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Ballet du Bolchoï / Bel Air Classiques

Vidéo : Les Flammes de Paris (Alexeï Ratmansky) par le Ballet du Bolchoï


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Après Le Clair ruisseau et Le Boulon, un troisième ballet revisité par Alexeï Ratmansky, emblématique de la production chorégraphique d’avant la Grande Guerre Patriotique, nous arrive sous forme de vidéogramme, disponible simultanément au format DVD et au standard Blu Ray.

Avec ces Flammes de Paris version 2008, il n’est pas question d’une reconstitution fidèle du célèbre dram-ballet de Vassili Vainonen, créé à Saint-Pétersboug  en 1932, et qui, lui-même, subit divers remaniements jusqu’au début des années 1960. Afin de l’adapter au goût du public d’aujourd’hui, Alexeï Ratmansky a pris le risque délibéré de heurter les plus anciennes générations de balletomanes russes, attachés au strict respect de la tradition. Ainsi que le chorégraphe le souligne dans l’intéressant entretien qui complète le film, ce sont les jeunes qui ont réservé l’accueil le plus enthousiaste au revival des Flammes de Paris, tandis que leurs aînés se montraient nettement plus critiques en raison des libertés prises avec l’ouvrage originel. Néanmoins, M. Ratmansky ne s’est pas comporté en iconoclaste. Certes, les trois actes initiaux ont été condensés en deux, et la scénographie, belle et spectaculaire, a été entièrement refaite sous la houlette d’Ilya Utkin et Evguéni Monakhov, mais des scènes mythiques, telles le grand Pas de deux du second tableau, l’explosive «Danse des basques» et les ensembles patriotiques dansés sur l’air de la Carmagnole ont été fort heureusement préservées.

Alexeï Ratmansky s’est principalement attelé à gommer les aspects politiques un peu trop manichéens du livret de Nikolaï Volkov et de Vladimir Dimitriev. L’opposition frontale entre le peuple et l’aristocratie y est nuancée par l’introduction d’un nouveau personnage, Adeline, fille du Marquis Costa de Beauregard, caricature de nobliau, qui s’éprend du plébéien Jérôme, frère de Jeanne, incarnation de l’héroïne révolutionnaire. Ne voulant renier ni ses origines sociales ni son amour, elle sera vilipendée par une foule haineuse et menée sans autre forme de procès à la guillotine. Par la bande, Alexeï Ratmansky parvient à évoquer ainsi les exactions de la Terreur, tout en faisant basculer la fresque historico-politique vers un drame sentimental plus intime.

Dans Les Flammes de Paris, la musique peut être considérée – et c’est ainsi que l’a voulu le compositeur Boris Assafiev
comme un personnage, ou plutôt comme des personnages à part entière. La partition est conçue comme un collage de pages célèbres, empruntées à Cherubini, Méhul, Beethoven, Gossec, Lesueur, Grétry, Gluck et Lully, et réorchestrées. Les deux derniers compositeurs symbolisent, pour Assafiev, l’Ancien régime, académique et empesé (Armide, de Lully, est caricaturé pour servir de prétexte à une pompeuse scène de «théâtre dans le théâtre», à la cour de Versailles). Beethoven, au contraire, par les réminiscences de Fidelio et d’Egmont, incarne le peuple opprimé, retenu dans les geôles de la Bastille, avec Jeanne et Philippe dans les rôles de Léonore et de Florestan, tandis que le grotesque Marquis de Beauregard jouerait les Pizzaro d’opérette.

Méhul est selon Assafiev le musicien révolutionnaire par excellence, propre à exalter les ardeurs guerrières. Curieusement, ce n’est pas le Chant du départ qui sera retenu, mais l’ouverture de La Chasse du jeune Henri. L’ouvrage, qui retraçait un épisode de la vie d’Henri IV, fut vertement critiqué lors sa création à l’Opéra-comique en 1797, au motif qu’il montrait un Bourbon sous un jour trop favorable… Alexeï Ratmansky, dans sa nouvelle lecture des Flammes de Paris, exploite assez habilement ce paradoxe, en utilisant la pièce de Méhul comme support d’une scène de chasse chez Costa de Beauregard – l’aristocrate -, chasse dont on comprend assez vite que le gibier sera humain : Jeanne, la femme du peuple, capturée et violée à la hussarde.

Luigi Cherubini, l’un des pères fondateurs – encore un paradoxe – du grand opéra français de l’ère romantique, est pour sa part mis à contribution pour le pas de deux lyrique d’Adeline et de Jérôme, devenus amants, au début du second acte, avec pour fond sonore, l’air de Néris «Ah! Nos peines seront communes», emprunté à Médée.

Enfin, chez Ratmansky comme chez Vainonen, les mouvements de foule conçus – dernier oxymore pour une fresque héroïque et laïque - un peu à l’image des «turbae» de la Passion selon Saint-Mathieu de Bach, sont illustrés par Ah ça ira, ça ira…, la Carmagnole et évidemment la Marseillaise.

