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Ballets de Monte-Carlo
08 décembre 2018 : «En compagnie de Nijinsky» (Maillot, Verbruggen, Goecke, Inger) à l'Opéra Garnier
Pétrouchka (chor. Johan Inger)
Les Ballets russes n'ont décidément pas fini
d'inspirer les chorégraphes de notre temps. Dans le sillage du
Centenaire célébré à Monaco durant l'année 2009, les Ballets de
Monte-Carlo présentent à l'Opéra Garnier En compagnie de Nijinsky,
un programme, très dense, de quatre relectures d'ouvrages emblématiques
de la période, associés à la figure mythique de Nijinsky – programme
qu'on retrouvera à l'affiche du Théâtre des Champs-Élysées en février
prochain.
La soirée s'ouvre sur Daphnis et Chloé,
un ballet de Jean-Christophe Maillot remonté par Bernice Coppieters,
qui en fut l'interprète en 2010, à la création. Pour cette pièce, le
chorégraphe s'est appuyé sur les deux suites orchestrales composées par
Ravel à partir de sa longue symphonie pour chœur et orchestre, qu'avait,
a contrario, utilisée Benjamin Millepied pour sa propre version.
Concise et sobre, la pièce s'affranchit de la narrativité et du
pittoresque de la pastorale antique, s'offrant plutôt comme une
réflexion poétique autour du désir, de l'élan amoureux et de leurs
avatars sur la carte du Tendre. Construite autour de deux couples, la
chorégraphie se déploie dans une vaste palette de registres – sinueuse,
sensuelle, plus tempétueuse et spectaculaire – pour suggérer les
différents «états» de l'amour. Au duo du couple éponyme, formé de
Simone Tribuna (Daphnis) et Anjara Ballesteros (Chhloé), merveilleux de
fraîcheur et de juvénilité, vient s'ajouter, dans un double effet de
miroir et de contrepoint, celui d'un second couple, aux allures plus
expérimentées, incarné par Matej Urban (Dorcon) et Marianna Barabas
(Lycénion). Le dépouillement de la scénographie invite à une lecture
débarrassée de l'anecdote et, de fait, les chassés-croisés, en forme de
jeux de l'amour et du hasard, dessinés par les protagonistes paraissent
renvoyer davantage à Shakespeare – celui du Songe
– ou à Marivaux qu'à Longus. Illustrée par les crayonnés «en
mouvement» d'Ernest Pignon-Ernest, qui tiennent lieu de décor, la pièce
se fait également prétexte à ce dialogue entre les arts si cher à
Maillot. Au-delà du thème initial, c'est en effet la création
chorégraphique qu'on a l'impression de voir s'esquisser, au rythme même
du désir des protagonistes.
Daphnis et Chloé (chor. Jean-Christophe Maillot)
Un premier entracte, quelque peu superfétatoire, laisse place à la création de Jeroen Verbruggen, Aimai-je un rêve?, sur la musique du Prélude à l'Après-midi d'un faune.
Le titre, inspiré d'un vers de Mallarmé, est, de l'aveu du chorégraphe,
conçu comme un contrepoint onirique à la bestialité suggérée par le
mouvement des corps. Si la création conserve du Faune
originel le motif érotique et la parfum fortement équivoque, elle s'en
écarte aussi résolument dans sa conception et ses intentions affichées.
Air du temps (ou pas) oblige, le mythique Faune devient ainsi prétexte à
interrogation sur le genre et l'identité sexuelle. La lumière de
l'Attique a laissé place à un plateau plongé dans une obscurité et un
brouillard intrigants, les nymphes se sont évaporées, le solo originel,
enfin, se métamorphose en un duo de créatures androgynes, entre étreinte
et affrontement. Même si l'ensemble ne paraît pas totalement abouti –
le climax attendu n'émerge pas
vraiment -, Jeroen Verbruggen a le talent de créer une gestuelle qui ne
ressemble à aucune autre, et dont l'intensité est du reste puissamment
servie par ses deux interprètes, Benjamin Stone et Alexis Oliveira.
Aimai-je un rêve (chor. Jeroen Verbruggen)
Le Spectre de la rose occupe une
place particulière à l'Opéra de Monte-Carlo. Le ballet de Fokine y fut
représenté pour la première fois en 1911, quelques semaines avant
d'être donné au Théâtre du Châtelet, tandis que Marco Goecke y créa sa
propre version en 2009, à l'occasion du Centenaire des Ballets russes.
Le chorégraphe allemand nous propose une version qu'on pourrait dire
«extensive», puisqu'à la célèbre partition de Weber tirée de L'Invitation à la valse, il lui en adjoint une seconde, du même compositeur, intitulée Le Maître des esprits
(était-ce vraiment utile?), et que – petite curiosité – le Spectre
éponyme s'y retrouve démultiplié en six autres créatures auxiliaires.
