|




|

 |
|
|
Ballets de Monte-Carlo - Compagnie invitée
15 décembre 2017 : Nijinski (M. Goecke) par la compagnie Gauthier Dance
Nijinski (chor. Marco Goecke)
Depuis
sa création au Theaterhaus de Stuttgart en 2016 par la compagnie Gauthier
Dance, qui, y réside, le Nijinski de
Marco Goecke a déjà été présenté en de nombreux endroits du globe, notamment
aux États-Unis d’Amérique et en Israël.
S’attaquer à un tel sujet, après John Neumeier, qui a occupé le terrain
avec son propre Nijinski depuis l’an
2000 était une gageure, d’autant que les moyens humains, financiers et
techniques mis à la disposition de M. Goecke étaient sans commune mesure avec
ceux du Ballet de Hambourg.
Il
est difficile d’échapper à la tentation d’une comparaison entre les deux
réalisations, même si elle n’est pas forcément pertinente. Neumeier choisit
délibérément la narration : il raconte, de manière certes subjective et
impressionniste, la vie de Nijinski avec le «matériel» nécessaire :
costumes, décors, accessoires contribuent à l’intelligibilité de l’histoire.
Goecke, lui, ne choisit pas. Et le spectateur s’égare. Par une assez longue intervention avant le
début du spectacle, Eric Gauthier, le directeur de la compagnie qui porte son
nom, a tenté de baliser le terrain :
Nijinski se divise en deux
parties distinctes, la première, «abstraite», qu’il ne «faut pas vraiment
essayer de comprendre» (sic), et la seconde, plus «concrète», dans laquelle les
rôles les plus emblématiques du danseur russe sont explicitement
évoqués : Le Spectre de la rose, L’Après-midi
d’un faune et Petrouchka.
Étrangement, seul Le Faune est mis en
exergue par l’irruption de la musique de Debussy. Pour le reste, c’est
essentiellement Frédéric Chopin qui est mis à contribution, avec ses deux Concerti pour piano. Celui en mi mineur est utilisé
dans son intégralité tandis que seuls les deux premiers mouvements du Concerto
en fa mineur accompagnent les tribulations du danseur russe. Ce recours massif
au célèbre compositeur franco-polonais parait d’autant plus curieux qu’il fait
croître la tentation d’une comparaison avec Neumeier – Chopin est pour ce
dernier un véritable fétiche – comparaison que Marco Goecke, a priori, voulait
justement éviter.
Nijinski (chor. Marco Goecke)
Là où
le chorégraphe allemand convainc le plus, c’est finalement là où il demeure
«lui-même». Le sommet, le «climax» de ce Nijinski
est atteint à la fin de la première partie, dans le seul grand ensemble de la
pièce, exécuté sur le Finale du Concerto
en mi mineur de Chopin. Le spectateur est saisi par la gestuelle
électrisante, nerveuse, saccadée qui est la signature du chorégraphe, et par la
musique, dont une interprétation - malheureusement non précisée dans les
crédits -, particulièrement énergique a été retenue pour la bande-son.
Après
ce formidable coup de poing, l’ouvrage s’enlise, et on ne sait plus trop où
Marco Goecke veut nous emmener. L’Après-midi d’un faune tient une place
démesurée et l’évocation des relations homosexuelles entre un Nijinski – pas
franchement consentant – et un Diaghilev pervers – et abusant du pouvoir que
lui confère l’argent – est passablement triviale. L’allusion au Spectre de la rose – qui consacre la
rencontre entre Vaslav et Romola – est
davantage inspirée, notamment en raison de la forte présence de l’interprète
incarnant la compagne du danseur (aucune distribution n’a été fournie et si,
dans son discours liminaire, Eric Gautier a amplement détaillé sa propre
carrière, il n’a rien révélé de l’identité des titulaires des rôles). Le Spectre de la rose est aussi
l’occasion de l’un des rares effets techniques spectaculaires – la pièce étant
pour le reste d’un grand dépouillement – avec une explosion de pétales de
fleurs, projetés à travers tout le plateau dans un grand flash de lumière. Gare
au spectateur assoupi!
Nijinski (chor. Marco Goecke)
Les moyens mis en œuvre pour suggérer le
Polichinelle du square de l’Amirauté sont en revanche frustes, et se limitent à
une collerette rappelant le costume porté par Nijinsky lorsqu’il incarnait
Petrouchka. On s’étonnera cependant du choix musical retenu pour évoquer le
riche folklore qui inspira tant les protagonistes des Ballets russes – Fokine,
Nijinski, Diaghilev, Benois -, en l'occurrence une berceuse insipide,
«Russian lullaby», susurrée par le groupe vocal… américain Libana, dont l’une
des fondatrices, Lisa Bosley, exerce par ailleurs la profession d’infirmière
psychiatrique. Revoilà Nijinski, dont les dérèglements mentaux sont par
ailleurs aussi abordés par Marco Goecke. Finement, avec un duo de «jumeaux»
qui suggère la schizophrénie et le dédoublement de personnalité, avec les cercles
tracés au sol, réminiscence des dessins du danseur dont – clin
d’œil délibéré? – John Neumeier est l’un des principaux
collectionneurs. Plus prosaïquement aussi, par des borborygmes inintelligibles
et des gesticulations désordonnées.
L’aventure
chorégraphique de Marco Goecke s’achève
ex abrupto : «Londres, 8 avril 1950». Ninjiski n’est plus. La
postérité s’en emparera.
Romain Feist © 2017, Dansomanie
Le
contenu des articles publiés sur www.dansomanie.net et
www.forum-dansomanie.net est la propriété
exclusive de
Dansomanie et de ses rédacteurs respectifs.Toute
reproduction
intégrale ou partielle non autrorisée par
Dansomanie
ou ne relevant pas des exceptions prévues par la loi (droit
de
citation
notamment dans le cadre de revues de presse, copie à usage
privé), par
quelque procédé que ce soit, constituerait une
contrefaçon sanctionnée
par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la
propriété
intellectuelle.
Album-photos (images © Regina Brocke)
Nijinski
Musique : Frédéric Chopin, Claude Debussy, Libana
Chorégraphie : Marco Goecke
Décors et costumes : Michaela Springer
Lumières : Udo Haberland
Avec :
Garazi Perez Oloriz, Anna Süheyla Harms, Rosario Guerra, Anneleen Deedroog
Sandra Bourdais, Maurus Gauthier, Barbara Melo Freire, Luc Prunty
Alessio Marchini, David Rodriguez, Alessandra La Bella, Nora Brown
Francesca Ciaffoni, Jonathan dos Santos, Réginald Lefebvre, Theophilus Vesely
Gauthier Dance / Dance Company Theaterhaus Stuttgart
Musique
enregistrée
Vendredi 15 décembre 2017, Opéra Garnier, Monaco
|
|
|