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critiques et comptes rendus
Les Ballets de Monte-Carlo au Théâtre National de Chaillot

08 juin 2018 : Le Songe (J.C. Maillot) au Théâtre National de Chaillot (Paris)


Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)


Le Songe, présenté en tournée au Théâtre de Chaillot, est une pièce déjà relativement ancienne, créée par les Ballets de Monte-Carlo en 2005, et dont la distribution «princeps» a fait l'objet d'une captation en 2009, diffusée à la télévision, puis commercialisée en DVD. L'intérêt de cette série de représentations parisiennes résidait ainsi davantage dans la découverte de nouveaux interprètes que dans celle de la pièce elle-même, déjà connue d'une bonne partie du public.

Jean-Christophe Maillot fut naguère, en tant que danseur, l'interprète du Songe d'une nuit d'été de John Neumeier, et sa propre transposition chorégraphique du célèbre ouvrage de Shakespeare montre certains liens de parenté avec le «Tanztheater» onirique du directeur du Ballet de Hambourg. Le directeur des Ballets de Monte-Carlo a conçu Le Songe comme l'imbrication de trois groupes de danseurs distincts : «Les Artisans», les saltimbanques - correspondant aux personnages de Quince, Bottom, Starvelling, Flute, Sout et Snug chez Shakespeare -, les «Athéniens» - respectivement Hermia, Lysandre, Demetrius, Helena, Égée, Thésée et Hippolyte -, et les «Fées, lutins et elfes» - Titania, Obéron, Puck, le Page.

Songe
Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)

Cette reprise du Songe nous a cueillis un peu à froid. La première intervention du quatuor (qui s'étend ensuite en sextuor, puis en septuor) des Athéniens semblait en effet quelque peu confuse, et l'on était assez loin de la lisibilité et de la précision de jeu qu'on trouvait, en 2009, chez April Ball, Nathalie Nordquist, Asier Uriagereka et Julien Bancillon. On se prenait tout d'un coup à regretter la concision d'un Balanchine, qui parvenait à rendre parfaitement intelligible l'intrigue tarabiscotée du Songe d'une nuit d'été, avec des personnages parfaitement identifiables, sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'artifice de l'«étiquetage» des rôles en lettres géantes sur les costumes. Paradoxalement, c'est ce même quatuor (Anne Laure Seillan / Hermia – Gaëlle Riou / Helena – Lennart Radke / Lysandre – Koen Havenith / Demetrius) qui nous réserve, à la fin de la première partie, le meilleur moment de la soirée. Mis en verve par le Saltarello endiablé de la Symphonie italienne de Mendelssohn, les danseurs se sont ici pris réellement au jeu, interagissant avec une grande vivacité, tout en faisant montre d'une technique étincelante, et s'avérant peut-être même supérieurs à leurs aînés. Ils servaient en tout cas parfaitement le propos du chorégraphe, qui était d'associer ce groupe des «Athéniens» à la jeunesse et à la virtuosité, sur pointes et en justaucorps. Clin d’œil à Balanchine? Le travail intense effectué récemment par la compagnie autour de Violin Concerto a en tous cas porté ici de beaux fruits.


Songe
Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)

Pour réinstaller le spectateur dans l'atmosphère du ballet à l'issue de l'entracte, Jean-Christophe Maillot fait appel à un artifice souvent utilisé par John Neumeier (voir par exemple la transition entre les deux premiers actes de La Dame aux camélias) : la citation tronquée de la fin de la partie précédente est reprise lorsque le rideau se lève sur l'acte suivant.

