Dansomanie : critiques : Jewels (George Balanchine)
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Jewels ( George Balanchine)

07 décembre 2007, 19h00 : Jewels, de George Balanchine, au Royal Opera House, Londres

 

Pas très fananatique de Balanchine, et donc pas très familier de Joyaux, cette entrée dans le répertoire du Royal Ballet, pour Emeraudes et Diamants, était surtout pour moi l’occasion de voir des partenariats inhabituels hors du ronronnement de la compagnie. Cette série, très courte, de huit représentations présentait tous les joyaux valides du Royal Ballet (moins donc Federico Bonelli et pour les dernières représentations Zenaïda Yanowsky, Johann Kobborg n’était pas prévu quant à lui) dans cette nouvelle production auréolée du prestige du luxe, très cher au Royaume britannique… Elle a été présentée en tout cas comme telle, dans un grand battage médiatique avec en exergue la participation d’un célèbre joaillier, sponsor de l’événement.

Le test est difficile car malheureusement Joyaux commence par Emeraudes qui est sans doute le plus abscons des trois opus. Il cueille à froid le spectateur dans une musique de Gabriel Fauré pas vraiment élaborée pour saisir l’attention. La chorégraphie est donc contrainte par le tempo sirupeux et finalement, on s’ennuie beaucoup. Au bout d’une demie heure, le public, poli, applaudit, mais à peine et n’a qu’une idée, se précipiter au bar dans un silence éloquent. J’essaie de me souvenir mais c’est la première fois depuis très longtemps en tout cas que je n’ai pas vu de "curtain call" à la Royal Opera House..

J’hésite à prendre position sur Emeraudes, me demandant s’il n’y a pas eu erreur de casting, ou si simplement ce morceau ne fonctionne pas, j’avoue que la version de l’Opéra de Paris (vue uniquement sur DVD il est vrai) ne me convainc pas davantage, malgré la présence de Laëtitia Pujol, que d’ordinaire j’apprécie beaucoup.

Ici, Edward Watson et Tamaja Rojo me semblent quand même inadéquatement assortis. Edward Watson n’arrive pas à cacher son ennui, et Tamaja Rojo est un glaçon. On a l’impression qu’ils sont en répétition donnant juste la technique et laissant de côté l’investissement personnel, désincarnant totalement l’œuvre de toute musicalité et le duo, de toute proximité. D’évidence, ils ne s’intéressent pas à ce qu’ils font, ils exécutent, ce qui est très frustrant lorsqu’on connaît individuellement leur potentialité interprétative.

C’est d’autant plus frappant que le bijou d’Emeraudes est Leanne Benjamin qui au contraire s’est tellement perdue dans la musique qu’elle s’est surprise dans une perte d’équilibre, à un moment très anodin. Ce léger incident était plutôt l’illustration de cet abandon qui la pousse, dans une certaine extase, constamment à la limite et qui est l’essence de son art lorsque cela réussit. Cela n’a pas vraiment gâché sa prestation d’autant plus que son partenaire, Ivan Putrov, était également assez inspiré. C’est un danseur très classique qui sait admirablement bien travailler les lignes et a mis en valeur sa partenaire transfigurée. J’ajoute au crédit de Leanne Benjamin que lorsqu’Edward Watson lui a pris la main, on a senti chez ce dernier un léger éveil accréditant l’hypothèse du mismatch. Cela engendre donc quelques regrets car on a presque l’impression qu’il suffisait de peu pour que les danseurs arrivent à nous faire ressentir quelque chose, et ce peu, seul Leanne et Ivan, ont réussi, sobrement mais avec justesse, à le rendre.

A l’opposé des deux solistes principaux, dans le pas de trois, lorsque la musique adopte un tempo plus rapide, Steven McRae en a fait tellement que c’en était trop et qu’il semblait danser un autre ballet. Pour cette raison peut-être, ses deux partenaires, Deirdre Chapman et Laura Morera, ont paru jouer parfaitement leur rôle temporisateur, rattachant difficilement le trio à l’atmosphère générale de l’œuvre. Evidemment, la virtuosité de Steven McRae est mise en valeur mais elle est plaquée sur des attitudes trop marquées dans le contexte d’Emeraudes. Cependant, dans les passages un peu moins abstraits où les garçons sont seuls et se laissent aller au spectaculaire, il montre qu’il est à la hauteur de ses deux aînés, et l’homogénéité de ce trio inattendu, était assez impressionnante. C’est peut-être ce que l’on retiendra d’Emeraudes avec la délicatesse soyeuse du couple Leanne Benjamin-Ivan Putrov.

