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Nanette Glushak, directrice
du Ballet du Capitole de Toulouse
24 avril
2009 : conversation avec Nanette Glushak

Comment
une danseuse américaine a-t-elle pu être amenée
à diriger une compagnie française telle que le Ballet du
Capitole?
Je suis entrée à quinze ans et demi au New York City
Ballet. J’y suis restée trois années, puis
j’ai intégré l’American Ballet Theatre, en
tant que soliste. J’y ai dansé tous les rôles
classique de premier plan, ainsi que beaucoup d’ouvrages
comtemporains ; douze ans plus tard, je me suis lancée dans une
carrière d’artiste indépendante. Peter Martins, que
je connaissais et qui venait de succéder à George
Balanchine à la direction du New York City Ballet, m’a dit
qu’une Texane très riche projetait de créer une
nouvelle compagnie de danse à Fort Worth, (devenue par la suite
le Fort Worth-Dallas Ballet) et qu’elle recherchait
quelqu’un pour en prendre la tête. [Nanette Glushak en
demeurera la directrice de 1983 à 1987, conjointement avec
Michel Rahn, ndlr].
Mes parents sont russes, bien que mon père soit né
à Paris. J’ai toujours rêvé de vivre en
France. Et le hasard m’a fait rencontrer – à New
York ! – mon futur mari, Michel Rahn, qui est français. Il
était alors danseur étoile notamment au Ballet Royal de
Flandre et au Ballet de Genève et nous avons entamé une
collaboration en tant que pédagogues. Michel Rahn m’a
notamment enseigné les fondements de la méthode Vaganova.
Nous nous sommes d’abord installés à Lyon,
où il avait été chargé du
département de danse classique au CNSM. Parmi ses
élèves, il y avait alors… Benjamin Millepied.
En 1993, Nicolas Joël m’a contactée, dans le but de
remonter des ballets de Balanchine. A l’époque, la troupe
du Capitole était employée essentiellement pour les
parties dansées dans les opérettes. Nicolas Joël
avait l’ambition d’en faire une vraie compagnie classique.
Au début, tous les solistes étaient des invités.
Nous avons commencé par monter Allegro Brillante.
Le succès a été au rendez-vous et à
l’issue des représentations, Nicolas Joël m’a
demandé de prendre la direction de la troupe.
Avec mon mari, nous avons alors pris en main la formation des danseurs.
Pour moi, le cours, c’est d’abord développer chez
les danseurs des réflexes pour la scène, et non un simple
échauffement. L’enseignement est d’ailleurs mon
domaine de prédilection, ma passion même. Je me
considère davantage comme un professeur que comme un
chorégraphe ; c’est par ce travail de formation que nous
avons façonné et développé la compagnie
telle qu’elle est aujourd’hui, et nous continuons toujours
de dispenser les cours aux artistes de la troupe.
Le Ballet du Capitole possède-t-il un style et une identité propres?
Au début, le niveau de la compagnie
était assez faible, mais, à force de travail, nous sommes
parvenus à former des solistes. Maintenant, ce sont les
étrangers qui veulent venir danser à Toulouse, et dix
nationalités différentes sont actuellement
représentées au sein du corps de ballet, qui comporte
trente-cinq danseurs – dix-neuf filles et 16 garçons. Par
ailleurs, j’ai toujours refusé d’employer des
surnuméraires pour renforcer les effectifs – surtout pour
les grands ouvrages classiques -, s’ils n’ont pas
été formés au sein de la compagnie.
Les danseurs viennent d’horizons divers, avec des formations
hétérogènes. C’est pour cela qu’il est
primordial de forger un style, une identité propre à la
compagnie, afin de lui conférer une véritable
unité.
Il y a assez peu de «turnover» au sein du Ballet du
Capitole, et nos danseurs y restent généralement
longtemps. L’an passé, exceptionnellement, nous avons eu
un renouvellement plus important, avec trois départs de
personnes qui avaient décidé d’arrêter la
danse pour faire autre chose. Cette année, une danseuse
s’en ira pour des raisons familiales. Mais d’ordinaire,
l’effectif demeure très stable.
J’aime aborder un répertoire très varié,
allant du classique au contemporain en passant par le
néo-classique. J’ai moi-même dansé beaucoup
d’ouvrages contemporains, de Cunningham, d’Ailey…
Pour le Capitole, je veux des chorégraphies qui soient musicales
et physiques. Il faut que cela reste de la danse, avec de vrais
mouvements de danse, plutôt que de la
«danse-théâtre», que prônent certains et
qui se développe actuellement en France et en Allemagne.
