Dansomanie : critiques : Roméo et Juliette
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Roméo et Juliette ( Rudolf Nouréev)

25 juin 2005, 19h30 : Roméo et Juliette à l'Opéra Bastille

 

La reprise de Roméo et Juliette, chef d’œuvre chorégraphique de Rudolf Nouréev, était fort attendue pour plusieurs raisons : la prise de rôle d’Aurélie Dupont, et les adieux d’Elisabeth Maurin et de Karin Averty, qui elle aussi est appelée à danser pour la première – et la dernière? – fois l’héroïne shakespearienne que toutes les ballerines rêvent un jour d’interpréter. On espérait aussi pouvoir assister aux débuts du jeune Josua Hoffalt en Roméo, mais les aléas de la programmation nous ont malheureusement privés d’une distribution qui s’annonçait prometteuse.

Aurélie Dupont disposait de bien des atouts pour donner de sa Juliette une interprétation de référence : un physique juvénile, qui aurait dû lui conférer une vraie crédibilité dramatique, et une technique superlative, indispensable pour aborder une chorégraphie aussi difficile. Pourtant, une certaine déception fut au rendez-vous. Bien qu’elle se soit déjà montrée plus souveraine, Mlle Dupont a évidemment exécuté proprement les pas ; c’est ce que l’on est de toutes façons en droit d’espérer d’une artiste de ce niveau. Mais si Roméo et Juliette est une œuvre exigeante sur le plan technique, elle l’est aussi sur le plan dramatique. Roméo et Juliette, même chorégraphié par Nouréev, ne saurait renier ses origines théâtrales, d’autant que comme dans Cendrillon, l’influence de Kenneth MacMillan – dont le grand Rudolf avait personnellement dansé la version de Roméo et Juliette écrite pour le Royal Ballet – est sensible. Là, force est de constater que la Juliette d’Aurélie Dupont n’a pas comblé toutes les espérances. Son mime était empreint d’une certaine superficialité, où l’artifice l’emportait constamment sur la sincérité. Trop extérieure à son rôle, trop affectée, elle ne parvenait pas à faire naître chez le spectateur cette émotion intense qui devrait arracher des larmes aux cœurs les plus insensibles. 

L’excessive neutralité dramatique d’Aurélie Dupont a aussi, dans une certaine mesure, compliqué la tâche de son partenaire, Hervé Moreau. Celui-ci avait quelque peine à trouver le ton juste dans des scènes comme celle du Balcon, au premier acte, ou le grand duo tragique qui ouvre le troisième acte, dans la chambre de Juliette. Là encore, une vraie passion faisait défaut. En revanche, M. Moreau fut excellent dans toutes les scènes d’expression virile, telles le pas de trois (Roméo – Mercutio – Benvolio) de l’acte un, et l’assassinat de Tybalt au deux. Là, Hervé Moreau s’investit totalement sur le plan théâtral, tout en préservant le style noble et élégant qui caractérise d’ordinaire sa danse. Ses comparses furent eux aussi à la hauteur de la tâche, à commencer par Karl Paquette, très engagé physiquement et dramatiquement. On pourra certes lui reprocher quelques réceptions un peu bruyantes, et des pieds pas toujours pointés à la perfection, mais dans le rôle de bretteur un peu veule de Benvolio, ce genre de subtilité n’a guère d’importance, et la vigueur du jeu de scène garde la primauté. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et M. Paquette fut l’un des interprètes masculins les plus chaleureusement applaudis. Autre favori du public, Alessio Carbone, archétype du danseur italien de demi-caractère, dont le style spectaculaire et les incontestables talents d’acteur font toujours sensation. Mercutio de haute tenue, il fut un adversaire digne du Tybalt noir, hiératique, impitoyable, de Wilfried Romoli.

Parmi les seconds rôles, on aura particulièrement apprécié le beau Pâris de Florian Magnenet, prétendant malheureux de Juliette, mais artiste heureux à la scène depuis son succès dans Cendrillon. M. Magnenet semble d’ailleurs avoir sérieusement travaillé son mime au cours des derniers temps, et, si ses talents de danseur noble ne faisaient plus de doute, ses capacités de comédien commencent également à s’affermir.

Les amis de Rosaline – Nathalie Aubin, Céline Talon (quelle Juliette émouvante elle aurait fait), Josua Hoffalt et Julien Meyzindi ont tous quatre donné le meilleur d’eux-mêmes et se sont fait très favorablement remarquer. Il en a été de même pour les amies de Juliette, où brillait Myriam Ould-Braham, d’une grâce exquise, ainsi qu’Alexandra Cardinale et Laure Muret, pétillantes de vie et à la danse d’une propreté impeccable. Sandrine Marache, entrée dans la troupe de l’Opéra de Paris  à l’époque où elle était dirigée par Nouréev, a aussi parue galvanisée par ce qui devait constituer pour elle une sorte de retour aux sources.

De manière générale, le corps de ballet, qui avait semblé quelque peu désorganisé dans Cendrillon, est apparu ici en excellente forme, discipliné, avec des ensembles à la géométrie parfaite, dénotant un très sérieux travail de répétition. On y discernait quelques individualités telles Cécile Sciaux, servante aux mimiques très expressives ainsi que Stéphane Bullion, Bertrand Bellem et Jean-Christophe Guerri.

Enfin, s’il nous est souvent arrivé de regretter les insuffisances de l’orchestre, il fut ici parfait, stimulé sans doute à la fois par la magnifique partition de Prokofiev et par le chef, l’américain Kevin Rhodes, qui a su mener ses troupes avec fermeté, sans jamais céder à des épanchements lyriques exagérés. Le maestro et les musiciens ont d’ailleurs été récompensés par des bravos aussi nourris que mérités.

 

 

 

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