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La Danseuse, un film de Stéphanie Di Giusto

Cinéma : La danseuse, la vie de Loïe Füller et Isadora Duncan rêvée par S. Di Giusto


Présenté au Festival de Cannes 2016 dans la sélection «Un certain regard», le film de Stéphanie di Giusto retrace le destin de Loïe Fuller, célèbre danseuse du début du XXème siècle, rapidement occultée par Isadora Duncan. Porté par un casting impeccable, La Danseuse est pleine de qualités, malgré un scénario parfois trop académique.



La danseuse


C'est en rêvant d'être comédienne que Loïe Fuller est arrivée à la danse. C'est sur scène que, pour surmonter un trac qui la paralysait, elle fit virevolter sa robe pour la première fois, esquissant sa célèbre danse serpentine. De ses débuts dans l'Illinois à son arrivée à Paris — où elle brilla aux Folies Bergères —, la réalisatrice montre la danseuse animée par la volonté de réussir, quitte à comparer son héroïne à une sportive de haut niveau, à travers des scènes pertinentes sur sa préparation physique. Même si elle se produisit à l'Opéra de Paris1 et que Rodin et Mallarmé chantèrent ses louanges, le souvenir de Loïe Fuller fut quelque peu occulté par celui d'Isadora Duncan, sa délicieuse concurrente.

La Danseuse


Mais plutôt que de se concentrer sur cette rivalité, Stéphanie di Giusto montre Fuller davantage comme un mentor, développant envers sa protégée un amour passionné et destructeur. En imposant Duncan, à la sensualité outrageuse, Loïe Fuller s'est brûlée les ailes, détruisant sa propre carrière pour se faire oublier du grand public.

La Danseuse


Le projet de la réalisatrice était donc de réhabiliter son héroïne. Par son casting, La Danseuse abolit toutefois ses ambitions scénaristiques. Ainsi, en choisissant Lily Rose Depp pour incarner Duncan, Stéphanie di Giusto éclipse involontairement la prestation pourtant impeccable de Soko (
Augustine, Bye Bye Blondie).

La Danseuse


De fait, la fille de Vanessa Paradis et Johnny Depp parvient à capter toute l'attention sur elle, écrasant pour la seconde fois Loïe Fuller, au destin décidément bien triste2. Qu'à cela ne tienne, les scènes de danse demeurent grandioses et extrêmement bien filmées, donnant à voir ce à quoi le spectateur de l'époque a pu assister. Par ailleurs, les séquences dans la forêt montrant Loïe Fuller avec ses danseuses, préparant un spectacle à l'Opéra de Paris [Le Lys de la vie, voir note1, ndlr], rappellent la poésie chorégraphique de Pina Bausch, clin d'oeil au sublime documentaire de Wim Wenders.

La Danseuse


Si la fin du long-métrage confère à l'héroïne une destinée bien plus glorieuse qu'au personnage réel,
La Danseuse est un premier film efficace, qui ne ravira pas que les amateurs de danse.


 

Paola Dicelli © 2016, Dansomanie



La Danseuse



1. Loïe Füller donnera une unique représentation à l'Opéra de Paris le 1er juillet 1920, à l'occasion d'un «gala roumain», en présence de la Reine Marie de Roumanie, protectrice, amie et confidente de la danseuse. On y représenta un ballet intitulé Le Lys de la vie, ballet qui fut filmé par Loïe Füller elle-même en tant que réalisatrice l'année suivante, mais avec une doublure pour la danse. Loïe Fuller confectionna elle-même les costumes du spectacle, mais la teinture artisanale employée conduisit à quelques déboires, comme le rapporte, dans un compte-rendu plutôt ironique, la revue Commœdia :

