Dansomanie : critiques : Wheeldon & more au Royal Ballet
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Wheeldon & more au Royal Ballet 

11 mars 2008 : Electric Counterpoint (C. Wheeldon), Afternoon of a Faun (J. Robbins), Tzigane (G. Balanchine) et A Month in the Country (F. Ashton) au Royal Ballet

 

Le travail de Christopher Wheeldon est très marqué par une esthétique éthérée et la prééminence de la musicalité dans les choix des mouvements. Electric Counterpoint, son nouvel opus, ne se soustrait pas à cette dominante. Cette création pour le Royal Ballet présente un travail très contemporain où la chorégraphie est prise dans un nœud vidéo, audio et musical.

Electric Counterpoint (Christopher Wheeldon)

La musique de Jean-Sébastien Bach et de Steve Reich choisie pour accompagner les danseurs se fédère sous l’angle du solo, celui du piano de Robert Clark pour Jean-Sébastien Bach, et celui de la guitare de James Woodrow pour Steve Reich, un mélange audacieux mais finalement délié et parfaitement harmonieux, le décor dépouillé de Jean-Marc Puissant en soutenant la solennité et la simplicité. Une bi-dimensionnalité auditive se crée sur l’œuvre de Jean-Sébastien Bach par l’entrelacement des voix des danseurs s’échappant des hauts parleurs, alors que le guitariste "reichien" dialogue avec des solos digitalisés de lui-même.

Comme toujours, Christopher Wheeldon sait créer des ambiances, afin que les danseurs n’apparaissent plus que comme les artistes ultimes, accroissant la lisibilité des mouvements qui sont perçus comme des gestes purs et précis, un peu comme les traces de plume d’un dessin à l’encre.

Un mur oblique crée une profondeur de champ et les projections des danseurs invitent à pénétrer dans ce relief, alors que les quatre portes sur la gauche, servent à rythmer les évolutions, outils de passage d’un mouvement à l’autre, d’un monde à l’autre, mais dans une ambiance à l'unité jamais perturbée.

Electric Counterpoint (Christopher Wheeldon)

Dans ce cocon visuel et sonore, les danseurs évoluent avec sérénité, d’abord individuellement jouant avec leur image, une image parfois plurielle, Laura Morera se débarrassant très vite d’un scintillant tutu pour un simple justaucorps ou Deirdre Chapman n’ayant qu’aux saluts la splendide robe que son double projette. Les silhouettes jouent aussi avec la perspective et les dimensions, parfois géants immobiles ou minuscules personnages d’ombre et de lumière. Cette double facette de chaque individu enrichit le statut du visuel qui, souligné par un éclairage assez savant, présente les danseurs sur scène comme en répétition, illustrant leurs propos sur leur métier, alors que le résultat se concrétise visuellement dans les projections néanmoins floutées, jetant un regard, sinon ambigu, complexe sur la grille de lecture à apporter à l’œuvre.

La première partie du ballet s’ouvre sur une réflexion des artistes, une vision de leur travail, des propos parfois très naïfs et convenus, mais très bien illustrés par les vidéos réalisées par les Ballet Boyz, Michael Nunn et William Trevitt. Laura Morera se dit confrontée à l’impossible. Impossible? Non, les échanges démultiplient les évolutions, et vers la fin, un véritable corps de ballet se dessine sur les murs, un corps de ballet d’où Zenaida Yanowsky et Ed Watson seraient des fers de lance, des séquelles des créateurs du ballet, restant perceptibles dans la vidéographie, part importante dans le spectacle. Ricardo Cervera s’y déclare polymorphe et son image en contre jour dessine une silhouette presque féminine avec laquelle il dialogue, animée d’une grâce particulièrement élégante.

Le ballet dessine ensuite des couples et celui formé de Ricardo Cervera et Laura Morera incarne la sensualité, la prise de possession des tempi distillés par le pianiste, une musique qui accroche moins bien chez Deirdre Chapman et Martin Harvey, plus raides. Pourtant la recherche esthétique est ici très aboutie et certaines attitudes, parfois en portés, évoquent la composition d’œuvres picturales où Christopher Wheeldon met l’accent sur des lignes, forme des angles dans un esprit de clarté qui rappelle la géométrie simple du décor.

Avec Electric Counterpoint, Christopher Wheeldon ajoute une grande réussite à une œuvre cohérente et de plus en plus intéressante.

