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critiques et comptes rendus
Ballet du Capitole de Toulouse

23 & 24 octobre 2019 : «Joyaux francais» - Serge Lifar


Natalia de Froberville et Rouslan Savdenov dans Suite en blanc


Les quatre nominations au titre prestigieux d'Etoile ont la saison dernière attiré les regards vers le Ballet du Capitole. On remerciait jusque là la compagnie toulousaine de rester une des rares à perpétuer la tradition de la danse classique à un haut niveau, et on louait son répertoire riche et varié. Ces nominations de quatre personnalités au charisme certain à un titre naguère réservé à l’Opéra de Paris ont permis de mettre en lumière les qualités des solistes. Plus largement et sans s’attacher aux titres et aux grades, on pourrait parfaitement mettre au défi quelque historien passionné de rechercher dans la longue histoire du Ballet du Capitole une autre période où la compagnie a pu présenter comme actuellement un tel rassemblement de solistes de première valeur, formés aux meilleures écoles de Russie, d'Ukraine, du Kazakhstan, de Cuba, et du Japon, sans oublier la France. Un tel capital ne demande qu'à être exploité et le temps était donc venu de se confronter à une œuvre aussi exigeante que la Suite en blanc, ballet souvent présenté comme une parade d’étoiles, sa succession de variations ayant été pensée pour Lifar lui-même et pour un trio de danseuses de légende, Solange Schwartz, Lycette Darsonval et Yvette Chauviré, qui ont fait la gloire de l’Opéra de Paris.

Suite en blanc (chor. Serge Lifar)

Suite en blanc
a été aussi conçu par Serge Lifar comme une somme résumant à la fois la danse académique française, et son héritage néoclassique dont il était si fier. En ce sens, le travail du corps de ballet n’est pas à négliger et c’est souvent lui qui souligne l’expression d’ensemble. Les positions déhanchées-décalées et les jeux de bras, tout en courbes, sont notamment la marque de fabrique du style Lifar et forment un indispensable décor mouvant. Charles Jude et Stéphanie Roublot ont veillé avec soin à sa mise en place. Les danseurs du Capitole font merveille dans les tableaux arrêtés, l’éblouissant lever de rideau ne souffrant aucune faute de placement.

Plusieurs distributions étaient proposées, parmi lesquelles nous retiendrons les pointes acérées d’Alexandra Surodeeva, danseuse au jeu d’épaulements si subtil dans le pas de trois, et si malicieuse dans la Flûte. Tiphaine Prévost est en train de devenir une valeur sûre de la troupe toulousaine. La virtuose, piquante et précise, multiplie les tours dans la Sérénade. Dans la mazurka, Ramiro Gómez Samón allonge le mouvement et ajoute une certaine douceur moelleuse à ses belles envolées. Quant à la magnifique Cigarette de Natalia de Froberville, elle rejoint les grandes interprétations de cette variation célèbre.

Natalia de Froberville dans Suite en blanc

Dans la fosse, l’Orchestre du Capitole au grand complet s’en donne à cœur joie, caressant les mélodies de timbres de la partition de Lalo, notamment dans la spectaculaire fresque marine qu’est l’ouverture.


Entrée au répertoire du Ballet du Capitole il y a exactement cinq ans, la féerie chorégraphique qu’est Les Mirages avait pu quelque peu déconcerter le public toulousain qui n’y avait vu alors qu’un roman d’aventures au pays des songes. Il est vrai que ce genre de ballets métaphoriques n’a plus cours de nos jours, la chorégraphie contemporaine lui préférant largement un symbolisme plus conceptuel.

Le livret de Lifar et Cassandre (ce dernier auteur également des décors et costumes) s’inspire de loin de la Nuit de décembre, d'Alfred de Musset. Le héros, au bout de chaque épisode de sa vie se retrouve seul face à son Ombre, son double, sa conscience, son âme, sa solitude. Plusieurs lectures sont laissées à la liberté du spectateur. Mais l’apparition au lever du soleil de paysans en silhouettes, dans un somptueux tableau final en apothéose musicale, nous renvoie à notre humaine condition.

les Mirages (chor. Serge Lifar)

Il faut préciser que l’interprétation qu’en donne le Ballet du Capitole diffère sensiblement de celle qu’on pouvait voir, il y a trop longtemps maintenant, à l’Opéra de Paris. Loin de la demi-teinte allégorique, les tableaux toulousains semblent plus présents et d’une certaine façon plus vivants. Après la scène du lever de la lune, poétique et hiératique (superbe Juliette Thélin), le protagoniste principal (le Jeune Homme) va déployer une palette d’expressions au fil de ses rencontres. Il poursuit la Chimère, femme-oiseau insaisissable. Il négocie avec le Marchand. Il rit avec les Courtisanes, il aime la Femme et il pleure sa disparition.

