Les
quatre nominations au titre prestigieux d'Etoile ont la saison
dernière attiré les regards vers le Ballet du Capitole.
On remerciait jusque là la compagnie toulousaine de rester une
des rares à perpétuer la tradition de la danse classique
à un haut niveau, et on louait son répertoire riche et
varié. Ces nominations de quatre personnalités au
charisme certain à un titre naguère réservé
à l’Opéra de Paris ont permis de mettre en
lumière les qualités des solistes. Plus largement et sans
s’attacher aux titres et aux grades, on pourrait parfaitement
mettre au défi quelque historien passionné de rechercher
dans la longue histoire du Ballet du Capitole une autre période
où la compagnie a pu présenter comme actuellement un tel
rassemblement de solistes de première valeur, formés aux
meilleures écoles de Russie, d'Ukraine, du Kazakhstan, de Cuba,
et du Japon, sans oublier la France. Un tel capital ne demande
qu'à être exploité et le temps était donc
venu de se confronter à une œuvre aussi exigeante que la
Suite en blanc,
ballet souvent présenté comme une parade
d’étoiles, sa succession de variations ayant
été pensée pour Lifar lui-même et pour un
trio de danseuses de légende, Solange Schwartz, Lycette
Darsonval et Yvette Chauviré, qui ont fait la gloire de
l’Opéra de Paris.
Suite en blanc (chor. Serge Lifar)
Suite en blanc a été aussi conçu par Serge
Lifar comme une somme résumant à la fois la danse
académique française, et son héritage
néoclassique dont il était si fier. En ce sens, le
travail du corps de ballet n’est pas à négliger et
c’est souvent lui qui souligne l’expression
d’ensemble. Les positions
déhanchées-décalées et les jeux de bras,
tout en courbes, sont notamment la marque de fabrique du style Lifar et
forment un indispensable décor mouvant. Charles Jude et
Stéphanie Roublot ont veillé avec soin à sa mise
en place. Les danseurs du Capitole font merveille dans les tableaux
arrêtés, l’éblouissant lever de rideau ne
souffrant aucune faute de placement.
Plusieurs distributions étaient proposées, parmi
lesquelles nous retiendrons les pointes acérées
d’Alexandra Surodeeva, danseuse au jeu d’épaulements
si subtil dans le pas de trois, et si malicieuse dans la Flûte.
Tiphaine Prévost est en train de devenir une valeur sûre
de la troupe toulousaine. La virtuose, piquante et précise,
multiplie les tours dans la
Sérénade.
Dans la mazurka, Ramiro Gómez Samón allonge le mouvement
et ajoute une certaine douceur moelleuse à ses belles
envolées. Quant à la magnifique
Cigarette de Natalia de Froberville, elle rejoint les grandes interprétations de cette variation célèbre.
Natalia de Froberville dans Suite en blanc
Dans la fosse, l’Orchestre du Capitole au grand complet
s’en donne à cœur joie, caressant les
mélodies de timbres de la partition de Lalo, notamment dans la
spectaculaire fresque marine qu’est l’ouverture.
Entrée au répertoire du Ballet du Capitole il y a
exactement cinq ans, la féerie chorégraphique
qu’est
Les Mirages
avait pu quelque peu déconcerter le public toulousain qui
n’y avait vu alors qu’un roman d’aventures au pays
des songes. Il est vrai que ce genre de ballets métaphoriques
n’a plus cours de nos jours, la chorégraphie contemporaine
lui préférant largement un symbolisme plus conceptuel.
Le livret de Lifar et Cassandre (ce dernier auteur également des
décors et costumes) s’inspire de loin de la
Nuit de décembre,
d'Alfred de Musset. Le héros, au bout de chaque épisode
de sa vie se retrouve seul face à son Ombre, son double, sa
conscience, son âme, sa solitude. Plusieurs lectures sont
laissées à la liberté du spectateur. Mais
l’apparition au lever du soleil de paysans en silhouettes, dans
un somptueux tableau final en apothéose musicale, nous renvoie
à notre humaine condition.
les Mirages (chor. Serge Lifar)
Il faut préciser que l’interprétation qu’en
donne le Ballet du Capitole diffère sensiblement de celle
qu’on pouvait voir, il y a trop longtemps maintenant, à
l’Opéra de Paris. Loin de la demi-teinte
allégorique, les tableaux toulousains semblent plus
présents et d’une certaine façon plus vivants.
Après la scène du lever de la lune, poétique et
hiératique (superbe Juliette Thélin), le protagoniste
principal (le Jeune Homme) va déployer une palette
d’expressions au fil de ses rencontres. Il poursuit la
Chimère, femme-oiseau insaisissable. Il négocie avec le
Marchand. Il rit avec les Courtisanes, il aime la Femme et il pleure sa
disparition.
Davit Galstyan et Ramiro Gómez Samón se partagent ce
rôle difficile. Le premier a approfondi les différentes
facettes du personnage depuis 2014. Ramiro Gómez Samón,
malgré quelques chutes de tension, est un Jeune Homme plus
rêveur, et irréprochable sur le plan technique.
Davit Galstyan (Le Jeune Homme), Alexandra Surodeeva (La Femme) dans les Mirages
Le rôle écrasant de l’Ombre, extraordinaire
composition lifarienne, est endossé tour à tour par
Natalia de Froberville et Julie Charlet. Les deux étoiles
féminines ont travaillé le rôle avec Monique
Loudières, qui elle-même le tenait de Chauviré.
Julie Charlet est parfaite sur le plan dramatique, et spectaculaire sur
les portés doigt tendu. Natalia de Froberville emporte tous les
suffrages au moment de sa longue et complexe variation avec ses
incessants changements d’axe. A nouveau on remarque la danse
lumineuse et désincarnée d’Alexandra Surodeeva dans
le personnage de la Femme. Sans doute une étoile en puissance.
S’il faut émettre un regret après cette splendide
réussite, c’est celui de la programmation pendant les
congés scolaires, qui a pu priver le jeune public, si important
dans la métropole toulousaine, d’une découverte
mémorable.