Dansomanie : critiques : Soirée Bel - Lander - Robbins
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Soirée Bel - Lander - Robbins (Véronique Doisneau - Études - Glass Pieces + défilé + Sonatine / Balanchine)

22 septembre 2004, 19h30 : Soirée d'ouverture au Palais Garnier

 

Soirée d'ouverture à haut risques pour ce premier spectacle de ballet du règne de Gérard Mortier, d'autant que la création qui figurait à l'affiche, Véronique Doisneau, de Jérôme Bel, avait été présentée par une partie de la presse comme un ouvrage à scandale, susceptible de provoquer l'ire d'un public présumé conservateur.

Rassénérés par un défilé impeccable et toujours aussi spectaculaire, où la très populaire Marie-Agnès Gillot s'est taillé un beau succès à l'applaudimètre, les balletomanes ont accueilli avec stoïcisme cette Véronique Doisneau, tant décriée par avance.  L'ouvrage a finalement remporté un succès d'estime, et ceux qui prédisaient un cataclysme en ont été pour leur frais. La danseuse, qui a prêté son nom au titre, a été assez chaleureusement ovationnée, et le chorégraphe, Jérôme Bel, poliment applaudi. Prudent, il n'a pas insisté et s'est contenté d'un rappel.

Il faut dire qu'entre les dernières répétitions et la première du 22 septembre, un très gros travail a été fourni pour améliorer le spectacle. Des passages superflus du texte ont été coupés, Véronique Doisneau a sérieusement revu sa diction, perfectionné son jeu de scène, et au total, M. Bel lui doit une fière chandelle, car elle a sauvé sa création du fiasco. Véronique Doisneau a même souvent réussi assez  à  transmettre une émotion vraie, et les passages humoristiques telles la parodie du Lac des cygnes ont fait mouche, même s'ils auraient gagné à être encore un peu élagués. De plus, la pièce s'inscrivait dans un programme cohérent, qui, avec Etudes, montrait la formation d'une danseuse, du Petit rat à l'Etoile, puis dépeignait la vie quotidienne de cette danseuse dans Véronique Doisneau, pour s'achever sur le "produit fini", le brillant show à l'américaine de Glass pieces. Seul vrai regret, que les références un peu déplacées à Roland Petit et Maurice Béjart, chorégraphes que Mlle Doisneau - c'est son droit - n'apprécie que modérément, n'aient pas été éliminées de ce qui restera tout de même une oeuvre fort marginale.

Études, de Harald Lander, a toujours été très apprécié à l'Opéra de Paris, et cette reprise n'a pas démenti la tradition. Pourtant, ce fut à l'occasion de la 100ème et triomphale représentation que le chorégraphe danois fut brutalement démis de ses fonctions de Directeur de la Danse, en 1963. Mais en cette rentrée 2004, le corps de ballet tout entier respirait une joie de danser des plus communicative et prenait grand plaisir à donner le meilleur de soi-même.

Si tous les danseurs peuvent être fiers du travail accompli lors de ces Etudes, il faut néanmoins donner un grand coup de chapeau à José Martinez, absolument parfait, techniquement et artistiquement, avec ce qu'il faut de brio et d'humour dans ce genre d'ouvrage. 

Au nombre des seconds rôles, l'on relèvera notamment les très beaux trios masculins et féminins formés respectivement par Emmanuel Thibault -toujours sublime -, Simon Valastro et Mallory Gaudion d'une part, et Mathilde Froustey, Myriam Ould-Braham et Géraldine Wiart d'autre part. Notons que contrairement à ce qui été prévu, c'est Dorothée Gilbert et non Mathilde Froustey qui a exécuté le "grand plié" liminaire.

Trio toujours, avec celui des Sylphides, composé de Sabrina Mallem, Laurat Hecquet et Maud Rivière, qui donnaient la réplique à une Agnès Letestu comédienne et pince-sans-rire. A ce petit jeu, Mlle Rivière s'est avéré une "élève" fort douée. Quelques individualités doivent être signalées, avec comme toujours, Nathalie Aubin et Laurence Laffon, mais aussi Marie-Solène Boulet, Alice Renavant ou Florian Magnenet, en grande forme. Mais c'est vraiment tout le corps de ballet qui mériterait d'être cité.

A l'issue du second entracte, seuls les privilégiés assistant à la première auront pu admirer Aurélie Dupont et Manuel Legris, dans Sonatine, une oeuvre tardive de George Balanchine, qui ne sera pas reprise lors des représentations suivantes. Les deux artistes ont fourni un travail d'une grande densité, très musical, très plastique aussi, mais presque trop raffiné pour du Balanchine. Pour un peu, l'on se serait senti dans l'univers subtil de Jiri Kylian. Un émouvant moment de danse, néanmoins.

On pourrait faire un peu la même remarque au sujet de Glass pieces, que l'on aurait  plus extraverti, plus animé. Glass pieces est un ouvrage de facture typiquement américaine, avec son côté "revue à Broadway", et  lorsqu'on l'interprète, il ne faut pas craindre d'assumer totalement cette esthétique "glamour", clinquante diront ses détracteurs. De manière très notable chez  les dames, ce sont les tempéraments les plus extravertis qui ont connu le plus de réussite : Natacha Gilles, Juliette Gernez, Cynthia Siliberto, Marie-Isabelle Perrachi, Alexandra Cardinale et surtout Caroline Bance, sans nul doute une future première danseuse. Bravo également à Lucie Matéci, qui a assuré dans ces Glass pieces son premier spectacle officiel en tant que membre titulaire du Corps de ballet.

Côté solistes, Marie Agnès Gillot et Kader Belarbi ont été parfaits, athlétiques et fluides tout a la fois, avec une gestique ample, frisant délibérément l'inhumanité, la démesure. Béatrice Martel, Stéphane Bullion et Céline Talon ont également fait forte impression, tandis que les autres, qu'il serait vain de vouloir énumérer tous, n'ont nullement démérité.

Au bout du compte, ce fut un joli succès pour l'administration de l'Opéra de Paris nouvellement en place, avec malheureusement comme toujours la musique pour parent pauvre de la danse, même si l'orchestre Colonne, qui occupait la fosse, nous a déjà habitués à pire.

 

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