Dansomanie : critiques : Sylvia (John Neumeier)
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Sylvia (John Neumeier)

1er mars 2005, 19h30 : Sylvia, de John Neumeier à l'Opéra Bastille

 

La dernière reprise de cette Sylvia due à John Neumeier, et créée en 1997 au Palais Garnier, datait de décembre 2002. Pour la première représentation de la saison 2004-2005, le public de l'Opéra Bastille a eu droit à une distribution de grand luxe, puisque pas moins de cinq Etoiles (Aurélie Dupont, Marie-Agnès Gillot, José Martinez, Nicolas Le Riche et Manuel Legris) figuraient à l'affiche. Certes, Sylvia n'est pas la plus intéressante des créations de Neumeier - d'autant que les transformations opérées rendent plus délicate la compréhension de l'argument -, et l'on aurait préféré revoir Le Songe d'une nuit d'été, véritable chef-d'oeuvre. Néanmoins, l'ouvrage de Léo Delibes et Jules Barbier, même profondément revisité, demeure plaisant à regarder. Espérons tout de même que l'Opéra de Paris gratifiera un jour son public d'une reconstitution fidèle de la chorégraphie originale de Louis Mérante, qui n'est certainement pas aussi kitsch et démodée que les propos de John Neumeier - dont l'intention avouée est de recentrer l'oeuvre sur les aspects mythologiques au détriment du décoratif et de l'anecdotique - peuvent le donner à penser.

La partie la plus faible de la version Neumeier est sans doute la scène de bal ouvrant le second acte, et qui semble parodier - involontairement ?- le style de MacMillan ; le talent des artistes du Ballet de l'Opéra National de Paris l'ont heureusement sauvée de l'ennui. Les décors et les costumes de Yannis Kokkos ont plutôt bien vieilli, et si on peut leur reprocher un simplisme çà et là exagéré, leur impact visuel demeure fort, d'autant que l'effet en est rehaussé par des éclairages bien étudiés. Seul l'accoutrement des chasseresses laisse le spectateur quelque peu dubitatif.

Si Aurélie Dupont (Sylvia) a comme toujours assuré une prestation de qualité, elle a semblé néanmoins un peu en retrait dans le premier acte ; elle s'est avérée étonnament neutre dans la scène de la rencontre avec Aminta (Manuel Legris), et quelques petits problèmes de coordination avec son partenaire se sont fait jour. Paradoxalement, c'est Nicolas Le Riche (Orion), qui a paru la remettre en confiance au début du second acte, alors que lui même, parfait techniquement, était moins engagé qu'à l'ordinaire sur le plan dramatique. Mlle Dupont a ensuite été irréprochable jusqu'a la fin de l'ouvrage. La célébrissime scène des "pizzicati", où elle montra un indéniable sens du théâtre - Sylvia frise à cet endroit le rôle de demi-caractère - fut un grand moment d'émotion.

Manuel Legris continue pour sa part d'impressionner le public par la vigueur, l'énergie que dégage sa danse. Son Aminta n'appelle aucune réserve, et il est stupéfiant de voir ce que ce danseur - qui a intégré le corps de ballet en 1980 - est capable de donner après vingt-cinq ans de labeur au sein de la Grande Boutique.

Mais le sommet d'intensité de la soirée fut sans conteste le grand pas de deux (romance) de Diane et Endymion, au premier acte. Marie-Agnès Gillot et José Martinez y ont été véritablement fabuleux, et mis l'assistance au bord des larmes. Marie-Agnès Gillot semble évoluer, physiquement et techniquement, très rapidement depuis sa nomination l'an passé, et à voir sa Diane hiératique, tourmentée mais toujours touchante, l'on comprend mieux les réticences manifestées par elle pour aborder le personnage de la Princesse Aurore dans La Belle au bois dormant, en décembre dernier, rôle arrivé manifestement trop tard dans sa carrière. En tout cas, la reprise de Sylvia aura non seulement rassuré, mais véritablement comblé tous les admirateurs de cette magnifique danseuse. José Martinez a été pour elle un partenaire attentionné, presque idéal dans le rôle du fragile et insaisissable Endymion.

Dans le corps de ballet, Sylvia aura aussi été l'occasion de deux "come-back", ceux d'Eve Grinsztajn et de Juliette Gernez. Eve Grinsztajn, suite à une grave blessure, n'était pas apparue sur scène depuis le début de la saison, et n'avait malheureusement pu défendre ses chances lors du dernier concours de promotion, ce qui était d'autant plus dommage que son excellente Danseuse des rues dans Don Quichotte l'an passé avait fait naître bien des espoirs. Revoir cette danseuse au style élégant et raffiné fut un réel bonheur. Il en fut de même pour Juliette Gernez, absolument rayonnante en Invitée d'Orion, et à qui a échu l'honneur de conclure la soirée sur l'ultime porté.

L'on aura par ailleurs remarqué le couple inattendu mais des plus harmonieux formé par Alexandra Cardinale et Simon Valastro, touchant de fragilité, de pudeur et de fraîcheur. Il faudrait évidemment aussi citer Laure Muret, actrice toujours aussi superbe, Fanny Fiat, évanescent esprit de la foret ou les chasseresses-tigresses à l'impressionnant abattage de Marie-Isabelle Peracchi et Dorothée Gilbert, sans oublier Laura Hecquet, qui depuis quelques mois semble avoir énormément gagné en assurance et présence scénique.

Chez les messieurs, ce sont surtout Florian Magnenet, Sébastien Bertaud, Nicolas Paul et Stéphane Phavorin qui ont retenu l'attention. Le ballet de l'Opéra de Paris est une compagnie décidément bien fortunée de pouvoir s'offrir le luxe de distribuer de tels artistes dans des "seconds" rôles.

Enfin, la prestation de l'orchestre, placé sous la direction de Paul Connelly, sans être exceptionnelle, s'est avérée honorable, et les musiciens de l'orchestre de l'Opéra de Paris semblent plus à leur aise dans Delibes que dans Tchaïkovski. Après leur bon comportement dans les Sept péchés capitaux, les musiciens de l'Opéra semblent repartis d'un pied vaillant. Le Ciel fasse que cela dure...

 

 

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