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Cinéma : Polina, Danser sa vie, un film de Valérie Müller et Angelin Preljocaj

16 novembre 2016 : Polina, de V. Müller et A. Preljocaj d'après la BD de Bastien Vivès


Déjà annoncé pour l'automne 2015, Polina, l'adaptation d'une bande dessinée à succès de Bastien Vivès parue en 2011, sort  finalement en salle le 16 novembre 2016. Co-réalisé par la cinéaste Valérie Müller et le chorégraphe Angelin Preljocaj, ce long-métrage fait appel à plusieurs stars du grand écran et de la danse, telles Juliette Binoche et Jérémie Bélingard. Mais ce sont les débuts cinématographiques de la jeune ballerine russe Anastasia Shevtsova dans le rôle-titre qui ont retenu toute l'attention des médias. Emergence d'un nouveau talent ou coup de com', Dansomanie vous livre deux avis contrastés pour vous aider à vous faire une opinion.



Polina


Adapté de la bande dessinée de Bastien Vivès sortie en 2011, Polina retrace la vie et les difficultés d'une danseuse russe, qui n'hésite pas à tourner le dos au Bolchoï pour suivre ses propres envies et ce, malgré les obstacles.

Polina est une jeune fille qui puise dans ses failles pour servir sa créativité. Le film devient alors un long chemin initiatique pour parvenir à ce but.

Pour son second long-métrage, co-réalisé avec son compagnon, le grand chorégraphe Angelin Preljocaj, Valérie Müller donne corps à Polina, qui devient un archétype de la danseuse. Née en Russie dans une famille modeste, entre une mère femme au foyer et un père qui doit des dettes à des truands, la jeune fille ne semble avoir que la danse dans la vie. «La danse, ça vient comme ça», dit-elle à Bojinski, son professeur tyrannique (quelque peu édulcoré par rapport à la BD). Sauf que Polina se démarque de ses consœurs, héroïnes de films sur la danse comme Victoria Page (The Red Shoes), Nina Sayers (Black Swan) ou Mademoiselle Beaupré (incarnée par la regrettée Yvette Chauviré) dans La Mort du cygne.

Polina


En effet, ici, la jeune danseuse n'est pas très douée. Pour le classique, tout du moins. Si vous attendez un ballet parfaitement exécuté, vous serez déçu. C'est tout juste si elle danse maladroitement une variation de Raymonda, filmée en plongée.

Exit donc le schéma classique. Ce qui intéresse Polina, c'est la liberté du mouvement, qu'elle ne décèle que dans le contemporain. Le parti pris est a priori intéressant et original.

Devenue adolescente, la danseuse laisse tomber le concours du Bolchoï pour partir avec son compagnon (le talentueux Niels Schneider) à Aix en Provence rejoindre une compagnie, menée par Liria Elsaj (Juliette Binoche).

Polina


C'est là que les choses se gâtent un peu. On le sait, l'actrice césarisée et oscarisée a un faible pour la danse (elle avait crée un spectacle en 2008, In I, avec Akram Khan au Théâtre de la Ville). Seulement, en alter-ego féminine d'Angelin Preljlocaj, qui construit ses œuvres chorégraphiques par «l'absence», Juliette Binoche est peu crédible. Le spectateur a même droit à un solo de sa part, qui enchantera les fans mais hérissera les balletomanes (c'est bien connu, au cinéma, pour feindre qu'une actrice danse, on ne filme que le haut du corps).

Cependant, si sa performance d'actrice est pleine de sensibilité, à l'image de celle de Niels Schneider ou Jérémie Belingard (très juste, bien que non professionnel), l'interprétation de l'héroïne principale, Anastasia Shevtsova laisse à désirer. C'est dommage, quand on voit le coup de crayon de Bastien Vivès qui accordait une place importante à son expressivité, et ce, à chaque planche de sa bande-dessinée.