L’œuvre, en rupture avec la poésie de l'air inhérente au modèle, est
tout à fait emblématique de la manière de Goecke. On y retrouve ainsi sa
gestuelle saccadée, quasi-épileptique, associée à un travail intense
des bras et du haut du corps, dans une scénographie léchée – un peu trop
sans doute – jusque dans les pétales de roses élégamment répandus sur
le plateau. La pièce donne l'impression de tourner furieusement au
procédé, même s'il faut reconnaître que les danseurs des Ballets de
Monte-Carlo se fondent dans ce style puissant et virtuose – et
éminemment spectaculaire – avec un maximum d'aisance, un peu comme s'ils
avaient dansé cela toute leur vie.
Le Spectre de la rose (chor. Marco Goecke)
Le vrai cadeau de ce programme est, comme de juste, pour la fin
(après un second entracte!), avec la fantastique relecture de Petrouchka
proposée par Johan Inger. Le chorégraphe y croise avec un bonheur
confondant deux univers familiers au spectateur : celui, historique, du
ballet de Fokine, avec ses pantins de carnaval qui prennent vie, et
celui, plus contemporain, de la mode, dans lequel sont transposés les
personnages de l'argument d'Alexandre Benois. Dans cette nouvelle
version, Petrouchka est un mannequin de vitrine (légère réserve sur le
dénouement, pas très lisible), rival du redoutable Maure auprès de la
Ballerine. Le triangle amoureux trouve sa résolution dans un délirant
défilé de mode, avec son lot de figures obligées (on y croise notamment
l'indispensable mariée, ainsi que la critique Anna Winterthur),
orchestré par un certain Sergei Lagerford (Lennart Radtke,
excellentissime!) - toute ressemblance, etc... -, démiurge repeint en
«créatif» manipulateur et superficiel. On a souvent de bonnes raisons
de se méfier des actualisations de «classiques», mais force est de
constater que l'opération est ici une réussite totale : la chorégraphie
brillante et dynamique, la direction des interprètes, la dramaturgie et
le dispositif scénique percutants, mis au service d'une satire féroce du
culte de l'apparence... Dans l'esprit comme dans la forme, tout dans
cette version mérite d'être loué !
Bénédicte Jarrasse © 2018, Dansomanie
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Pétrouchka (chor. Johan Inger)
Daphins et Chloé
Musique : Maurice Ravel
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Scénographie : Ernest Pignon-Ernest
Costumes : Jérôme Kaplan
Lumières : Samuel Thery
Vidéo : Ernest Pignon-Ernest, Matthieu Stefani
Daphnis – Simone Tribuna
Chloé – Anja Ballesteros
Dorcon – Matèj Urban
Lycénion – Marianna Barabás
Daphnis et Chloé - Album photo
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Aimai-je un rêve?
Musique : Claude Debussy
Chorégraphie : Jeroen Verbruggen
Scénographie : Jeroen Verbruggen, Fabiana Piccioli
Costumes : Charlie Le Mindu
Lumières : Fabiana Piccioli
Le Faune – Alexis Oliveira
L'Individu – Benjamin Stone
Aimai-je un rêve? - Album photo
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Le Spectre de la rose
Musique : Carl Maria von Weber, arr. Hector Berlioz
Chorégraphie : Marco Goecke
Scénographie : Marco Goecke
Costumes : Michaela Springer
Lumières : Udo Haberland
Avec :
Daniel Delvecchio, Anissa Bruley
Chiristian Assis, Edgar Castillo, Jaat Benoot
Koen Havenith, Michaël Grünecker, Julien Guérin
Le Spectre de la rose - Album photo
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Pétrouchka
Musique : Igor Stravinsky
Chorégraphie : Johan Inger d'après Michel Fokine et Alexandre Benois
Dramaturgie : Gregor Acuña Pohl
Décors : Curt Allen Wilmer
Costumes : Salvador Mateu Andujar
Lumières : Fabiana Piccioli
Pétrouchka – George Oliveira
Le Maure – Alvaro Prieto
Sergei Lagerford – Lennart Radtke
L'Assistant – Koen Havenith
Roy / Un Mannequin – Asier Edeso
Un Technicien / L'Epoux – Benjamin Stone
Les Techniciens / Le Public – Daniele Delvecchio, Michael Grünecker
Un Mannequin – Francesco Mariottini
Le Tailleur – Alexis Oliveira |
La Ballerine – Anna Blackwell
Anna Winterthur – April Ball
Le Tailleur / Un Mannequin – Kaori Tjima
Les Tailleurs / Le Public – Anissa Bruley, Anne-Laure Seillan
Une Coiffeuse / Le Public – Gaëlle Riou
Les Maquilleuses / Le Public – Elena Marzano, Taisha Barton-Rowledge
Un Mannequin / Le Public – Katrin Schrader
Les Mannequins – Candela Ebessen, Alessandra Tognoloni |
Pétrouchka - Album photo
Ballets de Monte-Carlo
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, dir. Kazuki Yamada
Samedi 08 décembre 2018,
Opéra Garnier, Monaco
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