  Sur le plateau, il fait une chaleur tropicale. Rien de surprenant, nous sommes en plein Sahara ; heureusement, il y a quelques palmiers. Il y a même un dromadaire. Cet animal se comporte d'une façon très correcte. Il faut dire qu'il est en bois ; aussi ne risque-t-il pas de renverser la girl qui le chevauche avec des éclats de rire. Cette girl est vêtue en papillon.
    Au centre du plateau, il se passe des choses mystérieuses. Les machinistes se penchent au bord d'un trou. Vont-il boire au puits de l'Oasis? Non! ils disposent simplement une glace sans teint très épaisse sous laquelle deux projecteurs ouvrent leurs yeux éblouis.
    Un officier américain passe, la poitrine plus constellée de médailles que la devanture d'une baraque de pédicure forain. Malgré toutes ses décorations et tous ses galons, le major  Paul C. Turner est l'homme le plus affable et le plus courtois qui soit. Il a une figure enfantine et souriante et des yeux clairs qui regardent droit. C'est lui le «manager» (comme nous disons en français) de la troupe.
    The Lily of Life? C'est un conte de fées! Un jeune prince vient chercher sa fiancée, mais au moment des noces, il tombe malade ; il va mourir... Mais la princesse a lu dans un livre qu'il existe un lys miraculeux qui peut sauver son fiancé. Et la voilà parcourant le monde à la recherche de la fleur merveilleuse. Vous pensez bien qu'elle finit par la trouver après mille péripéties, et que le jeune prince, revenant à la vie, l'épouse à la fin du conte!
    C'est S. M. la reine de Roumanie qui a écrit le scénario, c'est Miss Loïe Füller qui a fait la mise en scène. Ce n'est pas une pantomime, c'est un ballet mêlé de chant. M. Stroesco, de l'Opéra-Comique, chantera le rôle du prince.
    La musique a été empruntée à divers auteurs : Debussy, Mendelssohn, Grieg, Tschaïkovsky [sic], Rimsky-Korsakoff, etc... Il y avait également une partie extraite de Wagner ; mais, comme on ne joue pas Wagner à l'Opéra, on a fait une coupure. C'est sur cette musique que Miss Loïe Füller a fait sa mise en scène...

    Dans la salle! Une voix autoritaire sort d'une housse de fauteuil et donne des ordres :  
«Ready, girls!» Miss Loïe Füller émerge de la housse dans laquelle elle s'est enveloppée.
­
–  Ce n'est pas une mise en scène ordinaire, où les personnages sont un peu sacrifiés au décor. Ici, le décor est secondaire. Il est d'une extrême simplicité, et j'ai porté tout mon soin sur les costumes et le groupement de mes personnages.
«La lumière sera la reine de la fête ; c'est elle qui aura le plus grand rôle. Enfin, j'estime que les accessoires ne doivent pas tenir la grande place qu'on leur donne. Au lieu d'un trône magnifique, prenez quelques bancs, des chaises, recouvrez-les d'un voile, sur lequel tombe une projection. Vous obtiendrez un très gros effet avec bien  peu de choses.
La pièce sera jouée demain au profit des blessés de guerre roumains et belges. Après quoi nous parcourerons le sud de la France en juillet et en août ; en septembre, nous irons en Angleterre.

    Sur la scène, le
«jeu du  voile» commence. On dirait un immense soufflet au fromage qui se gonfle et qui monte. Et sous ce voile qui s'agite mystérieusement comme une jatte de lait en ébulition, les girls jacassent et rient. Pouf! le soufflet crève. Il en sort un essaim de jolies femmes...

    En partant, nous rencontrons les figurantes qui sont des femmes du monde... (Chut! nous tairons les noms), et l'une d'elle [sic] regarde mélacoliquement son peignor de bain multicolore.
–  C'est très joli, ce costume, mais ça déteint! J'ai les jambes toutes vertes!