Polina


Durant une grande partie du film, son visage demeure mono-expressif, et lorsque Liria l'exhorte à «regarder le monde» pour servir sa danse, ses yeux vides traduisent non pas son désespoir, mais son manque cruel de ténacité. C'est cela sans doute le problème majeur du film. Celui-ci aurait pu être une parabole sur la persévérance, évoquant le destin d'une jeune danseuse qui, par la force de son caractère, parvient à réaliser son rêve, mais il ne montre qu'une danseuse banale, qui ne parvient pas à saisir les chances qui s'offrent à elles tout au long de son parcours. Ce n'est qu'à la fin, lorsqu'elle se voit offrir par Karl (Jérémie Belingard), sur un plateau d'argent, la possibilité de participer à un festival, qu'elle réussit enfin à se libérer.

Polina


Certes, il est possible de voir dans la personnalité de Polina un aspect plus complexe et défendable : celle d'une artiste fière, déterminée, qui refuse toutes les opportunités—fussent-elles en or—, si elles ne correspondent pas à ses envies. Pour autant, l'interprétation de Shevtsova empêche toute forme d'empathie pour son personnage, et lorsqu'elle se retrouve malheureusement à la rue, le spectateur ne peut s'empêcher de lui assigner une part de responsabilité.

Malgré ses défauts, Polina est à voir pour les sublimes chorégraphies d'Angelin Preljocaj, notamment le pas de deux final entre la danseuse et Karl, qui clôt le film sur une note poétique et envoûtante.

Paola Dicelli © 2016, Dansomanie

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Le film Polina, dont la sortie en salle est prévue le 16 novembre - après avoir été annoncé en 2015 -, est une adaptation assez libre de la bande dessinée éponyme, publiée par Bastien Vivès chez Castermann en 2011. Celle-ci avait été un joli succès de librairie.

Le film, lui, est signé Valérie Müller et Angelin Preljocaj (mari et femme à la ville). Si le chorégraphe établi à Aix-en-Provence, où ont été tournés de nombreux plans de ce long-métrage, est bien connu des balletomanes, Valérie Müller n'a encore; de son côté, qu'une œuvre cinématographique relativement réduite à son actif (sa seule réalisation significative est Le Monde de Fred). Polina pourrait donc bien marquer le véritable départ de sa carrière dans le septième art. Le film bénéficie en tout cas d'une campagne promotionnelle importante, et devrait toucher un public allant bien au-delà des habituels aficionados de la danse classique. 

Polina


Le scénario de Polina s'écarte souvent assez sensiblement de la bande-dessinée qui l'a inspiré. A défaut d'en respecter la lettre, il souhaite toutefois en préserver l'esprit : pas de tutus blancs - des larmes, des échecs, des bars glauques... Voire.

Le film cherche tout d'abord à s'inscrire dans un cadre social. La danse classique, ce n'est pas (que) pour les gosses de riches. Une mélopée aux accents orientaux et un panoramique sur quelques immeubles tristounets datant de l'URSS de Brejnev sont censés nous plonger dans un milieu populaire, sur fond d'immigration. La communauté géorgienne, dont est issue Polina, n'a toutefois jamais été considérée comme «immigrée» en Russie, puisque issue d'un territoire intégré à l'ex-Empire soviétique, qui lui donna quelques dirigeants de plus ou moins sinistre mémoire : Staline, évidemment, et dans un registre moins sanglant, Edouard Chevardnadzé, ancien ministre des affaires étrangères de Mikhaïl Gorbatchev, avant d'accéder à la présidence de la Géorgie nouvellement indépendante. Et l'appartement cossu des parents de Polina n'a rien d'un gourbi prolétarien. Tropisme parisien de la réalisation? Boulevard Saint-Germain plutôt que Perspective Nevsky? On n'échappe pas non plus à quelques clichés : le papa de Polina fait un business douteux avec des Afghans pour payer les coûteuses études de danse de sa progéniture (la scolarité à l'Académie Vaganova et à l'école du Bolchoï est gratuite pour les citoyens russes, soit dit en passant), et se fait démolir son nid douillet sous les yeux de sa femme et de sa fille avec qui il faisait la fête en buvant et en chantant, parce qu'il n'a pas été tout à fait réglo avec ses employeurs mafieux. 

