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critiques et comptes rendus
Excelsior revisité au Théâtre National de Chaillot

15 octobre 2020 : Excelsior (Salvo Lombardo) au Théâtre National de Chaillot (Paris) 


Excelsior (chor. Salvo Lombardo)


En 1881, Excelsior, ballet à grand spectacle de Luigi Manzotti, était créé à Milan pour l'ouverture de l'Exposition Universelle. Ce divertissement allégorique célébrait la victoire de la lumière sur l'obscurantisme, la fierté d'une toute jeune nation italienne et une foi indéfectible dans le pouvoir de la science et des conquêtes techniques pour atteindre la paix universelle.

En 2020, à en pleine pandémie et à quelques heures de l'entrée en vigueur du couvre-feu à Paris, cet optimisme béat prêterait presque à sourire au moment de découvrir au Théâtre de Chaillot la relecture d'Excelsior par le chorégraphe italien Salvo Lombardo, un détournement de l'original aux accents anarchistes et altermondialistes.

Excelsior
Excelsior (chor. Salvo Lombardo)

En guise d'introduction, une voix récite la note d'intention de Luigi Manzotti: ce texte pris au premier degré devait impressionner les spectateurs de 1881, ici, il devient objet de dérision. Un montage d'images d'archives, de vidéos d'actualités, de publicités ou encore de clips projeté sur le rideau de scène vient souligner le propos et dénoncent les prétentions à la supériorité de la civilisation occidentale, depuis les bonnes intentions des colonisateurs jusqu'à l'interventionnisme au Moyen-Orient, en passant par la représentation de l'Autre dans la culture (blackface, Mamma dans Autant en emporte le vent), des stéréotypes qui irriguent encore de nos jours la culture populaire (spots de marques de luxe ou rap).

Excelsior
Excelsior (chor. Salvo Lombardo)

Faute d'une connaissance préalable de l'Excelsior princeps ou de son revival des années 70 toujours au répertoire de la Scala, on restera peut-être interloqué par ce qui suit. Les sept spécimen d'humanité plutôt gratinés mis en scène par Salvo Lombardo semblent tout droit sortis d'une émission de télé-réalité trash. Ils sont les lointains descendants des personnages allégoriques ou des archétypes des versions précédentes: la Civilisation affublée d'un top à croix rouge, l'Obscurantisme (?), drag queen avec un t-shirt siglé Odile (clin d'œil au Lac des cygnes) et la Lumière, une ménagère fatiguée qui se prend pour Barbie, l'Empire Colonial britannique, un grand escogriffe plutôt sympathique, mais pas très malin, le Colon, représenté par un touriste en short et marcel ou encore le Progrès, grimé en Lara Croft. Je ne garantis pas d'avoir tout compris, mais ils me sont apparus comme le symbole du déclin irréversible de l'Europe, au fil des différents tableaux plus animés que dansés.

On se perd un peu dans les messages, et, par moment, se manifeste un soupçon de politiquement incorrect. A la fin de la première séquence, nos Tuches se produisent dans un grand concert caritatif pour le Tiers Monde, présenté comme un avatar moderne et méprisable du sentiment colonialiste. Plus tard, dans une jungle de pacotille constituée de plantes d'intérieur, les solistes déambulent, se trémoussent de manière lascive, comme sont supposés le faire les indigènes dans l'imagerie colonialiste, sur un rap aux paroles très explicites. L'Occident corrompt donc tout ce qu'il touche: le rap, émanation de la culture afro-américaine, est synonyme d'avilissement de la femme.

Excelsior
Excelsior (chor. Salvo Lombardo)

A d'autres moment, les solistes sont rejoints par un petit corps de ballet, sept jeunes danseurs du CNSMD: ces purs produits de la culture «classique» masqués (sans doute pour des raisons sanitaires, mais c'est assez symbolique) se voient offrir les seuls passages véritablement chorégraphiés, comme une respiration dans cette laideur universelle. Et si finalement, le monde du premier Excelsior n'était pas meilleur que celui de l'Excelsior 2020? C'est une conclusion assez étonnante (mais ce n'est peut-être que la mienne) si on se fie aux intentions exprimées par le chorégraphe.

Le rideau se ferme, une dernière vidéo nous montre une meute de loups (ceux qui nous dirigent? les populistes?) déchiquetant le drapeau italien (bien malmené tout au long de la représentation), tandis qu'en transparence les danseurs nus forment une sorte d'amas de corps, tel un charnier.

Les amateurs de belle danse ne seront pas comblés par cet Excelsior, qui, dans le style, fait un peu penser au travail de Jérôme Bel. Néanmoins, la pièce présente un intérêt d'un point de vue socio-politique et réussit à intriguer le spectateur en le faisant s'interroger sur les véritables intentions de son créateur.


Anne-Claire Bohly © 2020, Dansomanie


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Excelsior
Excelsior (chor. Salvo Lombardo)


Excelsior

Musique : Fabrizio Alviti
Chorégraphie : Salvo Lombardo
Mise en scène : Salvo Lombardo
Scénographie : Ernest Pignon Ernest
Lumières / Vidéo :
Daniele Spanò, Luca Brinchi
Costumes : Chiara Defant


Avec : Jaskaran Anand, Cesare Benedetti, Lucia Cammaller
Leonardo Diana, Fabritia D’Intino, Giuseppe Vincent Giampino, Daria Greco
Elèves du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP)



Musique enregistrée

Jeudi 15 octobre 2020, Théâtre National de Chaillot, Paris


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