Le second des trois «univers» qui structurent la pièce est celui de la féerie, associé à la musique de Daniel Terrugi, alors que l'académisme «athénien» est lié à Mendelssohn. Ainsi, après Balanchine, Neumeier apparaît en filigrane, lui qui, pour son adaptation du Songe, avait également recouru à un compositeur contemporain - György Ligeti – pour caractériser les scènes oniriques. La danse est menée, comme au début de l'ouvrage, par un quatuor de solistes : Titania (Mariana Barabas), Obéron (Francesco Mariottini), Puck (Daniele Delvecchio) et le Page (Kaori Tajima, travestie). Mariana Barabás habite de tout son talent un rôle taillé sur mesure pour Bernice Coppieters, mais c'est le fantasmagorique et fantastique «duo» entre un Obéron lubrique et son «double» loufoque, Puck, qui capte toute l'attention du spectateur. Les deux danseurs italiens s'en donnent à cœur joie et rivalisent d'inventivité, en allant peut-être même au-delà des intentions initiales du chorégraphe.


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Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)

Balanchine/Mendelssohn, Neumeier/Mariottini, reste la troisième facette de la triade, l'univers des «Artisans d'Athènes», des comédiens, des enfants de la balle, de Maillot et de... Maillot, puisque la partition musicale en a été confiée à Bertrand, le frère de Jean-Christophe. Dans ses notes d'intentions, le chorégraphe monégasque indique d'ailleurs clairement qu'il s'agit de la partie la plus personnelle, qui doit être confiée à des danseurs qui «connaissent leur Maillot sur le bout des doigts», et dans laquelle il se veut tout autant «homme de théâtre». On y sent presque une sorte de frustration de la part d'un créateur qui a touché aux limites de ce que la danse peut exprimer, et qui, ici, cherche à s'en affranchir un peu pour explorer d'autres territoires de l'art dramatique. Curieusement, c'est dans cette partie que les individualités s'expriment le moins, les excentricités des six danseurs-acteurs s'annulant mutuellement, d'une certaine façon. La «troupe», comme dans le théâtre élisabéthain, prime, même si la personnalité facétieuse d'Asier Edeso (le «raccomodeur de soufflets») tend à émerger.

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Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)

Petite curiosité, la bande-son, pré-enregistrée par l'Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (plutôt nerveux et dynamique, en accord avec la danse), fait appel, pour les parties chantées du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn à une traduction allemande, plutôt qu'à l'habituel texte anglais.

Le public du Théâtre de Chaillot a réservé un excellent accueil à ce Songe venu de la Riviera et les sept représentations programmées affichaient complet. Si cette danse, abusivement qualifiée de «néo-classique», n'a pas toujours l'heur de plaire dans les hautes sphères de la culture institutionnelle française, elle remplit les salles, comme en témoignent les succès récurrents des productions signées de Jean-Christophe Maillot ou de Thierry Malandain.




Romain Feist © 2018, Dansomanie


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Songe
Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)


Le Songe

Musique : Felix Mendelssohn-Bartholdi, Daniel Teruggi, Bertrand Maillot
Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot
Mise en scène : Jean-Christophe Maillot, Nicolas Lormeau
Scénographie : Ernest Pignon Ernest
Lumières :
Dominique Drillot
Costumes : Philippe Guillotel

Les Artisans (d'Athènes)
Quince (charpentier) – Taisha Barton-Rowledge
Nick Bottom (tisserand) – Benjamin Stone
Robin Starvelling (tailleur) – Artjom Maksakov
Francis Flute (raccomodeur de soufflets) – Asier Edeso
Tom Snout (chaudronnier) – Alvaro Prieto
Snug (menuisier) – Leart Duraku

Les Athéniens
Hermia – Anne-Laure Seillan
Lysandre – Lennart Radtke
Demetrius – Koen Havenith
Helena – Gaëlle Riou
Égée – Christian Tworzyanski
Thésée – Cristian Assis
Hippolyte – Ekaterina Petina

Les Fées, les Lutins et les Elfes
Titania – Mariana Barabás
Obéron – Francesco Mariottini
Puck – Daniele Delvecchio
Le Page – Kaori Tajima




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Le Songe (chor. Jean-Christophe Maillot)


 Ballets de Monte-Carlo
Musique enregistrée

Vendredi 08 juin 2018, Théâtre National de Chaillot, Paris


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