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14 mars
2009 : Le Petit cheval
bossu
Mikhaïl
Lobukhin (Ivanuchka) - Andreï Ivanov (Le Tsar) -
Viktoria Tereshkina (La Tsar-Demoiselle)
D'un coup
d'épée dans l'eau à l'autre, les
créations
réussies sont devenues une denrée rare au Ballet
du
Marinsky – Alexeï Ratmansky, après une Cendrillon
toujours au répertoire, aura dû patienter
près de
sept ans avant de concrétiser un nouveau projet à
Saint-Pétersbourg. L'attente n'aura pas
été vaine.
Avec Le Petit cheval
bossu, l'ex-directeur du Bolchoï ouvre
à la danse classique des perspectives modernes que l'on
attendait depuis longtemps.
Toute en
fluidité, musicalité et humour, cette production
prend le
contre-pied des tendances qui dominent dans la création
néo-classique actuelle. La chorégraphie est
vouée
à peu près entièrement à la
narration du
conte de Pyotr Yershov, extrêmement populaire en Russie. Dans
celui-ci, le jeune Ivan se lance dans des aventures qui le verront
capturer des chevaux (dont un petit cheval bossu, son futur complice),
voler une plume d'oiseau de feu, vendre ses chevaux au Tsar et devenir
chambellan à la place du chambellan. Le Tsar,
inspiré par
la plume, a une vision et ordonne à Ivan de partir
à la
recherche de la Tsar-Demoiselle qui vit au milieu des oiseaux de feu.
Il la ramène – ils tombent bien entendu amoureux,
et
à la suite de bien des aventures, finissent par se montrer
plus
malins que le Tsar.
Ekaterina Kondaurova (La Jument)
Là
où
Christopher Wheeldon a pu choisir d'aller d'un matériau
extrêmement concret vers l'abstraction au Bolchoï pour son Hamlet/Misericordes,
Ratmansky construit au contraire à
partir
du féérique des personnages concrets, non
dénués de second degré - ainsi de la
Tsar-Demoiselle, devenue femme qui s'ennuie au beau milieu d'une
cohorte d'oiseaux de feu. Quant à la partition de Rodion
Chédrine, elle aurait pu être composée
pour
Ratmansky tant
le rapport entre musique et pas est limpide, léger, et
teinte
sans cesse les accents fantastiques du compositeur d'une dose d'ironie
bien placée.
Les
décors
étonnent dans les premières scènes par
leur
abstraction. Fond de couleur unie, immense lune jaune ou formes
géométriques de couleur vive, le spectateur
commence par
regretter le faste impérial de la salle – au fond,
pourtant, ces images naïves soutiennent le mime volontairement
grotesque de la famille du héros ou du Tsar. Les costumes
sont
quant à eux souvent assez fades, surtout face à
la
richesse des réalisations actuelles au Bolchoï,
beaucoup
plus
théâtrales – l'apparence des Nourrices
est aussi
anodine que celle des héros est simple. Les costumes du
corps de
ballet offrent cependant quelques intéressantes variations,
notamment les gypsies aux costumes décorés de
visages ou
les chevaux pour le moins disco du premier acte.
Mikhaïl
Lobukhin (Ivanuchka) - Viktoria Tereshkina (La Tsar-Demoiselle)
Chorégraphiquement
parlant, la fluidité avec laquelle le chorégraphe
se joue
d'un livret pourtant complexe est admirable. Certaines
scènes
sont un peu courtes (le «dressage» de Kondaurova,
par
exemple), mais toutes se fondent dans une action qui n'ennuie jamais.
Le vocabulaire de Ratmansky est indéniablement personnel
–
formes complexes qui ne cherchent pas la joliesse, innombrables
changements de direction, absence de portés
démesurément athlétiques, mouvements
liquides du
corps de ballet –, mais sa capacité à
adopter en
les adaptant des styles a priori étrangers est une de ses
plus
grandes forces. La scène d'ouverture, dans laquelle le
père d'Ivan explique à ses trois fils qu'ils
doivent
surveiller ses champs, utilise un mime grotesque inspiré de
formes anciennes, carnavalesques, tout comme certaines expressions du
Tsar. A l'inverse, la chorégraphie va également
introduire ici et là un manège ou une diagonale
virtuose
pour exprimer les sentiments d'un personnage, la rareté de
ces
démonstrations de puissance ne faisant qu'accentuer leur
impact.