Quelle est
l’importance de Balanchine et de la tradition balanchinienne dans
votre travail de directrice de compagnie et de chorégraphe?
Pour moi, Balanchine, c’est le chorégraphe du
siècle et je remonte partout ses ballets. J’en ai
interprété personnellement une quinzaine, dont je connais
parfaitement la chorégraphie. Prochainement, je vais remettre
à la scène le Songe d’une nuit d’été à la Scala de Milan.
Le Ballet du Capitole n’est pas une compagnie de «style
français» au sens où l’est
l’Opéra de Paris. Balanchine recourait du reste
essentiellement à la méthode Vaganova pour la formation
des danseurs. Même avec les «classiques» (Don Quichotte, Giselle…)
que j’ai travaillés avec Barychnikov, j’essaye de
maintenir une tradition «balanchinienne», en ce qui
concerne les nuances, la musicalité. Ce qui est primordial,
c’est la musicalité. Cela me vient de Balanchine qui
était lui même mélomane et musicien – il
jouait notamment du piano. Je demande aussi aux artistes de danser
«plus grand» ; l’interprétation des ballets
classiques évolue avec le temps. Michel Rahn et moi nous nous
référons souvent à Agrippina Vaganova pour
insister sur la nécessité de faire partir les mouvements
des bras depuis le milieu du dos, afin de leur donner l’amplitude
nécessaire. On ne peut plus danser Giselle
comme ce que l’on voit sur les lithographies du
dix-neuvième siècle. «Bigger is better»,
comme on dit ; Balanchine utilisait l’expression «bouffer
l’espace» [en anglais : «eating up space»,
ndlr].
Pourquoi avoir remonté cette saison un nouveau Casse-noisette pour le Capitole?
Michel Rahn avait déjà fait un Casse-noisette
au Texas [à Fort Worth, en 1986, ndlr.], qui avait à
l’époque obtenu d’excellentes critiques. A Toulouse,
nous avions jusqu’à présent une production de
l’Opéra de Nice, avec une scénographie d’Ezio
Frigerio, qui ne correspondait pas exactement à ce que Michel
Rahn voulait. Nicolas Joël a finalement donné son accord
pour la réalisation d’une nouvelle production, qui
satisfaisait mieux les désirs de Michel.

Comment voyez-vous l’avenir du Ballet du Capitole après le départ de Nicolas Joël?
Sans Nicolas Joël, le Ballet du Capitole n’existerait pas.
Nicolas Joël m’a fait confiance alors que
j’étais totalement inconnue en France. Il m’a aussi
donné les moyens financiers pour acquérir des
œuvres de qualité pour la compagnie et faire venir des
chorégraphes prestigieux.
A partir de la saison prochaine, M. Joël sera remplacé par
Frédéric Chambert. Nous nous entendons très bien.
Il adore la danse classique et il voudrait encore améliorer les
conditions pour le Ballet du Capitole. Il souhaite notamment augmenter
le nombre de représentations à Toulouse. Mon rêve
serait que nous puissions encore accroître un peu
l’effectif de la compagnie, de manière à être
en mesure de monter le Lac des cygnes. Mais bon, il faut rester réalistes…
Avec Bordeaux, nous sommes aujourd’hui la seule compagnie, en
France, en-dehors de l’Opéra de Paris, à
«faire de la résistance», en conservant une
importante programmation de ballet classique. Et pourtant, le public
aime ce répertoire. Pour ce nouveau Casse-noisette, nous avons vendu toutes les places. Et lorsque nous avions donné Don Quichotte, la file d’attente aux guichets traversait toute la place du Capitole!
En raison de travaux de réparation urgents, l’année
prochaine, nous ne pourrons pas utiliser le théâtre du
Capitole. Nous utiliserons également le nouveau
Théâtre du Casino, ainsi que la Halle aux grains. Le
Ballet du Capitole effectue par ailleurs de nombreuses tournées
en France, en Italie et en Espagne.
Je souhaite accroître la notoriété du Ballet du
Capitole et lui assurer un public fidèle. Mais ce qui fait
avant-tout la grandeur d’une compagnie, c’est la
qualité de ses danseurs. Dans ce but, je vais m’attacher
à perpétuer un niveau d’enseignement et de
préparation artistique aussi élevé que possible,
et c’est d’ailleurs là ma toute première
priorité.
Nanette Glushak
Entretien
réalisé le 24 avril 2009 - Nanette Glushak © 2009,
Dansomanie
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