L’énumération de toutes ces références peut sembler fastidieuse, mais elle prend son sens lorsqu’on relit les notes d’intention publiées par Boris Assafiev lui-même en 1933 et 1934 : le compositeur, également éminent musicologue, voulait explicitement faire des Flammes de Paris une véritable leçon d’histoire de la musique, en réhabilitant des auteurs alors totalement inconnus en Russie. Il est vrai que Méhul, Gossec ou Lesueur jouissaient, dans les années 1930, d’une faveur guère plus grande dans leur France natale.

Pour la présente captation vidéo, réalisée à Moscou en mars 2010, le Bolchoï a logiquement confié les rôles principaux à Natalia Ossipova (Jeanne) et surtout Ivan Vassiliev (Philippe), probablement le seul danseur de la compagnie à pouvoir aujourd’hui assumer l’héritage de Vakhtang Chaboukiani  lorsqu’il s’agit d’aborder le style héroïque propre aux chorégraphies de l’époque soviétique.

Mlle Ossipova et M. Vassiliev (dont les fabuleux tours en l’air, ici parfaitement justifiés, laissent pantois) réalisent une formidable performance, qui tient en haleine le spectateur du premier au dernier pas. Les ressources de ces deux artistes semblent inépuisables, leur dépense d’énergie incroyable. Jamais ils ne ménagent leur force, et l’engagement physique de Ivan Vassiliev est tel qu’il achève, sans trahir de souffrance, sa prestation avec blessure au genou gauche (un œil attentif décèlera sur son collant une trace de sang bien visible au moment des saluts…). Bravoure, quand tu nous tiens…

Adeline et Jérôme, personnifiés  respectivement par Nina Kaptsova – délicieuse – et l’excellent Denis Savin, forment un couple plus lyrique, qui vient tempérer la débauche d’énergie qui caractérisant Natalia Ossipova et Ivan Vassiliev.

Anna Antonicheva est une Mireille de Poitiers / Armide de haute stature, à la beauté rayonnante, mais dont les équilibres manquent parfois un peu de fermeté, tandis que Russlan Skvortsov peut faire valoir ses talents de comédien dans le rôle du dramaturge Antoine Mistral. On louera également le mime de Youri Klevtsov, Beauregard bouffi et haïssable à souhait.

Dans la fosse, Pavel Sorokin conduit l’orchestre du Bolchoï avec fermeté – quels beaux cuivres dans la Chasse du jeune Henri! – sans se laisser aller aux excès martiaux que pouvait susciter le pot-pourri révolutionnaire concocté par Boris Assafiev.

La réalisation vidéo due à Vincent Bataillon est sans chichis, et va à l’essentiel. On voit tout ce qu’il faut voir, sans jamais qu’un pied, une main ne fassent les frais d’un cadrage malheureux. Fort à propos, la part belle est faite aux plans larges, qui permettent d’apprécier le beau travail d’ensemble accompli par le corps de ballet du Bolchoï. Seuls petits regrets, une définition de l’image qui aurait pu être meilleure (nous n’avons pu, faute d’équipement adéquat, tester le Blu-Ray, pour savoir si ce support offrait une réelle plus-value visuelle), quelques raccords hésitants entre deux plages, et un livret qu’on aurait aimé plus étoffé.

Hormis ces péchés véniels, nous tenons là une production de très haute volée, que tout ballettomane se doit de posséder dans sa vidéothèque.


 

Romain Feist © 2010, Dansomanie

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Les Flammes de Paris
Chorégraphie : Alexeï Ratmansky, d'après Vassili Vainonen
Argument : Alexander Belinsky & Alexeï Ratmansky
Musique : Boris Assafiev

Scénographie :  Ilya Utkin & Evguéni Monakhov
Costumes :  Yelena Markovskaya
Lumières : Damir Ismagilov
Dramaturgie : Youri Burlaka

Jeanne – Natalia Ossipova
Jérôme, son frère – Denis Savin
Philippe, un Marseillais  –  Ivan Vassiliev
Le Marquis Costa de Beauregard –  Youri Klevtsov
Adeline, sa fille –  Nina Kaptsova
Mireille de Poitiers, une comédienne –  Anna Antonicheva
Antoine Mistral, un comédien –  Russlan Skvortsov

Ballet du Bolchoï, Moscou
Orchestre du Bolchoï, dir. Pavel Sorokin

1 DVD (réf. BAC 062) et un Blu-Ray (réf. BAC 462) Bel Air Classiques
Durée : 103 mn  + 20 mn (bonus)
Réalisation : Vincent Bataillon
Enregistré à Moscou en mars 2010
Prix public : 30 € (DVD) - 37 € (Blu-Ray)


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