La musique de Stravinsky dans Rubis est l’opposée de celle d’Emeraudes. Elle met tout de suite en éveil et, sans être entraînante, facilite l’entrée du spectateur dans le spectacle qui se joue sur scène. Cela se lit aussi bien dans la chorégraphie que dans l’interprétation des danseurs et ceci d’autant plus qu’après les mines compassées d’Edward Watson et Tamaja Rojo, Carlos Acosta et Sarah Lamb étincèlent. Pris au jeu, ils semblent terriblement s’amuser sur scène et communiquent leur joie sans retenue. Carlos Acosta rayonne dans cette pièce une énergie qui va croissante : elle se développe dans une construction méthodique des mouvements qui va de pair avec l’intensité de l’interprétation. Sarah Lamb, danseuse hypersophistiquée qui peut paraître parfois hautaine, a su parfaitement se métamorphoser pour se plier (ou se déplier) aux sonorités ludiques entre les mains de son partenaire, très à l’aise, dans toutes les configurations.
Il est dommage que Laura McCulloch qui remplaçait Zenaïda Yanowsky blessée (elle avait également remplacé Lauren Cuthbertson sur toutes ses dates), se soit un peu moins engagée contrastant un peu avec le duo électrique. Elle m’a paru engluée dans la gestuelle pas assez nette et précise, en bref beaucoup moins convaincante.

Les passages avec le corps de ballet étaient plutôt sémillants et surtout rythmés par le bruit de la joaillerie pendant sur le justaucorps des jeunes femmes… Si cela peut être un signe de l’intérêt de Rubis, je n’ai aucun souvenir du décor alors que les lustres vaporeux d’Emeraudes avaient captivé mon attention…
Enfin au delà d’interprétation juste ou moins juste, ce qui marche dans Rubis, c’est ce crescendo frénétique qui prend le spectateur dans le tourbillon avec lui. Lorsque c’est mené par Carlos Acosta, c’est tout simplement inoubliable et le public a d’autant plus adhéré qu’Emeraudes l’avait mortifié.

Dans Diamants, la musique sans avoir le piquant de celle de Rubis a l’avantage d’être lyrique et entraînante ; après la poussée d’adrénaline du Rubis de Stravinski, elle maintient le spectateur dans un certain bien être, soulignant encore une fois, l’adéquation parfaite entre la musique de Tchaïkovsky et le ballet.

Dans la dernière partie de cette soirée, je retiendrai la superbe majesté de Rupert Pennefather, archétype du danseur noble dont la silhouette a dominé Diamants où il remplaçait Federico Bonelli. Au regard des distributions de ces derniers mois, Rupert Pennefather semble avoir, assez justement, le vent en poupe avec cette tendance à devenir le remplaçant numéro un de tous les danseurs principaux blessés. Il s’acquitte remarquablement de cette tâche avec des ressources dans l’interprétation qu’il n’avait pu révéler lorsqu’il évoluait dans les rôles plus mineurs. Diamants sert parfaitement son style, la pureté de ses lignes et la souplesse de sa danse accompagnée d’une technique sûre. C’est un danseur incroyablement calme et serein. Il semblait notamment vendredi doté de moments de grâce dans ses variations, aussi bien dans la série des jetés que dans les pirouettes qui ont déclenché l’ovation du public, et je ne pense pas que cette reconnaissance soit uniquement due au fait que les Anglais se sentent un peu orphelins de Darcey Bussel (bien qu’évidemment, cela risque de planer sur sa carrière ces prochaines années) et qu’ils cherchent à la remplacer, la pluriculturalité ayant pénétré le ballet, un peu moins l'esprit des balletomanes.

Comme aux danseurs d’Emeraudes, on ne peut rien reprocher techniquement à Alina Cojocaru, pure merveille dans le genre, mais cependant figée sur un sourire unique qui la fait ressembler à une poupée de cire et finalement met assez mal à l’aise au fur et à mesure de sa performance. Cette crispation gène non seulement dans ses variations mais particulièrement dans l’homogénéité de son partenariat, alors que Rupert Pennefather déploie quant à lui des efforts constants pour engager le dialogue. Au finish austère, cette prestation souligne un individualisme dont pâtissent évidemment les pas de deux dès lors que ceux-ci sont centrés sur la jeune femme et illustre la difficulté de s’approprier une œuvre abstraite. Comme je trouve que Diamants est l’œuvre la plus "masculine" des trois, cela me semble juste de souligner combien Rupert Pennefather y a brillé et comment il s’est remarquablement bien sorti de ce partenariat. Le corps de ballet remarquablement en phase a servi plus que d’écrin aux solistes dans les parties spectaculaires qui lui sont dévolues et il régnait dans le final une joie non feinte.

Finalement, cette soirée qui avait commencé assez froidement, donnait des signes positifs pour une reprise future où les danseurs auront du temps pour effectuer le travail d’appropriation qui me semble encore juste pour certains.

 

 

 Maraxan © 2007, Dansomanie

 

 

 

Emeralds


Tamara Rojo - Edward Watson
Leanne Benjamin - Ivan Putrov
Deirdre Chapman - Laura Morera - Steven McRae

Rubies


Carlos Acosta - Sarah Lamb
Laura McCulloch
Ricardo Cervera -  Bennet Gartside -Yohei Sasaki - Johannes Stepanek

Diamonds


Alina Cojocaru - Rupert Pennefather
Deirdre Chapman - Hikaru Kobayashi - Isabel McMeekan -Laura Morera
Kenta Kura -Yohei Sasaki - Johannes Stepanek - Thomas Whitehead