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critiques et comptes rendus
Ballet de l'Opéra National de Bordeaux

27 octobre 2019 : «Grands chorégraphes du XXIe siècle» au Ballet de Bordeaux



Obsidian Tear (chor. Wayne McGregor)


Ce programme intitulé «Grand chorégraphes du XXIème siècle» affiche trois chorégraphes contemporains, de trois générations différentes, mais qui sont parmi les plus en vogue du moment. Réunir ces trois noms est un gage de succès pour le Ballet de Bordeaux et il semble bien que le public a répondu en force. Ces trois entrées au répertoire affirment de toute évidence une volonté de s'ancrer dans la modernité la plus actuelle.


Les trois pièces choisies nous plongent dans des atmosphères radicalement différentes. McGregor nous entraîne d'emblée avec Obsidian Tear dans une aventure mystérieuse et captivante de bout en bout. Conçue pour neuf danseurs masculins, sur la musique expressive et envoûtante de Esa-Pekka Salonen, que l'on regrette d'entendre à travers une bande enregistrée, la pièce s'inspire de manière très imagée des propriétés de la pierre d'obsidienne. Pouvant être plus tranchante que le verre, cette roche volcanique aux sombres reflets chatoyants proviendrait selon la légende des larmes versées sur les combattants amérindiens, préférant se jeter dans le vide plutôt que de se soumettre aux envahisseurs.

Obsidian Tear (chor. Wayne McGregor)

Elle débute par un long duo sur la chaconne pour violon Lachen verlernt. Neven Ritmanic, et Ashley Whittle, torse nu, pantalon rouge contre pantalon noir, se livrent à un véritable duel, un combat acharné où l'on se défie avec morgue. Ils ne semblent pas à égalité, suggérant par moments un rapport de maître à élève. Le groupe de sept danseurs les rejoint, en différentes tenues noires, parmi lesquels se distingue Oleg Rogachev, dont le rôle semble osciller entre le chef de tribu et le grand-prêtre. Les évolutions d'ensemble s'accordent avec fluidité et naturel au poème symphonique Nyx de Salonen. De par la position particulière de Neven Ritmanic face au groupe, on pense inévitablement à l'Elu du Sacre du printemps, d'autant plus qu'il y a ici aussi un sacrifice. Mais l'aspect rituel de la narration reste le plus souvent diffus. Vers la fin une marque noire barre la poitrine du banni, comme la trace d'une déchirure (double sens de "tear"). Cette déchirure, peut-être le signe d'une douleur intérieure, est sans doute insupportable, puisqu'elle se résoudra par la chute au fond de la scène dans la lumière rougeoyante évoquant la lave volcanique.


Cette pièce d'une intensité peu commune de par la puissance qu'elle dégage et les multiples interrogations qu'elle suscite, est admirablement défendue par les danseurs bordelais, qui ont su chacun trouver le juste équilibre entre énergie collective et expression individuelle.


Ghost
Ghost (chor. Angelin Preljocaj)

On change complètement de registre avec la courte pièce d'Angelin Preljocaj, Ghost, pour quatre danseuses et un danseur. Le chorégraphe répondait en 2018 à une commande du festival Diaghilev de Saint-Pétersbourg, à l'occasion du bicentenaire de la naissance de Marius Petipa. Hommage nonchalant ou évocation pince-sans-rire, la pièce est aussi la première coproduction du Ballet Preljocaj et de l'Opéra National de Bordeaux depuis leur association récente. On a eu la chance de la voir dans sa conception première, c'est-à-dire réunissant deux danseuses ainsi que le jeune Antoine Dubois du Ballet Preljocaj, et deux danseuses de Bordeaux.

Le propos du chorégraphe repose sur une équivoque quelque peu malicieuse. Le fantôme du titre est-il celui de Petipa qui plane de son ombre tutélaire sur toutes les générations successives de danseurs qui abordent avec déférence ses grands ballets académiques? Ou bien à l'inverse, est-ce le chorégraphe lui-même qui est hanté sans repos par ses créations, passées ou à venir? La tendance récurrente de Preljocaj à se projeter dans ses ballets nous ferait pencher pour la deuxième hypothèse.