Tzigane (George Bamanchine)

Comme Chroma de Wayne McGregor avec la précédente affiche mixte du Royal Ballet, la singularité des œuvres de Christopher Wheeldon est difficile à côtoyer même après trente minutes d’entracte. Cependant, l’Après Midi d’un faune de Jerome Robbins est parfaitement adéquat pour faire la transition avec le reste de la soirée par sa musique éthérée et son visuel très succinct, sa beauté chorégraphique minimaliste, presque un art de l’abstrait qui repose sur le charisme des danseurs. On y retrouve la grâce féline d’Ivan Putrov, candide au corps caoutchouteux de sensualité, une expressivité du visage très maîtrisée et d’une rare subtilité, un peu trop même face à Alexandra Ansanelli, plus figée et trop hermétique, manquant du mystère qu’exhale toute la personnalité de son partenaire, presque un peu en dehors du ballet. Mais grâce à la présence fascinante d’Ivan Putrov, ce sont dix minutes de rêve offertes par le danseur au sommet de son art, l’émotion des mouvements succincts et sensuels, sur l’envoûtante musique de Claude Debussy.

En revanche, Tzigane laisse sceptique après tant de beauté et de mystère ; la démonstration agitée de Tamara Rojo et Carlos Acosta au son agressif d’un violon est étrangère à l’esprit de la soirée.

A Month in the Country (Frederick Ashton)

La dernière œuvre choisie, Un Mois à la campagne d’après la pièce de Tourgueniev, est empreinte d’une scénographie très claire, où la musique de Frédéric Chopin et la chorégraphie élégante de Frederick Ashton s’épanouissent dans une véritable atmosphère, rappelant de loin les deux premières œuvres présentées. Certes les costumes plongent les artistes dans une époque bien différente mais la cohésion de l’ensemble crée une ambiance qui permet aux danseurs de construire quelque chose. Ici, le ballet narratif bénéficie de l’exceptionnelle sensibilité dramatique de Zenaida Yanowsky qui se pénètre du personnage de manière très juste. Elle sait tour à tour faire figure de grande dame aguicheuse et joueuse puis d’amante perturbée. Des attitudes et des gestes précis, une danse très claire particulièrement emphatique à la limite de la démonstration pour dépeindre la maîtresse de maison alors que son amant laisse percevoir une impatience dans des mouvements courts et des regards stressés. Elle trouve chez le Beliaev de Rupert Pennefather un parallèle parfait, évolution similaire de leur état d’esprit et de leur vocabulaire technique pour rendre synthétiquement le déroulement de l’histoire.

A Month in the Country (Frederick Ashton)

Quand jouent-ils, quand se révèlent-ils à eux-mêmes la vérité de leurs émotions ? Tout cela est évoqué avec subtilité grâce à l’extrême précision de la chorégraphie très lisible de Frederick Ashton. La sensualité de leurs pas de deux exprime d’évidence un état plus mûr que les moments charmants que le jeune tuteur passe avec Vera ou bien sûr quand il musarde avec la bonne. Des moments tendres et très denses également, lorsqu’il embrasse avec émotion le ruban de sa robe alors qu’elle lui tourne le dos, symbole d’un attachement impossible.

Dans les autres rôles, Bethany Keating, très vive Vera, sort rapidement de l’enfance lorsque Beliaev courtise Natalia Petrovna. Gary Avis, en amoureux éconduit, et William Tuckett, en mari indolent, complètent un tableau où Ludovic Ondiviela, fils taquin des maîtres de maison, apporte son insouciance par une danse vive et aérienne dans les parties enlevées de la partition musicale.

Après avoir fait rêver mais aussi réfléchir, la soirée se terminait avec cette lecture très simple et très poétique de mouvements qui écrivent à travers les époques récentes une page élégante de l’histoire de la danse.

 

 Maraxan © 2008, Dansomanie

 

 

Electric Counterpoint (Christopher Wheeldon)




11 mars 2008

Electric Counterpoint
Laura Morera, Deirdre Chapman,
 Ricardo Cervera, Martin Harvey

Afternoon of a Faun
Alexandra Ansanelli
, Ivan Putrov

Tzigane
Tamara Rojo, Carlos Acosta

A Month in the Country
Natalia Petrovna : Zenaida Yanowsky
Beliaev : Rupert Pennefather

Electric Counterpoint (Christopher Wheeldon)


Electric Counterpoint (Christopher Wheeldon)

 

Tzigane (George Bamanchine)

 

A Month in the Country (Frederick Ashton)