    Le plus terrible, c'est que ce fut peint à l'encre indélébile!
[André Rigaud, Commœdia, 1er juillet 1920]



La Danseuse

2.  Loïe Füller ne fut pas aussi oubliée que le film (qui reste une fiction) semble le suggérer. Pour le dixième anniversaire de sa mort, l'Opéra de Paris donna une série de représentations exceptionnelles d'un spectacle «en lumière noire» intitulé Fluorescences, monté par Gabrielle Bloch, dite Gab. Sorère, continuatrice de la compagnie de Loïe Füller après le décès de la danseuse en 1928. Gab. Sorère fut par ailleurs l'une des compagnes de la Füller à la vie. Gab. Sorère appraît, dans La Danseuse, sous les traits de Mélanie Thierry.
Au travers du personnage imaginaire de Louis (Gaspard Ulliel), Stéphanie di Giusto prête également à Loïe Füller un amant masculin, ce qui n'est, sur un strict plan historique, pas une absurdité, puisqu'elle compta très probablement parmi ses conquètes le futur roi Carol II de Roumanie. Carol était le fils ainé de Marie de Saxe-Cobourg-Gotha, la princesse puis reine de Roumanie - également éphémère compagne de la Füller - qui rédigea l'argument du Lys de la vie donné à l'Opéra de Paris en 1920 (cf. note 1).

La Danseuse


La première représentation de Fluorescences eut lieu au Palais Garnier le 9 février 1938, en même temps que Rigoletto (!) de Verdi. La seconde fut donnée le 11 février (avec Oriane et le Prince d'Amour de Florent Schmitt et Le Cantique des Cantiques d'Arthur Honegger). Le 18 et le 21 février 1938, Fluorescences fut à nouveau couplé à un opéra de Verdi, Othello cette fois, tandis que la dernière, le 28 février, eut lieu après une exécution de Coppélia.

Si le spectacle fut diversement apprécié par la critique (qui estimait généralement qu'un tel ouvrage avait davantage sa place au music-hall qu'à l'Opéra), il souleva en revanche l'enthousiasme des milieux artistiques, car c'était là la première utilisation à grande échelle des lampes à ultra-violets (ou «lumière noire»), qui n'étaient jusque-là qu'un gadget de laboratoire. Fluorescences fut d'ailleurs monté avec la coopération d'ingénieurs de la Compagnie des Lampes Mazda, qui commercialisait ces appareils en France et qui cherchait à en équiper massivement les salles de théâtre parisiennes. Le compositeur Arthur Honegger fut l'un des principaux promoteurs de cette innovation technologique mise au service du spectacle, et proposa même d'enregistrer une série de disques de musique spécialement adaptée aux 
«ballets de lumière».

Mais laissons le dernier mot à Gab. Sorère, qui, lors de la conférence de presse de présentation de Fluorescences déclara :

  Loîe Füller ne fut jamais, à proprement parler, une danseuse. Créatrice de lumières, ses apports au théâtre ont fourni toutes les idées et tous les procédés qu'utilisent aujourd'hui, non seulement les scènes de théâtre ou de music-hall, mais la rue elle-même, avec ses monuments éclairés par des projecteurs, comme on les voit depuis peu d'années. Elle allait au théâtre comme le savant va à son laboratoire, et il est certain que, vivante, elle eut adopté la lumière noire avant toute autre. 


Romain Feist

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La Danseuse




La Danseuse

Réalisation : Stéphanie Di Giusto
Scénario : 
Stéphanie Di Giusto et Sara Thibaud d'après Giovanni Lista
Producteurs : Alain Attal, Emma Javaux, Marie Jardillier
Producteur exécutif : Xavier Amblard

Directeur de la photographie : Benoît Debie
Chef monteur :  Géraldine Mangenot
Chef décorateur : Carlos Conti
Directrice du casting : Pascale Béraud
Directeur de production : Bruno Vatin
Chef costumier : Anaïs Romand
Ingénieur du son : Pierre Mertens
Ingénieur du son : Thomas Desjonqueres
Mixage : Eric Chevallier
Chorégraphie : Jody Sperling

Durée : 1h52

Loïe Fuller – Soko
Louis – Gaspard Ulliel
Gabrielle – Mélanie Thierry
Isadora Duncan – Lily-Rose Depp
Marchand – François Damiens
Armand – Louis-Do de Lencquesaing
Lili – Amanda Plummer
Ruben – Denis Ménochet

Sortie en salle le 28 septembre 2016


Les Productions du trésor / Wild Bunch Distribution


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