arrivée pour la
première répétition, elle m'a demandé ce
que je faisais là, et je lui ai dit que j'apprenais le
rôle. Et une minute avant la fin de la répétition,
elle s'est tournée vers moi : «Toi – fais
solo». Je l'ai dansé plutôt bien, et elle a
simplement dit : «OK. Il y a beaucoup de choses à
travailler, mais ça pourrait être bon». Elle a
travaillé avec moi sur la variation par la suite, car elle
voulait des ports de bras très précis.
La nouvelle production [montée par Monica Mason et Christopher
Newton en 2006, ndlr] est plus anglaise et, en un sens, plus
inconfortable, quoique une fois que le corps s'est habitué
à la chorégraphie tout va bien. Le style du Royal Ballet
est parfois assez inconfortable – votre corps veut aller dans une
direction, mais il est contraint à aller dans une autre. Pour
moi, quoi qu'il en soit, Florine est un rôle très
spécial – et maintenant que j'y suis plus à l'aise,
je peux me détendre et jouer avec la chorégraphie. La
compagnie toute entière était derrière moi pour
mes premières représentations, y compris les
élèves de la Royal Ballet School – Steven McRae
regardait d'ailleurs des coulisses!
Yuhui Choe (Nikiya) dans La Bayadère
Quels autres rôles vous ont marqué jusqu'ici?
Nikiya, je dois dire, et Dances at a Gathering. La Bayadère
est le premier ballet en trois actes que j'ai dansé, et il
s'agissait à nouveau d'une production de Natacha [Makarova], qui
est quelqu'un de vraiment exceptionnel. J'ai beaucoup appris avec elle.
C'est en entrant en scène que j'ai enfin réalisé
que je dansais le rôle principal – je ne m'en étais
pas vraiment rendue compte jusque-là.
Quant à Dances at a Gathering,
Alina Cojocaru et Marianela Nuñez se sont toutes deux
blessées, et la compagnie n'avait personne d'autre pour danser
le rôle de la Fille en rose. Le délai de
préparation a été court, mais j'ai eu assez de
temps pour répéter correctement. Par ailleurs, comme je
remplaçais deux danseuses, j'ai dû danser avec quatre
partenaires différents, dont Carlos Acosta, et j'ai adoré
cette expérience. C'était la première fois que je
dansais une oeuvre de Jerome Robbins, et quand les
répétiteurs de Robbins sont arrivés pour nous
faire travailler, j'ai énormément appris à son
propos, à propos de sa vision du ballet. Il voulait qu'il soit
– normal. Dès que je souriais bizarrement ou que je levais
la jambe trop haut, ils m'arrêtaient et me disaient d'être
simplement naturelle, de m'amuser, d'écouter la musique avec mon
coeur.
Est-ce que vous travaillez avec un coach précis à l'heure actuelle?
Je travaille beaucoup avec Lesley Collier, et c'est
toujours exceptionnel. Ashton et MacMillan étant tous deux
décédés, je n'ai pas accès aux corrections
directes du chorégraphe dans leur cas – mais apprendre de
quelqu'un comme Lesley, qui a travaillé avec eux et
créé beaucoup de rôles, est quelque chose
d'extraordinaire. Je l'écoute, j'essaie de comprendre ce
qu'Ashton voulait, et de créer mon rôle de cette
manière. Ses ports de bras sont également très
beaux - je rêve de les lui voler!
J'aime également travailler avec Monica Mason. Elle
possède un oeil formidable, elle sait tout simplement ce dont
j'ai besoin.
Vous sentez-vous à l'aise dans le répertoire d'Ashton?
Je pense qu'il me convient bien, il convient à mon corps, et
j'aime son style. J'ai dansé les parties de corps de ballet de
beaucoup d'oeuvres d'Ashton, ainsi que Les Patineurs. Je suis impatiente de danser La Fille mal gardée et Cendrillon en avril.
Vous allez
également participer à la première création
de Jonathan Watkins pour la scène principale du Royal Opera
House, en février?
Jonathan et moi sommes de très bons amis – il a
été mon voisin pendant assez longtemps. Nous avons
également intégré le Royal Ballet au même
moment. Il chorégraphie depuis sa première année
dans la compagnie, et j'ai participé à pratiquement
toutes ses créations – tout le monde pense que je suis sa
muse ! J'ai suivi ses progrès, et je suis très
enthousiaste à propos de sa première oeuvre pour la «grande scène» du Royal Opera.
Comment travaillez-vous en cours au quotidien?
J'ai toujours de légers problèmes avec mon en-dehors,
donc je fais des Pilates et me concentre sur ce qui nécessite
encore du travail. Ma jambe droite et mon genou gauche sont
légèrement paresseux, et j'en ai toujours conscience en
cours, je tente d'éviter de développer trop d'habitudes.
J'essaie également de ne pas me blesser – à
15 ans j'ai eu une fracture de fatigue du métatarse, mais j'ai
continué à danser, et peu de temps après j'ai
développé le même problème à l'autre
pied. J'ai dû marcher avec des béquilles pendant un mois.