Polina


Toute la première partie du film est tournée en Russie, d'abord à Saint-Pétersbourg, puis à Moscou. Quelques plans ont été réalisés au Bolchoï, où Polina est supposée avoir été engagée, mais visiblement, les autorisations n'ont pas dû être simples à obtenir, vu la parcimonie des images retenues au montage. Là – encore naïve – Polina y fait la rencontre du bellâtre (français évidemment) de service, Adrien, alias Niels Schneider, auprès de qui elle découvre ce qu'elle croit être l'amour. Adrien la convainc alors de la suivre en France pour s'éclater à Aix-en-Provence. Ici, tout est plus cool qu'en Russie, on est au Club-Med et on va se baigner dans les calanques avec des maîtres(ses) de ballet super sympas - vive le soleil, fini la neige et les froidures moscovites. En plus, à Aix, on peut s'exprimer vraiment avec son corps, ce n'est pas comme en Russie, les chorégraphies poussiéreuses et l'éducation à la férule, les heures et les heures à répéter et à se faire rabaisser par des profs autoritaires et impitoyables. 

Polina


Et puis, il y a la musique, exit Tchaïkovski, place à la techno. La civilisation et ses progrès, enfin! Mais comme pour Adam et Eve, le «paradis» est fragile. Patatras, Polina se blesse au mauvais moment, alors que la maîtresse des lieux, Liria Elsaj (Aurélie Dupont, ça aurait été d'un banal...), venait de lui confier le rôle principal de son nouveau ballet. C'est une autre qui hérite de la place, tant sur scène qu'au lit, puisque ce garnement d'Adrien s'empresse de la plaquer pour batifoler avec la rivale – les mecs sont tous des salauds, air connu. Dépitée, Polina fait son baluchon, monte à Paris, se prend une claque, continue sur Anvers et Bruxelles, où la pluie n'est guère plus sympathique, et finit en serveuse de bar pour gagner sa croûte. 

Polina


Elle va se retrouver à la rue quand, coup de bol, elle croise Karl (Jérémie Bélingard, pas Paquette!), un chorégraphe fou de hip-hop et de street-art qui s'occupe de faire découvrir la danse aux djeunes de banlieue et qui cherche une colloc'. Le courant passe, Karl-Jérémie la convainc de se lancer vraiment dans la chorégraphie, malgré sa formation «trop classique». Polina flippe, bien sûr, et veut tout lâcher. In extremis, elle se rattrape aux branches. Le pas de deux qu'elle monte (répétitions «urban-style» sur les quais du port d'Anvers) sur le Concerto pour violon de Phil Glass (y-a-t-il un chorégraphe aujourd'hui qui pourrait éviter le «pape» de la musique minimaliste américaine?) finit par séduire un « producteur venu de Montpellier », qui s'apprêtait à lever le camp, exaspéré par les retards et les états d'âme de Polina.

Polina


Le film voulait éviter les clichés : ce ne sont certes plus ceux d'Odette Joyeux et de L'Age heureux, mais tous les poncifs d'aujourd'hui y passent, et le script est toujours parfaitement prévisible. L'album de Bastien Vivès était moins manichéen. Seule la fin surprend, et sauve le scénario. Contre toute attente, Polina est victime du mal du pays, se lasse de la vie occidentale, retrouve Moscou, un Moscou cette fois baigné d'une atmosphère bien plus romanesque, et renoue avec son ancien professeur, jadis autoritaire et qui apparaît maintenant bienveillant. 

