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Ballet National de
Bordeaux
16 décembre 2018 : La Fille mal gardée
(Frederick Ashton) au
Grand Théâtre de Bordeaux

Voici donc cette Fille mal gardée
dans le théâtre même où elle a pris naissance
il y a presque deux-cent trente ans. Le plus vieux ballet du
répertoire classique dû à Dauberval, alors
maître de ballet à Bordeaux, s'est popularisé dans
le monde à travers différentes filiations et de multiples
avatars. On l'attendait depuis longtemps dans sa ville d'origine.
Dans le contexte d'une crise à la direction
générale de l’Opéra National de Bordeaux,
plus ou moins bien aplanie (le récent mouvement de grogne des
musiciens de l'ONBA à l'ouverture de la saison lyrique nous le
rappelle), envisager une production propre au Ballet de Bordeaux n'est
pas ou plus dans l'air du temps. La formule nouvelle du partenariat
avec l'Opéra de Paris fournit l'occasion de reprendre la version
de Frederick Ashton, au répertoire parisien depuis une dizaine
d'années et régulièrement présentée
avec succès depuis. Cette version du chorégraphe anglais,
la plus répandue, a le grand mérite d'offrir une
véritable synthèse de tout ce que deux siècles de
tradition ont apporté au ballet, des détails de pantomime
aux variations intercalées, dont la variation dite «de
Fanny Elssler» à l'acte deux. Le chef d'orchestre John
Lanchbery a opéré le même travail du
côté de la partition musicale, partant de celle de
Ferdinand Hérold de 1828 dans laquelle il a incorporé des
ajouts venus de sources diverses, y ajoutant à de nombreuses
reprises sa touche personnelle.
Vanessa Feuillatte (Lise - 1ère distribution)
De son côté, le Ballet du Capitole de Toulouse avait
choisi d'intégrer à son répertoire la version plus
philologique de Ivo Cramer, qui fait revivre la technique de la «Belle Dance»
et s'inspire des pantomimes très précisément
notées par Dauberval. Paradoxalement, la partition d'origine sur
laquelle s'est appuyé Cramer, mince enchainement d'airs à
la mode, dort dans les archives municipales de Bordeaux. Mais le ballet
d'Ashton atteint son but en décrivant avec fraîcheur cette
idylle paysanne sans cesse contrariée par un personnage
burlesque et envahissant. Intrigue simple et lisible qui plait à
tous, le nombreux public familial en témoigne. Et si le cheval
qui nous mène au champ est bien réel, les quatre
poulettes et leur coq qui s' ébattent en rythme à
plusieurs reprises introduisent un contrepoint de second degré
bienvenu. On doit ajouter que le passage de la grande scène du
palais Garnier au théâtre conçu par Victor Louis,
plus modeste en dimensions, s'avère judicieux. On peut
rêver peut-être d'une scène au champ plus large
d'horizon, mais l'intérieur de la ferme est rendu à des
proportions plus raisonnables. Le tout s'écoule avec une grande
fluidité et ce n'est pas le moindre des talents du
chorégraphe que d'avoir réussi à unifier les
éléments disparates qui le composent. Le thème du
ruban, qui revient comme un leitmotiv métaphorique, est à
ce titre d'une grande efficacité. Ruban qui attache, qui
enjolive ou qui délivre. Si on se replace dans le contexte
historique de la création, à mi-chemin entre serment du
jeu de paume et prise de la Bastille, on ne peut s'empêcher de
songer que les bergères à la Fabre d'Eglantine qui ornent
de rubans leurs blancs agneaux vont bientôt laisser la place
à la riche fermière revêche, apparemment
débarrassée de toute pression féodale, qui
embauche des moissonneurs à la journée en disputant son
prix.
Alvaro Rodriguez Piñera (La Mère Simone - 1ère distribution)
Cette riche fermière est incarnée à Bordeaux par
Marc-Emmanuel Zanoli, artiste intelligent et touche-à-tout,
indispensable à la compagnie bordelaise. Abondamment
distribué, il apparaît aussi convaincant en fée
Carabosse, en ange de l'Annonciation, que dans des rôles plus
abstraits. Pourquoi ne le récompense-t-on pas par un titre? Sa
mère Simone à la main leste et aux réactions
brutales, peu informée des législations modernes sur les
châtiments corporels, assure la continuité narrative du
ballet, avec ses épisodes désopilants dont la fameuse
danse des sabots.
On aimerait du répondant au même niveau du
côté de ses partenaires dont la présence expressive
demande à être affirmée. Oleg Rogachev est
néanmoins un excellent Colas, léger et bondissant. Un
manque d'assurance dans certains enchainements de pas est
compensé par des qualités évidentes de partenaire,
notamment dans les magnifiques portés.
Le rôle titre est dévolu à la Moldave Alina Nanu,
Première soliste au Ballet national tchèque et
invitée pour l'occasion dans un rôle qu'elle semble bien
connaître. Elle se joue des difficultés techniques avec
l'entrain et le charme indispensables. Ses pointes sont
très jolies. Voilà au moins une invitation qui ne
souffre pas d'un effet de routine comme parfois.
N'oublions pas de féliciter l'Alain ahuri de Guillaume Debut,
personnage décalé, presque lunaire. Enfin tout le corps
de ballet fait preuve d'enthousiasme dans les
ensembles d'un ballet qui nécessite un esprit de troupe. En ce
sens, les futures reprises ne pourront que parfaire la
complicité mutuelle des danseurs bordelais. Car de toute
évidence La Fille mal gardée restera à Bordeaux.
Jean-Marc
Jacquin © 2018, Dansomanie
N.B. Aucune photo de presse correspondant à la distribution
chroniquée (16 décembre 2018) n'ayant été
disponible, les images d'illustrations proviennent de la
représentation du 11 décembre 2018. Nous nous en excusons
auprès des artistes concernés.
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Oleg Rogachev (Colas) - Vanessa Feuillatte (Lise - 1ère distribution)
La Fille mal gardée
Musique : Louis-Ferdinand Hérold, arr. John Lanchbery
Chorégraphie : Frederick Ashton, d'après Jean Dauberval
Décors et costumes : Osbert Lancaster
Lumières : Jean-Pierre Gasquet, Pascal Neniez
Lise –
Alina Nanu (Balet Národního divadla, Prague)
Colas – Oleg Rogachev
La Mère Simone – Marc-Emmanuel Zanoli
Alain –
Guillaume Debut
Thomas
– Felice Barra
Le Joueur de flûte – Ryota Hasegawa
Cockerel / Le Notaire – Aurélien Magnan
Le Clerc de notaire – Cyril Cosson
Ballet National de Bordeaux
Orchestre National de Bordeaux-Aquitaine
Dimanche 16 décembre 2018 - 15h00, Grand
Théâtre de Bordeaux
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