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Sandrine Marache, ancienne danseuse au Ballet de l'Opéra National de Paris
2 juillet 2009 : à la rencontre de Sandrine Marache
En ce
2 juillet, Sandrine Marache tirait un trait définitif sur sa
carrière de danseuse à l'Opéra National de Paris,
entamée 23 ans plus tôt, en 1986. Sandrine Marache quitte
le Corps de ballet en même temps que deux autres "anciens" de
l'ère Nouréev, Richard Wilk et Nathalie Aubin. Avec
eux, c'est un peu de la mémoire collective de la
compagnie qui s'en est allée. Pour Dansomanie, Sandrine Marache
a accepté de revenir sur la période la plus marquante de
sa vie de danseuse, lorsque Rudolf Nouréev, qui l'avait
recrutée, dirigeait le ballet de l'Opéra de Paris.

Dernier jour à l'Opéra...
J’ai commencé la danse à l’âge de cinq
ans, à Houilles, dans la banlieue parisienne. Ce fut tout
d’abord un simple loisir, mais mon professeur, Eliane Fontenier,
m’a trouvé des aptitudes particulières et a
conseillé à mes parents de me présenter à
l’Ecole de danse de l’Opéra, où
j’ai été prise. Mlle Fontenier était une
ancienne danseuse de la troupe de l’Opéra-Comique
[dissoute par Rolf Liebermann en 1971, ndlr] ; Richard Wilk ou
Christophe Duquenne ont également compté parmi ses
élèves.
Je suis entrée à l’école de
l’Opéra en 1980, en cinquième division. A ce moment
là, j’ai compris que la danse était devenue pour
moi une affaire sérieuse, qui allait bien au-delà
d’une activité périscolaire. Pourtant, à la
fin de la quatrième division, Claude Bessy m’a
renvoyée. J’étais découragée et je
voulais tout abandonner, mais Claire Motte a immédiatement pris
contact avec mes parents pour les convaincre de m’inscrire au
Conservatoire, où elle enseignait alors. J’y ai
passé trois années merveilleuses. En plus de la classe de
Claire Motte, je prenais, en privé, des leçons chez Yves
Brieux. Son cours était extrêmement dur sur le plan
physique, et il était capable de nous maintenir toute une heure
à la barre, en nous corrigeant sur les moindres détails.
A l'Ecole de danse (Palais Garnier, rotonde Zambelli)
En 1985, j’ai quitté le Conservatoire avec un premier
prix, et la même année, j’ai aussi remporté
le concours de Lausanne. Cela m’a valu une bourse, et
j’avais choisi d’aller à San Francisco. Claire Motte
m’en a dissuadé et m’a convaincue de retenter ma
chance à l’Ecole de danse de l’Opéra
qui, à l’époque, offrait également des
bourses aux lauréats du Prix de Lausanne. Mais Claude Bessy
n’a pas voulu me prendre directement en première division,
et j’ai dû recommencer en seconde division. Mes professeurs y
furent Jacqueline Moreau et Christiane Vaussard. J’ai
néanmoins eu la chance de pouvoir interpréter des
premiers rôles lors des spectacles de l’Ecole,
notamment dans Soir de fête et dans La Fille mal gardée.
A dix-huit ans, j’étais ainsi prête à entrer
dans le Corps de ballet, en ayant déjà acquis une
certaine pratique de la scène. Cela valait mieux, à mon
sens, que d’intégrer la compagnie à quinze ou seize
ans, sans aucune expérience.
J’ai fait mes débuts dans la troupe en 1986. Rudolf
Nouréev m’avait immédiatement remarquée. Je
me dépensais beaucoup durant les cours, et il appréciait
cela. Souvent, lorsque la séance était terminée,
il me prenait à part pour me faire travailler individuellement.
Je buvais littéralement ses paroles, et je faisais de mon mieux
pour suivre ses directives, même si ce qu’il exigeait
était parfois très difficile à accomplir
correctement.
L’année de mon entrée au ballet, on a introduit le
«stage» préalable à la titularisation ; de ce
fait, je n’ai pas pu me présenter immédiatement au
concours de promotion, ce qui était autorisé
précédemment. J’ai néanmoins
progressé assez rapidement dans la hiérarchie : je suis
devenue Coryphée en 1988, puis Sujet en 1990. Mais ensuite, il y
a eu trois années sans poste de Première danseuse. Cela a
certainement entravé ma carrière, car à
l’époque, j’étais pleine
d’énergie et je ne demandais qu’une chose, passer
des concours, justement.
La Demoiselle d'honneur (Don Quichotte, chor. Rudolf Nouréev)
Mon premier vrai rôle à l’Opéra de Paris fut
la Demoiselle d’honneur, dans Don Quichotte. Les
représentations avaient lieu au Grand Palais. Un soir,
Nouréev m’a appelée : «Marache, vous
apprendre Demoiselle d’honneur, vous danser dans une
semaine»! Eugène Poliakov m’a alors prise en main et
fait répéter tous les jours jusqu’à la
représentation. J’ai vraiment aimé travailler avec
lui. Il est, avec Rudolf Nouréev et Claire Motte, l’une
des personnes qui m’ont le plus marquée au cours de ma
carrière de danseuse.