Polina


Si le scénario déçoit un peu – mais pouvait-il en être autrement, tant il est difficile de concevoir une fiction sur la danse qui se destine d'abord à un public relativement jeune? – , Polina est en revanche bien filmé, et les images sont très belles, même si l'artifice est perceptible (un choix esthétique délibéré de la réalisatrice?). Les dialogues sont crédibles, et ont été de toute évidence supervisés par Angelin Preljocaj. Il en va de même pour les acteurs, à commencer par Juliette Binoche. Si la comédienne avait fait des débuts quelques peu controversés dans la danse, avec IN-I, d'Akram Khan, en 2008, au Théâtre de la Ville (les critiques avaient alors été pour la plupart très négatives), elle campe, dans Polina, une directrice de compagnie plus vraie que nature, cultivant une ressemblance physique absolument stupéfiante avec Marie-Claude Pietragalla. A tel point qu'en découvrant les images, on se demande si ce n'est pas l'étoile corse qui tient son propre rôle. De même, Nils Schneider a manifestement très sérieusement travaillé avec Angelin Preljocaj et sa gestuelle est (presque) celle d'un danseur professionnel (il se risque même à des portés). Angelin Preljocaj a d'ailleurs recruté l'acteur franco-canadien pour l'un de ses spectacles, Retour à Berratham, présenté au Théâtre de Chaillot à l'automne 2015 après sa création, l'été précédent, au Festival d'Avignon. 

Polina


La prestation la plus attendue de ceux qui sont déjà familiers de la danse reste néanmoins celle de Jérémie Bélingard, étoile au Ballet de l'Opéra de Paris. Pour qui le connaît, il se livre, plus vrai que nature, dans son rôle de «missionnaire de la danse» auprès de jeunes «issus de la diversité» - pour rester dans les stéréotypes du temps - , légèrement cabotin et désinvolte, jouant sur le registre du «grand-frère» bourru mais protecteur. Une complicité réelle est perceptible avec Anastasia Shevtsova, l'incarnation à l'écran de Polina. La jeune Russe, qui a réussi l'exploit d'apprendre le français en quelques mois pour les besoins du film, semble de son côté parfois encore un peu intimidée et trop «propre sur elle» pour jouer les post-ados en rupture de ban. La fin du film laisse planer l'incertitude : va-t-elle retourner définitivement en Russie, et réintégrer le Bolchoï en Cygne? La même incertitude se fait jour quant au futur d'Anastasia Shevtsova : actrice ou ballerine? Au vu du film, on peut penser qu'elle n'a pas définitivement arrêté son choix.


 

Romain Feist © 2016, Dansomanie

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Polina




Polina, Danser sa vie

Réalisation : Valérie Müller, Angelin Preljocaj
Scénario :
Valérie Müller d’après la bande dessinée Polina de Bastien Vivès
Producteurs : 
Didier Creste, Gaëlle Bayssière

Directeur de la photographie : Georges Lechaptois
Montage : Fabrice Rouaud, Guillaume Saignol
Décors : Toma Baqueni, Mila Preli
Casting : Sarah Teper, Leila Fournier
Directeurs de production : Camille de Chevigny, Mathieu Verhaeghe
Direction de post-production : Clara Vincienne
Costumes : Jurgen Doering
Ingénieurs du son : Jean-Luc Audy, Dana Farzanehpour
Montage son et mixage:  Daniel Sobrino
Musique originale : 79D
Assistante à la mise en scène : Amandine Escoffier
Scripts : Nadège Catenacci, Sébastien Louis

Durée : 1h48

Polina – Anastasia Shevtsova
Polina enfant – Veronika Zhovnytska
Adrien – Niels Schneider
Karl – Jérémie Bélingard
Liria Elsaj – Juliette Binoche
Bojinski – Aleksei Guskov
Sergio – Sergio Diaz
Anton – Miglen Mirtchev
Natalia – Kseniya Kutepova
Alex – Ambroise Divaret
Svetlana – Oriana Jímenez

Sortie en salle le 16 novembre 2016


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