Désormais j'essaie de trouver le temps de me reposer, de me
détendre, et je fais aussi de l'acupuncture et des massages.
De quels rôles rêvez-vous?
Juliette – je suis d'ailleurs actuellement remplaçante. Je
suppose que toutes les filles en rêvent. Je vais également
danser Concerto de MacMillan
en mars – j'ai vraiment envie de travailler son style, car je
n'ai pas beaucoup dansé de MacMillan jusqu'à
présent. J'étais distribuée dans le rôle de
la princesse Stéphanie dans Mayerling, mais au final je n'ai pas pu le danser.
J'ai également la chance de collaborer avec Wayne McGregor, and
j'adorerais travailler avec John Neumeier ou Jiří
Kylián – j'ai vu Le Songe d'une nuit d'été
de Neumeier à l'Opéra de Paris, et c'est vraiment dommage
que nous n'ayons pas l'occasion de danser ses oeuvres ici.
Segueï Polunin (Solor) et Yuhui Choe (Nikiya) dans La Bayadère
Comment se passe le travail avec Wayne McGregor?
La première création de MacGregor à laquelle j'ai participé était Infra,
et ç'a été une expérience assez choquante
– je ne savais pas vraiment comment il travaillait. Les
premières répétitions ne se sont pas très
bien passées. Je paniquais, parce que ce qu'il fait est vraiment
délirant, et il faut tout répéter
immédiatement. Après quelques mois, ceci dit, mon corps a
intégré son style, et j'ai pu en profiter plus. Je
comprends ce qu'il veut – nous avons une bonne relation
maintenant.
Quel est votre rapport à la musique?
Je ne joue d'aucun instrument, mais j'ai toujours conscience de la
musique. Quand j'étais petite j'ai fait un peu de piano, mais
j'ai détesté ça, je m'endormais pendant les cours
– j'aimerais en savoir plus maintenant. J'adore écouter la
musique, être dans la musique, je peux jouer avec elle à
l'infini, particulièrement avec l'orchestre. Il est toujours
possible de mettre en relief des notes infimes. Je n'aime pas
décider à l'avance d'un tempo précis avec le chef
d'orchestre – je le laisse simplement jouer. J'ai beaucoup de
respect pour les chefs d'orchestre, et je me contente de
répondre à la musique, de la sentir. Ashton est un
chorégraphe particulièrement musical, même si c'est
parfois difficile à déceler.
Avez-vous des partenaires favoris?
Pas vraiment, car je n'ai pas de partenaires précis. Je me
cherche encore, et j'aime travailler avec tout le monde, c'est une
énorme source d'inspiration.
Yuhui Choe (Nikiya) dans La Bayadère
Y a-t-il des danseurs que vous admirez particulièrement?
Alina Cojocaru et Zenaïda Yanowsky font partie de mes danseuses
préférées, mais j'ai tellement de respect pour
chaque Principal au sein de la compagnie. Le jour de la dernière
représentation de Miyako Yoshida dans le rôle de la
Fée Dragée a été très triste pour
moi – j'ai grandi avec des vidéos et des DVD d'elle,
particulièrement dans Casse-Noisette,
et elle a dansé la première du ballet pratiquement chaque
année depuis mon arrivée à Londres. C'était
devenu tellement naturel que j'en avais presque oublié à
quel point elle est exceptionnelle, jusqu'à ce jour.
Avez-vous par ailleurs l'intention de retourner danser régulièrement au Japon?
J'y ai uniquement dansé dans des galas jusqu'à
présent, mais j'aimerais avoir la possibilité d'y
retourner en tant qu'artiste invitée.
Qu'est-ce qui vous inspire lorsque vous préparez un rôle?
Pour Nikiya, regarder les ports de bras de Natacha
[Makarova] était déjà en soi quelque chose... De
manière générale, tout m'inspire, pas seulement
les répétitions en studio – je vais au
théâtre dès que je peux, et je vois
également assez souvent des représentations à
Sadler's Wells.
Que faites-vous lors de vos jours de repos?
Je dors! J'habite près du Columbia Flower Market, donc j'y vais
le dimanche dès que je peux. J'aime aller sur les marchés
à Londres, aller au restaurant, faire du shopping – des
choses très normales. J'écoute également beaucoup
de musique, il y en a toujours dans nos loges, et j'aime tout
particulièrement The Killers.
Que feriez-vous si vous n'étiez pas danseuse?
Je pense qu'à l'heure actuelle je serais mariée et que
j'aurais des enfants! J'en ai envie dans le futur. C'est mon principal
désir après cette carrière : avoir ma propre
famille.
Yuhui Choe - Propos recuellis et traduis par Laura Cappelle
Yuhui Choe (La Fée dragée) dans Casse-Noisette
Entretien
réalisé le 04 décembre 2009 - Yuhui Choe © 2010, Dansomanie
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