Après cela, j’ai dansé la plupart des rôles
classiques ordinairement confiés aux Sujets : pas de cinq de
Suite en blanc, la Fée Canari dans La Belle au bois dormant, la
Pastorale (Casse-noisette), Cupidon, les Amies de Kitri ... J’ai par ailleurs
créé à Paris le rôle de la danseuse Manou
dans La Bayadère, de Nouréev. Pour la petite histoire,
j’ai aussi été la première partenaire
d’Emmanuel Thibault dans le pas de deux des Vendangeurs
(Giselle). Il sortait alors tout juste de l’Ecole de danse! Cela
dit, ces rôles que l’on donne habituellement aux sujets
sont plus générateurs de stress que si l’on devait
danser un ballet entier. On a au mieux trois ou quatre minutes pour
montrer ce qu’on sait faire dans un numéro de
virtuosité, et si c’est raté, il n’y a pas de
rattrapage possible. Le public s’en ira avec l’impression
qu’on n’était pas à la hauteur. A contrario,
lorsqu’on est distribué dans un rôle principal, on a
plusieurs variations pour convaincre, et si l’une était un
peu en deçà des espérances, la suivante peut
permettre de sauver la situation.
La Danseuse Manou (La Bayadère, chor. Rudolf Nouréev)
Il y a eu des épisodes tristes aussi dans ma vie de ballerine :
la mort de Claire Motte [16 juillet 1986, ndlr], tout d’abord,
que nous avons apprise par surprise au retour des vacances
d’été, puis la disparition, malheureusement
attendue, de Rudolf Nouréev. Lors de la création de La
Bayadère, il était à l’agonie. On
l’avait installé sur un lit, et il lui arrivait de
s’assoupir, mais la plupart du temps, il trouvait encore la force
de nous donner ses directives. Nous étions soumis à une
pression énorme, car nous ne savions absolument pas s’il
serait encore là pour la Première. Cela a
été très dur à supporter, mais en
même temps, c’est pour moi un grand souvenir, car nous
donnions tous le maximum de nous-mêmes afin qu’avant de
mourir, il puisse voir cette Bayadère dansée comme il le
voulait.
La Bayadère (chor. Rudolf Nouréev)
Avec Nouréev, nous avons vécu des moments inoubliables.
Quand nous allions en tournée à New York, il était
attendu quasiment comme le Messie, et nous étions reçus
avec tous les honneurs. J’ai eu la chance de faire partie de son
groupe «Noureev and Friends», avec lequel il nous a
emmenés un peu partout dans le monde, au Mexique notamment. Ce
fut l’époque la plus faste de ma vie artistique.
J’ai même eu la chance de danser Apollon (de Balanchine,
ndlr.) sur scène avec lui.
Après la disparition de Nouréev, c’est Patrice Bart
qui s’est chargé de maintenir la tradition. Grâce
à lui, le style a été préservé, et
je pense qu’aujourd’hui, la manière de danser les
ballets de Nouréev n’a finalement pas tant changé
que cela. Des danseurs tels que Manuel Legris, Laurent Hilaire,
Isabelle Guérin, Monique Loudières ou Elisabeth Platel
ont aussi pris une part décisive à la transmission du
répertoire, et ont servi de modèles aux jeunes
générations.
Soir de fête (chor. Léo Staats)
Sous la direction de Patrick Dupond, j’ai également eu
quelques grands souvenirs. Lors d’une tournée au Japon, où
nous présentions Palais de cristal, de Balanchine, qui
était encore donné dans sa version d’origine avec
les costumes de Leonor Fini, j’ai, la veille de notre retour,
dansé le troisième mouvement avec Eric Quilleré
pour partenaire. En temps normal, c’étaient Monique
Loudières ou Marie-Claude Pietragalla qui tenaient ce rôle
aux côtés de Jean-Yves Lormeau. La chorégraphie de
cette pièce est très éprouvante physiquement, et
même Marie-Claude Pietragalla sortait de scène totalement
épuisée. Vous m’imaginez, alors que nous finissions
une tournée de trois semaines…
Avec Eric Quilleré dans le "Pas de deux des Paysans" (Giselle, chor. Patrice Bart)
J’ai aussi eu l’honneur d’apparaître aux
côtés de Patrick Dupond lui-même, lors de
l’enregistrement vidéo du Lac des cygnes, dans la version
de Vladimir Bourmeister. Je faisais la Paysanne qui, dans cette
chorégraphie, exécute un pas de deux avec Siegfried au
début de l’ouvrage.
Maintenant que j’ai atteint l’âge de la retraite, je
vais me consacrer à l’enseignement. A Ormesson-sur-Marne,
près de mon lieu de résidence, une association propose
déjà des cours de modern jazz et de hip-hop, mais pas
encore de classique. Comme il y a une demande importante, surtout
de la part de jeunes filles, je vais me lancer. J’ai
déjà reçu de nombreuses sollicitations et le cours
démarrera en septembre prochain. J’espère que moi
aussi, un jour, je pourrai envoyer des élèves à
l’Ecole de danse de l’Opéra! J’ai très
envie de pouvoir transmettre tout ce que j’ai appris de Claire
Motte et de Rudolf Nouréev. Et je veux aussi me consacrer
à ma vie de famille ; mon mari et mon fils, qui a dix ans, ne
m’ont pas vue souvent le soir à la maison, comme je
dansais à l’Opéra!
Sandrine Marache
Les Sylphides (chor. Michel Fokine)
Entretien
réalisé le 2 juillet 2009 - Sandrine Marache © 2009,
Dansomanie
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