Ghost
Ghost (chor. Angelin Preljocaj)

Il n'y a pas de hiatus technique visible entre les quatre danseuses qui évoluent sur pointes, fait peu habituel chez Preljocaj. Arborant un tutu blanc par dessus une lingerie fine rouge vif, elles commencent par des mouvements de bras en position assise, semblant prendre leur leçon, pendant que le danseur est allongé inerte au sol sur un côté de la scène. Il se réveille enfin pour corriger les placements des danseuses, qui lui paraissent sans doute peu académiques. Puis en guise de démonstration il se lance dans une brillante variation sur l'intrada du cygne noir, du Lac des cygnes. Suscitant finalement peu de réaction de la part de ses spectatrices, il retourne à son sommeil plein de rêves, restant allongé pendant que les danseuses poursuivent leur danse alanguie. La pièce est plaisante, divertissante. Elle parait cependant assez anodine après l'œuvre en coup de poing de McGregor.


Cacti
Cacti (chor. Alexander Ekman)

Avec Cacti d'Alexandre Ekman, l'atmosphère devient plus délurée. Cacti est le premier grand succès du chorégraphe suédois et est demandé un peu partout, sans doute à cause de la bonne humeur qu'il dégage. Contrairement aux deux pièces précédentes, sans véritable décor, et nécessitant un nombre limité de danseurs, voici un corps de ballet complet, seize danseurs, et une scénographie savante. Les danseurs sont tout d'abord juchés sur seize estrades en bois, qu'ils frappent énergiquement en rythme puis les empilent de manière chaotique. Présent sur scène, le quatuor Prométhée - des membres de l'Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine -, joue des extraits de quatuors classiques, malheureusement amplifiés (est-ce vraiment nécessaire au théâtre de Bordeaux?). Un pas de deux déjanté réunit Anna Guého et Guillaume Debut sur Haydn, tandis qu'en voix off on entend leur dialogue supposé. Hilarité garantie. Les cactus du titre apparaissent enfin, posés sur les carrés de bois (image du danseur qu'il faut manier avec précaution?).

Tout est très débridé, sans longueur inutile et sans baisse de tension. Dans une pièce où il ne faut pas avoir peur d'en faire trop, tout en respectant une parfaite coordination, le Ballet de Bordeaux met beaucoup de vie, d'exubérance. On applaudit le cœur content.


Jean-Marc Jacquin © 2019, Dansomanie



Note : les photographies d'illustration ne correspondent que partiellement à la distribution chroniquée. Nous nous en excusons auprès des artistes concernés.




Obsidian Tear
Chorégraphie et scénographie : Wayne McGregor
Musique : Esa-Pekka Salonen
Dramaturgie : Uzma Hameed
Costumes : Katie Schillingford
Lumières : Lucy Carter

Avec : Kase Craig, Guillaume Debut, Pierre Devaux, Riku Ota, Alvaro Rodriguez Piñera
Neven Ritmanic, Oleg Rogachev, Ashley Whittle, Marc-Emmanuel Zanoli

Ghost
Chorégraphie : Angelin Preljocaj
Musique : Piotr Iliytch Tchaïkovski, Eddie Cooley et Otis Blackwell, 79D
Costumes : 
Marie Blaudie
Lumières : Eric Soyer

Avec : Alice Leloup, Anna Guého, Mirea Delogu, Nuriya Nagimova, Antoine Dubois

Cacti
Chorégraphie, scénographie et costumes : Alexander Ekman
Musique : d’Antonio Vivaldi, Evelyn Ficarra,, Serge Morand
Robert Normandeau, Äke Parmerud
Scénographie : Maya Schweizer
Costumes : Hervé Pierre
Lumières : Mark Stanley

Avec : Hélène Bernadou, Anna Guého, Natalia Butragueño, Marini da Silva Vianna
Alice Leloup, Marina Guizien, Clara Spitz, Mélissa Patriarche
 Alexandre Gontcharouk, Kase Craig, Guillaume Debut, Diego Lima, Pierre Devaux, Ryota Hasegawa
Riku Ota, Marc-Emmanuel Zanoli, Marini da Silva Vianna, Riku Ota



Ballet de l'Opéra National de Bordeaux
Musique enregistrée
Quatuor Prométhée (Cacti)

Dimanche 27 octobre (15h00) 2019,  Grand Théâtre de Bordeaux


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