Le film qui paraîtra en
DVD et Blu-Ray le 9 mars 2018 chez Bel-Air Classiques a été
présenté en avant-première au public du Théâtre de Chaillot à
l'occasion du «Festival nordique» programmé par
l'institution parisienne à la mi-janvier. Il a été réalisé
durant l'été 2016 par Fredrik Stattin pour le compte de la
télévision suédoise et du producteur Ingmar Bergman Jr., fils du
célèbre cinéaste et de la philosophe Gunvor Haberg, sa troisième
épouse. La personnalité de Bergman Jr est peut-être à l'origine
du choix insolite du lieu principal de tournage : un hangar
d'aviation, situé sur l'ancienne base aérienne militaire de Bunge,
sur l'île de Gotland, au milieu de la Mer Baltique, qui sert
aujourd'hui d'aérodrome de loisir et de musée. Ingmar Bergman -
deuxième du nom – était en effet lui-même un ancien commandant
de bord. Voilà pour les références aéronautiques. Ingmar Bergman
père était, plus sérieusement, intimement lié à la danse,
puisque sa première compagne, Else Fisher, était ballerine et
chorégraphe.
Le DVD se compose de deux
parties : la première – un peu trop brève (49 minutes) -
présente quatre chorégraphies signées d'artistes suédois
contemporains, Alexander Ekman, Pär Isberg, Pontus Lidberg et Joakim
Stephenson, tandis que la seconde offre un bonus, assez conséquent,
de presque 40 minutes, autour des « coulisses du tournage ».
En fait, il s'agit d'un véritable documentaire qui nous emmène sur
les lieux où vécut Ingmar Bergman – sa maison à Fårö
ou dans les studios de «Filmstaden», la «Cinecittà»
scandinave. Il est complété par des plans tournés en répétition,
ainsi que des interviews des chorégraphes et des interprètes.
Le
quarteron de créateurs convoqués pour cette entreprise pour le
moins originale est représentatif du meilleur de la danse suédoise
actuelle. Manque néanmoins la figure tutélaire de Mats Ek. Cette
omission a de quoi surprendre, mais elle est peut-être toutefois
salutaire : les autres chorégraphes se sont ainsi affranchis du
risque de comparaisons oiseuses ou de jérémiades de fans énamourés
pour qui, justement, rien ni personne ne saurait être comparé au
«Maître» et à son œuvre. La rupture du cordon ombilical était
donc sans doute nécessaire.
Les
pièces à l'affiche sont tout à la fois proches et différentes.
Proches par leur caractère nordique affirmé, par le lieu unique de
représentation et par le sujet imposé aux participants à
l'exercice : évoquer la mémoire d'Ingmar Bergman. Différentes
par leur style et par la personnalité des chorégraphes. Pär
Isberg, né en 1955, fait figure d' «ancien», tandis que
Pontus Lidberg (1977), Joakim Stephenson et surtout Alexander Ekman
(1984) représentent la «jeune garde».

Some thoughts on Bergman and dance (chor. A. Ekman)
Some thoughts on
Bergman and dance est
conçue comme une introduction, dans laquelle Ekman nous fait
découvrir le lieu, l'espace qui sera utilisé par la suite et
s'autorise quelques réflexions générales sur les liens unissant le
cinéaste et l'art chorégraphique, tout en plaisantant avec le
public. Les parties vraiment dansées – de brefs soli exécutés
par Ekman lui-même – sont ici presque accessoires. Le contraste
est d'autant plus fort avec Samband - Bande –
Sarabande, qui suit. La
pièce de Pär Isberg est en fait un grand pas de deux de facture
néo-classique, qui s'étire sur presque vingt minutes. L'originalité
vient de la scénographie, inspirée des clichés contenus dans un
vieil album photo retrouvé chez Ingmar Bergman Jr. Un couple,
Bergman Senior et Gunvor Haberg, présume-t-on, sort d'un avion de
tourisme vêtus à la mode des années cinquante et s'abandonne
progressivement à des ébats d'un lyrisme débridé. Le fruit en
sera évoqué, à la toute fin, par l'apparition d'une voiturette à
pédales, jouet d'enfant découvert «par hasard» lors du tournage.
Dans son laïus liminaire, Ekman évoquait le caractère
«superfétatoire» de la musique lorsqu'elle accompagne la danse,
dans la mesure où la danse serait elle-même intrinsèquement
musique. Samband - Bande – Sarabande
le dément un peu, car sans les Suites pour
violoncelle solo de
Bach qui le portent, l'ouvrage de Pär Isberg perdrait une bonne
partie de sa force d'évocation.

Samband – Bande – Sarabande (chor. P. Isberg)
Une pré-Etude,
de Pontus Lidberg, est bien moins ambitieux. Cette brève ébauche de
cinq minutes évoque fugacement Ismaël Retzinsky, l'un des
personnages de Fanny et Alexandre,
l'ultime long-métrage d'Ingmar Bergman. Comme chez Ekman, la danse
stricto sensu
y est peu présente et c'est le chorégraphe qui est l'unique
interprète de sa création. Une voix distille quelques réflexions
d'ordre existentiel – autre réminiscence de Fanny
et Alexandre –,
tandis qu'un cheval, sous l'étroite surveillance de sa palefrenière,
accapare l'attention au détriment de la chorégraphie.
Onapers,
de Joakim Stephenson, qui conclut cette brève «tétralogie
bergmanienne», est conçue sur une échelle plus vaste, à l'instar
de Samband - Bande – Sarabande.
Contrairement à Une pré-Etude,
nous avons là une pièce aboutie, ancrée dès les premiers instants
dans l'univers d'Ingmar Bergman, avec une citation directe de l'un
des principaux chefs-d’œuvre du cinéaste suédois, Persona,
dont Stephenson recrée l'univers psychiatrique avec beaucoup
d'acuité. Et en filigrane, Mats Ek...

Onapers (chor. J. Stephenson)
Le
programme, intelligemment composé, est servi par une réalisation
soignée, tant pour les plans en intérieur que pour les séquences
captées en extérieur, pour la partie documentaire. En l'absence de
lecteur adéquat, nous n'avons pu évaluer la version Blu-ray de
cette production, qui offre à l'acquéreur une image de résolution
supérieure (full HD, selon la documentation de l'éditeur), mais
sans toutefois proposer de la vraie 4K. Attention, contrairement aux
indications données par certains distributeurs (Fnac notamment), le
DVD est encodé toutes zones (0) et non en zone 2 (Europe / Asie du
Sud-Est). Nos amis canadiens peuvent donc l'acquérir sans problème.
Romain Feist © 2018, Dansomanie