Davit Galstyan et Ramiro Gómez Samón se partagent ce rôle difficile. Le premier a approfondi les différentes facettes du personnage depuis 2014. Ramiro Gómez Samón, malgré quelques chutes de tension, est un Jeune Homme plus rêveur, et irréprochable sur le plan technique.

Davit Galstyan (Le Jeune Homme), Alexandra Surodeeva (La Femme) dans les Mirages

Le rôle écrasant de l’Ombre, extraordinaire composition lifarienne, est endossé tour à tour par Natalia de Froberville et Julie Charlet. Les deux étoiles féminines ont travaillé le rôle avec Monique Loudières, qui elle-même le tenait de Chauviré. Julie Charlet est parfaite sur le plan dramatique, et spectaculaire sur les portés doigt tendu. Natalia de Froberville emporte tous les suffrages au moment de sa longue et complexe variation avec ses incessants changements d’axe. A nouveau on remarque la danse lumineuse et désincarnée d’Alexandra Surodeeva dans le personnage de la Femme. Sans doute une étoile en puissance.
 
S’il faut émettre un regret après cette splendide réussite, c’est celui de la programmation pendant les congés scolaires, qui a pu priver le jeune public, si important dans la métropole toulousaine, d’une découverte mémorable.




Jean-Marc Jacquin © 2019, Dansomanie

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Joyaux français album
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Suite en blanc
Musique : Edouard Lalo
Décors et costumes : Maurice Moulène
Lumières : Yves Bernard
Ballet remonté par Stéphanie Roublot et Charles Jude


La Sieste
 Sofia Caminiti (23/10) / Florencia Chinellato (24/10)
Solène Monnereau, Juliette Thélin
Thème varié
Alexandra Surodeeva / Tiphaine Prévost, Timofiy Bykovets (23/10)
Minoru Kaneko (23/10) / Matteo Manzoni (24/10), Philippe Solano (24/10)
La Sérénade  Tiphaine Prévost (23/10) / Julie Charlet (24/10)
Pas de Cinq  Kayo Nakazato, Eneko Amoros Zaragoza (23/10), Amaury Barreras Lapinet (23/10)
Matteo Manzoni (23/10), Philippe Solano (23/10) / Timofiy Bykovets (24/10)
Simon Catonnet (24/10), Baptiste Claudon (24/10), Minoru Kaneko (24/10)
La Cigarette Natalia de Froberville (23/10) / Julie Charlet (24/10)
Mazurka  Ramiro Gómez Samón (24/10) / Davit Galstyan  (24/10)
Adage Natalia de Froberville (23/10), Rouslan Savdenov (23/10)
Alexandra Surodeeva (24/10), Alexandre De Oliveira Ferreira (24/10)
La Flûte Florencia Chinellato (23/10) / Alexandra Surodeeva (24/10)
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Les Mirages
Musique : Henri Sauguet
Chorégraphie : Serge Lifar
Argument : Adolphe Mouron dit Cassandre, Serge Lifar
Décors et costumes : Adolphe Mouron dit Cassandre
Lumières :  Yves Bernard
Ballet remonté par Monique Loudières et Kader Belarbi
Conseillère artistique : Claude Bessy
Conseiller décors et costumes : Philippe Binot

L’Ombre
 Julie Charlet (23/10) / Natalia de Froberville (24/10)
Le Jeune homme  Davit Galstyan (23/10) / Ramiro Gómez Samón (24/10)
La Femme Alexandra Surodeeva (23/10) / Florencia Chinellato (24/10)
La Chimère Tiphaine Prévost (23/10) / Kayo Nakazato (24/10)
Le Marchand Rouslan Savdenov (23/10) / Minoru Kaneko (24/10)
La Lune – Juliette Thélin (23/10) / Solène Monnereau  (24/10)



Jonas Vitaud, piano
Ballet du  Capitole de Toulouse
Orchestre du Capitole de Toulouse, dir. Philippe Bérand

Mercredi 23 et  jeudi 24 octobre 2019,  Théâtre du Capitole, Toulouse


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