Les clins d'oeil au répertoire ne manquent enfin pas
–
parodie des mouvements hongrois de Raymonda
(la danseuse place ses bras
l'un sur l'autre avec autorité... et se met à
lever une
épaule en musique), première scène
fortement
réminiscente du Fils
prodigue de Balanchine... Impossible
également d'oublier ce grand pas de deux ironique qui
clôt
le ballet, dans lequel Ivan prétend oublier les pas et
recommence des séquences tandis que la Tsar-Demoiselle a le
tournis – le tout finissant presque en chanson.
Andreï
Ivanov (Le Tsar) - Viktoria Tereshkina (La Tsar-Demoiselle)
Les
danseurs semblent
pour beaucoup libérés dans ce ballet, ce qui n'a
rien
d'étonnant, l'ex-directeur du Bolchoï proposant un style qui
correspond profondément à toute une frange des
danseurs
actuels. Il y aura peut-être une «ballerine
Ratmansky» comme il y a eu des «produits»
de
Balanchine
– la chorégraphie met en effet
idéalement en valeur
les danseuses à la fois virtuoses et très
urbaines de la
compagnie, à la présence scénique
faite
d'assurance et de détermination, celles en somme qu'on a pu
qualifier de trop modernes pour le grand répertoire
classique.
Ce n'est sans doute pas un hasard si Ratmansky a
chorégraphié Cendrillon
et Pierrot Lunaire pour
Diana
Vishneva, et si ce sont aujourd'hui Viktoria Tereshkina et Ekaterina
Kondaurova qui règnent sur ce Petit cheval bossu. Leur
technique
affilée, leur manière de tailler et d'aiguiser
les formes
donnent le rythme nécessaire à des pas que
d'autres
danseuses rendraient trop lisses. Viktoria Tereshkina, en particulier,
s'impose dans le rôle de la Tsar-Demoiselle.
Sur-utilisée
par la compagnie, elle est moins ici danseuse d'acier que femme
moderne, parfaitement capable de second degré. Sa variation
désabusée, au début du second acte,
est un
modèle d'expressivité, mais l'expression
s'éloigne
justement ici des grands sentiments romantiques du
répertoire
– la Tsar-Demoiselle s'ennuie, essaie des pas pour se
distraire,
comme elle se laissera au fond capturer par Ivan parce qu'elle n'a rien
de mieux à faire.
Mikhaïl
Lobukhin, dans
le rôle d'Ivan, se montre plus que compétent,
même
s'il ne présente pas tout à fait le
même
degré de profondeur. Souvent drôle et toujours
virtuose,
il s'acquitte impeccablement d'un rôle fait pour des danseurs
à l'apparence sans doute plus juvénile
(Léonide
Sarafanov,
notamment). Ilya Petrov est un petit cheval bossu discret, quoique
léger et agréable. Dans les rôles
secondaires, on
distinguait en réalité surtout Youri Smelakov,
auteur d'un
Chambellan de haut vol. Ancien danseur du Ballet Eifman, son jeu est
désopilant, empruntant des attitudes aux méchants
de
dessins animés en les liant avec fluidité, sans
jamais
perdre le contrôle de l'attention du public. Un
véritable
personnage de conte. Andreï Ivanov est un Tsar plus qu'honorable, mais
ce rôle de caractère conviendrait sans doute mieux
à des danseurs plus aguerris. Yana Selina se distingue comme
toujours parmi les nourrices, au milieu d'un groupe de danseuses
extrêmement jeunes.
Mikhaïl
Lobukhin (Ivanuchka) - Viktoria Tereshkina (La Tsar-Demoiselle)
Alexeï
Ratmansky
est désormais sous contrat pour cinq ans avec l'American
Ballet
Theatre, une voie dont les compagnies russes pourraient se mordre les
doigts, car il s'agit bien de l'un des seuls chorégraphes
qui
travaillent encore à l'intérieur de et
à partir du
vocabulaire classique. Le ballet narratif moderne réussi n'a
pas
de raison de rester une légende.
Azulynn ©
2009,
Dansomanie
Le
Petit cheval bossu
Musique
: Rodion Chédrine
Chorégraphie
: Alexeï Ratmansky
Argument
: Maxime Isaïev
Direction
musicale : Valery Gergiev
Ivanuchka
– Mikhail Lobukhin
La
Tsar-Demoiselle – Viktoria Tereshkina
Le
Petit cheval bossu – Ilya Petrov
Le
Chambellan – Youri Smelkalov
Le
Tsar – Andreï Ivanov
La
Jument – Ekaterina Kondaurova
Les
Chevaux – Sergueï Popov, Youri Smekalov
Samedi
14 mars
2009, Théâtre
du Mariinsky, Saint-Pétersbourg
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